La Taverne de Veis

Le voir ainsi lâcher prise, s'abandonner de cette façon... Dans les yeux de Syld il n'y avait rien de pimpant, de joyeux, d'amusé, il n'y avait que résignation. Et caché sous cette résignation, l'écho de la souffrance provoquée par les derniers propos. Syld ne rayonnait plus.

- Arrête! Fanaa n'avait pu s'empêcher de crier.

Se précipitant sur Soghann, elle frappa sa main de façon à faire tomber le bout de métal au sol. Elle le saisit aux épaules et le força à se redresser, à la regarder dans les yeux.

- Arrête Soghann! Mais enfin qu'est-ce que tu fais? Tu ne vois donc pas dans quel état il est? Regarde le bon sang! Il n'a plus de volonté! Et pas d'envie non plus! Tu es en train de le violer! Tu réalises ce que tu fais? Ca ne le fera pas aller mieux! Ca pourrait même être pire! Il ne doit plus subir ça, plus jamais!

Ses yeux fous la veille, son regard dégoûté aussi, son aura si terne, sa passivité... ca n'était pas des blesures physiques mais elles inquiétaient beaucoup plus Fanaa. Beaucoup, beaucoup plus...

- Si il est vraiment une partie de toi tu devrais comprendre!

Soghann se figea en entendant la porte s'ouvrir. Résigné, il tourna la tête vers Fanaa, tandis qu la main de Syld s'égarait sur sa joue. La frustration l'envahi. Elle ne semblait pas du tout d'humeur à s'amuser, mais plutôt à lui chercher des poux, à en juger parce ce qu'elle déblatérait. Elle fit tomber le bout de lame de ses mains, avant de le prendre par les épaules pour lui asséner son sermon.

Ombres, qu'elle lui portait sur les nerfs. Toute envie, tout désir, toute joie, toute perversité... Tous ces sentiments l'avaient quitté. Ne restaient plus qu'une intelligence froide et une colère. Une fureur, simple et sans fioritures, une rage de celles qui poussaient à faire des gestes inconsidérés. Sauf quand on était un assassin surentraîné à maîtriser ses émotions, ses impulsions, jusqu'à sa respiration et son cœur même.

Tandis qu'il s'asseyait sur le rebord du lit, face à la porte et à la jeune femme, la lueur dans les yeux de Soghann changea. De flamme, elle devient glace, et son expression se ferma telle une porte blindée, pour devenir un masque lisse, digne du plus grand sculpteur. Tout comme sa voix, d'ailleurs, déchargée de toute émotion, froide et mécanique, le ton à peine variable pour signifier une imperceptible interrogation, à la limite de l'affirmation.

- On ne t'a jamais appris qu'il était très vilain d'écouter aux portes ?

- Non jamais. L'intimité j'ai mis longtemps a savoir ce que c'est...

Oh zut! Elle avait trop parlé. D'elle. Pas grave. Personne ne ferait attention à ses mots. Il s'était arrêté. Enfin. Tandis qu'elle commençait à se détendre, soulagée, elle prit conscience de la nouvelle ambiance de la pièce. La souffrance dégagée par Syld était masquée par autre chose venant de Soghann. Quelque chose de lourd, d'oppressant. Il faisait sombre ici. C'est alors qu'elle croisa le regard du grand shalos et devina que son intervention n'avait pas plu. Oh non. Pas du tout.

Alors elle s'agenouilla. Punition. Elle méritait d'être punie cette fois. Ils allaient encore une fois partir sans un regard en arrière, lui faisant ressentir de nouveau qu'elle ne comptait pas, qu'elle n'existait même pas.
Mais c'était sa faute. Soghann avait dit qu'il ne lui arriverait plus rien. Il avait omis de préciser "tant que tu ne tenteras rien contre moi". Pourtant elle n'avait rien fait la dernière fois. Rien du tout qui mérite d'avoir été délaissée.

Elle soutint le regard de Soghann. *Ils n'ont pas besoin d'une fille qui a peur de tout. Plume est forte, Plume leur aurait mieux convenu. Mais je ne veux pas être Plume.*

- Merci Soghann.

Il avait fait ce qu'elle lui avait demandé. C'était normal qu'elle le remercie. Elle le pensait vraiment. Et elle ne tremblait pas. Non. Elle ne donnerait pas encore une fois l'image de la fille qui ne sert à rien. L'erreur de la nature.

*Je devrais baisser les yeux maintenant. Sinon il va prendre ça comme un affront. Les gens en colère prennent tout de travers.*

Mais elle ne détourna pas le regard. La punition de Soghann serait plus insupportable à vivre si elle gardait sur sa rétine l'empreinte de leurs silhouettes s'éloignant sans un regard. Même condescendant. Ce n'en serait que plus douloureux. Et ça, ça plairait au grand shalos. Après lui avoir manqué de respect comme elle venait de le faire, elle pouvait bien lui accorder ce plaisir, ce serait une bien piètre consolation.

Lentement, Syld parvint à se rassoir. Après tout ça la tête lui tournait, mais tant pis.

Ses doigts remontèrent le long du dos de Soghann qui était resté assis à côté de lui, puis étalèrent le sang qui perlait là où il avait enfoncé ses ongles. Il posa son menton sur son épaule.
Le jeune homme pouvait sentir la colère qui grondait en lui. D'une brêve pression sur le bras, il l'invita à retrouver son calme.
Même cette rage qui semblait électriser les muscles du grand Shalos arrivait à faire frémir Syld. Mais pas de crainte, oh non...

Le jeune homme enfouit un instant son visage dans le cou de son compère pour poser les lèvres sur sa peau et en goûter la saveur du bout de la langue.

Puis, prudemment, Syld passa les jambes par-dessus le rebord du lit. Et lentement, très lentement, il se leva. Chaque mouvement lui coûtait, mais il serrait les dents tout en s'approchant de Fanaa, toujours agenouillée au milieu de la chambre.

- Fanaa...

Le Shalos prit une inspiration puis, d'un geste si rapide que l'oeil pouvait à peine le suivre, décocha une gifle magistrale à la jeune femme. Le claquement parut résonner comme un bruit énorme dans le silence de la pièce.

- Je ne vais pas aussi mal que tu sembles le croire. Comme si je pouvais plier pour si peu ! Ni toi, ni Soghann... personne ne me dictera jamais son bon plaisir. Ce qu'il faisait... c'est parce que je ne le refusais pas. Et si je ne le refusais pas, c'est parce que c'était aussi mon désir. Ne t'y trompe pas.

