Auberge de la Lumière Bleue

- Elixia ?

Syld parut un instant encore plus égaré par ce petit rappel.

- Mais pourquoi est-ce que j'aurais...

Une nouvelle flèche de douleur lui remonta le long du bras.

- Ah !

Il cilla à nouveau.

- Ca ira. De toute façon j'ai été suffisamment gavé d'elixia et de philtres comme ça.

Un troisième tressaillement, et la souffrance parut diminuer d'intensité.

- Le plus gros est déjà fait.

Le jeune homme refit à nouveau jouer ses doigts. Le sens du toucher était complètement revenu.

- Cela a pris plus de temps que les autres fois...

Il releva l'oeil et se souvint brusquement d'où il était et du rôle qu'il était censé jouer. La Dédrane ne semblait vraiment pas décidée à s'éloigner.

- Désolé pour le... petit accès de mauvaise humeur. Je vous offre un verre pour me faire pardonner ?

Son sourire était toujours aussi charmant, mais son regard restait un peu vague, comme s'il guettait autre chose, comme s'il tentait d'écouter une autre voix tout en parlant lui même.
Un bref courant d'air venant de l'étage lui tira un frisson.

- Quelque chose de chaud, peut-être ? Quoique vous aviez l'air accompagnée en arrivant... Un ami ?

Encore un peu inquiète, la clerc préféra jouer le jeu.

- Je crois que j’ai eu mon lot d’émotions pour la journée, et cela ne fera pas de mal de se détendre un peu en effet. Mon ami et moi avions commandé des grogs tout à l’heure, je suppose qu’on pourra en trouver quelques-uns supplémentaire satisfaire tout le monde…

Elle jeta un coup d’œil vers Ridelgald qui attendait non loin de savoir quoi faire après leur éclat.

- Si vous acceptez que mon ami se joigne à nous bien sur.

La Dédrane s’installa un peu plus confortablement.

- Qu’est ce qui vous amène dans cette ville enneigée ? Et pardonnez ma curiosité, mais comment avez-vous « récupéré » cette Elixia qui vous soigne ?

Syld hocha distraitement la tête. Il avait l'esprit tellement ailleurs qu'il ne remarqua pas la façon un peu trop appuyée dont Ridelgald le fixait.

Il leva machinalement un doigt pour attirer la serveuse qui se précipita pour répondre à sa commande avec force roucoulements. Face à l'inefficacité de ses mines et de son déhanché, elle repartit à nouveau déçue mais toujours pas vaincue, non sans un regard peu amène vers la Dédrane : ne pouvait-elle pas le laisser aller se coucher, celle-là ? Ce pauvre chou ne risquait pas d'être plus en forme et plus réceptif le lendemain s'il s'amusait à faire une nuit blanche !

- Ce qui m'amène ici ?

Le jeune homme adressa un regard vague vers le plafond.

- Bonne question... Chercher... une poupée, je crois. Oui c'est ça, une poupée.

Il battit des cils et parut brusquement se rendre compte de ce qu'il venait de dire.

- Non, c'est...

Les mots filèrent à nouveau, le laissant la bouche encore ouverte sur la suite d'une phrase déjà oubliée.

La sensation d'une main calleuse qui pèse sur sa nuque, lui plaquant la joue sur les dalles froides du sol.

Syld resserra les bras autour de lui avec un frisson.

- ... ramené à la vie...

Il se mordit la lèvre inférieure pour se forcer à se taire, pour obliger les mots qu'il ne contrôlait pas à rester bloqués dans sa gorge. C'était comme tenter de suivre deux conversations à la fois. La migraine revenait, moins aiguë, plus insidieuse.
Il regarda autour de lui avec un début de panique.

- Je... Sog...

