La Taverne de Veis

Soghann leva une main pour tapoter la main de la jeune fille. Ses bras pâles étaient maculés de tâches de sang... Sur un ton indéfinissable, il répondit :

- Bonjour, Fanaa...

Sentant les sanglots dans la voix de la jeune femme, il radoucit imperceptiblement le ton.

- Comment s'est passé notre absence ? Assieds-toi, raconte moi.

Syld intercepta une des filles d'auberge dans les escaliers et lui commanda un bain, puis alla prendre possession de sa chambre. En attendant que la demoiselle revienne avec ce qu'il lui avait demandé, il ouvrit la fenêtre puis s'accouda à l'appui, le regard et les pensées perdus dans les nuages qui s'effilochaient dans le ciel matinal.
Le vent couchait les herbes des plaines et lui renvoyait ses cheveux dans la figure.

Le jeune homme lâcha un soupir : il n'avait même plus envie de rester là. Il se pencha même un peu plus sur le rebord, comme pour sauter en bas dans la cour.
Il aspirait soudain au calme, à une solitude qui n'était pas celle qu'on pouvait trouver dans une chambre de taverne.

Il lui était déjà arrivé de disparaître pendant quelques jours, sans avertissement.
Soghann comprendrait.
Et, en accord avec les règles tacites établies entre eux, il ne lui poserait aucune question à son retour..

Syld avait déjà la main posée sur le cadre de la croisée, le buste en avant, lorsqu'on toqua à la porte.
C'était le bain commandé qui arrivait.
L'assassin secoua la tête puis alla s'asseoir sur son lit le temps que tout soit prêt. Il ne prêta aucune attention au coup d'oeil mutin que lui lança la serveuse au moment de repartir.
Les rumeurs circulaient vite, et toutes les filles de la maison connaissaient sa réputation de coureur de jupons.
Mais celle-ci repartit fort déçue de l'indifférence du trop séduisant garçon.

Syld se leva enfin puis se débarrassa de sa chemise avant de s'approcher du bac fumant.
Alors qu'il se penchait sur l'eau, il aperçut le reflet d'une silhouette dans son dos.

Quand ?
Il n'avait rien vu, rien entendu. Pas une des alarmes instinctives créées par l'implacable entraînement de la Guilde et de la vie d'assassin n'avait réagi.

Le jeune homme se détourna et bloqua net le poignard qui descendait vers lui.
Il n'eut ni le temps de dévisager son agresseur, ni le temps de se maudire pour sa distraction : une vive douleur parcourut sa nuque lorsqu'un des trois autre silencieux inconnus qui s'étaient glissés dans la pièce abattit le lourd pommeau d'une épée derrière son crâne.

- Hey là, le drôle essaye encore de se relever !
- Attends, je vais le calmer un peu...
- Ne va pas le noyer, non plus. Le seigneur Adennon ne nous le pardonnerait jamais.

"Adennon !"
Syld sentit brusquement ses forces le quitter à ce nom familier. Il se débattit à peine quand un des hommes lui plongea la tête sous l'eau.

Ses doigts se crispèrent sur le sur le bord en bois du bac, puis se détendirent au bout de longues, d'interminables minutes.
Le Shalos glissa au sol, inconscient.

- Je pensais qu'il résisterait plus que ça, remarqua un des mercenaires en prenant son pouls. Bon, inutile de nous attarder ici.

Un des hommes souleva Syld puis le jeta sur son épaule comme s'il n'avait pas plus pesé qu'une plume.
Il alla à la fenêtre et enjamba l'appui tandis que ses complices se chargeaient des affaires de l'assassin.
Les quatre hommes se reçurent en souplesse dans l'arrière-cour de la taverne, vifs et silencieux, avant de s'éloigner. De toute évidence, ce n'était pas des Shalos, mais ils n'avaient rien à leur envier : c'étaient-là des professionnels, des hommes qu'on ne pouvait employer qu'en y mettant le prix.

Pas un des mercenaires de la taverne n'avait remarqué quoi que ce soit.
Il ne resta qu'une fenêtre ouverte et des rideaux qui flottaient dans la brise à un des étages, et, dans une chambre, un bain qui refroidissait déjà...

Si il ne fut pas très expansif -se contentant de lui tapoter la main comme on effleure sans s'attarder la tête d'un chien qui, tout fier rapporte le bâton que son maître avait envoyé à la rivière- du moins ne la rejeta-t-il pas et cela suffit à Fanaa pour que son coeur déborde de reconnaissance. Même, il lui parla d'une voix où l'on percevait une pointe de gentillesse. Il ne voulait pas le montrer au autres, au cas où des ennemis seraient dans la salle mais elle lui avait manqué, elle en était sure!

Seulement il avait posé la question piège. Fanaa se crispa très légèrement puis, obéissante, elle s'installa juste à côté de Soghann. Elle posa son sac à terre et chercha dans toute la salle. Aucune trace de son chenapan. Elle laissa son regard couler vers l'escalier menant à l'étage... oui il était sûrement là-haut à fêter le succès de la mission avec Thénaïs. Ou un autre belle femme. A moins qu'il ne fête simplement leurs retrouvailles.
Fanaa tenta de ne rien montrer de son pincement au coeur et, tournant la tête vers le grand shalos, elle accrocha son regard au sien. Les yeux bleus glaces la regardant fixement étaient comme un détecteur de mensonge. Fanaa le savait. Il écouterait et regarderait tout, interprétant chaque geste, chaque battement de cil, le rythme même de sa respiration.

Au fond, cela ne gênait pas Fanaa. La jeune fille n'était pas spécialement une adepte du mensonge. Seulement dans la cas présent... peut être en utilisant des ellipses? Ou des oublis?

Elle prit une inspiration et, ses yeux myosotis soutenant le regard du grand shalos, elle commença :

- Je ne savais pas si vous alliez revenir alors j'ai été à Fedoran.

Elle ajouta à toute vitesse en gigotant des bras :

- Mais je ne vous suivais pas, je te le jure! Je sais que tu ne veux pas que je vous approche en mission. Alors jamais je ne l'aurais fait. je ne vous ai pas désobéi Soghann.

Elle reposa les mains sur ses genoux.

Je suis allée là-bas parce que j'avais faim.

Soghann toisait la jeune femme, écoutant ce qu'elle avait à dire sans l'interrompre. Lorsqu'elle eut fini, il posa un coude sur la table, se cala le menton dans le creux de la main, et répondit :

- Rien ne t'empêchait de vivre à crédit le temps que nous revennions... Le patron sachant que tu es arrivé avec nous, il n'aurait fait aucune difficulté... Enfin, là n'est pas le problème.

Le Shalos, d'un coup, paru inquiet. Il se demandait si dire à Fanaa ce que Syld avait ressenti étaiot une bonne chose : il s'agissait, en fait, d'une bonne occasion pour couper définitivement le lien qui les unissait. Mais, malgré ses efforts, il n'était pas froid à ce point là, aussi continua-t-il, un ton plus bas :

- Syld est monté dans sa chambre. Il est... très marqué parce qu'il a vu.