Il ne la regardait pas, car il savait que s'il le faisait, il cèderait à l'envie qui le dévorait de se laisser tomber à genoux devant elle et de la serrer dans ses bras pour la rassurer. Non, il ne lui en voulait pas. Il aurait voulu trouver d'autres mots, mais...

"J'étais un assassin... à présent je suis autant proie que chasseur. Désolé, mais c'est peut-être mieux si tu ne deviens pas trop proche de moi."

Syld faisait de son mieux pour rester debout, mais il dut finalement faire un pas de côté pour appuyer l'épaule contre le mur.
Il s'était levé beaucoup trop vite.

Sa voix s'adoucit un peu lorsqu'il poursuivit :
- Bref, tu n'avais pas à intervenir. Si tu as écouté, tu devrais comprendre... même si tu ne l'acceptes pas. Essaye de garder pour toi ce que tu as pu entendre, d'accord ? Et ne t'agenouilles plus devant personne, s'il te plait...

Ce qu'il faisait, ce qu'il disait était-il vraiment sensé ? Le Shalos n'en savait strictement rien.
Etait-ce bien ? Il n'en savait rien non plus.
En tout cas, il espérait que c'était le cas...

La Dedrane fut reveillée par des eclats de voix dans la chambre voisine. Tirée d'un sommeil profond, elle rassembla ses souvenirs et se souvint enfin pourquoi elle s'évaillait dans un lit qui n'était pas le sien. Fanaa était absente, mais sa voix ne tarda pas à s'élever de la chambre des Shalos.

Citation :

- Arrête!

Sendaë jaillit de son lit et attrapa rapidement son couteau de chasse toujours attaché à sa ceinture et sans se soucier de sa quasi nudité, se précipita dans le couloir. Le bruit d'une gifle retenti, suivi de près par le bruit d'un corps tombant sur le sol.
Elle se jeta vers la porte grande ouverte des Shalos et découvrit devant elle Fanaa étendu sur le plancher face à Soghann dont le visage ne reflétait aucune émotion.

*N'oublie jamais que la pierre des statues aussi est froide comme la glace.*

Contre le mur, Syld était appuyé contre la porte, plusieurs fines coupures sur le torse et sa lèvre inferieur visiblement mordue jusqu'au peu de sang qui lui restait. Il semblait épuisé.
Bien qu'elle ne portat que ses sous-vêtements, Sendaë rentra dans la pièce son couteau tendu vers l'avant, s'agenouilla et posa sa main libre sur l'épaule de Fanaa.
Elle sentait la puissance qui sourdait du grand Shalos et la menace que celui-ci pouvait représenter pour son existence. Il n'y avait plus cette sensibilité qui émanait de lui hier soir mais une haine glaçante, la félure dans le marbre du visage du Shalos qu'elle avait pu entrapercevoir s'étant évanouie au profit d'un masque lisse.
Elle hésita un instant puis s'adressa dans un sifflement à Soghann.

-Ne la touche pas. Je lui ai promis qu'elle n'aurait plus à s'inquiéter de rien. Vos affaires ne me concerne pas tout les deux, mais la vie de Fanaa est depuis hier une préoccupation pour moi.

Elle se tourna vers le compère du grand Shalos qui paraissait réellement exsangue et épuisé. La paume de sa main était rouge et la Dedrane compris alors qui avait asséné le coup.

-Syld, je te conseille d'aller t'asseoir, tu vas t'évanouir si tu restes debout. Et ce qui a été dit pour ton camarade et valable pour toi. Je ne vous connais pas toi et Soghann mais ses douleurs; elle tendit une main vers Fanaa; me concerne.
Je t'ai soigné hier soir Syld, mais ce que je t'ai offert je peux aussi le reprendre et cette fois-ci il n'y aura pas de prêtre pour te sauver la vie.

La chasseresse bouillonait mais essayait tout de même de se contenir.

-Avise toi de porter encore une fois la main sur Fanaa et tu auras du soucis à te faire. Je me fiche de ce qui peut advenir de ma personne, mais je n'hésiterai pas à te tuer.

Elle se pencha sur son amie tout en jettant des coups d'oeil régulier aux deux Shalos. La marque rouge laissée par la gifle commençait tout juste à s'estomper quand elle lui adressa la parole.

-Viens Fanaa, sortons d'ici. Je ne tiens pas à ce que tu sois blessée inutilement.

Fanaa effleura délicatement du bout des doigts la main de Sendaë et souffla :
- Attends...

Elle fixait Syld, interdite.

- Tu m'as... frappée?

Un court silence.

- Je n'ai jamais décidé de quoi que ce soit pour toi. Jamais. Tu devrais le savoir mieux que moi. Je peux reconnaitre mes torts et c'est une accusation déplacée. Tu le sais. Moi aussi.

Elle secoua la tête.

- C'est drôle. Il y a longtemps tu as marqué ma vie. Plus tard c'est mon cœur. Ce soir c'est ma joue. C'est comme si tu marquais ton territoire. Tu n'en as pas besoin tu sais. Je t'appartiens depuis déjà tant de nuits...

Fanaa baissa la tête et un rideau d'épais cheveux noirs cacha son visage. Ses épaules furent secouées de tremblement de plus en plus violents, des sons étouffés sortaient de la cascade de sa chevelure, puis le son se précisa et l'on put reconnaitre un éclat de rire. Dur. Sec. Un rire mauvais. La jeune femme rejeta la tête en arrière. Ses traits avaient changé. Ils s'étaient durcis. L'éclat de son regard était aussi dédaigneux que celui de Soghann était froid.

- Tu lui "appartiens", voyez vous ça.

Elle secoua la tête et se fâcha.

- Fanaa ça doit vouloir dire "fille stupide", c'est pas possible! Franchement tu te fiches de moi, là! T'as qu'à lui rendre sa baffe, il ne tient même pas sur ses pattes!
Quant à l'autre là...

Elle adressa un clin d'oeil et un signe obscène avec sa langue au grand shalos avant de lui sussurer :

- Salut mon petit Sogh. je t'ai manqué? Tu sais tes petits jeux pervers je serais ravie d'y participer. Et si tu aimes les lames, n'hésite pas. Tu peux marquer ce petit corps autant que tu voudras. Ce sera joli. Le carmin du sang et la pâleur de la peau s'accordent si bien ensemble. Bien plus qu'avec le sombre. Sisi je t'assure. Fêtons ensemble que Syld l'ait enfin jetée! Tes voeux sont exaucés!