Syld resta le souffle suspendu. Quel était le nom, déjà ?
Il étouffa un gémissement.
Qu'est-ce qui se passait, à la fin ? Tout le monde n'avait cessé de lui rabâcher qu'il finirait par retrouver ses souvenirs... alors pourquoi commençait-il a avoir du mal à se rappeler ce qu'il faisait à peine cinq minutes auparavant ? S'il n'y avait eu ce battement sourd qui lui résonnait aux oreilles, plus fort, de plus en plus fort, cela aurait été plus facile...

- Excusez-moi. J'ai... j'ai déjà pris un remontant en arrivant, et il a dû me monter un peu à la tête.

Il se composa un sourire un peu forcé qui aurait pu faire illusion s'il n'avait eu un regard trop fixe, un regard hanté, épouvanté par la ruine de son propre esprit dont les fondations rongées ne cessaient de s'effriter.
Il posa précipitamment une question, désireux de reporter la conversation sur un sujet autre que lui-même :

- Et vous, vous êtes là pour quoi ?

Fynarine était tellement perdue dans ses pensées qu’elle ne remarqua même pas la serveuse qui l’aurait grillée sur place d’un regard si elle en avait eu le pouvoir.
Etrange. Ce Médiovien avait des réactions vraiment étranges. C’était comme si le fait de réfléchir lui faisait oublier ce à quoi il pensait à grand renfort de souffrance. Peut-être était-ce lié à la souffrance de sa main qui n’avait pas autant réduit qu’il l’avait affirmé ? Ou alors un subterfuge pour éviter de devoir répondre aux questions ?

Dans tout les cas, la Dédrane doutait avoir plus de résultats ou d’informations si elle continuait à insister, et se résout donc à laisser tomber l’affaire, au moins pour l’instant.

- Cela paraissait différent d’un simple remontant pourtant… mais passons.

Elle fit signe à Ridelgald qui attendait toujours de venir s’assoir à la place à côté d’elle, et attendit qu’il soit assis avant de commencer.

- En ce qui me concerne, je suis herboriste, et je visite le continent pour apprendre différentes manières d’utiliser mon Elixia. Je suis arrivée en ville avant-hier, afin de rencontré un clerc qu’on m’a recommandé, Maitre Denmos, si ce nom vous dit quelque chose.

La jeune femme pouvait parfois être une vraie pipelette, elle continua donc.

- Toujours est-il que ma médecine c’est finalement avérée utile auprès d’un patient qu’il ne pouvait pas lui-même soigner. Nous étions en route mon ami et moi pour acheter quelques provisions, mais nous avons été bloqués par la tempête.

La serveuse revint à ce moment avec les choppes de grog fumant sur un plateau, sauvant la tablée de quelques 10ène de minutes de monologue supplémentaire. Elle pris soin de servir Fynarine en dernier, claquant un peu plus sec la choppe en la posant, puis repartit vexée, car la clerc n’avait encore rien compris au message qu’elle tentait de lui faire passer.

- Je ne connais pas Médiévir, reprit-elle, à quoi ressemble la ville ? Faite vous partie d’une de ses grandes familles ?

- Si je fais partie d'une des grandes familles ? Pas vraiment.

L'oeil clos, Syld se mordillait le pouce et n'avait même pas remarqué l'apparition d'une choppe devant lui.

- Médiévir est une belle ville. L'été, rien ne vaut une demeure sur les rives du lac. Les rues qui longent les canaux sont parfois vraiment étouffantes. C'est...

Presque machinalement, il essuya du bout des doigts la goutte de sang qui perlait à son nez.

- En fait je n'y réside pas. Je n'y ai fait qu'un bref passage dernièrement.

De grands yeux dorés qui le dévisagent.
Earl ?
Non, ils sont trop fixes, presque vitreux, comme si...

- Un patient, vous dites ?

Conserver un ton vague, indifférent.

- Qui n'a pu être soigné par quelqu'un qu'on vous a recommandé ? Ce doit être sérieux.

Soif. Le noir. Des gouttes qui tombent au loin. Ploc... ploc...

Ploc.
Il rouvrit l'oeil et regarda la goutte écarlate qui s'était écrasée sur la table.

- Ah... ça m'arrive souvent, ces derniers temps.

