Maison de Soghann & Syld

- Pfiouuuu....

L'extase avait laissé Soghann complètement amorphe. Il resta allongé ainsi quelques minutes, les temps de laisser son cœur reprendre une activité normale, et son cerveau se rebrancher. Se secouer pour retrouver un esprit clair ne servait à rien. Laisser refluer l'extase à son rythme était bien plus plaisant. Bien qu'étant résolu à ne pas s'endormir comme une masse -ce qu'il n'était pas loin de faire-, il ferma les yeux, se concentrant sur les sensations qui refluaient dans son corps.

Il rouvrit les yeux. Elle se tenait à côté de lui, agenouillée sur les draps bordeaux qu'ils n'avaient même pas pris le temps de défaire. Elle le regardait d'un air songeur, semblant se demander comment il allait réagir. Il lui adressa un sourire épanoui, et lui lança :

- Fiou, tu es une vraie démone !

Il tendit la main vers son visage, lui caressa la joue, puis lui montra sa paume, les doigts écartés.

- Laisse moi juste cinq minutes, le temps de faire un brin de toilette... Et après, ce sera mon tour de prendre les choses en main. D'accord ?

Il avait dit tout ça sur un ton très léger, en arborant un grand sourire, détendu qu'il était.

*Diantre, si Syld apprend que je me suis laissé mener comme ça, je vais en prendre pour mon grade !*

Il rit de sa propre réflexion, et se promit de rendre à Fanaa le plaisir qu'elle avait bien voulu lui donner. Dans ce qu'ils venaient de faire, il était resté impuissant, victime, incapable de donner quoi que ce soit en retour... Et elle semblait l'avoir fait exprès, en plus ! L'espace de quelques minutes, il était revenu à ses premières expériences, jeune puceau entre les mains d'expertes...

*Mais j'ai beaucoup appris, depuis, tu va voir, ma jolie...*

Fanaa secoua doucement la tête et passa sa main sur le visage du shalos pour lui fermer les yeux.

- Dors...

La jeune femme se leva, prit sa robe et sortit de la chambre. Après avoir repoussé la porte, elle appela tout bas :

- Mani?

Mais Mani n'était pas là. Fanaa se trouvait à Shalanos. Et c'était bien mieux. Elle se dirigea vers la salle de bain et s'y enferma. Le sol avait eu le temps de sécher mais c'était encore sacrément le bazar. Elle avait promis de mettre un peu d'ordre, elle rangea donc; cela lui occupait les mains et l'esprit.

Ensuite elle prit place dans la baignoire et laissa couler l'eau brûlante sur elle, longtemps, tentant de délasser chacun de ses muscles. Durant ce temps les souvenirs et les sensation de ce qui venait de se passer dansaient dans sa tête.

C'était bien au début, c'était même incroyable. Ces baisers lui donnaient des frissons de plaisir, elle avait trouvé le contact agréable (elle n'en revenait pas), ensuite il y avait eu la douleur habituelle : une brûlure au niveau du bas ventre, une déchirure. Et l'extase de Soghann. Fanaa se réjouissait de la réaction de l'assassin, elle tendait à prouver qu'elle avait réussi à lui procurer de la joie.
Seulement après, il avait proposé de s'occuper de la suite. Comment pouvait il y avoir une suite? Fanaa ne connaissait aucune autre façon de faire. Et la lueur dans le regard de Soghann... Fanaa avait eu peur. Elle avait honte de se l'avouer, mais hélas c'était vrai : durant un instant elle avait eu peur de Soghann. Il fallait qu'elle rejette ce sentiment négatif. L'assassin ne le méritait pas.
Pourtant elle aurait préféré que ce qu'elle lui avait fait lui suffise. Elle ne s'était pas assez appliquée, elle ne voyait que cette raison. Elle avait été mauvaise et voilà les conséquences.

La jeune fille arrêta l'eau, prit une serviette et se sécha. Renfilant sa légère robe de soie, elle sortit dans le couloir sur la pointe des pieds et monta sur la terrasse. C'était une esplanade étendue bordée d'un muret. Fanaa alla s'y installer et observa la ville autour. Cette ville restait vivante et tiède à tout moment.