Elle commença à applaudir puis se prit la tête dans les mains. L'expression de son visage changea, passant d'un masque grimaçant à une expression inquiète. Il semblait y avoir lutte et quand celle-ci se termina après quelques secondes, ses yeux s'agrandirent d'effroi.

- Ce n'est pas possible... Pardon, pardon!

Le sang battait à ses tempes. S'etait il passé ce qu'elle croyait qu'il venait de se passer? Elle venait d'avoir une absence. Et elle ne s'était pas évanouie, c'était sûr. Se pourrait il que? Non. Alors elle se rappela du sceau. Elle passa une main dans sa poche et l'y trouva.

Fanaa s'approcha de Soghann et lui tendit le petit paquet enveloppé.

- Je garde pour moi ce que j'ai entendu. Je garde aussi ce que j'ai vu. Mais j'ai le droit de participer moi aussi. Pour me rattraper de n'avoir pas su donner l'alerte. Si il m'arrive quelque chose, vous me laissez en arrière c'est facile. Ce n'est pas parce que je ne suis pas indispensable que je suis inutile.

Ces paroles étaient pour Syld bien sûr. Pendant qu'elle parlait, toute couleur avait déserté son visage. Fanaa avait naturellement la peau pâle, mais son teint actuel l'était affreusement plus.

Syld s'était levé tant bien que mal, our donner lui-même sa punition à Fanaa... Puis Sendaë entra, ravissante dans sa fureur à demi-nue. La scène fit légèrement sourire Soghann, dont la fureur était retombée grâce à l'intervention de Syld. Ses paroles l'avaient rassuré, même s'il ne savait déjà : quelque part, peut-être avait-il eu peur que Fanaa ait eu raison, même s'il aurait évidemment refusé de l'admettre.

Parce que si l'on pouvait bien reprocher quelque chose à Soghann, en dehors de sa froideur calculée, c'était bien ça. Son intelligence, au dessus de la moyenne, et son sens de l'observation très développé le menait toujours aux conclusions exactes et ce, très rapidement. Aussi avait-il l'habitude d'avoir raison, incontestablement... Et cela lui rendait très difficile d'admettre la moindre erreur.

Quelques instants, la scène s'immobilisa : Sendaë menaçante, Syld appuyé sur le mur, Soghann toujours assit sur le lit... et Fanaa, Fanaa qui eut une réaction des plus étranges. L'assassin ne prit pas la peine d'expliquer à Sendaë qu'il n'avait de toute façon pas réellement l'intention de la frapper, même si l'envie avait été forte. Quelque chose d'anormal se passait chez Fanaa. Un instant, elle parla d'elle à la troisième personne, changea complètement d'expression, sembla redevenir celle qu'il avait vu chevaucher Kirin le Volcan.

Puis ce fut fini, et elle redevint elle-même. la colère avait à présent quitté Soghann, tandis que la compréhesion traversait son esprit. Car l'espace d'un instant, Fanaa était devenu quelqu'un d'autre, devant leurs yeux, elle s'était montrée, divisée qu'elle était entre deux êtres, deux âmes qui semblaient bien ne pas comprendre ce que faisaient l'autre.

Tandis qu'il la fixait, son esprit à la recherche de tout autre chose qui aurait pu s'expliquer par cette schyzophrénie, elle s'approcha et lui tendit une petite bourse. Il tendit la main, puis ouvrit le paquet avec curiosité, et en tira une grosse chevalière en or, qu'il éleva devant son visage pour la mettre dans un des rares rayons de lumière qui traversait la pièce.

Un lége rire secoua les épaules de l'assassin. Le sceau de Kirin. Cette jeune femme (ou ces jeunes femmes ?) était décidémment pleine de surprise. Elle venait de lui fournir une preuve incontestable qu'il était celui qui avait donné la mort, chose sans quoi ils avaient bien moins de chances de ramasser la récompense promise. Avec un sourire , il remit la chevalière dans la bourse, qu'il passa à sa ceinture.

- Merci beaucoup, Fanaa.

Toute colère avait maintenant disparu, et c'est d'une voix calme camouflant une curiosité dévorante mêlé à la certitiude d'être dans le juste qu'il fit :

- Je crois que c'est à ton tour de nous donner quelques explications... Puisque nous sommes dans les révélatations, poursuivons ! Mettons tout ça au clair.

Comme si cela pouvait aider à faire la lumière sur toute cette histoire, l'assassin sauta du lit et alla ouvrir fenêtre et volets, laissant le jour se déverser dans la pièce, éclairant le tout d'une chaude lumière solaire. On entendait le gazouilli des oiseaux accueillant le nouveau jour, inconscient du drâme qui se jouait dans la pièce...

Sendaë ne compris pas ce qui se passa juste après que son amie ait caressé sa main. La réaction de Fanaa l'avait surprise au plus haut point, mais le rire qui s'échappa de la bouche de sa compagne lui retourna les entrailles. Ce rire elle l'avait déjà entendu chez ceux dont l'âme était aussi noire que la nuit qui venait de s'envoler, ceux qui aimaient répandre la souffrance autour d'eux, et sa présence dans la bouche de Fanaa, la fragile Fanaa à qui elle avait fait le serment de protection, était des plus étrange.

Les traits Fanaa avait aussi changé ainsi que son intonation. La jeune femme semblait aussi froide que la colère de Soghann quand la Dedrane avait pénétré dans la chambre des deux Shalos et cela la surpris en tout point, mais moins que lorsque son amie parla d'elle à la troisième personne.

*Mais qui es-tu Fanaa? Qui se cache en toi?*

Puis tout un coup, la tempête sembla cesser et les traits alors froids et durs de son amie laissèrent place à son visage habituel, marqué d'une pointe de terreur.

Elle se leva et donna quelque chose à Soghann puis pris la parole. Elle était d'une pâleur maladive, semblable à celle des fantômes des légendes.

Le grand Shalos partit d'un rire discret qui secoua brièvement ses épaules et remercia Fanaa.

Citation :

- Je crois que c'est à ton tour de nous donner quelques explications... Puisque nous sommes dans les révélations, poursuivons ! Mettons tout ça au clair.

Le Shalos accompagna ses paroles par l'ouverture de la fenêtre par laquelle la chaude lumière matinale s'engouffra.