Il tira un mouchoir -tiens, il avait acheté ça aussi ?- d'une de ses poches et le porta à son nez.
Mais qu'est-ce qu'il fabriquait, ce So... S... ?

- Je me sens... un peu... fatigué.

L'assassin n'était guère loin. Vêtu de frais donc, il s'employait à réserver les chambres et à s'assurer qu'on leur ferais monter un bain dès qu'ils en manifesteraient le désir. Il suivait d'une oreille les paroles de Syld et commençait à s'alarmer. De toute évidence, quelque chose clochait. Il rejoignit la table où s'était aussi installé le dénommé Ridelgald. L'homme ressemblait à un version Levitis de lui-même, impression dont il ne savait comment se défaire.

Il écoutait la Dédrane tout en observant les convives, mais voyant que son ami avait de plus en plus de mal à rester conscient, il se leva.

- Je crois qu'il est temps d'aller nous reposer.

Passant une main sous un bras de Syld, il l'aida à se relever, et adressa un signe de tête aux autres toujours attablés.

- Désolé, mais la route semble avoir eu un effet destructeur, et une bonne nuit de repos ne sera pas de trop. Bonne soirée.

D'un signe de la main, il fit signe à la serveuse qu'il était temps de faire monter les bains.

agonie a écrit:

Soulagé par l'arrivée d'Adwen. Sans tarder elle reparti avec sa patiente qui lui adressa un signe de remerciement qu'il rendit. Il continuait de siroter son vin et son attention se posa sur les frère et soeur. Ils ne semblaient pas s'en faire outre mesure et une gaieté spontanée avait promptement remplacé l'anxiété due à l'accidente de la jeune amnésique.

Graouill-hi aimait bien les Lévits. Le peuple de la connaissance.

"Dites-moi, vous ne sembles pas d'ici non plus. Qu'est-ce qui vous amène ? Êtes-vous venu retrouver la demoiselle nommée Fanaa ? J'ai cru comprendre que vous la connaissiez."

Ce fut Lynn qui répondit.

"Non, nous ne sommes effectivement pas d'ici. D'ailleurs, nous ne sommes de nulle part... Vous savez, nous allons où le vent nous porte, tantôt ici, tantôt là... Nous avons croisé Dame Fanaa et Dame Adwel sur la route, de là à dire que nous nous connaissons... "

Sek attira discrètement son attention, et elle s'interrompit pour lui jeter un coup d'oeil. Il avait légèrement pâli, et semblait quelque peu vacillant. Le contrecoup des sorts de la soirée, évidemment. Toute à son plaisir, elle avait oublié ce que cela coûtait à son frère. Elle se maudit intérieurement.

"Oh, veuillez nous excuser messire, il se fait tard et je me sens lasse... Peut-être nous verrons-nous demain. Bonne nuit."

Elle prit Sek par la main et tandis qu'ils montaient les escaliers, Lynn soutenait son frère sans en donner l'impression. Elle lui devait bien ça, et elle n'avait de toute façon aucune envie de voir un guérisseur en mal de patient à torturer venir fourrer son nez dans leurs affaires.
A peine étaient-ils entrés dans leur chambre que Sek s'effondrait. Avec une efficacité née de l'habitude, elle utilisa ce qu'il fallait de magie pour le mettre au lit, avant de le border, puis d'éteindre les lampes. Elle s'installa ensuite à côté de lui, et, lui prenant de nouveau la main, elle murmura:

"Repose-toi sans inquiétude, petit frère, je veille..."

Adwel se détendit quand de sa belle voix, Fanaa se mis a chanter. Elle était si désolée de l'avoir mis en danger! Elle aurait du être là... qui sait ce qui aurait pu arrivé si le Shalos - cette pensée la fit grimacer - n'avait pas été la? D'aillieurs, pourquoi était-il la? Elle haussa mentalement des épaules quand Fanaa se libéra de l'accolade et se dirigea vers un vêtement qu'elle lui tendit

- C'est... C'est pour moi? C'est toi qui l'a fait? mais c'est magifique!