De l'ongle, elle fit mine de ce couper l'intérieur du poignet et se laissa tomber en arrière, un bras cachant ses yeux.
*je suis une idiote*
Elle soupira, ôta son bras et son regard tourné vers la plafond de la grotte se perdit dans le vague.

Des bras qui la serrent contre un torse viril de façon ferme mais si tendre à la fois. Elle est en sécurité, rassurée, protégée. Peut être même qu'elle est... aimée? Non. L'amour ça n'existe pas dans la réalité. Mais dans les rêves...

Détendue, elle sourit dans sa semi inconscience.

Les paupières fermées, Soghann ne put faire grand chose d'autre que de succomber à la tentation. Il se laissa donc entraîner dans une sieste réparatrice, entendant le bruit de la porte dans une demi-conscience.

Mais l'assassin ne dormait jamais beaucoup. Quelques minutes plus tard, il s'éveilla, totalement lucide, et pleinement conscient. Son cerveau continuait à s'activer dans son sommeil, particulièrement quand son instinct lui disait que quelque chose ne tournait pas rond. Et, au réveil, il avait la solution, qui lui apparaissait avec une telle clarté que ça en devenait presque douloureux.

Fanaa n'avait absolument pas cherché à prendre de plaisir, elle n'avait voulu qu'en donner. Comme si elle ne savais connaissait pas son propre plaisir. Ses ailes, fruit de douleurs inimaginables, qu'aucun être au monde ne pouvait s'infliger volontairement. Sa conduite en général, son désir d'être toujours disposée pour eux, de leur faire toujours plaisir. Cette facilité qu'elle avait à assouvir le moindre de leurs envies, cet empressement avec lequel elle se souciait de leurs désirs. Cette fragilité qu'elle cachait tant bien que mal. Cette peur omniprésente dans on regard. Toutes les pièces du puzzles se mettaient en place, poussées par le comportement qu'elle venait d'avoir : celui d'un jouet sexuel.

*Bon sang, cette fille est une ancienne esclave ! Evidemment qu'elle ne connaît pas la réciprocité du plaisir !*

S'assurant d'un coup d'oeil qu'elle n'était plus dans la pièce, il se frappa le front.

*Comment ne l'ais-je pas vu plus tôt ? Merde ! Et je suis sûr que Syld n'a rien deviné, non plus.*

Soghann se redressa, et sauta du lit. Sans faire l'effort de se rhabiller, il sorti dans le couloir, avisant la trappe ouverte.

*Elle est sur le toit... D'accord. Bon, un brin de toilette, avant tout.*

Aussitôt dit, aussitôt fait, l'assassin se retrouvait dans sa baignoire. Quelques minutes plus tard, simplement vêtu d'une robe de chambre de soie noire, il monta sur la terrasse. La jeune femme semblait s'être assoupie sur le muret qui surplombait la rue. Sur son visage flottait une expression apaisée, un petit sourire remontant le coin de ses lèvres.

Sans aucun bruit (comme seuls les brigands savaient le faire), il s'approcha, et, doucement, se pencha sur elle. Rien de tel qu'un doux et tendre baiser pour se réveiller...

Après quelques instants, il s'écarta de ses lèvres, lui fit son plus beau sourire (qui devait aussi être le plus franc), et murmura :

- Bonjour, Princesse...

Caressant le visage de Fanaa de la main droite, l'assassin poursuivi avec toute la douceur dont il était capable, et sans quitter son sourire :

- J'ai quelque chose à te faire découvrir... Tu me fais confiance ?

- hmmm?

Un long bisou cherchait à la réveiller. Soghann. Il voulait l'emmener. Fanaa n'avait pas l'esprit clair, émerger était toujours difficile pour elle. Elle voulait encore domir, mais Sogh l'appelait, elle ne pouvait pas refuser de le suivre.
Elle se redressa et s'assit sur le muret.
Toute engourdie de sommeil, elle se mit debout et tout en se frottant les yeux d'une main, elle prit celle du Shalos de l'autre. Bien sûr qu'elle lui faisait confiance! Elle le suivrait partout. Même à moitié endormie!

Syld remonta la rue d'un pas lent, un peu traînant, avant de s'arrêter près d'une auge de pierre alimentée par l'eau froide du lac.
Il n'avait même pas pris la peine de remettre ses gants et des filets de sang visqueux s'écoulaient de ses griffes d'acier jusqu'au sol, marquant le chemin qu'il avait suivi d'une longue piste écarlate.