*Par Ternä, sont-ils tous fous? Ou c'est peut-être moi? Qui sait?*

Dépassée par les évènements, la chasseresse relâcha ses muscles et se laissa retomber en arrière. Méfiante, elle se releva, referma la porte sans se soucier que quelqu'un ait pu la voir dans sa tenue plus que légère puis elle saisit une chaise à dos plein qu'elle retourna afin de présenter le dossier aux Shalos. Elle s'assit laissant dépasser une jambe de chaque côté du plateau et posa ses mains sur le haut du dossier, son couteau de chasse maintenu tout de même entre ses doigts.
Une habitude fâcheuse mais qui pouvait aisément empêcher une dague de lui rentrer dans le ventre et lui permettre de se relever rapidement pour agir en cas de menace. Elle secoua la tête afin de se remettre les idées en place, laissant ses cheveux dénoués voler autour d'elle dans une vague émeraude.

-Fanaa, tu pourrais me donner quelques explications supplémentaires? Je me sens complétement perdue.

Elle fit un sourire crispé à son amie et attendit silencieusement sa réaction.

- Des explications?

Fanaa regarda Soghann dont toute colère avait fondu. Juste pour le sceau? En entendant Sendaë, elle se retourna et ce qu'elle vit dans ses yeux, mauvaise surprise et incompréhension, lui fit un choc. Elle avait gagné une amie la veille et là, juste par inattention elle l'avait perdue.

Fanaa étouffait et elle avait mal au coeur. Elle aurait voulu se sauver mais Sendaë, de par sa position, bloquait la porte. Elle était coincée! Prise au piège!
Paniquée et se sentant de plus en plus mal, la jeune femme se dirigea vers la fenêtre et s'y pencha. Elle aspira l'air à grande goulées mais cela ne lui fit pas du bien. Elle regarda vers le sol. C'était par ici qu'ils étaient partis avec Syld. Elle jeta un coup d'oeil vers les arbres. Pas de krobeau. Pas de Kraa.

Fanaa grimpa sur le rebord de la fenêtre et s'y accroupit en prenant appui sur les montant pour ne pas tomber. Ses yeux restaient rivés au sol. Il n'y avait qu'un étage. ce n'était pas si haut. Elle était légère alors en temps normal elle aurait pu se réceptionner sans problème, seulement là... elle se sentait capable de faire un faux mouvement. C'était risqué. Elle pouvait s'abîmer une cheville. Et que serait une danseuse sans bonnes chevilles?

Fallait il vraiment parler? Son état à elle était un peu bizarre mais n'avait rien d'alarmant. Pas comme celui du chenapan.
Mais Soghann voulait quelque chose. Il voulait qu'elle s'achève elle-même. Humiliation suprême face à Syld. Il en salivait d'avance c'était sûr. La voilà la raison de son soudain intérêt. Soghann était dur. très dur. Et c'était pour son bien, c'était sûr. Mais quand même.

Toujours perchée, elle tourna la tête (juste la tête) vers les occupants. Par quoi commencer?

- Que veux tu savoir exactement Soghann? Que je ne peux pas me passer de vous? Que quoi que tu dises, quoi que tu fasses - que vous fassiez - je ne me séparerai jamais complètement de vous? Pourtant ça te soulagerait. Oui. Je pourrais sûrement le faire. Mais ce n'est pas si simple. Si tu as des questions précises, j'y répondrai. Mais là, je ne sais même pas si tu as vraiment envie de savoir.

Elle prit une pause pour respirer. Il faisait bon mais elle avait froid. Quand elle les regarda de nouveau, son regard était très doux et la teinte de ses iris un soupçon plus sombre.

- Syld est mon Sauveur. Soghann, tu es mon Protecteur. Je ne l'ai pas demandé, je n'ai rien exigé, vous avez agi de vous-même alors maintenant je suis votre Compagne. Les liens sont tissés et ne peuvent être détruits que par ma fin. Sauf que je ne mourrai pas comme ça.
Tu veux que je rompe ces liens. Tu veux me retirer ce qui donne un sens à cette vie. Si je le fais, tu feras attention avec Syld?

Elle enchaina tout de suite en parlant au chenapan.

- Oui tu es fort, je le sais aussi bien que toi. Je ne doute pas de toi. Mais quoi que tu dises, je t'ai vu! J'ai vu ton visage. Il n'exprimait pas le plaisir je peux te l'assurer!
Syld, je ne me cache plus sous les lits, je ne pleure plus pour rien, j'ai moins peur, et regarde, je me suis même fait une amie. Pardon je m'étais fait une amie. Et je ne m'agenouillerai plus devant personne. Encore un millier de petits changements et je serai assez bien pour toi. C'est ce que je me disais.
Mais non.

Elle ferma les yeux un instant, se concentrant pour ne pas laisser de larmes couler. Pas apres qu'elle venait de lui dire qu'elle avait des progres de ce côté là. Ce ne serait pas malin... Sans relever les paupières, elle prit une voix caressante :

- Tu sais ce dont j'ai envie là? De te serrer dans mes bras, de me blottir tout contre toi. Elle sourit. Je suis si bien avec toi... mais je ne le peux plus. Ton dégoût d'hier, ce n'était pas dû à la blessure n'est-ce pas? Juste à moi. Moi qui suis si sale.
Elle ouvrit les yeux soudainement. Ils étaient de nouveau secs.
Je n'ai qu'une envie c'est d'être près de toi, mais tu crains que je ne te souille à ton tour. Comme si je pouvais avoir envie de t'abîmer.
A Shalanos tu m'avais proposé de me confier, mais j'ai eu raison de ne pas le faire. Sinon mes souvenirs avec vous en auraient été affreusement écourtés.

Elle se passa la main sur la nuque. La position n'était pas confortable, elle se raidissait. A en parler elle se sentait encore plus crasseuse. A 5 minutes de marche était la rivière. Y aller et s'y plonger, pour se rincer, se frotter, se laver. Se laver encore. De l'eau. Syld n'avait pas tout bu. Pas sérieux ça.

- Si tu finis le pichet, tu auras droit à une bière. Que Sogh te servira bien sûr. Je ne vais quand même pas infecter ta boisson. (à elle même) Il faut que j'arrête. je deviens odieuse là. (à Soghann) Oh pour le sceau... rien. Enfin c'est le cadeau d'une connaissance. Elle n'est pas complètement mauvaise, elle veut juste survivre en fait. Comme moi. Je crois. Et comme tous les enfants shalos.

*Là ça y est ils vont me prendre pour une folle si ce n'est déjà fait.*

Sendaë écouta silencieusement le discourt de la jeune femme. La tête posée sur les mains, le souffle raccourci par les dires de sa compagne, elle la regardait fixement de ses yeux noisettes sans bouger. Perchée sur le rebord de la fenêtre comme elle l'était, elle ressemblait à un ange déchu, perdu dans des contrées loin des cieux.