Elle essuya ses larmes de sa main et pris le kimono. Elle le mis devant elle et se regarda dans le miroir placé dans un coin de la chambre.

- Oh! il va bien m'aller! Je le mettrais quand nous serons invité quelques part où lors d'une soirée. Par exemple quand on ira voir les danseuses avec ma maman. D'accord?

Fanaa ne répondit pas mais adressa son plus beau sourire à Adwel qui ne pleurait plus, et qui aimait son cadeau !!!

De joie, la petite danseuse tournoya sur elle-même pour signifier à la jolie voleuse que non seulement elle avait compris sa proposition d'aller voir les danseuses, mais qu'en plus, cette idée l'enchantait !

Fanaa alla serrer sa maman oiseau dans ses bras et lui posa un gros bisou sur la joue avant de ramasser ses deux poupées et d'aller se pelotonner sous la couverture du grand lit en leur compagnie.

- 'tiguée.

Elle ferma les yeux et s'endormit.




Au-dehors, la tempête rugissait et le tenancier alla faire le tour de tout son bâtiment afin de vérifier que nulle part il n'y avait le moindre interstice. Ne laisser aucune entrée au frimas rugissant du dehors ou il pourrait vite vous envahir. Comme à chaque violente tempête des montagnes, l'auberge était transformée en vraie forteresse; elle devenait un cube étanche qui se concentrait pour garder, en elle, la lumière, la chaleur.
Toutes les issues étaient closes, les volets protégeaient les vitres et empêchaient ne serait-ce que d'apercevoir le paysage nocturne. Qui n'était qu'un amas de blanc sauvage de toute façon.
On ne voyait pas ce qui se passait au-dehors, mais c'était mieux ainsi. le vacarme suffisait pour imaginer ce à quoi ion échappait en restant à l'abri.

Ridelgald suivit des yeux les Shalos qui s'éloignaient vers les escaliers.
Aucun doute possible. Ah, Earl allait encore se faire du mauvais sang...

Syld se laissa entraîner sans se rebiffer. De toute façon, pour se rebiffer, il aurait fallu être en désaccord, et donc avoir une autre idée en tête. Or là il se fichait éperdument de ce qu'il pouvait faire ou de là où il pouvait aller. Il n'était préoccupé que par la sensation de pression qui menaçait de lui écraser le cerveau comme une fraise trop mûre.

- J'ai l'impression de partir en morceaux.

Une chambre. Laquelle ? Ah bah, quelle importance ?
Il se laissa tomber sur le lit, arracha sans égards le foulard bleu vert et frotta rageusement le lambeau de toile qui restait collé à l'emplacement de son oeil droit. Rien à faire, ça ne partait toujours pas. Avec une exclamation de frustration, il posa son avant-bras sur son front.

Il garda l'oeil clos, ce qui lui permit de ne pas remarquer la serveuse qui apportait les seaux d'eau chaude et qui en profita pour se rincer les mirettes. Les luxueux habits médioviens à présent assez largement ouverts sur son torse luisant de sueur laissaient voir un triangle de muscles fins et de peau soyeuse tout à fait appétissant.

De la vapeur d'eau. Un bain. Ah, c'est vrai, le voyage, les rebonds sur la selle...

- Je ne sais pas si un bain est une très bonne idée pour moi. Je me sens vraiment... mou. Comme un escargot à qui ont aurait enlevé sa coquille. Je crois que si on me met dans de l'eau chaude, je vais fondre et il faudra retourner le bac pour avoir une chance de décoller les restes du fond.

Le jeune homme laissa fuser un rire bref et tremblant. Ses épaules continuaient à frémir.

- Tout ce qui me reste de moi est en train de me filer entre les doigts. Ce que j'essaye de préserver se brise, s'effrite...

Une larme brillante glissa le long de sa joue.