Le jeune homme s'assit sur la margelle, les coudes aux genoux.

Ca avait été un vrai massacre.
Pourtant il ne l'avait pas voulu...

Il n'avait eu aucun mal à mettre la main sur le type qui lui avait collé une prime sur le dos, pas plus qu'il n'avait eu de mal à lui faire passer l'envie de recommencer. Grand prince, Syld lui avait même laissé la vie.

Ce n'était qu'ensuite que les choses s'étaient gâtées.

L'assassin avait remonté sans difficulté la piste du confrère qui avait accepté le contrat.

"Confrère"... le mot ne convenait pas. Vraiment pas.

Ce n'était qu'un gosse, un gamin perdu, rendu presque sauvage par les privations et la souffrance. Cela aurait pu être Fil de Fer si ce dernier n'avait eu un pied bot, un Fil de Fer qui aurait découvert une vieille dague rouillée dans un tas d'ordures et ce serait cru capable de survivre grâce à cette trouvaille...

Le mioche n'avait rien voulu écouter. Il était rendu bien au-delà de ce point où on peut encore entendre raison. Il s'était jeté sur sa cible comme un loup famélique se jette sur une proie trop bien portante pour ses crocs fatigués.
Syld avait tout fait pour tenter de l'arrêter sans avoir à le tuer.
Peine perdue : à part la mort, rien n'aurait pu stopper ce gosse à demi-fou à qui la faim conférait une force complètement démente. On lui aurait arraché les deux bras qu'il aurait encore cherché à mordre.

Syld plaqua une main sur sa bouche pour réprimer un haut-le-coeur.
Un long frisson lui parcourut l'échine lorsqu'il sentit le goût métallique du sang sur les mains, lorsque l'odeur douceâtre lui sauta aux narines.

Il empestait la mort.

Le jeune homme plongea brusquement les poings dans l'eau de la fontaine et s'éclaboussa copieusement la figure. Il resta là un moment, grelotant dans sa chemise détrempée, appuyé au rebord de pierre.

- C'est à croire que je suis encore trop tendre pour ce genre de chose...

La tête baissée, il étouffa un rire nerveux.

Shalanos...
Comment pouvait-on haïr et aimer autant quelque chose ? Comment pouvait-on haïr et aimer autant une ville pareille ?

Syld se redressa lentement et prit une profonde inspiration pour calmer son souffle encore saccadé.

Ce qui était fait était fait.
Il n'y avait aucun retour, aucune réparation possible.

Le Shalos retraversa la rue et gravit les deux marches qui menaient à la porte qu'il poussa en silence et referma doucement derrière lui.
La maison était relativement calme, et l'obscurité du rez-de-chaussée était à peine troublée par la lueur bleutée du globe magique posé sur la table du salon. Au dehors, il faisait nuit noire. Seule Larios était visible, haute dans le ciel étoilé.
Syld se débarrassa de son manteau et de ses armes dans l'entrée.

Le mouvement qu'il fit pour ôter sa chemise mouillée lui tira une grimace. Il n'avait nul besoin de miroir pour savoir qu'il avait une belle balafre sur la joue gauche, et que la mince ligne tracée par le poignard ébréché se prolongeait jusque dans le cou pour s'achever à hauteur de la clavicule.

Ce n'était qu'une égratignure peu profonde : d'ici quelques jours, ce ne serait qu'un souvenir.

Un mioche sans expérience ne l'aurait sans doute jamais atteint... mais celui-ci avait réussi à traverser sa garde, poussé par le désespoir et insensible aux blessures que les griffes d'acier pouvaient lui infliger.

Syld avait été imprudent. Il était parti en devinant que son adversaire était à bout pour avoir accepté une offre ridicule, et en oubliant à quel point une personne poussée dans ses derniers retranchements pouvait être dangereuse.

En cet instant précis, le jeune homme se dégoûtait, tant pour ce qu'il avait fait que pour ce qu'il n'avait pas fait.

- Je ne vaux vraiment rien...

Il appuya le dos au mur puis se laissa glisser assis par terre, trop secoué pour monter les escaliers jusqu'à sa chambre ou même aller jusqu'au sofa. Il ramena les genoux contre son torse et y enfouit son visage.
Il avait besoin de se reposer, au moins quelques minutes.