*Par Ternä, quelles souffrances doivent être les tiennes en cet instant. Ceux que tu aimes plus que tout souhaitent que tu rompes les liens que vous avez créez.*

La Dedrane continua d'observer Fanaa pendant qu'elle poursuivait son monologue. Elle repensa au jour précédent, cet après-midi etrange où la detresse de la jeune femme l'avait émue et l'avait poussée à la suivre en haut de ses escaliers, dans cette même chambre.
La chasseresse repensa au lien encore naissant qui venait de se former entre elle et Fanaa, leurs discussions de la veille, du portrait que la danseuse lui avait offert puis la nuit qu'elles avaient passer côte à côte.
Elle songea alors au fait que depuis Velys, elle n'avait plus jamais lié de véritable contact avec les gens, qu'elle avait éfleuré leurs vies alors qu'elle attachait autant d'importance à en sauver.
Les mots sortirent de sa bouche, à peine prononcés, en souvenir de sa promesse nocture.

-Tu ne seras plus jamais seule Fanaa, je te le promet.

Sendaë repoussa violement la chaise qui tanga un instant sur ses pieds avant de s'abbatre sur le plancher dans un bruit sourd, bientôt suivi par son couteau dont la lame se ficha en vibrant dans le bois.
Sans réfléchir, elle se jeta en avant sur Fanaa qui venant de clore ses explications la regarda les yeux grands ouverts, puis la pris dans ses bras, la serrant contre son coeur.

-Espèce d'idiote! "tu t'étais fait une amie"...

La Dedrane laissa couler quelques larmes dans la chevelure de jais de la jeune femme tout en lui murmurant.

-"tu t'étais fait une amie"... Que crois-tu? Que je te reproche quoi que ce soit? Je ne sais pas tout de toi, de ce que tu as vécu avec ces deux là, ni ce qui a pu se passer tout à l'heure. Je t'ai fait une promesse hier soir pendant que tu dormais! "Tu ne seras plus jamais seule"...

Elle relâcha son étreinte et mis son visage face à celui de sa compagne, lui adressant alors un sourire sincère.

-"Tu t'étais fait une amie"... Bien sur que oui et tu n'es pas prête de la perdre. Je tiens à toi, Fanaa, je te l'ai déja dit, et je ne te ferait jamais défaut.

Syld n'avait pas bougé d'un pouce pendant tout ce temps. Enfin, il se décolla du mur et, d'une démarche un peu traînante, traversa la pièce jusqu'à la fenêtre.

- Décidément, je n'arriverai jamais à comprendre comment tu peux...

Il leva une main et posa un regard tendre sur Fanaa, en même temps qu'un doigt sur le bout du nez de la demoiselle.

- ... mettre autant de paroles intelligentes et de sottises dans la même phrase, grenouille.

Puis le Shalos tourna la tête vers Sendaë et sa voix s'adoucit d'un ton supplémentaire.

- Merci pour la promesse.

Ce disant, il adressa un sourire à la chasseresse. Un sourire magnifique, un lumineux sourire qui ne cherchait ni à séduire ni à faire quoi que ce soit d'autre, un sourire qui se suffisait à lui-même et, l'espace d'un instant, permettait de comprendre quel était le charme réel de Syld. En cette minute, il était facile de saisir pourquoi aucune de ses conquêtes n'arrivait réellement à lui en vouloir, pourquoi bien peu étaient ceux qui demeuraient insensibles à sa séduction.

Le jeune homme aurait sans doute voulu parler d'avantage, mais la chambre semblait tanguer devant lui avec plus d'énergie qu'aucune des pièces qu'il ait pu voir après les pires séances de beuverie.
Il résista encore le temps de faire quelques pas puis se laissa glisser assis au pied du lit.
La sueur dessinait de minces entrelacs luisants sur sa peau et pourtant il frissonnait, la tête renversée en arrière contre le bord du matelas, le regard perdu vers un point indéterminé à mi-chemin du plafond.

Tout de même, ça faisait beaucoup à encaisser dès le matin...

Lorsque Sendaë vint la serrer dans ses bras, Fanaa eut d'abord le réflexe de refuser l'étreinte. La dedrane ne devait pas l'approcher; pour son bien. La légère poussée que Fanaa osa à l'encontre de Sendaë la déséquilibra quelque peu en arrière alors elle se laissa faire sagement. Avec ses yeux qui lui faisaient mal tellement elle avait envie de pleurer mais se retenait. La belle chasseresse laissait déjà couler ses larmes.
Le jeune fille aux cheveux de jais eut envie de rendre son étreinte à son amie mais n'osa pas lâcher les montants de la fenêtre. Une bête chute était si vite arrivée.

C'est alors que Syld s'approcha ... Son coeur s'arrêta totalement.

- Je ne suis pas une grenouille!

Si elle eut envie de rire à cet instant elle n'en eut pas le temps car le chenapan s'écroula. Ouvrant de grands yeux affolés, elle rompit l'étreinte de Sendaë - non sans lui avoir fait une légère pression sur la main - et se précipita vers la carafe. Elle remplit un verre d'eau et le présenta au shalos à terre:

- Mais tu crois que ton sang va se renouveler par magie? Il faut que tu boives. Oui c'est de l'eau et pas de grimace ou je t'attache et je te prive de bière jusqu'à nouvel ordre. Tututut! Pas la peine de regarder Soghann, j'ai pas peur de lui. Et après tu manges.

Elle refila le verre au grand shalos.

- Tiens fais le boire je vais chercher quelque chose de consistant. Si il n'a pas mangé depuis son départ c'est normal qu'il manque de force. Je reviens vite.

Et elle fila au comptoir. Tandis qu'elle attendait la viande rôtie et le ragoût, elle repensa à ce qu'avait dit Syld. Il n'avait pas du tout réagi par rapport à son absence. Peut être Plume n'était elle pas venur finalement? Mais alors... elle se serait expliquée pour rien? Oh non!

*Il a parlé de paroles stupides. ca c'est sûr je ne sais même plus trop ce que j'ai dit. Ce qui m'inquiète ce sont mes paroles soit disant "sensées"... Dans une telle situation ça m'étonne que j'aie pu ne serait-ce qu'être cohérente.*

Le plat fumant lui fut bientôt servi. Sur le plateau il y avait aussi les couverts et les assiettes qu'elle avait demandés. Parfait. Elle remercia la serveuse et remonta aussi vite que possible. Quand elle entra dans la chambre, une alléchante odeur se fit sentir...