- Ca fait mal... J'ai même oublié ton nom. Je suis désolé, vraiment désolé. S'il vous plaît, arrêtez ça ! Laissez-moi au moins... ce qu'il me reste. Laissez-moi juste ça... juste ça...

Fanaa se redressa brusquement en étreignant le poupon Ciel.

- Adwel ?

La poupée sauta à bas du lit et fila vers le secrétaire d'où elle sortit une feuille une mine noire. Fébrile, elle commença à dessiner, se demandant quel serait le résultat aujourd'hui.

Fanaa avait cessé de respirer et se concentra toute entière au dessin. Elle sentait quelque chose et elle devait le laisser sortit d'elle car cela comprimait son coeur et ça faisait mal.

- Mal ... gémit-elle.

Mais elle ne s'arrêta pas. L fusain se déplaçait vite sur la feuille, si vite ! Il y avait une sensation d'urgence dans le mouvement de la petite danseuse.

Le poignet douloureux, elle arrêta pour découvrir ... ce qui était sorti de sa tête, cette fois.

Le Syld. Le garçon qui n'exisait pas était encore là. Encore ! Et de sa feuille il la regardait. L'expression qu'il avait sur le portrait, elle ne la lui avait encore jamais dessinée. Le regard empli de détresse, il semblait appeler à l'aide. Ses lèvres dessinées murmuraient quelque chose. Il avait l'air triste et tout perdu.

Ce qui émut Fanaa. Cette fois-ci, elle ne jeta pas le dessin, ni de colère, ni de dépit. Au contraire, elle le saisit délicatement et le serra contre elle en se balançant d'avant en arrière sur le siège, gazouillant doucement, comme si elle voulait le calmer. Comme si les traits inertes du dessins allaient pouvoir s'apaiser.
Elle avait mal, mais ce garçon avait encore plus mal. Qu'il ne soit pas réel ne changeait rien à sa souffrance. Et Fanaa était sure d'une chose : elle ne voulait pas qu'il souffre ou qu'il se sente trop seul. Elle savait ce que c'était et ne souhaitait pas le partager. En aucun cas.

Après avoir traîné autant que mené Syld à sa chambre, Soghann se laissa tomber dans un des moelleux fauteuils en attendant que la bonne prépare le bain. Ensuite, il se leva et verrouilla la porte, avant de se planter devant Syld, le toisant d'un regard incertain.

- Soghann. Et je pense qu'un bain te fera du bien.

Sans se soucier des plaintes de son ami, l'assassin se mit en devoir de retirer ses gants, son manteau et tout ce qui lui couvrait le torse, exhibant ainsi la formidable cicatrice qui partait de son épaule pour finir sur la hanche.

Une fois à l'aise, il s'occupa de Syld, le déshabillant avec expertise, et rangeant les vêtements précieux au fur et à mesure. Il ne s'agissait pas d'apparaître comme un seigneur fripé, cela leur ôterait toute leur crédibilité.

La tâche achevée, il porta son compagnon au bain et le fit glisser sans plus de cérémonie dans l'eau, dont il avait vérifié la température. Tout en se mettant à le savonner, il mit à parler d'une voix douce, comme pour rassurer un enfant.

- Laisse-toi aller... Une fois propre, tu sera à l'aise pour dormir, te reposer de ce long voyage. Demain... demain sera un autre jour.

- Ne me parle pas comme si j'étais retombé en enfance ; je perds peut-être la mémoire, mais ça ne va pas encore plus loin…

Se contentant de cet unique sursaut d'orgueil, Syld se laissa faire. Pourtant il ne semblait pas près de se détendre vraiment : la crispation de ses doigts sur le rebord du bac trahissait les pics de souffrance dans le champ de bataille qui lui tenait lieu de cerveau.
Dans ces conditions, il n'avait pas vraiment le loisir de réfléchir. Pourtant il ne put s'empêcher de réagir aux paroles de Soghann :
- Demain…

Il rouvrit l'oeil qu'il avait maintenu clos jusqu'ici et tourna à demi la tête vers son ancien compère.