Avec un soupir, Syld ferma les yeux et s'endormit aussitôt d'un sommeil lourd et sans rêve.

Réveiller suffisamment Fanaa pour la faire se lever ne fut pas si simple que Soghann ne l'avait espérer. Elle avait le sommeil lourd, semblait-il, et beaucoup de mal à s'éveiller. Qu'à cela ne tienne... Il se dirigea vers l'escalier qui menait aux chambres, et le descendit, la tenant toujours par la main. Elle se laissait mener comme... une enfant. Au moment où il ouvrait sa porte, il entendit celle de l'entrée. Enfin, il la senti plus qu'il ne l'entendit. Il connaissait suffisamment la demeure pour détecter le léger courant d'air qui accompagnait invariablement l'ouverture de la porte d'entrée.

Ce ne pouvait être que Syld, évidemment. Il n'y avait pas à s'inquietter... Mais il allait tout de même descendre le voir. Le connaissant, si tout s'était passé normalement, il serait monté directement.... L'assassin mena Fanaa dans sa chambre, et la fit s'allonger sur le lit, avant de la couvrir. Il lui posa un baiser sur le front, et lui fit :

- Repose toi... Je reviens.

Un baiser plus tard, il descendait les escaliers, pour trouver son compagnon prostré, assis contre un mur, la tête sur les genoux.
Quelque chose n'allait pas, c'était évident. Restait à trouver quoi. Soghann leva les yeux, son regard attiré par une tache sombre sur le mur, juste au dessus de Syld. Du sang. Très peu, mais du sang, il était donc blessé. Il s'approcha, s'accroupit à côté de lui. Il dormait. Et il arborait, en effet, une estafilade. Pas dangereuse, mais pas non plus très esthétique. Et surtout, pas nette du tout. L'arme qui avait fait ça ne devait être ni aiguisée ni très propre.

L'assassin posa doucement sa main sur le bras gauche de son ami.

- Syld ?

La légère pression sur son bras l'arracha au sommeil comme le claquement sec d'un fouet.

Syld sursauta brusquement et le poignard qu'il avait dans la poche luisit soudain dans la semi-obscurité pour venir se poser sur la gorge de Soghann.
Par bonheur, le jeune homme maîtrisa son réflexe juste à temps et la lame s'immobilisa net avant d'avoir pu causer le moindre dégât.

- S-soghann ?

Syld cilla.
Il avait le regard vague et avait le plus grand mal à refaire le point.

Un peu égaré, il mit quelques secondes avant de se souvenir où il était et pourquoi il s'était assoupi dans l'entrée au lieu de son lit.

- Désolé...

Le Shalos reposa le poignard au sol puis se frotta machinalement la joue, avant de suspendre son geste avec un petit tressaillement douloureux.

Ca y est, les derniers événements lui revenaient clairement.

Il appuya une main au mur et se redressa, parvenant à afficher un sourire encore un peu incertain.

- J'espère que je n'ai rien interrompu d'important ?

La note malicieuse qu'il avait voulu glisser dans sa question sonna comme un accord faux et le jeune homme secoua la tête avant de se détourner à-demi.

- J'ai réglé mon affaire. Je pense que je vais aller prendre un petit remontant pour... pour fêter ça.

Ses paroles rassurantes sonnaient faux, son sourire sonnait faux... Quelle mauviette il faisait !

Syld baissa la tête pour ajouter sur un ton qu'il aurait voulu léger :
- Tu devrais la rejoindre. Elle a plus besoin de toi que moi...

Soghann ne tressailli pas lorsque la lame se posa sur sa gorge. Il s'attendait à cette réaction, car c'était souvent celle qu'il avait lorsqu'on le réveillait... Comme beaucoup d'assassins. Le jeune homme se redressa en s'appuyant sur le mur, et Soghann fit de même.

- Tu n'a rien interrompu... Elle n'a pas besoin de moi pour le moment, elle dort. D'ailleurs, il faudra que je te parle de quelque chose, à propos d'elle.
Mais pour l'instant, assis toi sur le canapé, je reviens.