L'assassin s'interrompit. Il avait volontairement été évasif, mais il craignait que Fanaa le soit un peu moins. Il fallait qu'elle évite de prononcer le nom de Kirin. Surtout lorsque des oreilles s'étaient approchées, assez peu discrètement d'ailleurs.

- Attends une seconde.

Désireux de ne pas provoquer d'esclandre si tôt le matin -et dans l'état de fatigue nerveuse dans lequel il était-, l'assassin se pencha légèremetn en arrière, et, sur un ton ironique, lança au jeune indiscret :

- Je ne sais pas ce que vous cherchez à savoir, ni ce que vous écrivez, mais votre manoeuvre d'approche pour le moins indiscrète me laisse à penser que nous vous intéressons. Peut-on savoir pour quelle raison ?

Le Lévitis se redressa d'un coup d'un seul et sous l'effet de la gravité sa capuche tomba sur ses épaules.

*Il m'a...vue, mince!*

Il repassa alors en boucle dans son jeune esprit tout ce qu'il savait sur les shalos, pour trouver ce qu'il y avait de mieux à faire. Hélas, rien ne lui venait à l'esprit. Si au moins il avait écouter plus durant les cours. Inizi commençait à regretter le manque d'attention qui l'avait suivit au cours de ses études. Et pendant ce temps, le shalos le regardait.

*Je fait quoi ? oh ma reine, aidez moi*

Il se souvint alors d'une chose : ne jamais, au grand jamais mentir à un shalos. Il est capable de le remarquer.

*Mais comment... Comment a-t-il fait pour me voir?*

Tout en essayant de reprendre ses esprits, Inizi tenta une réponse. Cependant, il était tout ce que l'on peut être en dehors de sur de soi!

-Je vous pris de bien vouloir m'excuser. Je ne souhaitais en aucun cas vous déranger. Je voulais juste en apprendre plus sur vous. Et par vous, je veut bien sur dire les shalos. Dit-il d'une voie qui montrait vraiment son stress grandissant.

Après avoir réussit tant bien que mal à prononcer ces mots, le jeune lévitis baissa les yeux dans l'attente craintive de la réaction du shalos.

Le Shalos toisait l'impudent de son regard bleu glace, lorsqu'une lueur d'amusement passa dans ses yeux. Souriant à moitié, il répondit :

- Je doute qu'espionner les gens soit une méthode très appréciée des sujets... Un étudiant tout frais moulu de Levitis, hmm ? Il n'y a que ces gens là pour être à ce point éloignés des considération de la politesse la plus élémentaire...

Si les paroles étaient dures, le ton employé n'était que légèrement réprobateur, à la façon d'un père amusé par la naïveté d'un petit enfant. Soghann prenait l'intervention comme une distraction bienvenue, après toute la tension (et l'amertume de Syld) qui avaient suivi l'escapade à Fedoran. Entretenir le mystère autour de Shalanos et de son peuple était toujours distrayant, d'autant plus lorsque l'interlocuteur était comme celui-ci : jeune et crédule, prêt à avaler n'importe quoi...

Revenant quelques instants à Fanaa, il lui fit d'un ton songeur :

- Tu devrais peut-être monter le voir. Je ne sais pas comment il va t'accueillir, mais s'il y a quelqu'un qui peut remédier à son humeur du moment, c'est toi.

Après lui avoir discrètement indiqué le numéro de la chambre de son compagnon, Soghann se pencha de nouveau en arrière, sa chaise en équilibre. De la main, il indiqua une chaise, et fit au jeune Levitis :

- Puisque vous êtes là pour apprendre, asseyez vous donc. Posez les bonnes questions, et vous aurez peut-être les bonnes réponses.

Claquant nonchalamment des doigts pour appeler une serveuse, il lança un clin d'oeil assorti d'un sourire à Fanaa, histoire de la rassurer.

Complications ou pas, ils avaient accompli leur mission avec succès, et une jolie rétribution les attendrait à Shalanos... L'assassin avait envie de fêter ça.

Fanaa n'avait mentionné que sa destination et aucunement ses activités durant l'absence des shalos. Elle n'aurait pu être plus évasive. Elle s'était attendu à ce que Soghann lui pose des questions, cherche à en savoir plus mais non. L'assassin aux longues jambes ne s'y était pas intéressé le moins du monde. Au fond, il avait dû lui poser la question par routine, mais ce n'était pas plus mal, cela évitant à Fanaa de devoir parler de choses désagréables.

Quelques petits détails la travaillaient pourtant. Tout d'abord, qu'est-ce qu'un assassin rôdé comme Syld avait pu voir qui l'ait marqué au point d'aller se coucher pour dormir? Et seul qui plus est? Peut être y avait il eu des complications? Mais en ce cas elles avaient dû être sacrément inattendues. Fanaa ne pouvait s'empêcher d'éprouver de la curiosité à l'endroit de ces obstacles capables de miner son chenapan.

Lorsque Soghann lui avait indiqué que Syld s'en était allé quérir du repos, Fanaa n'avait pu s'empêcher de jeter un regard désespéré vers l'escalier avant de le reporter rapidement sur son vis à vis. Il avait dû remarquer sa réaction vu qu'il l'envoya lui-même le voir.
Ses yeux myosotis exprimaient une gratitude sincère quand elle le remercia silencieusement avant de saluer d'un hochement de tête le Levitis et de filer à l'étage.

Tandis qu'elle montait les escaliers, une phrase que Soghann avait dite tournait dans sa tête :

Citation :

"Je ne sais pas comment il va t'accueillir"

. Pourquoi avait-il dit ces mots? Elle avait beau chercher, elle ne leur trouvait pas de raison valable et cela la troublait. Soghann avait bien dit qu'il était parti se coucher. Et seul. Si encore il avait été en bonne compagnie, elle aurait saisi que sa venue occasionne un certain dérangement. Elle ne serait d'ailleurs pas montée le voir. Est ce que Syld lui en voulait particulièrement? Mais alors pourquoi, par les lunes, pourquoi?

A se poser toutes ces questions, la jeune femme était arrivée devant la porte de la chambre du sacripant. Toutes ces réflexions l'avaient chamboulée et elle hésita à entrer. Et puis, devait elle frapper ou non? Non. Après tout elle ne voulait pas le réveiller. Mais si elle entrait sans s'annoncer, peut être prendrait-il mal son intrusion?

Elle réfléchissait trop. Cela devenait très compliqué. Fanaa prit une profonde inspiration, se vida de toutes les pensées parasites et regarda alors ce qui lui restait : un besoin indicible de revoir Syld et de le serrer tout contre elle, de lui chuchoter des mots doux à l'oreille. Ou ne rien lui dire, juste l'écouter respirer, chérir la sensation de le retrouver enfin. Lui dire combien le temps passé sans lui était douloureux. Ou plutôt non, ne rien lui dire. De peur de l'entraver. Si il rayonnait, c'était bien parce qu'il était libre de papillonner sans aucune attache. Mis à part Sogh bien sûr, mais là encore c'était différent. Soghann était une partie de Syld. Tout comme Syld était une partie de Soghann. Et d'elle-même.