A la menace de se voir ligoté et privé d'alcool, Syld lâcha un "Pitié, pas ça !" qui semblait indiquer qu'il ne se portait pas aussi mal qu'il y paraissait.
Il croisa les bras d'un air boudeur tandis que Fanaa descendait chercher de quoi manger. Mais cette attitude butée eut bien du mal à tenir lorsque la demoiselle revint et que l'odeur de la nourriture lui frappa les narines.

A vrai dire, le Shalos venait soudain de se rendre compte qu'il mourait littéralement de faim. S'il se rappelait bien, il n'avait rien avalé depuis le repas offert par Adwel à Fedoran... et ça commençait à dater.

Fanaa s'approcha. De toute évidence, elle avait l'intention de lui donner la becquée, armée d'une assiette et d'une cuiller.

- Hééé, mais je ne suis pas paralysé non plus, si ?

La façon dont il esquiva les assauts de la cuiller tendait en effet à prouver qu'il récupérait à une vitesse peu commune, même si les dernières discussions l'avaient fatigué.

Syld avait du mal à ne pas rire, et finit par désarmer Fanaa, s'emparant lui-même du couvert et de l'assiette qui allait avec.

- Je t'assure que je peux me débrouiller tout seul !

Il souriait tout en parlant, tempérant ce que son ton pouvait avoir de hargneux.

- Mais merci de l'attention quand même.

Sur ce, n'y tenant plus, le jeune homme s'attaqua au contenu de l'assiette avec une voracité tout à fait réjouissante qui laissait présager un prompt rétablissement.

Alors que Fanaa s'était precipitée au rez-de-chaussé non sans lui signifier son amitié d'une petite pression de la main, Sendaë partit relever la chaise qu'elle avait fait tombé et ramassa son couteau de chasse.
La jeune femme était à peine partit que Soghann s'autorisa à détailler discretement la Dedrane. Sans se soucier une once du regard du Shalos, Sendaë se redressa et sortit de la pièce pour regagner sa chambre.
Sans prendre le soin de refermer la porte, elle se dirigea vers son sac et attrapa ses vêtements de la veille et commença a enfila son pantalon.
Tout en s'habillant, elle repensa à la scène qui s'était déroulée sous ses yeux. La réaction de Syld l'avait surprise et le sourire qu'il lui avait décoché en guise de remerciement lui avait montrer le bon fond du Shalos, ainsi que sa gifle était le résultat d'un certain trouble.
Elle se dépêcha de finir de s'habiller, puis après avoir ajusté ses bottes et ses protèges poignets, elle fouilla rapidement dans son sac pour en sortir une petite fiole contenant un liquide ambré.
Une fois fait, elle ressortit en vitesse en claquant la porte et s'engouffra dans la chambre des Shalos en même temps qu'elle nouait ses cheveux.
Soghann et Syld n'avaient pas bougé quand Fanaa déboula de l'escalier les bras chargés d'un plateau couvert de victuailles.

*Enfin un petit déjeuner...*

Chacun saisi une assiette, et Fanaa se précipita sur Syld pour le nourrir permettant aux occupants de la pièce d'assister à un spectacle assez croquignol. Quand à lui, le grand Shalos restait aussi muet qu'une tombe alors qu'il mangeait lentement alors que Syld s'enpifrait joyeusement.
Elle fouilla rapidement dans une de ses poches et saisit la fiole qu'elle lança au convalescent.

-Tiens Syld, ça permettra de recuperer un peu plus vite. MAis un conseil, bois le cul sec, c'est très amer. L'idéal serait que tu te reposes encore une journée ou deux et que tu boives beaucoup d'eau. On peut compter sur toi?

Sendaë jeta furtivement un coup d'oeil à Fanaa qui venait de s'asseoir en tailleur comme la veille au soir et avait commencer à croquer la scène.
Bien étrange tableau au demeurant, car la où quelques minutes auparavant la tension était palpable, il y avait maintenant quatre personnes qui s'occupaient paisiblement chacune à sa façon.
La Dedrane attrapa sa fourchette, s'assis sur sa chaise, posant les pieds sur le lit et commença à manger doucement. Chaque bouchée était un vrai délice après ce qu'elle venait de vivre et elle remercia Fanaa d'un sourire pour son initiative.
Elle n'osa pas parler de peur de rompre la nouvelle mais apaisante atmosphère et regarda le ciel à l'extérieur de la taverne. Par Ternä, l'instant d'avant cette pièce ressemblait à une tempête, chargée d'eclairs et de pluie et maintenant tout était aussi tranquille que le ciel dehors.

-Syld, si tu souhaites je peux aller te chercher une bière de Dolciane. Ca sera du petit lait pour toi, mais ça apaisera tes douleurs. Qu'en penses tu? Par contre, il faudra attendre que notre chere (et elle insista sur le mot) Fanaa finisse son office. Quelqu'un d'autre est tenté?

D'un geste vif, Syld attrapa la fiole au vol puis se fendit d'un sourire gamin.

- Oui chef, à vos ordres chef, vous pouvez compter sur moi chef !

De toute évidence, ce qu'il avait eu le temps d'avaler commençait déjà à le requinquer.
Il déboucha le flacon et renifla prudemment le goulot. L'odeur lui tira une petite grimace.

- Bière de Dolciane ? Connais pas. Mais ça changera toujours de l'eau plate...

Le jeune homme avala le contenu de la fiole d'un coup, déglutit avec un petit bruit, puis se dépêcha de remettre le nez dans son assiette pour faire passer le goût.

Avec un petit soupir satisfait, il tendit le bras afin de poser plat et couverts sur la table de nuit. Ce repas là, il ne l'avait pas volé...

Syld secoua la douce torpeur qui l'envahissait pour s'installer sur le lit en lieu et place du plancher. Etendu en travers de la couche, il roula sur le ventre de manière à pouvoir observer chaque occupant de la pièce sans avoir à se dévisser le cou.
La tête posée au creux des bras, il lâcha un nouveau soupir de contentement avant de glisser un coup d'oeil du côté de Soghann.

Ils n'avaient pas terminé leur "discussion" au sujet de la conduite à tenir face à Adennon... L'intervention de Fanaa avait détourné son attention à point nommé, mais il reviendrait à la charge, tôt ou tard. Et plus tôt que tard, très certainement.
Bon...