L'assassin s'éclipsa dans la cuisine, et revint quelques instants plus tard, muni d'une bouteille de minandi, de deux de bière, d'un linge propre, d'une très fine aiguille recourbée, et d'un rouleau de fil transparent très fin lui aussi. Il posa le tout sur la table, s'assit sur le canapé, décapsula les bières, imbiba le linge d'alcool de minandi, et fit :

- Allez, viens là, je vais t'arranger ça.

Syld loupa un battement de coeur ou deux en apercevant la bouteille de minandi.

- Ce n'est pas nécess...

Le coup d'oeil que lui décocha Soghann le convainquit de s'asseoir sans plus discuter.
Il prit juste une lampée de bière au passage pour se calmer les nerfs.

Avant que son ami ait pu commencer, il serra les mâchoires et lâcha brusquement entre ses dents :
- Bon sang, ce n'était qu'un mioche ! Ca aurait aussi bien pu être moi il y a quelques années si j'avais manqué de chance. Tout ça pour une broutille... Et moi je l'ai réduit en...

Le jeune homme maîtrisa un nouveau haut-le-coeur et descendit précipitamment une deuxième rasade d'alcool. Ses yeux le piquaient... il n'allait pas se mettre à chialer, quand même ?

- Comme assassin, je n'arrive pas à décider si je suis abjectement idiot ou idiotement abject. Pourtant la première chose qu'on nous apprend à la Guilde, c'est que les états d'âme sont une fantaisie qu'on ne peut se permettre... A croire que je n'ai toujours pas intégré la leçon.

Il soupira puis reposa la bouteille sur la table avant de s'appuyer au dossier du sofa.
La longue plaie le brûlait et le tiraillait de façon désagréable.
Il dégagea sans douceur les cheveux qui s'y étaient collés et les repoussa derrière son oreille.

- Tu peux y aller...

Syld dégagea ses cheveux afin de lui laisser la place de travailler. L'estafilade n'était pas profonde, mais elle était sale. Il fallait la désinfecter, puis la recoudre.

- ça va piquer...

D'un geste rapide, il imbiba le linge d'alcool, et en tamponna la plaie. Aucune impureté ne pouvait résister à un tel traitement. Sans se déconcentrer, sans un mot, Soghann attrapa l'aiguille, la stérilisa, déroula une longueur de fil, et la fit passer par le chas de l'aiguille. Ses doigts, longs et fins, étaient aussi agiles et précis que le reste du corps ne l'était. C'est donc avec précision et rapidité qu'il recousit la plaie, comme il en avait recousu des dizaines.

La vie d'assassin était loin d'être sans danger, et l'on faisait toujours des erreurs. Au début, en tout cas... Il avait très vite appris à recoudre les plaies, les siennes où celles des autres. C'était un talent utile, pour quelqu'un qui jouait en permanence avec les lames les plus aiguisées.

- Autant tu n'as jamais eu cette faiblesse en ce qui concerne les femmes, autant tu te laisse trop aller dans le cadre du travail... Mais je n'ai pas besoin de te le dire, je l'ai déjà fait cent fois... Et tu fais toujours les mêmes erreurs. C'est aussi pour ça qu'on fait équipe, tu te souviens ?

Il n'attendait pas de réponse. Il essuya de nouveau la plaie, puis il déposa son matériel sur la table, l'échangeant contre sa bouteille de bière, dont il prit plusieurs gorgées. L'assassin posa ensuite le bout de son index sur la joue de Syld, et suivit en l'effleurant la ligne de ce qui serait bientôt une cicatrice pale sur la joue sombre de son compère.

- Gosse ou pas, il t'aurai tué si tu lui avait laissé la moindre chance. S'il le mettre hors de combat signifiait lui couper les membres un par un, et bien... Il ne fallait pas hésiter sur le bien fondé de cette action, mais sur quel membre trancher en premier.

- Je sais, je sais...

Syld récupéra sa bière et observa son reflet dans le verre de la bouteille.

S'il continuait à ce rythme, il finirait couturé de cicatrices avant même d'avoir atteint la trentaine...

Il eut un fugitif sourire en imaginant les cris de compassion de ces dames lorsqu'elles découvriraient qu'il s'était laissé toucher au visage.
Bah, sans doute y trouveraient-elles un attrait supplémentaire : ce ne deviendrait jamais qu'un mince coup de pinceau plus clair sur sa peau. Cela ne nuirait en rien à ses traits.

