Confins du Désert Rouge - les grottes de Leviathan

Elle courait dans des couloirs sans fin, ils n'étaient pas bien éclairés, elle pouvait tomber à tout moment mais n'y faisait pas attention. Fuir, fuir, loin, le plus vite possible. Fuir ? Fuir quoi ? Elle n'arrivait pas à s'en souvenir, seul un sentiment d'urgence et de danger imminent la guidait.
Elle entendait des pas qui se rapprochaient, une odeur de pourri imprégnait l'atmosphère. Elle sentit une main décharnée agripper sa cheville et la faire tomber sur le dallage froid. Mellyna tenta de faire lâcher prise à la chose mais en vain. Elle ne réussit qu'à se retourner. Et là, elle la vit, elle se vit. La chose était en fait une vieille dame d'un âge indéfinissable mais si vieille qu'elle paraissait pouvoir tomber en poussière à tout moment.

-Mellyna ! Pourquoi ne m'aides-tu pas ? Tu peux surement faire quelque chose !

-Non, non. Je ne sais pas comment le faire, je ne sais pas quoi faire, je te le jure ! Je ferais tout pour toi Mellany, tu le sais ! La forêt ne me permettra pas de t'aider plus...

-Menteuse !

La troisième voix venait de devant elle, une momie au sourire glacial, figé, la toisait de tout son haut en ricanant. Puis ce fut Lor qui apparut, un doigt accusateur pointé vers la dédrane toujours au sol.

-C'est toi qui nous a tué. Tu as pris nos vies pour continuer ta pitoyable existence. Ces années ne te suffisent pas ? Tu en veux toujours plus ! Tu n'es qu'un assassin ! Un tueur ! Un monstre !

-MONSTRE !!!

Ce dernier mot avait été prononcé par tous à la fois. Pourtant ce cri venait de ses souvenirs, pas d'un cauchemar, un cri si réel, si déchirant. C'est comme si on voulait lui arracher le cœur, la briser en mille morceaux. La souffrance physique était insupportable.

La dédrane se réveilla en sursaut dans son lit improvisé. Elle avait failli hurler mais aucun son n'était sorti de sa gorge serrée. Elle tenta de calmer son cœur, encore sous le choc, écouta les bruits de la nuit, le vent, les insectes... Elle décida qu'il fallait qu'elle fasse un tour dehors pour se changer les idées. Elle se releva avec la souplesse d'un chat et commença, sans bruit, à gagner l'entrée de la demeure. Quelle heure était-il ? Fanaa n'aurait pas manqué de la réveiller, si ?
Le petit lézard attaché à son coup s'agita dans son sommeil mais ne se réveilla pas. Faisait-il des cauchemars lui aussi ? Ou rêvait-il de viande et de soleil ?

Du mouvement.

*Vite ! Sors de là avant qu'on te voie !*

Elle s'extirpa en vitesse du lit, prit garde à bien remonter la couverture sur le Levitis et se dépêcha de rejoindre Mellyna avant que celle-ci ne sorte de la maison. Elle lui posa la main sur l'épaule.

- Mellyna ? Je suis désolée je ne savais pas à quel moment te réveiller. Oh mais ... tu te sens bien ? Tu as une petite mine ...

Fanaa repoussa une mèche de cheveux de Mellyna sur son épaule. Ses cheveux étaient devenus blancs, mais la Dedran avait la chance de les avoir gardés longs, si longs ...

- Tu veux te reposer encore ? Tu peux passer ton tour de garde si tu veux, je ne me sens pas fatiguée.

C'était vrai. Fanaa était incapable de fermer l'oeil, de se laisser aller. Et ce, pour la même raison que Mellyna : les cauchemars qui guettaient ...

La gardienne frissonna au contact sur sa peau, malgré le fait qu'elle reconnut immédiatement la voix :

-Ca va, juste un cauchemar. J'en fais souvent ces derniers temps. Rien de grave ne t'inquiète pas.

Elle jeta un coup d’œil dehors, les lunes étaient cachées mais on pouvait voir certaines étoiles.