- J'ai peur de me réveiller en ayant vraiment tout oublié.

Il arrêta la main du Shalos d'une poigne encore solide en dépit de son état d'épuisement… Mais il est vrai que cet épuisement était bien d'avantage mental que physique, même si les cahots de la route y avaient mis du leur.

- Ne… reste avec moi cette nuit. Si jamais ça devait arriver, je… je n'ai pas envie de me réveiller seul.

Adwel venait de se préparer à se coucher lorsque Fanaa se leva pour dessiner. Syld... encore et toujours... Cependant, ce Syld la avait quelque chose de différent. Il n'y avait pas cet air coquin que Fanaa appréciait sans doute. Il y avait un désespoir terrible. Désespoir qu'il n'avait même pas affiché lors de son exécution. La voleuse caressa doucement les cheveux soyeux de Fanaa.

- Place le sur la table de chevet, près de toi. Comme ça, il ne se sentira pas seul.

Elle réprima un bâillement.

- On va se coucher? Demain, s'il fait meilleur, on ira acheter du tissu. Il faudra aussi que j'envoie un message à la femme aux cheveux dorés et à l'homme au regard d'argent. D'accord?

Adwel s'assit sur le lit et attendit de voir ce que la poupée allait faire.

Fanaa sembla trouver que le conseil d'Adwel était bon car elle le suivit à la lettre, regardant même tendrement le dessin avant de fermer les yeux et de se laisser entrainer par Morphée.


Bienvenue en enfer

Tout le monde s'était peu a peu calmée et ceux qui avaient une chambre s'y rendirent. Hakuren était perdue dans ses pensées et ses réflexions quand elle senti quelqu'un lui tapoter l'épaule timidement. Elle ouvrit brutalement les yeux sur le tavernier

- Mademoiselle, vous dormez sur place. Vous feriez mieux de vous rendre dans votre chambre.
- Oh... merci bien...
- mais de rien!

La mage s'étira et observa les alentours... Il n'y avait plus grand monde debout a part un ou deux soulards dirigeaient vers les écuries et les employés qui nettoyaient la salle commune. Hakuren rassembla ses carnets qu'elle fourra dans sa besace et se leva pour rejoindre sa chambre.

- Bonne nuit!
- A vous aussi, répondit une serveuse.

Une fois dans sa chambre, la Mage retira ses vêtements qu'elle déposa sur une chaise puis se glissa dans son lit. Il ne faisait pas chaud dans la pièce... mais pour la mage, la température extérieure n'était pas réellement un problème... Pour une fois que son malheur peut se révéler utile...

Hakuren d'endormi rapidement, sombrant dans un rêve saupoudré de neige écarlate qui s'envolaient dans un vent glacé.

Lynn commençait à piquer du nez. Ce n'était pas facile de veiller... Une série d'évènements la tira brutalement de la torpeur à laquelle elle avait failli succomber. D'une part, Eyrol fit soudain montre d'une violente agitation. Elle eut le plus grand mal à calmer le petit animal. Lorsqu'elle y parvint enfin, la pièce était plongée dans un pesant silence.
*Ah, la tempête a donc cessé. Mais qu'est-ce que?...*
Une lueur rougeâtre filtrait par les fentes des volets. Curieuse, elle décida d'ouvrir pour jeter un oeil. Et elle en eut le souffle coupé. Cette nuit était celle de Shua, et la lune guerrière avait manifestement décidé de ne laisser aucun doute sur le sujet. Lynn frissonna.
Puis un son léger, mais immanquable dans ce silence inhabituel, parvint à ses oreilles. Quelque chose ou quelqu'un avait sauté dans la neige.
Plissant les yeux, elle balaya du regard le sol en contrebas.
*Cette fichue lumière rouge... ah!*
C'était bien quelqu'un. Il ne lui fallut pas longtemps pour reconnaître Adwel, qui ne se souciait pas de se dissimuler. Cette dernière sembla jeter un oeil à la neige à ses pieds, puis elle fila, apparemment pressée. Lynn soupira.
*Pourquoi, mais pourquoi pendant la nuit?...*

"Sek, tu dors encore?"