Le jeune homme haussa les épaules puis se rencogna dans le canapé pour siroter sa boisson plus à l'aise.

Son regard avait retrouvé sa vivacité lorsqu'il glissa vers Soghann.

- Tu voulais me parler de quelque chose au sujet de Fanaa ?

Soghann sourit, taquin.

- Oui, gueule d'amour ! Comme tu t'en doutais certainement au vu de la situation dans laquelle tu nous as laissé, nous avons fini au lit.

Son sourire s'élargi, tandis que dans son regard scintillait une étincelle coquine.

- Elle sait comment faire prendre du plaisir à un homme, je peux te l'assurer.

Brusquement, il redevint grave. Son sourire s'évanoui.

- Par contre, elle ne sait pas ce qu'est... son propre plaisir. J'en ai dédui qu'elle avait été éduquée pour ça. Un jouet sexuel, si tu préfère.
C'est là que le reste du puzzle s'est mis en place.

Fixant Syld d'un regard profond, il se tapota la tempe du bout de l'index.

- Réfléchis... Depuis qu'elle nous suit, elle se conduit comme un serviteur zélé. Mieux, elle s'est occupée de nous comme une esclave de ses maîtres. Elle ne connait pas d'autre chose que le don de sa personne, elle n'a visiblement jamais rien reçu en cadeau...

Soucieux de se ménager un petit effet, il observa une pause théâtrale.

- Cette fille est une ancienne esclave.

Syld resta un moment interdit, puis éclata d'un rire aussi soudain qu'inattendu. L'expression de Soghann face à cette réaction ne fit que redoubler son hilarité.

Par bonheur, la plaie fraîchement recousue le rappela assez vite à l'ordre : il n'aurait plus manqué qu'il aggrave les dégâts...

Le jeune homme reprit sa respiration, encore secoué par un rire à présent presque silencieux.

- Franchement, pour le coup...

Il leva sa bouteille comme pour porter un toast à un évènement sans précédent.

- ... tu as mis du temps à réfléchir ! Mais bah, pour une fois, ça te change un peu.

Syld afficha une moue plus amusée qu'ironique.

- Ne le prends pas mal, mais ça fait un moment que j'ai deviné qu'elle a servi à assouvir les perversités de quelqu'un. Après tout...

Le jeune homme secoua ses mèches folles avec un sourire serein.

- ... j'ai aussi été un "jouet sexuel" juste avant mon arrivée à Shalanos, comme tu dis. Tu devrais pourtant t'en rappeler, eh ?

Il haussa joyeusement les épaules.

- Mais même moi j'ai tendance à l'oublier ! Je ne te tiendrai pas rigueur de ce petit trou de mémoire. Bref, tout ça pour dire que j'étais bien placé pour deviner une partie de ce que Fanaa a dû endurer... même si ce n'est qu'une infime partie. Et puis je connais assez peu de filles "normales" qui se seraient comportées de cette façon. Sa manière d'être à nos petits soins, sans rien demander en retour... la peur qui la saisit en pleine nuit au point de la pousser à se cacher sous un lit... Mon vieux, bien sûr que ce n'est pas là l'attitude de quelqu'un ayant vécu "libre".

Syld vida posément sa bière puis glissa un coup d'oeil gentiment moqueur vers Soghann.

- A force de barboter dans les rivières et les baignoires, ton magnifique cerveau serait-il en train de rouiller ? Je pensais que tu avais saisi tout ça bien avant moi !

Le sourire du jeune homme s'effaça brusquement.

- Tu n'avais pas deviné...

Il fit osciller sa bouteille vide sur la table du bout du doigt, la mine soudain soucieuse.

- Tu as... Il ne s'est rien passé de fâcheux, pas vrai ? Non, bien sûr que non.

Il se renversa en arrière.

- Tu me l'aurais dit. Cette petite chose a tout à apprendre... et la moindre erreur la briserait encore plus. C'est déjà un miracle qu'elle soit encore ce qu'elle est. N'empêche, je pensais vraiment que tu avais déjà compris...

Soghann fronça les sourcis, avant de répondre :

- Il semble que contrairement à toi, je n'ai pas eu l'occasion de voir la demoiselle se cacher sous son lit et avoir peur du noir. Ensuite, comme tu le dis, je n'ai pas ton passé... Enfin je n'ai jamais eu de cette sorte de "jouet" à mon service, ni d'esclaves. La question qui me turlupine, c'est pourquoi ? Pourquoi s'est elle attachée à nous ?