-Tu as largement dépassé ton tour de garde Fanaa, ce n'est pas sérieux. Tu dois te reposer toi aussi.

Le ton était juste légèrement réprobateur, elle n'était pas en état de se disputer avec qui que ce soit.

- Bizarrement, physiquement, je me sens mieux, de mieux en mieux en fait, c'est déjà ça !
Je vais prendre mon tour de garde, comment vas le seigneur Earl ? Sa fièvre est-elle remontée ?

Tout en chuchotant, Mellyna était partie chercher une petite lampe pour s'éclairer pendant sa veille. Elle voyait bien dans l'obscurité mais pas dans le noir total. Il lui fallait un peu de lumière pour veiller efficacement le jeune homme.

- Il a ouvert les yeux et dit qu'il avait mal à la tête. Il avait froid aussi, je peux lui rajouter ta couverture maintenant que tu es réveillée s'il te plait ? Moi je n'en aurai pas besoin.

Fanaa rajouta la couverture de la Dedrane sur Earl puis s'assit au sol vers le pied du lit. Elle avait envie de discuter avec Mellyna mais il lui semblait que la femme avait envie d'être tranquille.

- J'ai l'impression que tu as moins de rides ...

La Danseuse laissa aller sa tête en arrière sur le matelas et regarda le plafond. Pour la même raison que Mellyna, elle ne voulait surtout pas s'endormir. Elle pensait savait quel cauchemar attendait une faille de sa part et ne voulait surtout pas y céder.

- Que tu l'aies fait pour moi, pour toi ou pour lui, ce n'est pas cela qui compte. Ce qui compte c'est que tu l'aies fait, point. Et pour cela, sincèrement je te remercie.

Les yeux de Mellyna se mirent à briller :

-C'est vrai ? Merci Fanaa ça me rassure !

Sous le coup de l’euphorie, la suite de la conversation mit quelques secondes à arriver au cerveau.

-De rien, de rien, n'en parlons plus.

Mellyna se tourna vers son patient, toute sa bonne humeur s'évapora en un instant, sa concentration était totale, tellement que son front se plissait sous l'effort. Ses mains étaient glaciales, pas pratique pour prendre la température de quelqu'un. Elle se pencha et posa sa joue contre celle du lévitis, la gauche, qui n'avait pas une boule de fourrure pour la chauffer.

-La fièvre est remontée, l'efficacité du médicament doit commencer à baisser. Je vais en refaire. Pour le mal de tête, ça peut-être la faim ou la déshydratation, j'espère que ce n'est que ça.

Elle prit sa petite lampe à huile et partit vers la paillasse. Elle avait tout laissé en place pour travailler plus efficacement, elle rangerait quand Fynarine pourrait reprendre la direction des opérations.

*Voyons, des plantes pour le mal de tête, d'autres pour la fièvre, les dernières pour le décontracter sans lui embrumer l'esprit. Du bouillon pour la faim et l'hydratation.*

La dédrane savait déjà quelles plantes utiliser, elle fut bien plus rapide qu'en début de journée. En quelques minutes à peine tout fut prêt. Elle aida Earl à boire les potions et une partie du bouillon.
S'occuper de quelqu'un lui faisait du bien, la réalité chassait les cauchemars.

Les dernières heures de la nuit s'écoulèrent dans le calme. Pas un frémissement de cil ou le moindre soupir ne vint troubler la veille attentive des garde-malade, tout juste y eut-il quelques trilles de la part du kirika qui devait rêver à son prochain bain de poussière.

Enfin, le ciel commença à s'éclaircir au-delà des crêtes noires des plateaux. Quelques rais de lumière couleur d'or filèrent par les gorges, venant frapper les murs du village.

Le kirika ouvrit des yeux brillants, les oreilles déjà bien alertes. Gonflant sa fourrure avec décision, il se dressa sur ses pattes, tortilla un peu son arrière-train, puis bondit droit sur la tête de Fanaa. Nul besoin de parler le kirik pour traduire l'air de tambour qu'il jouait sur son crâne par "Manger ? Manger !".