Fanaa poussa la porte, le coeur gonflé de tendresse et... d'amour (sauf qu'elle avait du mal à le réaliser), les bras tendus, un sourire lumineux, prête à inonder son chenapan de douceur et de joie... mais elle ne trouva qu'une pièce vide et s'immobilisa. Par acquis de conscience elle fit un pas en arrière et regarda de nouveau la porte. Les chiffres 23 étaient bien gravés dessus. Le 3 était légèrement plus bas que son compagnon, preuve que la gravure avait été faite manuellement. Et depuis un certain temps si l'on en croyait la patine de ladite gravure.
C'était donc la bonne chambre. Soghann ne lui aurait pas menti de toutes manières.

Fanaa referma la porte et s'avança dans la chambre, aussi légère qu'un chat, ne faisant même pas craquer le plancher. Elle avait même arrêté de respirer. Ses yeux myosotis se plissèrent lorsqu'elle parcourut chaque centimètre carré de la chambre du regard, espérant que la pièce allait lui confier son secret, lui raconter les derniers instants de son occupant en son sein. Le baquet était rempli d'une eau tout propre, mais qui ne fumait plus. Le bain n'avait donc pas servi. A vrai dire, il semblait que la chambre toute entière n'avait pas servi. A première vue, nul n'était venu ici.
A première vue, seulement.
Si aucun vêtement ni objet ne trainait, quelques gouttes d'eau n'ayant pas encore séché se trouvaient au pied du bain. On avait "joué" avec. Et on s'était assis sur le lit, preuve en était de la couverture qui avait gardé l'empreinte (discrète) des fesses qui s'y étaient posées.
Syld était donc réellement venu. Enfin, et en tout dernier recours, Fanaa regarda la fenêtre. Elle avait fait exprès de l'éviter durant toute son observation, pour la bonne et simple raison qu'elle savait que c'était par là qu'il était passé. Elle courut vers l'ouverture et se pencha. Aucune trace bien sûr. Il était parti. Avant même qu'elle le retrouve. Les larmes lui picotèrent les yeux et elle appela :
- Syld?
Sa voix était faible et peu assurée. Elle se racla la gorge et répéta :
- Syld!

Il ne répondit pas. Il n'était pas là. Il était parti. Sans elle. Encore.

Citation :

"Je ne sais pas comment il va t'accueillir"

Sentant une faiblesse dans ses jambes, Fanaa se laissa glisser contre le mur. Ne pas pleurer. Lui en voudrait il au point de la fuir? Il faudrait pour cela qu'elle ait fait quelque chose d'horrible! Seulement elle avait beau chercher, elle ne voyait pas ce qui provoquait une réaction si ... énorme. Qu'à cela ne tienne, elle était prête à lui demander pardon de toutes ses forces. Mais si il n'était même pas là pour l'entendre... A quoi cela servait il?
Elle prononça pourtant les mots, tout bas.

- Syld je te supplie de me pardonner. Quoi que je t'ai fait je te promets que ce n'était pas pour te faire du mal. Jamais je ne pourrais te trahir ou te faire souffrir. je suis profondément désolée, je t'en prie, pardonne moi!

Eclatant en sanglots, elle n'entendit pas tout de suite le chuintement de l'oiseau. Le Krobeau du croasser pour qu'enfin elle fasse attention à sa présence. Fanaa releva la tête, se mit debout et s'accouda à la fenêtre. La rapace noir lui faisait face. Elle s'essuya les yeux et lui caressa la tête.
- Il est parti Kraa. Je n'ai même pas pu le voir.
L'oiseau croassa de nouveau. Fanaa ouvrit de grands yeux incrédules et lui demanda de répéter. Il s'exécuta. Fanaa n'en croyait pas ses oreilles. Ce n'était pas la peine de demander au Krobeau de confirmer, il ne lui mentirait jamais. Elle lui posa encore une question et l'oiseau siffla de mécontentement, ébouriffant ses plumes pour bien montrer son désaccord. Fanaa s'excusa, lui caressa de nouveau la tête et le regarda s'envoler.

Elle devait parler à Soghann. Encore.

Durant un instant, le regard du shalos lui glaça le sang. Mais lorsque celui-ci se mit à parler, Inizi ce sentit rassurer. Non, il ne le tueras pas. En temps cas il ne le tueras pas dans l'immédiat. Pour le moment, il avait l'occasion de parler avec lui le reste on verra plus tard. Le Lévitis retourna à la table qu'il occupait avait son approche ratée pour y prendre sa besace, puis il vint se placer en face du shalos.

Durant tout le trajet, l'être au regard de glace ne l'avait pas quitté. Et c'est dans un mélange d'excitation et te terreur que le jeune aventurier s'apprêtait à poser des questions. Il n'y avait plus qu'une chose qui le tracassait. Si il avait bien compris, pour avoir les bonnes réponses il lui fallait poser les bonnes question.

Inizi se mit à réfléchir, plus qu'il ne l'avait jamais fait auparavant. Une occasion tel que celle-ci n'arrive qu'une et unique fois. Durant tout ce temps le shalos le regardait, un sourire au coin des lèvres comme ci le Lévitis l'amusait.

Spoiler:

***-Comment allez dans Shalonas?
-Non, il ne répondra pas idiot!
-Pourquoi est-il là?
-Il ne te le diras pas non plus.
-De qu'elle guilde fais t-il partis? Il y as bien des guildes chez les shalos?
-Ca il y as des guildes, mais tu rêve si tu veut une réponse.
-Je lui demande quoi alors?
-J'en sait rien moi, tu est grand non!
-Ben...Euh...Non.
-Réfléchit imbécile.
-Mais j'essaye.
-il me regarde encore, je doit dire quelques choses.
-Ca c'est évident.***

Levant les yeux de nouveaux vers le shalo, le tout dans une concentration des plus extrême, Inizi pris la parole.

-Puis-je vous demander votre nom?

Fanaa dévala les escaliers s'arrêta un quart de seconde dans la grande salle - Soghann avait toujours les yeux rivés dans ceux du Levitis - puis fila vers la porte, l'ouvrit et se précipita dehors.

La jeune femme courut, courut jusqu'au carrefour des routes qui se trouvait à proximité de la taverne de Veis. Elle tourna sur elle même, envisageant chaque chemin, chaque destination... sans pour autant trouver la bonne. Levant le visage vers le ciel et apposant ses mains de part et d'autre de sa bouche, elle émit un sifflement hyper aigu, à la limite de l'audible. Elle n'eut pas longtemps à attendre, le Krobeau apparut en moins d'une minute. Il faut dire qu'il n'était pas allé loin. Fanaa joignit les mains :

- Kraa, je t'en supplie dis moi où il est parti! D'accord tu ne l'as peut être pas suivi mais dis moi dans quelle direction au moins! C'est important Kraa. Fais le pour moi, je t'en prie.