Le visage fermé, il posa son menton sur ses poings. Il se mit ensuite à réfléchir tout haut, répondant inconsciement à la question qu'il venait de poser.

Inconsciemment, elle s'est donnée de nouveaux maîtres... Nous, et personne d'autre. Qu'est-il arrivé à l'ancien ? Serait-on la source de sa libération ? Serait-ce sa manière de nous "rembourser" ? Hmmm... L'ancien maître ferait partie de nos victimes ? Elle aurait eu de la chance, alors, de réussir à s'en tirer sans se faire attraper par quelqu'un d'autre...

Renonçant pour le moment à réfléchir à cela, Soghann se laissa aller contre le dossier du canapé.

Et non, il ne s'est rien passé de fâcheux. Elle m'a surprise, elle a fait ce pour quoi elle a été éduquée : donner du plaisir sans en recevoir.

L'assassin lacha un soupir, et son visage se détendit. Un léger sourire vint relever le coin de ses lèvres.

Pour l'instant, elle se repose... Mais je compte bien lui rendre la pareille...
Histoire de lui apprendre, justement, deux ou trois choses.
Cela dit, j'imagine que tu es plus qualifié que moi dans cette matière là...

En réponse à sa dernière remarque, Syld secoua doucement la tête.

- Je n'en suis pas si sûr.

Il se lova contre l'accoudoir du sofa.

- Tu as bien dû remarquer ce qui se passe lorsque je me laisse aller à l'embrasser. Je sais que ça ne me ressemble pas d'hésiter mais... j'ai l'impression que là, maintenant, je lui ferais plus de mal que de bien.

Le jeune homme posa la tête contre le dossier capitonné.

- Autant qu'elle connaisse ça d'un manière plus douce, plus... normale. Si tant est qu'il y ait une façon "normale" de se conduire en ce domaine. Je sais très bien l'effet que je fais aux femmes... et jusqu'à quel point elles peuvent s'attacher, même en sachant que je n'en fais qu'à ma tête. Va savoir pourquoi, mais pour certaines ça frôle l'obsession. Fanaa n'a nul besoin de se trouver un nouveau maître, de devenir dépendante de quelqu'un. Je surestime probablement l'influence que peut avoir ma personne sur la gent féminine, mais on ne perd rien à être prudents.

Il décocha un sourire lumineux à Soghann.

- Et puis je pense que tu es très compétent en la matière aussi. D'habitude, tu as plus de sang-froid que moi... et là j'ai usé la majeure partie de mes réserves. Je ferais un bien piètre professeur en l'état : je ne parviendrais pas à me contrôler le moins du monde.

Son regard se fit presque tendre, révélant du même coup une grande fatigue.

- Elle ne perdra nullement au change. Ne va pas te déprécier. Plus tard, peut-être...

Il soupira. Ses paupières s'abaissaient bien malgré lui.

- Pour le moment, il faut que je dorme un peu. Ca me fait mal de l'avouer, mais j'ai été un peu secoué.

Soghann contempla son compagnon pendant quelques instants. Son visage était détendu, sans de traces de douleur. Il était beau, comme toujours. Mais il avait le privilège de profiter d'une forme de sa beauté que ne connaissaient que très peu de gens : lorsqu'il dormait. Le visage de l'assassin devenait alors serein, dépourvu de la malice ou de l'ironie que cachaient souvent son sourire. Soghann se pencha et déposa une léger baiser sur le front de son compagnon, avant de sortir sans bruit de la chambre.

Alors qu'il fermait doucement la porte, il se demandait quoi faire.

*Dormir ? Non, pas assez fatigué pour ça. Réveiller Fanaa ? Cela ne serait pas très correct... Quoique... cela lui ferait un réveil agréable...*

Un sourire découvrit les dents blanches du Shalos. Elle était assoupie, c'était une excellente occasion de prendre les choses en main... Et, lorsqu'elle se rendrait compte de ce qu'il faisait, ses sens et son esprit seraient déjà entremêlés dans la tornade du plaisir... Ho, il n'avait pas l'intention de faire quoi que ce soit d'étrange ou de malsain avec elle. Seulement, de lui faire prendre du plaisir. Pour la première fois de sa vie, sans doute...