- Gnnn...

Dans un froissement de couvertures, Earl se retourna à demi.
Ni une ni deux, la boule de poil atterrit sur sa joue et entreprit de le réveiller à coups de pattes frénétiques.

- Agnn !

D'un revers de main, le Lévitis envoya bouler l'animal par terre. Ce traitement ne découragea nullement la bestiole qui décida d'aller sauter dans les jambes de Mellyna avec une énergie redoublée.

Earl cligna des yeux tout en se redressant sur les coudes. Les cheveux dans la figure et la mine pas franchement éveillée, il avait soudain autant l'air du matin qu'un Syld tiré du lit aux petites heures après une nuit à la taverne.

Mellyna rit en attrapant le petit animal d'un geste rapide' précis et délicat.

-Héla, tout doux toi. La nuit a été dure, il ne faut pas nous brusquer comme cela.

Tout en étouffant un nouveau rire, elle s'approcha à pas de loup et vint déposer l'animal sur l'épaule de l'eyerash.

-Quoi ! Qui est là ? Qu'est ce que c'est que ce truc !
Ah un kirika...

Thani, tourna une tête fatiguée, aux cheveux hirsutes, dans tous les sens avant de tomber sur les yeux pétillant de malice de la dédrane à quelques centimètres de lui. Il grommela :

-Tu aurais pu choisir mieux comme réveil.
-Toi qui aime les animaux, je me suis dit que justement ce serait à ton goût.
-Mumf !

L'homme s'était souvenu à temps qu'il y avait trop de monde autour pour réclamer un baiser de bon matin, surtout au vu de l'effet que Mellyna lui faisait au réveil. Il avait été avisé de ne pas jeter ses couvertures sous le coup de la surprise.

-Mellyna, ton visage ! Tu as presque récupéré ton apparence !
-Oui, Fanaa me l'a dit cette nuit, mais je suis contente que tu ais remarqué.

Elle fila en chantonnant vers l'établi pour préparer le petit déjeuner, il y avait suffisamment de restes de la veille.
Bizarrement cette nuit, moitié de repos, moitié de veille, lui avait rendu sa bonne humeur. Ou était-ce juste le fait que son visage était presque redevenu normal ? Peut-être les deux. Avec le soleil les cauchemars semblaient si loin et ternes.
Elle laissa le temps au lévitis de se réveiller avant de lui porter à manger. Au vu de sa tête, elle avait peur de se faire recevoir même avec un simple bonjour.

Fanaa fut tirée de sa torpeur par une boule de poils à ressort atterrissant sur le haut de son crâne.

- hé ?

Déjà la bestiole s'était sauvée pour enquiquiner Earl et Mellyna, faisant savoir à tout le monde qu'il était réveillé et affamé. Heureusement, la Dedrane l'emmena voir Thani. Pendant ce temps, Fanaa se mit sur ses genoux et s'avança vers Earl dont elle prit la main. Elle l'observait avec une tendresse inquiète. C'est qu'il n'avait pas l'habitude de se montrer aussi pâle et défait, c'était étrange et anormal. Mais après ce qui lui était arrivé la veille, c'était compréhensible.

- Bonjour Earl. Comment te sens tu ? As tu encore mal au crâne ?

De son autre main elle se saisit d'un verre d'eau.

- Tiens, tu devrais boire un peu.

Elle se releva, lui plaça le verre dans la main puis passa ses doigts dans les mèches éparses du jeune homme pour les lui remettre en place par des gestes doux et précis.

- Un peu, répondit-il en écho dans un murmure rauque.

Si ce "un peu" concernait l'intensité de son mal de tête il s'agissait d'un gracieux euphémisme : sa façon trop raide de bouger, comme s'il craignait que son crâne ne se détache subitement pour rouler sur ses épaules, le trahissait.