Ce disant, Fanaa lui opposa un regard si triste et si poignant que même le cœur du rapace en fut retourné. Il tenta bien un sifflement de "je déteste quand tu fais ces yeux-là", mais céda tout de même. Fanaa lui sourit "sans rancune" et courut à la suite de l'oiseau noir, ses longs cheveux de nuit comme des ailes dans son dos.





Fanaa avait couru longtemps, s'arrêtant de temps à autre pour interroger ceux qu'elle croisait en chemin. Elle n'avait pas appris grand chose. La seule certitude : ils n'étaient pas à pied. Il faut dire que sa balader avec un homme sur l'épaule, qu'il soit sans connaissance ou à appeler à l'aide - non Syld n'appellerait pas à l'aide - ou à se démener comme un beau diable, ce n'était pas discret. Ils étaient en véhicule. Mais pas n'importe lequel, c'était un carrosse. Mais parmi tous les autres usagers de la route, la trace avait vite été perdue. D'autant qu'ils avançaient beaucoup, beaucoup plus vite qu'elle.

Résignée, Fanaa s'arrêta. Résignée et essoufflée. A bout de forces même. Encore une fois, elle avait "oublié" de se nourrir depuis la veille et maintenant son corps le lui rappelait. Un voile noir passa devant ses yeux et, se baissant, elle chercha à tâtons un endroit où s'asseoir.

- D'accord. Bon, Kraa, ne t'éloigne pas s'il te plait. Juste le temps de... me reprendre et je rentre. Me laisse pas toute seule. J'ai peur dans le noir...

Elle replia ses genoux, croisa les bras et posa son front dessus. Juste quelques instants. Sa tête lui faisait mal mais c'était rien, juste la fatigue. Ca allait passer.

Soghann suivait le Levitis du regard, amusé, l'observant se creuser désespérément la tête à la recherche d'une question adéquate. Il parut tellement soulagé lorsqu'il en trouva enfin une et la posa, que l'assassin failli éclater de rire, devant la mine à la fois soulagée et anxieuse de la réponse qu'arborait le Levitis. D'une voix douce, il répondit :

- Voilà une première question tout à fait correcte et appropriée... Les noms, et surnoms, en disent parfois beaucoup sur les gens. Je me nomme Soghann.

Le Shalos leva un doigt fin ganté de cuir noir vers le plafond, tel un professeur s'apprêtant à donner une importante leçon.

- A présent, la chose adéquate à faire et de vous présenter à votre tour : c'est la moindre des choses. Ha, et pour achever les présentations, trinquer est incontournable.

Alors qu'il disait cela, la serveuse appelée un peu plus tôt déposait deux chopes de bière, remplies à ras bord et débordant presque de mousse, qu'elle déposa devant chaque convive. Après avoir remercié la jeune femme d'un sourire enjôleur, l'assassin empoigna sa chopine et la leva, attendant visiblement que le jeune Levitis daigne faire de même.

Le shalos lui avait répondu, pour commencé c'était déjà bien. Maintenant, il devait se présenter à son tour.

-Me présenter, oui bien sur! Je me nomme Inizi Diwar An Avel. Inizi est mon premier prénom et en général on me nomme par celui-ci. Diwar est le second et enfin An Aval mon nom.

Shogann lança un regard surpris suite au nom du shalos, il ne devait pas s'attendre à si long. Le lévitis se sentait rassuré, pourtant une chose inattendue se mis à le tracasser de nouveau. Il devait trinquer avec le shalos...Shogann, pour lui c'était tout nouveau.
Il n'avait encore jamais bu d'alcool et refuser semblait impossible par risque de froisser son convive.

Inizi Leva son verre et resta ainsi attendant que Shogann fasse le premier geste. IL ne savait aucunement comment trinquer bien qu'il est lu qu'il faille le faire.

Soghann écouta le nom du Levitis sans mot dire. Les nobliaux aimaient à se donner des noms à rallonge, parce que ça faisait plus classe d'avoir des origines connues, et d'être le rejeton d'une grande famille. Évidemment, Soghann, comme la plupart des Shalos, n'avait que mépris pour ces considérations, leur système social étant axé sur le mérite personnel. Il n'y avait aucune place pour la parenté ou la famille, et on pourrait considérer que tous les Shalos étaient orphelins, en quelque sorte.

Après un léger reniflement dédaigneux, le Shalos lança :

- Au peuple Shalos !

Et frappa la chope de son convive avec la sienne, faisant déborder la mousse des deux récipients. Tout en observant la réaction du jeune homme, il cacha son rire dans sa propre chope, dont il prit une large rasade. Il la reposa ensuite sur la table avec un soupir d'aise, et fit d'un ton rieur qui semblait vouloir dire que chaque nouvelle question serait assortie du même rituel :

- Bien ! Question suivante ?

Inizi se dit qu'il devait surement faire de même que le shalos. Comme il pris vraiment du temps pour se décider, comme à son habitude. Soghann avait eu le temps de boire et de lui dire qu'il devait poser une autre question. Cependant le jeune Lévitis ne l'avait pas entendu tellement il était concentré sur ce qu'il devait faire de son verre.

C'est en suivant le rituel du trinquage qu'il leva son verre, tapa dans celui du shalos qui ne bougea pas. Enfin, il dit rapidement un :

-Pour peuple Lévi...

Bu une bonne grosse gorger comme celle du shalos et c'est à cet instant précis qu'Inizi vécu la plus grande peur de ça courte vie.

Le gout de cette boisson étant des plus immonde, il se concentra le plus qu'il pu pour avaler le liquide qui restait dans sa bouche. Hélas, la bière qui à l'instant même était encore dans sa bouche se retrouva projeter dans les airs à la suite d'un "sproach" vraiment très bruyant. Et cela n'est pas le pire, mais ce qui effraya vraiment le Lévitis au point de le faire virer au bleu c'est que cette même bière fut projeter dans le visage du shalos face à lui.

Alors les pensées d'Inizi se mirent à défiler à une vitesse folle dans son jeune cerveau.
***
-Je suis mort!
-Sauve toi, allez sauve toi.
-Je peut pas...Para..Paralyser
-Mais court.
-Mais il va me tuer.
-Dit qu'il que chose alors.
-Quoi? Quoi?
-Quelque chose.
***

-Par...Pardo...do...nez-moi!? Bredouilla inizi tremblant de la tête au pieds.

Alors qu'il première gorgée, le Levitis fit une grimace de dégout intense, mêlée à une détresse profonde. Le Shalos n'eut que le temps de fermer les yeux avant que la salve ne l'atteigne en plein visage, maculant ses cheveux et sa peau. Lorsqu'il rouvrit les yeux, sont regard se posa sur le jeune Levitis, et l'intensité de ses yeux bleus semblait telle qu'elle aurait pu transpercer l'âme même d'Inizi. Le Shalos du faire un effort pour se contrôler, son premier réflexe ayant été d'essayer d'étriper le Levitis. Au lieu de ça, il prit le parti de faire encore plus peur au jeune homme qui bredouillait des excuses, déjà bleu de terreur.