Comme un fantôme, il se coula dans la chambre. La lumière orangée nimbait son visage, contrastant avec les draps sombres.
Elle avait changé de position, elle était désormais roulée en boule sur le côté. Il vint s'accroupir à côté d'elle, et l'embrassa doucement.

Presque inconsciemment, elle le lui rendit. Elle ne dormait pas tout à fait, aux limites de la conscience... Là où il l'avait laissé, en fait. Parfait. Doucement, il tira le drap vers le bas, la découvrant peu à peu. Elle portait toujours sa robe... Mais rien en dessous.

Avec précaution, il monta sur le lit, se mettant à quatre pattes au dessus d'elle. Il glissa sa main droite sou la joue qui reposait sur l'oreiller, et tourna lentement la tête pour l'embrasser de nouveau.... A son oreille, il murmura :

- Aie confiance... Laisse moi faire...

Il entreprit ensuite de la caresser, de l'effleurer de ses lèvres, partout où sa peau était accessible, afin qu'elle se détende suffisamment... pour se remettre sur le dos.

Des vagues de sensations déferlaient en elle tandis qu'il jouait avec ses sens, elle haletait maintenant, se cramponnait aux draps, c'était si... si étrange mais si bon, que se passait il? Elle pouvait bouger maintenant, mais elle n'en avait pas envie, craignant que tout ne s'arrête alors. Fanaa se concentrait sur les réactions de son corps, sur son esprit embrumé qui la chatouillait. Elle ne savait pas exactement ce qui se passait mais elle sentait que c'était bien.

Mais alors Soghann remonta et entra en elle. Elle reconnut de suite le contact et se raidit, l'esprit parfaitement réveillé et en alerte, espérant que ça allait s'arrêter mais non. A vrai dire ça ne faisait pas mal, mais elle était trop tendue pour se laisser aller à ressentir quelque chose de bon. Elle ouvrit les yeux et vit un homme au dessus d'elle. Elle les referma aussitôt, paniquée. Sa respiration perdit son rythme, et elle commença à trembler. Elle posa ses mains sur ses yeux et piaula :

- Il me fait peur! Il me fait mal! Soghann où es tu?

Un souvenir très flou s'installait sur la scène présente, se confondait avec la réalité. Elle ne reconnaissait pas l'homme de la réminiscence, mais la douleur qu'il lui infligeait se superposait au plaisir que Soghann essayait de lui donner. Il y avait les sensations de son passé, et celles de son présent. Fanaa ne savait plus ce qui se passait. Une partie d'elle voulait qu'il continue, lui fasse découvrir des rivages inconnus, une autre, effrayée, blessée le suppliait de ne pas la replonger dans le supplice. Elle était perdue.

- Soghann! appela t elle d'une voix plaintive.

Il devait être là, il fallait qu'il soit là! Et qu'il l'emmène loin de la douleur, vers la volupté, ainsi qu'il avait commencé à lui faire goûter. Et la tendresse. Et la sécurité. Pitié...

Quelque chose allait de travers. Comme si elle ne le reconnaissait pas. Etait-elle encore dans ses rêves - ou plutôt ses cauchemars ? Le Shalos posa sa main sur la joue de la jeune femme, la caressant doucement. Il avait cessé ses mouvements de bassins. D'une vois douce, il lui murmura :

- Là... Je suis là... Tout va bien... Ouvre les yeux...

C'est moi... Ce n'est que moi...

Il fixait le visage de la jeune femme, afin que pas un instant elle ne perde de vue ses yeux, et qui il était. Il continuait à caresser sa joue rosie de ses doigts d'albâtre, à la si étrange peau douce. Le Shalos posa sa seconde main sur l'autre joue, s'appuyant sur ses coudes, entourant son visage de ses paumes chaudes, protectrices, caressantes. Se faisant, il l'obligeait aussi à le regarder, l'empêchant de tourner la tête.

- Tu es en sécurité avec moi...

Puis, lentement, très lentement, il reprit son mouvement. Régulier, maîtrisé. Pas d'affolement. Ne pas se laisser aller à la rencontre du plaisir. Laisser monter, tout doucement, sans brusquer...