Le Lévitis laissa faire Fanaa sans avoir le courage ou l'énergie de protester.
Les deux mains resserrées autour du verre pour l'empêcher de pencher mollement d'un côté ou de l'autre, il parut s'absorber dans son reflet, avant de relever la tête.

- Je... c'est flou mais... est-ce que j'ai attaqué quelqu'un ?

- Mais non, bien sûr que non !

Elle ne mentait pas, elle ignorait tout le l'altercation qui avait eu lieu entre le soldat et le jeune homme. Et pour elle, le Levitis avait été inconscient ou en plein délire la plupart du temps, mais il n'avait pas bougé de son lit.
Fanaa posa sa main sur son épaule pour croiser son regard.

- Maintenant dis-moi, sais tu qui tu es ? Peux tu me le dire ? Dis moi juste ton nom, ça suffira pour le moment. Puis tu vas manger, je suppose que tu as besoin de forces. Voudras tu faire quelques pas dehors ? Tu dois te sentir tout engourdi de rester couché, non ?

- Pourtant...

Il hésita puis laissa tomber la question.
De toute manière Fanaa commençait déjà à le bombarder de demandes.

- Bien sûr que je sais qui je suis ! rétorqua-t-il avec humeur.

Le Lévitis regretta aussitôt d'avoir haussé le ton et porta une main à sa tempe en réprimant une grimace.

- Par Ael...

Il enfouit son visage dans ses mains, les pouces pressés contre les os du crâne comme pour l'empêcher d'exploser.

- ... accorde-moi juste cinq minutes sans une tornade de questions, par pitié. Juste cinq minutes.

Fanaa s'en voulut. A vouloir être prévenante, elle était trop envahissante. Elle battit précipitamment en retraite en retirant sa main de l'épaule d'Earl et baissant la tête et la voix.

- Tout le temps que tu voudras ...

Elle savait pourtant qu'en présence du Levitis elle devait parler le moins possible car ça tournait toujours au conflit. Mais elle avait oublié. Et puis chassez le naturel et il revient au galop.

Il fallait voir le bon côté des choses : il était de mauvaise humeur. Ce qui était son attitude habituelle. C'était toujours mieux que de l'entendre réclamer à ce qu'on le tue. Fanaa se força à sourire et se laissa glisser à bas du lit pour tourner son regard vers Mellyna comme pour lui demander de l'aide. Mellyna était un exemple, un modèle, elle savait comment réagir et se comporter. Elle savait être modérée et calme. Fanaa aurait voulu être comme elle.

- Je ne voulais pas te faire fuir.

Earl abaissa une de ses mains au niveau de sa bouche, la gardant prête à intervenir en cas de haut-le-cœur.

- C'est juste... cinq minutes.

Il secoua la tête tout en continuant de se masser la tempe du bout des doigts.

- Engourdi, oui. Alors si je pouvais éviter de tourner de l'oeil d'entrée de jeu...

*Economise tes mots, dis en le moins possible, tu dois bien en être capable quand même !*

- Je comprends. Prends ton temps, je suis juste là.

*Ne pense à rien. Ne pense à rien ça va la gêner. Ne pense à rien et détends toi un peu. Essaie au moins !*

Fanaa restait à côté du lit, assise en tailleur sur le tapis. Elle leva sa main pour lui caresser le dos mais interrompit son geste et finit par la ramener à elle. Elle aimait toucher, elle en avait envie et besoin, elle avait l'impression qu'avec un contact physique, les choses passaient mieux, les messages étaient plus clairs, plus forts. Mais elle devait se méfier de ses réflexes et de ses habitudes, rester sur ses gardes et faire très attention à tout ce qu'elle disait et faisait en sa présence. Et rester calme. Et ne pas penser. Voilà. Ne pas penser. Il avait les yeux clos, elle pouvait donc sans risque le caresser du regard. C'était déjà cela.

Il la démangeait de faire quelque chose, de lui masser les épaules pour le détendre par exemple, mais elle devait rester sage. En place. Et immobile. Attentive. Et ne bouger que si Earl lui-même ou Mellyna lui faisait signe.