D'un geste posé, il utilisa sa manche pour s'essuyer le visage, et lâcha sur un ton très calme :

- J'imagine que c'est une coutume Levitis... Il est étrange que je ne la connaisse pas, d'ailleurs, étant donné que j'ai déjà trinqué avec des représentants de ce peuple sans pour autant subir de jets impromptus.

Un sourire dangereux découvrit les dents immaculées du Shalos, et il continua sur un ton qui devenait plus inquiétant à chaque seconde.

- Mais laissez moi partager mon savoir concernant les coutumes étranges.

Sans que rien dans son attitude n'ai pu prévenir l'assistance, le Shalos lança un bras gauche interminable vers le Levitis. Sa main se referma sur le col de sa cape, et l'assassin, d'une poigne de fer, attira à lui le jeune homme, l'étalant à plat ventre sur la table. Alors que les deux visages n'étaient plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre, une lame apparut entre les deux, manifestement aiguisée à diable. Le Shalos la tenait dans sa main droite, d'une main ferme et assurée : nul n'aurait pu dire d'où il la sortait.

- En Shalanos, et surtout chez moi, il est sacrilège de gaspiller de la boisson... En oubliant que cette bière ne vaut guère plus que de la pisse de Moo. En Fedoran, lorsque l'on se balade dans le désert, gaspiller l'eau peut valoir la mort. Mais un autre châtiment, là-bas, est bien connu.

Tandis qu'il continuait de parler sur un ton maintenant bas et enjoleur -quoique gardant une menace palpable-, le plat de la lame glacée caressait la joue imberbe du jeune homme.

- Les traîtres, les esclaves, les plus bas que terre, reçoivent le nom d'infâmes, et se voient tatouer sur le visage la marque de leur infamie. Je n'ai pas d'encre sous la main, mais si l'on s'adapte à la mode Shalos, cette lame fera parfaitement l'affaire. Elle est suffisamment effilée, et moi suffisamment adroit, pour que l'on t'appelle tout ta vie "l'écorché", et que chaque jour, tu éprouve la douleur de voir se rouvrir tes plaies.

Le Shalos se délectait de la terreur grandissante qu'il voyait au fond des yeux d'Inizi. Au fond de lui, il n'avait aucuen intention de mettre sa menace à execution, et seule sa parfaite maîtrise de soi l'empêchait d'éclater de rire devant la mine décomposée du Levitis. Le Shalos observa une pause dramatiquement théâtrale, ayant distraitement conscience que les tables avoisinantes retenaient leur souffle en ne perdant pas une miette du spectacle.

- A moins que... -Nouvelle pause théâtrale- A moins que tu ne finisse ta bière -attention, comme un homme, cette fois-, que tu m'en offre une autre, et enfin que tu fasse preuve d'une ingéniosité grandissante dans tes prochaines questions.

Tapotant la tempe d'Inizi du plat de sa lame, l'assassin sourit, et prit un ton rassurant :

- Allons, je sais que tu en es capable.

Puis, enfin, il lâcha prise, permettant au Levitis de retomber en arrière, le cul sur sa chaise, la tunique maculée de bière renversée.

Tremblant de tous ses membres, Inizi resta assis là sur sa chaise. Il était toujours en vie, mais cela pouvait s'expliquer de différente manière. Déjà, il ne le tuerais pas dans le milieu de la taverne avec des mercenaires partout autour d'eux. enfin, c'est ce que Inizi ce dit. L'autre chose qui lui permettait de rester en vie était son insouciance et sa naïveté.
Assis devant le shalos qui le regardait de ses yeux de glaces. Le jeune Lévitis se repassait ces idées en tête, tentant du mieux qu'il le pouvait de se rassurer. Il ne risquait rien, enfin pas la pire des choses qui puissent lui arriver.La mort. Puis si il était blessé, même gravement, il pourrait toujours se soigner. Tout ces pensées rassuraient le Lévitis qui tremblait de moins en moins.

Maintenant il se devait de satisfaire les envies de son convive, de manière à prolonger la discutions. Se levant il pris la direction du comptoir. Appela la serveuse et lui commanda deux bières à servir à leur table. Il attrapa alors le bouquin qu'il gardait en permanence sur lui, le posa devant lui sur le comptoir et commença à le feuilleter en recherche d'une solution. Solution, qu'il connaissait déjà.
Ce livre, il le Manipulait depuis tant d'année qu'il le connaissait sur le bout des doigts. c'est à cet objet qu'il devait sa servit depuis toujours, enfin depuis le jours ou il en avait fait l'acquisition.
C'est après 5 minutes passé au comptoir qu'il pris de nouveau la direction de la table, sur de lui, et surtout sur de ses dons.

De nouveau devant Soghann dont le regard n'avait pas changer. Inizi pris son verre à la main, le leva et cette fois d'une voix sûr dit :

-A la santé de la reine!

Puis il bu une bonne gorger de bière. Le gout n'avait pas changer, c'était toujours aussi infecte. Cependant son petit tour faisait son effet et le sens du gout d'Inizi se dissipa peu à peu jusqu'à ce qu'il ne ressente plus rien. Plus aucun gout, juste un liquide légèrement gazeux qui était là dans sa bouche. Il avala, regarda Soghann et lui dit :

-Pourriez vous me parle de votre peuple je vous pris? De vos coutumes, de ce qui fait que vous êtes vous?

Il pensa à rajouter "pour l'effort que je vient de faire", mais après une courte réflexion se dit que cela ne l'aiderais pas à obtenir la confiance du shalos. Ceci faisait partir des déductions qu'il avait tirer au contact de Soghann : Les shalos n'aiment pas la vantardise, la faiblesse et surtout tout ce qui est innée et non acquis. Enfin, c'est ce que le caractère du shalos assis face à lui laissait entrevoir.

Sans sourciller, bien qu'avec un demi-sourire, l'assassin observait le Levitis tandis que celui-ci s'executait. Par devers lui, il admirait le contrôle qu'exercait sur lui-même le jeune homme : pour quelqu'un qui ne devait pas avoir rencontré beaucoup d'hommes aussi dangereux, ni d'aussi menaçant (car Soghann savait se montrer particulièrement menaçant, s'il le désirait), le Levitis n'avait pas perdu le contrôle de sa vessie et était même parvenu à s'empêcher de trembler comme une feuille.

Pour l'heure, l'assassin l'observait, sans mot dire. il sentait que le levitis avait quelques tours dans son sac, et il entendait bien le pousser à lui en montrer quelques-uns. Curiosité professionnelle, sans doute. Lorsque Inizi fini par poser ses questions, le Shalos répondit en faisant la moue.

- Voilà une question bien vague. Nous sommes des Shalos, parce que nous avons été "élevés" comme tels. C'est notre culture qui fait de nous ce que nous sommes, de bien des manières différentes. Peut-être l'influence des Ombres y est-elle aussi pour quelque chose...

Un sourire énigmatique s'afficha sur le visage de l'assassin, tandis qu'il attendait de voir la réaction du levitis à la mention des "Ombres". Il était de notoriété publique que ces mystérieuses entitées étaient très dangereuses et avaient un lien mystérieux avec les Shalos, que seuls parvenaient à partager les sorciers de l'école de l'Ombre.