Syld secoua doucement la tête et quelques mèches indisciplinées retombèrent devant son oeil mi-clos.

Inutile de se faire du mauvais sang avant l'heure.

"Faire du mauvais sang" ?
Un petite moue amusée fleurit sur ses lèvres qui commençaient à le picoter.
Vraiment, il se s'était pas retenu pour la morsure, le bougre...

Fanaa s'arrêta et se leva. Au passage, elle ramassa la griffe tordue tombée à terre et celles qui trainaient encore sur la table de nuit. C'était difficile de faire cela discrètement mais tant pis.

Son dessin sous un bras et les griffes dans la main avec le pinceau, elle s'approcha de Sendaë et lui caressa la joue.

- Laisse, je m'occupe de ça. Reste ici, repose toi, tu as déjà tant fait.

Après une hésitation, elle débarrassa les plateaux puis sortit de la chambre après avoir souri aux occupants. Se dirigeant vers le bar elle rendit la vaisselle usagée, commanda 3 bières de dolciane et 3 bières plus classiques et demanda à la serveuse de monter la commande directement dans la chambre.

Enfin elle sortit de l'auberge et prit le chemin de la rivière. Tout allait bien maintenant. Les esprits était calmés, elle pouvait donc s'occuper d'elle. Elle se sentait sale et devait absolument se laver. Vite!

Soghann mangea calmement, en profitant pour observer les occupants de la chambre. La tension était retombée, mais le problème sous-jacent était toujours là, et le moment où il faudrait tout expliquer viendrait bien un jour. Mais peut-être pas aujourd'hui, se dit-il en haussant les épaules.

Son repas fini, il se leva, et lança à Sendaë sur un ton redevenu aimable :

- Avec plaisir, demoiselle. Je prendrais un boisson, mais quelque chose de plus fort qu'une simple bière, je vous prie. J'ai besoin d'un remontant plus coriace... Je vous laisse le choix de la boisson.

Puis, s'adressant aussi à Syld, il continua :

- Je retourne dans ma chambre, m'habiller de façon un peu plus correcte. Veuillez m'excuser...

En effet, depuis le retour de Syld la veille, il ne s'était pas changé, et était resté torse nu, simplement vêtu de son pantalon et de ses bottes. Il n'avait pas particulièrement froid, mais la peau nue laissait bien peu de cachettes à ses dagues... Or, il se sentait très nu sans elles. Il se faufilla donc dans sa propre chambre, retrouva le lit en bataille, la fenêtre grande ouverte... Il la referma, puis se mit en quête de ses vêtements.

Syld fronça le nez d'un air déçu en suivant Soghann du regard au moment où il quittait la chambre.

- Il va encore revenir avec sa veste doublée d'une bonne couche d'acier. Incorrigible, va !

Avec un petit reniflement, le jeune homme enfouit à nouveau son museau de brigand dans ses bras, pour l'en ressortir presque aussitôt.

- Ca me fait penser que je ne vais pas avoir grand chose à me mettre, moi !

Il jeta un coup d'oeil du côté du manteau que Fanaa avait ramené, puis s'intéressa à la table de nuit sur laquelle avaient été posés les fragments de ses griffes.
Aurait-il dû empêcher Fanaa de les prendre ? Bah, il n'était pas forgeron, mais il savait reconnaître une arme irréparable. Or les armes de ce genre étaient justement si délicates... tant dans leur mécanisme que dans leur maniement. Peu de gens les utilisaient. Et peu d'artisans prenaient la peine de s'intéresser à une marchandise qui se vendait aussi mal.

Le jeune homme soupira.
Lui aussi se sentait tout nu, d'un coup...

Retrouver des instruments de travail d'une aussi bonne facture que les anciens allait poser problème.

"Raaah, un souci à la fois !"

Syld secoua la tête avec une moue de mécontentement pour chasser les pensées qui s'obstinaient à trotter à l'intérieur.
Il fit même tellement le ménage qu'avant même de s'en apercevoir, il retombait la joue au creux des couvertures, bien parti pour une petite sieste d'au moins quelques minutes.

Sendaë regarda son amie puis le grand Shalos quitter la pièce l'un après l'autre. Titillée par la petite hermine qui ne cessait de lui tourner autours, elle décida de subvenir au désir de l'animal. Elle découpa un petit morceau de viande dans son assiette et le posa dans le creux de sa main.afin que la créature vienne le manger.

*A qui peux-tu bien appartenir toi? Tu n'es surment pas venue toute seule.*

Il était assez fréquent que des chasseurs se lient d'amitié avec des animaux sauvages, d'ailleur le souverain de Dedride, Mesral le Sylvestre, voyageait souvent dans le Ternael en compagnie d'une Valaë.
L'un d'entre eux devait se reposer dans la taverne et la chasseresse aurait bien voulu rencontrer des confrères, d'autant plus que c'était la deuxième fois qu'elle apercevait l'animal.
Pendant que l'hermine se régalait de son bout de viande, Sendaë leva sa main la soutenant et lui chuchotta quelques mots.

-Va retrouver ton maître et dit lui que j'aimerais le rencontrer à la taverne.

Elle se tourna vers le chenapan qui n'avait pas cessé de soupirer durant ces dernières minutes afin d'engager la conversation mais celui-ci venait de s'assoupir. Rien de bien étonnant après avoir avaler le contenu de la fiole qu'elle lui avait lancé. L'écorce de Fitya était un excellent analgésique après tout et elle permettait d'augmenter le métabolisme de celui qui l'avait absorbé, puis reformer tout ce sang coutaît beaucoup à un organisme.
La Dedrane sourit.

*J'aurais peut-être du le prévenir.*

Sendaë dévisagea Syld un court instant. Son amie avait l'air de l'aimer enormément, mais elle n'arrivait pas à saisir tout les liens qui unissaient cet improbable trio. Une jeune fille perdue, un chenapan et un assassin aussi glacial qu'une nuit dans la Thoundar.
On ne pouvait nier que le garçon étendu sur le lit ne manquait pas de charme et elle comprenait aisément que Fanaa puisse l'aimer si c'était bien le cas. D'une certaine manière, il ressemblait à Velys, son compagnon d'enfance.
Par Ternä, qu'elle avait pu l'aimer pendant ces folles journées à parcourir le Berceau, à admirer la beauté de la Déesse. C'était aussi le seul qui lui avait fait connaitre l'amour, des clairières moussues et secrète à la cîme des Orolindaës en passant par les sources chaudes cachées. Il avait été tendre, parfois fougueux, similaire à son comportement de tout les jours.
Puis il avait disparu sans laisser de traces, sans nouvelles et cela l'avait détruite et elle s'était renfermée dans sa solitude, seule avec Ternä pour unique compagne. Puis il y avait eu le monstre de Valnor dans la forêt et elle avait pris sa décision, protéger la vie et lutter contre le puissant Seigneur.
Elle repensa à sa nouvelle amie et à cette histoire comme quoi elle ne voulait pas abandonner Syld. La Dedrane passa sa main dans sa chevelure emeraude et s'adressa au chenapan endormi.