Au fond de la pièce, Fynarine soupira, se retourna dans son sommeil et marmonna.

Earl prit une profonde inspiration et reposa la main appuyée contre ses lèvres sur le matelas. Il rouvrit lentement les yeux. La pièce n'avait toujours pas l'air complètement stable, mais c'était déjà mieux.
Par contre...

Il loucha sur la... tresse qui se balançait moqueusement devant son nez. Le nez en question se fronça mais le jeune homme n'émit pas le moindre commentaire sur cette fantaisie.

- Bon...

Chaque son lui résonnait désagréablement dans la tête et celle-ci semblait toujours menacer de se détacher au premier mouvement trop brusque.

- ... je pense que ça va. Par contre je ne me souviens pas de grand chose depuis...

Il effleura la zone quasi circulaire de peau plus rosée sur son torse, entre les pans de sa chemise bonne à jeter.

- Pourtant je suis presque sûr d'avoir quelque chose à me reprocher.

Mellyna arriva avec un plateau, du thé chaud, une galette sucrée et un fruit, ce serait la ration du matin, avec en supplément pour Earl des calmants pour son mal de tête.
Elle posa le plateau sur les genoux du lévitis.

-C'est bien le cas, mais rien de définitif rassurez-vous seigneur Earl. Je sers les autres et je vous raconte. Buvez le calmant en premier, il agira plus vite.

La dédrane fit des allers-retours jusqu'à ce que chacun eu son repas, elle posa sa part à côté de Fynarine toujours endormie. Lui secoua doucement l'épaule :

-Le repas est servi si vous avez faim.

Elle n'insista pas plus, peut-être la clerc avait-elle besoin de plus de sommeil ? Elle se réveillerait si elle avait faim.
Le kirika avait des restes à grignoter, le dragonnet plissa le nez, ne voyant pas de viande, il fila par la fenêtre pour chasser des kirikas non protégés.
Thani s'était rapproché du lit du lévitis et assis à côté de Fanaa. Ils formaient une sorte d'arc de cercle que Mellyna vint compléter en s'installant à son tour.

-Bon appétit, j'espère que c'est à votre goût.

La gardienne attendit que tous aient entamé leur repas avant de reprendre la conversation en sirotant son thé.

-Je ne pense pas que Ridelgald vous en veuille, vu l'état dans lequel vous étiez... Il se trouve que vous vous êtes débattu avec force, qu'il était là pour aider et que vous lui avait quelque peu escamoté le visage. Brûlé serait le mot plus exact. Je l'ai soigné, ne vous inquiétez pas, il ne devrait pas garder de cicatrice, la brulure était superficielle.

Le fruit à demi épluché retomba avec bruit sur le plateau.
Earl dévisagea fixement la Dédrane.

- J'ai... Brûlé ? Mais comment...

Il se mordit la lèvre et baissa à nouveau les yeux vers son déjeuner. Ses mains habituellement si habiles tremblaient en finissant de retirer la peau rugueuse du fruit.
Tête basse, il suçota pensivement le jus un peu acide qui coulait sur ses doigts.
Ses doigts...
Le jeune homme serra les poings.

- Pas de cicatrice ? Bien, très bien.

Si la brûlure n'était que superficielle, c'était sans doute uniquement par chance...

Lorsqu'Earl avait demandé ce qui s'était passé, Fanaa avait jeté un regard implorant à Mellyna afin qu'elle se charge de raconter les faits, car elle le ferait surement de la bonne façon. C'est ainsi qu'elle eut la surprise d'apprendre l'accident survenu au soldat.

Elle gardait la tête baissée et ne montra pas son trouble en entendant la nouvelle.