"Le vacarme de ta bestiole aurait réveillé un mort, tu as conscience de ça?"

"Oui, oui, pardon. Pas le moment de se disputer, je crois qu'il se passe un truc. Ta midinette favorite est en train de se faire la malle."

"Ma...? Tsss, mais tu as fini de dire n'imp... Elle fait quoi?
- L'information principale s'était enfin frayée un chemin jusqu'à la zone "compréhension" du cerveau de Sek. - Nom d'un blizzard!"

Sous le regard quelque peu narquois de sa soeur, il bondit hors du lit avec une promptitude qui ne lui était pas commune. Il avait enjambé la rambarde du balcon lorsque Lynn le retint.

"Qu'est-ce qu'il y a?"

"Si la mijaurée a filé, qu'en est-il de damoiselle Fanaa?"

"Je ne sais pas, mais est-ce bien le moment de s'en préoccuper? J'ai bien l'impression que Dame Adwel - Il insista lourdement sur le mot "dame" - est plus à même de nous guider vers quelque chose d'intéressant. "

"Et bien je me fiche de tes impressions. Tu peux encore la retrouver, où qu'elle soit allée. On va aller vérifier que tout aille bien pour... la petite - elle n'avait pas pu s'empêcher d'employer ce mot -. Mieux, je vais aller frapper à sa porte, et toi tu vas aller frapper juste à côté, chez dame Hakuren."

"Hein? Mais pourquoi donc?"

"Parce qu'elles ont l'air de se connaître, alors que pour nous ce ne sont que des rencontres de passage. ça fera moins louche que de nous voir courir aux basques d'une quasi-inconnue. Tu n'as pas envie qu'elle te trouve louche, hein?"

Le visage de Sek prit une teinte cramoisie qui n'avait rien à voir avec la lumière de Shua...

"Bon, d'accord."

Ils sortirent de la chambre, et chacun se mit à tambouriner sur une porte...

Hakuren dormait... Elle dormait bien d'ailleurs jusqu'à ce qu'on tambourina a la porte. La mage ouvrit les yeux et fronça les sourcils... Elle sentait la colère monter... Elle voyait rouge...Littéralement....

Après quelques coups supplémentaires, la mage se leva et alla ouvrir brutalement la porte qui laissa un Sek arrêté dans son geste.

- Non, mais ça va pas? dit-elle, furieuse. Qu'est ce qu'il y a de si grave pour me réveiller en pleine nuit?

Elle gardait un regard d'acier alors qu'un vent glacé sortait de la chambre... Comme si la fenêtre était restée ouverte.

Hakuren attendait impatiemment la réponse de son compatriote tout en ayant oublié qu'elle était nue.

La mâchoire de Sek lui tomba sur la poitrine lorsqu'Hakuren ouvrit la porte. Son cerveau se mit à tourner en roue libre et il oublia d'un seul coup ce qu'il était venu faire là.
Ses yeux cherchaient désespérément à se poser sur un endroit qui ne fut pas gênant tandis qu'il bafouillait.

"Heu... Dame Adwel... dehors... heu... partie. Pensé que..."

Lynn revenait, légèrement paniquée après que ses coups frénétiques à la porte d'Adwel et Fanaa n'aient reçus aucune réponse. Un coup d'oeil lui suffit pour saisir la situation. Elle soupira profondément et tira son frère derrière elle.