-Quel que soit votre destin à tous les trois, là où Fanaa ira, j'irai pour la protéger, pour tenir ma promesse, même si je doit vous suivre à l'autre bout d'Adreis.

Maintenant aussi gaie qu'elle avait été angoissée il y avait peu, Fanaa traversa la grande salle et entra dans la cuisine. De dos, elle reconnut le cuisinier qu'elle avait agressé la veille pour de l'eau. Celui-ci était occupé devant une marmite immense. La jeune fille sauta sur son dos et passa ses bras autour de son cou en riant. Le contact humide et glacé fit sursauter l'homme qui se retourna aussi sec, la faisant lâcher prise.

- QU'EST CE QUE C'EST ! tonna-t-il. Il faut dire que s'il y avait bien une chose qu'il détestait c'était bien d'être dérangé dans sa cuisine.

Fanaa arrêta de rire aussi sec, surprise par cette voix puissante à faire trembler les murs. C'est avec un couinement de souris qu'elle osa un tout petit :

- Euh... merci?

La montagne qu'était le chef de cuisine baissa le ton en reconnaissant soudain son vis à vis.

- C'est toi petit démon? Mais enfin qu'est-ce que c'est que cette tenue? Et ces manières?!

De fait, ses longs cheveux dégoulinant d'eau et sa robe complètement trempée gouttaient sur le carrelage. Le demoiselle sentait bon et était propre comme un sou neuf mais elle n'avait nullement pensé à sa mise au sortir de la rivière. Résultat, elle était dans un piteux état. Le réalisant, elle rougit de gêne et sur le même filet de voix :

- Pardon...

Elle s'absorba dans la contemplation de la flaque se formant sur le carrelage autour de ses pieds nus. L'homme haussa un broussailleux sourcil.

- Tu m'as littéralement étranglé hier et pour me prouver ta reconnaissance tu viens salir mon lieu de travail. Alors là bravo. Tu as vraiment de drôles de manières dis moi.

Fanaa aurait voulu disparaitre dans un trou de souris. Il avait totalement raison. Elle se comportait mal. Elle était d'ailleurs si gênée qu'elle n'osait plus bouger ni même respirer. Et une goutte d'eau salée rejoignit bientôt la flaque par terre.

- Je suis... je suis désolée...

C'est alors qu'il éclata de rire. Un bon gros rire. Cette petite fille (vu sa carrure beaucoup de monde lui semblait petit) qui était une vraie furie la veille était maintenant si mal à l'aise face à lui qu'elle était aussi rouge que ses cheveux étaient d'un noir intense. Peut être n'aurait il pas dû se moquer, mais la situation était si tentante!
Il se gondola durant plusieurs dizaines de secondes. Fanaa releva la tête, s'essuya les yeux et finalement rit aussi. Plus doucement.

Quand son hilarité se calma enfin, il gronda de nouveau:

- Allez file maintenant. J'ai du travail. Merci pour le rire.
- Mais je voulais vous remercier...
- Pas de vous. Moi c'est Kalysto et chui pas un seigneur c'est compris? Alors pas de bassesse déplacée.
- Moi je suis....
- Toi tu es trempée, glacée jusqu'aux os et si tu continues tu vas attraper la mort! Je ne veux plus te voir trainer ici dans cet état! ALLEZ OUSTE! OU C'EST TOI QUE JE CUISINE CE SOIR!

La jeune fille ne se le fit pas dire deux fois. Elle échappa de peu aux coups de torchons et réussit à sortir de la cuisine après avoir souri une dernière fois à Jelnor. Cet homme était ... authentique. Impressionnant surtout. Un peu effrayent mais au fond il était sympathique.

Elle entama l'escension des escaliers de bois, laissant ses empreintes mouillées sur les marches. Elle frissonna et ne réalisa qu'à ce moment que rester dans des vêtement gorgés d'eau n'était peut être pas une bonne idée...

Il avait fallu assez peu de temps à Soghann pour se rendre compte que ses affaires avaient été déménagées. Le but de la manœuvre lui échappait, mais il se doutait de l'auteur du forfait...
Avec un soupir, il fini par sortir de la chambre, pour se retrouver nez à nez avec une Fanaa en piteux état : trempée jusqu'aux os et grelotant comme un Fédorien oublié en plein Thoundar.

- Ha, te voilà, toi... J'apprécierais assez que tu me dises où tu as mis mes affaires. Il fait moyennement chaud dans cette taverne. D'ailleurs, tu va attraper la mort, si tu reste plantée là !

Oh non! Soghann était encore fâché. C'était peut être mérité en fait. Claquant des dents, Fanaa lui répondit en le regardant avec des petits yeux tristes:

- Oui, pardon. Je les ai juste rangés à l'abri. C'était seulement pour ne pas les laisser trainer dans une pièce ouverte et sans surveillance...

Elle poussa la porte, prit les vêtements pliés proprement, posa la dague par dessus et lui tendit l'ensemble.
Elle ajouta tout bas et très vite pour être sure qu'il l'entende avant de faire demi tour:

- Je te fais mes excuses pour tout à l'heure je sais que j'ai dépassé les bornes. Mais quoi que tu en penses, c'est bien ce que tu as fait. Et je ne t'en respecte que plus. Voilà.

Croisant ses mains dans son dos, elle s'absorba dans la contemplation du plancher.

- Et quand tu ne seras plus en colère... viens me voir s'il te plait. J'aurai un présent pour toi. Enfin quelque chose, quoi. Je veux dire... Voilà, quoi. Hum.

*Il n'acceptera jamais. Pourtant j'aimerais...*

Elle frissonna encore. Elle devait retirer sa robe mais elle ne se déshabillerait pas devant Soghann. Demander le pardon en petite tenue n'était sûrement pas le meilleur moyen de faire céder une personne de méchante humeur. Quoi que... Mais non. Elle n'allait tout de même pas risquer d'empirer les choses.