*Oh le pauvre !*

Et mais ! Elle n'allait tout de même pas plaindre cette grosse brute ! Non. Mais quand même, se faire blesser par quelqu'un qui compte, ça faisait deux fois plus mal. Et Ridelgald et Earl comptaient l'un pour l'autre, ils étaient complémentaires, ils ... et dire qu'à une époque elle avait cru que le Levitis était fiancé à ... comment s'appelait-elle déjà ? La belle femme de glace. Mais au final il était des deux bords. Oh non ... plus jamais ça. Pourtant Ridelgald avait dit qu'il n'était pas son rival mais ... ah mais de toute façon, cet homme-là était un menteur. Quelle nouvelle pour Earl dès le réveil de savoir qu'il avait fait mal à son ... son ...

Arrête de penser !

La jeune fille éplucha son fruit et le donna au kirika, petit bout par petit bout, après quoi elle émietta le gâteau au miel et le donna aussi. La petite bête allait être toute ronde ! Il sauterait probablement moins vite et moins haut quand les enfants le poursuivraient. Pauvre petit qui n'avait que deux pattes ! Et même pas d'ailes ! Ca ne devait pas être pratique tous les jours. Mais l'animal était indéniablement mignon, c'était à croire qu'il avait été créé par la nature exclusivement pour ça. Elle lui grattouilla le crâne. Au moins, il n'était plus craintif maintenant.

Ravi, l'animal grimpa à toute vitesse le long d'une manche froissée, fit trois fois le tour du cou d'Earl, puis redescendit finir de lécher le dernières traces de jus. Il émit un petit hoquet avant de vaciller et de rouler comme une balle dans un creux des couvertures. Le suc de certains fruits avait à peu près les mêmes effets sur un kirika que l'alcool sur les humains.

Le Lévitis finit par relever la tête, faisant craquer ses vertèbres.
Si Fanaa avait procédé à une toilette correcte aux endroits qu'elle pouvait atteindre, de grandes plaques de sang séché s'écaillaient encore dans son dos. La peau d'Earl le démangeait sous sa chemise raidie.

- J'aimerais bien me décrasser... et me changer, si possible.

Fanaa sourit devant le manège de la bestiole.

- Tu as un nouvel ami. Il ne t'a presque pas quitté de la nuit tu sais ! Bien ...

Il avait une demande, elle pouvait donc se rendre utile. Voilà qui était bienvenu. Terminant son verre de thé, Fanaa se mit debout, débarassa la vaisselle de petit déjeuner et alla la ranger. mellyna avait déjà tout préparer, elle ne pouvait pas la laisser s'occupe de tout. Une Fynarine chiffonnée ouvrait les yeux avec difficulté. La Danseuse sortit pour demander à la teinturière de quoi décrasser et rhabiller le malade et la femme lui tendit ce qu'il fallait. Elle avait des scrupules à demander de l'eau pour la toilette et des vêtements ... mais c'était pour Earl alors elle pouvait le faire en culpabilisant moins. Après tout, il avait demandé.

Elle fut de retour dans la petite maison où elle installa un petit tabouret, deux petites bassines d'eau, une poudre et cacha tout cela avec un paravent, sur lequel elle accrocha les habits propres et le tissu qui servirait à Earl pour s'essuyer la peau. Voilà, le coin salle d'eau était installé.

Fynarine s'assit et se gratta la tête. Elle avait l'esprit encore très embrumé.

- Je crois que j'ai fait une petite sieste..

Elle jeta un regard flou vers le Levitis et, rassurée de le voir éveillé, elle s'attaqua à son petit déjeuner.

Fanaa revint vers le lit, ramassa le peigne, tendit la main à Earl ... puis la baissa ... se rapprocha pour lui saisir le bras ... puis hésita ... elle trouvait normal de l'aider au vu de son état mais il risquait de mal le prendre. Que faire ? Bon. Tout était prêt, ne manquait plus que lui alors ...

- Il y a tout là-bas. dit-elle en désignant le paravent.

Elle pensait avoir pensé à tout. Le fait de traverser la pièce allait peut-être lui faire drôle donc il pourrait s'asseoir sur le tabouret. Ensuite, comme ses membres étaient engourdis et qu'il risquait d'être un peu maladroit, encore plus avec son atèle, elle avait de quoi s'occuper de le décrasser en entier. Ah que n'y avait-il pas plus d'eau ... assez pour s'y plonger ... mais il ne servait à rien de regretter. La teinturière avait été généreuse déjà. Un récipient où diluer la poudre de savon, un autre d'eau claire pour le rincer. C'était déjà plus qu'il n'en fallait pour la situation.