Au bout de quelques minutes d'immobilité, Fanaa releva la tête, soupira et se leva mais oups! eut légèrement le tournis. Elle mit sa main sur ses yeux et la désagréable sensation disparut. Elle-même se sentait bien mais son corps lui, criait de fatigue. Ce corps qu'elle détestait dans ces moments là. Cet idiot n'en faisait qu'à sa tête!

- C'est bon Kraa, je rentre.

La jeune femme prit le chemin de la taverne de Veis. Elle aurait voulu courir mais ses jambes s'y refusaient, alors elle se contenta d'avancer du pas le plus rapide qu'elle put. Le Krobeau tint à l'accompagner durant le trajet, ne la quittant qu'une fois qu'elle se trouva à la porte même de la taverne. Essoufflée.

Fanaa entra dans la grande salle, se dirigea vers la table de Soghann -celui-ci fixait intensément le Levitis et semblait attendre quelque chose, une réaction probablement- et se laissa tomber sur le banc à côté de lui. Elle aurait préféré s'installer de façon moins malpolie mais ses muscles ne lui obéissaient plus. Sa gorge était sèche, elle attrapa la chope de Soghann mais il l'avait déjà bue. Levant le récipient vers sa bouche, elle s'attela à récupérer les dernières gouttes puis reposa la chope.

Elle posa sa tête sur l'épaule du grand shalos et soupira. Son regard vague se posa sur le Levitis mais elle ne le voyait pas vraiment. Ses paupières étaient lourdes, son esprit s'engourdissait. Ce sommeil plus puissant que sa volonté l'énervait au plus haut point. Elle se sentait dériver et ce n'était pas le moment car elle avait quelque chose à dire à...

- Soghann... mets moi une claque...

Il n'y avait pas beaucoup de volonté dans sa demande, la fatigue ennemie arrivait même à faire disparaitre le timbre d'urgence qu'elle avait voulu donner à sa voix. Envie de dormir. Du plomb sur tout le corps. Du brouillard dans l'esprit. Pourquoi, par les lunes pourquoi? Sa tête était si lourde. Ses paupières n'étaient pas baissées mais son regard tellement brumeux qu'elle ne distinguait plus rien. Soghann. Lui parler. Syld. Vite. paupières si lourdes...

L'assassin observait le Levitis griffoner dans son carnet sans lui poser d'autres questions, lorsque Fanaa fit son entrée. la jeune femme vint s'assoir avec un air de total épuisement à la table qu'occupaient Soghann et Inizi. Le Shalos jeta un oeil amusé à la belle qui s'endormi aussitôt en marmonnant, tout en observant du coin de l'oeil la réaction du clerc.

- J'ai bien l'impression que cette jeune dame a besoin d'un peu de sommeil. Il étouffa un baillement loin d'être feint. Excuse moi, mais la nuit fut fort agitée, et j'ai moi-même besoin de quelques heures de repos dans un lit décent.

Sans attendre de réponse, il se leva, puis prit Fanaa dans ses bras, la portant comme une... princesse. Délicatement, il la transporta à travers la pièce, puis monta l'escalier en prenant garde à ne pas heurter quoi que ce soit.

Syld avait besoin de sommeil, autant garder Fanaa avec lui pour l'instant... Il n'allait pas le déranger dans son repos. Quand à Inizi, voir le Shalos monter avec une femme endormie lui donnerait peut-être quelques idées sur les coutûmes sexuelles de son peuple, se disait Soghann en arborant un demi-sourire, tout en vérouillant la porte de sa chambre.

Avec douceur, il déposa la jeune femme sur son lit, puis lui retira ses vêtements afin qu'elle soit plus à l'aise. Ses doigts fins procédaient légèrement, sans heurt et avec une habileté digne d'éloge, ne provoquant rien d'autre que quelques frissons aux endroits opportuns. Cette tâche terminée, il recouvrit Fanaa d'une chaude couverture, puis se mit en devoir de retirer une partie de ses vêtements. Les couches superficielles étaient encrassées de la poussière du voyage, et quelques tâches sombres -presque invisibles sur le tissu noir- marquaient encore ses manches du sang de Kirin. Finalement, il ne conserva qu'un sous-vêtement noir.

Ses vêtments contenant encore son arsenal, ainsi que son sabre, furent déposés sur une chaise qu'il plaça à portée de main du lit. Machinalement, l'assassin glissa une dague de lancer sous son oreiller, puis s'allongea avec un soupir de contentement.

*Enfin une couche confortable...*

Les heures passèrent tandis que la poitrine de Fanaa se soulevait à un rythme régulier. La jeune femme était profondément endormie et n'avais pas même remarqué qu'elle avait été déplacée. Dans son sommeil, elle rêvait...

Une silhouette se mouvait dans la lueur du soleil couchant, ses gestes déliés, gracieux, étaient comme une ode à l'astre du jour, une ode dansée. Aquarelle dansait pour tout : pour le jour, pour les étoiles, pour les autres habitants de village, pour l'eau, pour les ténèbres, pour le vent, pour les lunes, pour la mort, pour la danse elle-même, et surtout pour sa fille bien-aimée.
Fanaa s'approcha. L'apercevant du coin de l'oeil, Aquarelle esquissa une dernière arabesque et s'arrêta. Elle respirait vite sans être essouflée. Un fin voile de transpiration faisait vibrer sa peau et dans sa poitrine son coeur battait à toute allure mais avait commencé à rechercher un rythme plus lent. Elle sourit à Fanaa et lui tendit la main. Son regard bleu myosotis dans les iris violet profond de sa mère, Fanaa s'avança et la saisit, répondant à son sourire. Pendant quelques instants, elles ne parlèrent pas, se contentant d'être réunies, puis Fanaa laissa tomber rêveusement :
- Si j'avais pu avoir tes yeux...
- Pourquoi dis tu cela?
Aquarelle pencha la tête sur le côté, interrogatrice.
- Leur couleur, ils sont vraiment magnifique, je trouve. C'est comme si ils étaient magiques.
Aquarelle tressaillit légèrement à ces mots et répondit précipitament :
- Et moi je suis heureuse au contraire qu'ils soient différents. Je préfère tes yeux bleus, ils sont tellement plus ... rassurants.
- Peut-être... mais je voudrais être belle comme toi.
Aquarelle lui caressa doucement les cheveux, ceux de Fanaa étaient d'un noir insondable, tandis que les siens avaient une couleur roux profond, ils flamboyaient avec le soleil derrière elle mais sinon ils étaient presque rouges. Deux teintes diamétralement opposées, mais leur épaisseur et leur nature bouclée était les mêmes.
- Tu es belle ma chérie. Et puis ce n'est pas ça qui est important... tu ne cherchais pas quelqu'un?
Soudainement, Fanaa se rappela la disparition de Syld, le carrosse...