"Dame Hakuren, nous venons de voir Dame Adwel filer à toute vitesse... dehors. Toute seule. Elle n'est pas sortie par sa porte, et il m'a semblé qu'il y avait urgence. Je viens d'aller vérifier sa chambre, pas de réponse. Mais Fanaa n'était pas avec elle. Il se passe quelque chose d'anormal, j'en suis sûre.
Vous les connaissez manifestement beaucoup mieux que nous, alors nous nous sommes dit qu'il valait mieux vous prévenir.
Oh... - d'un geste nonchalant de la main, elle désigna Sek - si vous ne passez pas au moins une robe de chambre, il ne sera pas utilisable, et j'ai besoin qu'il soit en état de marche. Il est utile pour retrouver les gens... - elle s'interrompit un instant - Mais qu'est-ce que je peux être bête! Inutile de s'escrimer sur la porte! - elle se tourna vers son frère - Allez, toi, ton air ahuri et ton regard balladeur, vous filez vérifier si la chambre de dame Adwel est vide, et au pas de course.

Sek ne se fit pas prier pour filer.

Hakuren se demandait si Sek n'était pas simplement... fou. Jusqu'à l'arrivée de sa soeur lui expliqua clairement la situation et lui fit remarquer sa tenue plus que... légère

- Oh. Fanaa n'est pas avec moi. Elle a du encore se sauver.... Je m'habille et j'arrive.

La mage retourna dans sa chambre sans avoir fermé la fenêtre. Elle renfila ses vêtements mais laissa son manteau, d'avantage par oubli que par gain de temps.

Elle était en train de relacer ses bottes quand elle demanda à Lynn

- Vous savez depuis combien de temps elles sont parties?

"Adwel a filé il y a... hum, le temps de convaincre Sek de venir frapper, plus le temps qu'il a passé à bafouiller après ouverture de la porte. - elle fit un clin d'oeil à la magicienne - Vous accueillez toujours vos visiteurs de cette façon? Si ça se répand, vous ne pourrez plus jamais dormir tranquille."

Sek revint. Il semblait à peu près remis, mais, très gêné, évitait soigneusement de regarder Hakuren.

"La chambre est vide. Les dernières traces de Dame Adwel sont plus fortes que celles de Damoiselle Fanaa, cette dernière était donc déjà ailleurs depuis quelques temps quand Dame Adwel est sortie. Tu avais raison Lynn, il se passe un truc pas net."

Hakuren sourit a Lynn

- Disons que j'ai l'habitude de dormir comme cela. Mais vu qu'on m'a réveillé assez brutalement, je n'ai plus pensé à ma tenue...

Sek revint

Citation :

"La chambre est vide. Les dernières traces de Dame Adwel sont plus fortes que celles de Damoiselle Fanaa, cette dernière était donc déjà ailleurs depuis quelques temps quand Dame Adwel est sortie. Tu avais raison Lynn, il se passe un truc pas net."

- Connaissant Adwel, elle a du partir a sa recherche. Cela fait beaucoup plus d'une demi heure que nous discutons, cela doit faire donc bien Une heure ou deux qu'elle est partie. Si elle n'est pas revenue, c'est qu'il y a un problème.

Hakuren soupira fortement
- Mais dans quoi je me suis encore embarquée moi? Je voulais juste dormir!

Elle se leva, attrapa sa besace et invita Lynn et Sek à sortir pour qu'elle puisse fermer la porte a clé. Il n'y avait rien de précieux a par son manteau mais par principe, elle tourna deux fois la clé.

- Bon, je vous suis.

"Nous suivre? Heu... Mais..."

"Ah, je crois qu'il est encore un peu sous le choc. Surtout ne lui posez aucune question, il risque de débloquer à chaque fois... Laissez-moi faire.
Sek, on cherche Fanaa et Adwel, compris? Allez, guide-nous. Et dépêche-toi. Tu as entendu, Adwel a peut-être des problèmes..."

La lumière se ralluma dans le cerveau de Sek.

"Nom d'un blizzard! Mais qu'est-ce qu'on attend?"

Il dévala les escaliers quatre à quatre, sortit de l'auberge en coup de vent, se rendit là où la médiovienne avait atterri un peu plus tôt et se mit à remonter la piste.
Lynn suivait, aux côtés d'Hakuren.

"Une fois motivé, c'est un excellent limier vous savez, il va nous la retrouver en deux temps trois mouvements."