Et s'éveilla. Dans un lit!? Et... sans vêtements? Oh non! Elle se roula en boule et tenta de se rappeler. Etait elle encore à Fedoran? Mais non elle était revenue à le taverne et Elle se redressa d'un coup... Syld! Oui, Syld! Elle devait le dire à Soghann et... tournant la tête, elle le vit allongé auprès d'elle, dormant du sommeil du juste. Elle se sentit fondre devant ce spectacle. Restant immobile quelques instants, elle se mit à le détailler : son visage n'était pas tout à fait détendu car même endormi il était prêt à bondir, sa cicatrice barrait son torse par ailleurs irréprochable, une légère étoffe noire gardait ses bijoux de famille à l'abri tel un écrin de soie d'où sortaient ses deux grandes jambes pâles. Fanaa soupira doucement *comme tu m'as manqué...*

Elle devait lui dire pour Syld, mais comment faire? jamais elle n'oserait se permettre de le réveiller alors qu'il dormait si bien! Plus elle le regardait et plus elle avait envie de le dessiner. Ses yeux balayèrent la pièce à la recherche de son sac. Il n'était pas à sa portée, tant pis.

Doucement, tout doucement, elle extirpa le haut de son corps de la chaleur de la couverture et en faisant très attention elle se rapprocha de l'assassin. Progressant millimètre par millimètre pour ne pas le couper du sommeil, elle se retrouva tout près de lui, approcha son visage du sien, sentit son souffle chaud sur l'ourlet de sa lèvre, se rapprocha encore et déposa, le temps d'un instant, fugace comme un pétale de rose porté par la brise qui aurait caressé les lèvres du grand shalos, un baiser. Puis posa bien vite sa tête sur son épaule et du bout des doigts, se mit à parcourir la longue cicatrice...

- Décidément, tu es particulièrement douée pour ce genre de choses...

Il avait presque renversé une des serveuses en entrant dans la taverne.
En temps normal, Syld aurait réussi à éviter la jeune femme : il l'avait bien vue qui marchait sans s'occuper de ce qui se trouvait devant-elle, trop occupée qu'elle était à surveiller si un des clients déjà attablés avait besoin de quelque chose.
L'assassin l'avait vue, oui, mais ses muscles avaient refusé de répondre et c'est tout juste s'il était parvenu à ne pas envoyer la fille sur le parquet, et lui avec.

Les deux jeunes gens s'étaient confondus en excuses ("Veuillez me pardonner... Non, c'est moi qui... J'aurais dû faire plus attention... Je suis si distraite... etc, etc.") avant de reprendre chacun leur chemin.

Ces escaliers avaient-ils toujours été aussi interminables ? Le Shalos commençait à se le demander lorsqu'enfin il avait posé le pied sur la dernière marche.

Il avait hésité un instant devant la chambre numéro vingt-trois. La clef ne faisait pas partie des affaires qu'il avait eu la présence d'esprit de récupérer, cependant la porte devait être restée ouverte...

Finalement, le jeune homme avait fait les quelques pas supplémentaires qui le séparaient de la chambre de Soghann. Ce dernier n'avait pas pris la peine de verrouiller derrière lui, et la raison apparut assez clairement à Syld lorsqu'il entrebâilla silencieusement le battant : son compère avait eu les mains trop occupées à ce moment-là...

L'assassin était resté appuyé au chambranle juste quelques instants, le temps que ses dents veuillent bien se déserrer sur une réplique mordante.

- ... Très douée, oui... très...

Un ricanement sardonique le secoua.
Puis le ricanement se mua en un fou-rire nerveux, et le Shalos dut s'adosser au mur dans le couloir tout en se retenant d'une main au montant de la porte pour ne pas dégringoler.

- ... très professionnelle, en fait !

Fanaa continua le léger mouvement de va et vient en se demandant quand Soghann allait enfin ouvrir les yeux. Il fallait qu'elle lui dise pour Syld, mais elle n'arrivait pas à se décider à brusquer le grand shalos.
Un mouvement attira son regard et en tournant la tête, elle reconnut le chenapan. Elle cligna des yeux, il était toujours là. Elle se redressa en souriant, prête à lui demander où il était, ou alors à quémander son pardon, elle tapota le bras de Soghann et lança joyeuse :
- Il est revenu!

Les bras croisés, Syld posait sur elle et Sogh un regard bizarre un peu fou. Il marmonna des mots qu'elle ne comprit pas -ou que son esprit se refusa à entendre- puis après un rictus s'en retourna dans le couloir. Il n'avait pas repoussé la porte et elle entendit de nouveau ses paroles indistinctes, ce qui l'inquiéta. Il ne semblait pas dans son état normal. Mais il était de retour! Fanaa sauta du lit et se précipita dans le couloir. Soghann l'ayant déshabillée elle n'avait que ses dessous sur elle mais comme elle ne comptait pas rester longtemps dehors, elle s'en contenta. Ramener Syld était plus urgent. Le retrouver près d'elle, tout près, enfin.

Il était là, adossé au mur, ne semblant pas stable sur ses jambes. En le voyant ainsi, Fanaa prit peur. Pour lui. Il fallait aller tout doucement, qui savait ce qu'il avait vécu durant son escapade? Fanaa fit le tour du jeune homme et d'un geste très lent, elle approcha ses mains de lui et saisit tout doucement ses poignets.
Elle sentait qu'elle ne devait pas l'affoler, il avait une expression indéchiffrable, presque inquiétante. Fanaa lui murmura quelques mots qu'elle voulait apaisants :

- Tu es revenu Syld, c'est fini maintenant. Je te demande pardon pour tout. Viens dans la chambre, on va s'occuper de toi, tout ira bien, tu verras...

Sa demande était presque une supplique, plus elle le regardait et plus elle avait peur pour lui. Fanaa ne voulait pas le voir ainsi, elle souhaitait retrouver son Syld!
Mais pour cela, il fallait qu'il vienne, qu'il se repose, qu'il se laisse aller sur les épaules de Soghann et elle...

- Viens...

- Ne t'approche pas de moi !

Il retira ses poignets d'un coup sec en réprimant un tressaillement.

- Et ne me touche pas. Vas...

Syld fit un pas de côté pour s'écarter de Fanaa puis recula en secouant la tête. Derrière la vague de cheveux fous qui lui balayait le visage, son regard avait un éclat fiévreux.

- Vas-t-en !

Il se détourna brusquement et prit quasiment la fuite jusqu'à sa chambre qui, en effet, était restée ouverte. Mieux encore : la clef était restée sur la porte, à l'intérieur.
Adossé au battant qu'il avait claqué derrière lui, Syld tendit la main vers la clef et en donna un tour dans la serrure. Les gants qu'il avait remis presque machinalement après avoir récupéré ses affaires étaient rendus si glissants par le sang qui les imprégnait qu'il dut s'y reprendre à deux fois avant que le pêne ne veuille bien s'engager dans la gâche avec un grincement de protestation.

Le jeune homme leva à demi sa main gauche. Il aurait sans doute fallu retirer le gant... et ce qui restait des griffes encore accrochées à ses doigts.
Syld n'avait pas besoin de les voir pour sentir qu'il avait au moins la moitié des phalanges qui s'étaient brisées net comme des brindilles sèches. Du moins, il avait évalué les dégâts à cette hauteur avant que son bras ne s'engourdisse.

Le jeune homme prit une inspiration et quitta le soutien de la porte.

Il avait failli tourner de l'oeil après avoir heurté la serveuse à peine passé le seuil. Une chance qu'il ait mit son manteau avec le côté noir apparent : cela lui avait épargné de désagréables explications...

D'une démarche mal assurée, le Shalos alla s'asseoir sur le lit.
Quelqu'un de sensé aurait commencé par chercher un clerc plutôt que d'aller s'enfermer dans une chambre. Syld n'était pas stupide, mais il ne s'attendait pas à tomber sur Fanaa en premier.

Il se laissa choir sur les draps qui commencèrent aussitôt à se teinter de rouge, sa main valide crispée sur son flanc et les dents serrées pour réprimer une plainte.
Syld était de constitution plutôt frêle en dépit de sa vigueur... et après avoir encaissé un coup d'épée pareil, un colosse se serait effondré. Si le jeune homme avait pu rester sur pied, c'était uniquement grâce à une volonté de fer, une volonté typiquement héritée de Shalanos, là où mettre un seul genou au sol signe l'arrêt de mort.

"Mais qu'est-ce que je fais, là ? Qu'est-ce que je fais, par les trois lunes ?!"

La pièce parut chavirer devant son regard.
Le jeune homme ferma les yeux pour ne plus voir la danse des ombres qui semblaient prises de folie entre les poutres du plafond.

La grimace de dégoût et d'horreur qu'afficha Syld en rompant précipitamment le contact choqua Fanaa. C'était comme si elle était un monstre... qu'avait elle fait qui le mette dans cet état? Elle ne se souvenait rien de si grave. Elle tendit de nouveau la main vers lui mais il tituba rapidement jusqu'à sa chambre et s'y enferma. Difficilement d'ailleurs. Etant accourue derrière la porte, elle avait entendu la clé jouer difficilement dans la serrure.

Elle avait sa mine, son regard, sa démarche peu assurée, il était blessé. Si elle en avait encore douté, il lui aurait suffi de regarder la paume de sa main. Il y avait du sang du chenapan dessus.
Faisant demi tour, elle retourna dans la chambre du grand shalos et lui lança, tandis qu'elle enfilait sa robe :

- Soghann vite! Syld est blessé! Il a fermé sa chambre à clé, fais quelque chose! Il ne va pas bien du tout!

Elle ajouta à toute vitesse sans se soucier d'être cohérente. Ce qui comptait était d'agir dans l'urgence!

- Je venais te dire qu'il était parti avec des gens dans un carosse vers Levitas mais je me suis endormie je suis désolée et maintenant il y a du sang! Regarde ma main! Vite Soghann!

Elle était déjà de nouveau plantée devant la porte de Syld.

- Soghann va trouver quelqu'un pour te soigner, ne t'inquiéte pas. Ne bouge plus, il va vite arriver. Mais ouvre la porte, ouvre Syld. Il faut que tu laisses entrer le soigneur!

Soghann avait beau être fatigué, il avait toujours le sommeil léger. Aussi s'éveilla-t-il en même temps que Fanaa, sans le lui laisser deviner. Il était agréable de rester au lit et d'être caressé ainsi... C'était... reposant. A la lumière qui filtrait entre ses paupières, il devinait qu'on était déjà en milieu d'après midi. Il avait donc dormi quelque chose comme huit heures. Appréciable.

Un léger courant d'air sur sa peau nue lui indiqua que quelqu'un avait ouvert la porte, et la voix lui apprit de qui il s'agissait. Ce qui le surprit davantage, c'était le ton employé. Tandis que Fanaa sautait du lit pour aller à sa rencontre, l'assassin se redressa, s'asseyant jambes croisées sur le matelas. Songeur, il observait les "retrouvailles", qui s'avéraient aussi "intéressantes" qu'il ne l'avait redouté. Mais ce n'était pas à lui d'intervenir, pas tout de suite.

Syld s'échappa et alla se réfugier dans sa chambre, tandis que Soghann acquérait la certitude qu'il était blessé : quelques traces de sang, son tein plus pâle qu'à l'accoutumée, sa fatigue... Quelque chose n'allait pas. Tandis que son esprit vagabondait à la recherche d'une explication, l'assassin enfilait rapidement et sans y penser pantalon et bottes, sans prendre la peine de revêtir un haut.

Fanaa revint alors, visiblement affolée, papillonnant de panique, lui disant à une vitesse folle des choses qu'il avait soit déjà entendues soit comprises de lui-même. Syld était visiblement parti pour une balade qui avait mal tourné, et la seule nouvelle information était ce que Fanaa avait vu des évènements. Sans qu'il eu le temps de répondre, elle reparti vers la porte de Syld, où le grand Shalos la rejoignit. Il lui posa les mains sur les épaules et la tourna fermement face à lui, lui disant sur un ton non moins ferme :

- Laisse moi faire. Toi, descends chercher un clerc. Le Levitis à qui je parlais ce matin en est un, il y sera peut-être encore. Dépêche toi.

Puis, sans autre parole, il fit volte face et entra de nouveau dans sa chambre. Avec des gestes précis et déterminé, il ouvrit la fenêtre et monta sur l'appui. La fenêtre de Syld n'était qu'à quelques mètres, rien qui ne puisse faire peur au funambule habitué à se promener sur les toits qu'était Soghann. D'un bond félin et étonnamment silencieux (déformation professionnelle), il s'accrocha à l'appui de la fenêtre ouverte de son compagnon. Une seconde plus tard, il atterrissait sur le plancher de la chambre, qui n'émit pas un bruit.

Repérant aussitôt Syld allongé sur son lit et la tache sombre qui s'élargissait sur sa gauche, il s'approcha de lui, et, tout en arrachant une bout de drap, fit :

- Les explications viendront plus tard. Parons au plus urgent.

Par geste précis, il confectionna un garot qui stoppa l'hémorragie au niveau du coude, empêchant son compagnon de se vider de son sang, puis se mit en devoir de nettoyer la plaie. Le gant retiré, toute la gravité de la situation apparut à Soghann : les doigts de la main gauche de Syld n'étaient plus qu'une bouillie sanglante, os, chair, sang et métal se mêlant dans une anarchie écœurante. Réprimant une grimace (il en avait vu d'autres, après tout... Cela dit, il préférait toujours infliger des blessures nettes et mortelles), il se mit en devoir de retirer les quelques bouts de griffes qui restaient incrustés dans la chair. Ses doigts fins et sa dextérité firent merveille, tandis que les bouts de métal tintaient sur la table de nuit. Sa besogne terminée, le Shalos alla déverrouiller la porte, espérant que Fanaa aurait trouvé un clerc au cours des quelques minutes que tout cela lui avait prit.

Puis, son regard scrutateur revint sur Syld, et le Shalos lança sur un ton qui demandait une réponse claire et immédiate :

- D'autres blessures ?