Earl acquiesça autant que son mal de crâne encore vivace en dépit des calmants le lui permettait.

- Merci.

Il finit de se dégager des couvertures puis laissa glisser ses pieds jusqu'au sol.

Ah, ce sol paraissait beaucoup plus loin qu'il n'aurait dû... et aussi stable qu'une mer houleuse.
Le Lévitis avait l'impression de sentir les battements d'un coeur sous la terre, alors qu'il ne s'agissait que des pulsations du sang qui descendait jusqu'à ses orteils engourdis. Il prit une inspiration avant de se lever.

Cela semblait aller. Cela semblait...
Un vertige soudain le fit vaciller et l'arrière de ses genoux heurta le bord du lit tandis qu'il reculait. Ses jambes encore faibles plièrent sans qu'il le veuille. Il retomba assis sur le matelas, avec tant de brusquerie que le boule duveteuse du kirika endormi rebondit d'une bonne cinquante de centimètres en l'air.

Earl considéra avec étonnement et colère ces jambes qui le trahissaient.
Il n'avait guère l'habitude de voir son corps se rebeller. Il avait reçu pas mal de blessures, parfois graves, mais à chaque fois il s'"arrangeait" pour être sur pied le plus rapidement possible... faisant la sourde oreille aux réserves des autres soigneurs.
En tant que clerc, il pouvait pousser son corps au-delà de ce qu'il aurait dû supporter. C'était un jeu dangereux et il était bien placé pour le savoir. Mais il n'en faisait toujours qu'à son idée, plus soigneux pour ses patients que pour sa propre personne.
Cependant cette fois-ci rien ne venait faire taire les plaintes de ses membres fatigués.

Ses ongles s'enfoncèrent dans ses paumes, ses mâchoires se crispèrent.
Puis tout se relâcha et le Lévitis s'adossa au mur avec lassitude. Pour cette fois-ci, cette stupide chair et ces os imbéciles avaient gagné.

- Je n'y arriverai pas tout seul.

Une fois arrivé au tabouret, sans doute aurait-il pu s'occuper en grande partie lui-même de sa toilette... à moins de devoir la faire avec ses pieds. Pourtant Earl ne chercha pas à décourager Fanaa. Elle semblait avoir besoin de s'occuper les mains et l'esprit.

L'eau souillée et presque brune retombait avec bruit dans une des bassines. C'était comme retirer une armure, ou plutôt une sorte de carapace, les squames durcis d'une mue.
La branche avait colmaté d'elle-même les artères principales. Au final c'était la morsure à la gorge qui avait le plus saigné. Cela avait coulé sur ses joues et dans son dos en suivant le tronc de l'arbre.
Le Lévitis effleura pensivement les endroits où les crocs d'un jaune bileux avaient déchiré la peau. Ses nerfs déjà saturés par la douleur, il n'avait rien senti. En fait il avait presque...
Il serra convulsivement le rebord du tabouret, avant que Fanaa n'en détache ses doigts pour s'atteler à son massage.
... été soulagé.
Soulagé d'en avoir enfin terminé, de ne plus avoir à se battre à chaque instant.

Earl ferma les yeux avec un soupir.
Fanaa connaissait son affaire et parvenait à réveiller des frissons dans les chairs fatiguées. Elle s'était un peu redressée tandis que son ouvrage la rapprochait du visage de son patient.
Alors il passa une main derrière la nuque et s'empara de ses lèvres. Le tabouret bascula, les faisant choir sur un coin de natte qui dépassait de sous le paravent.

Etait-ce cela que Syld avait ressenti tandis qu'il le suppliait presque de s'arrêter, là-bas, à Faélanir ?

- Pourquoi est-ce que tu ne m'as pas laissé mourir ?

Un hoquet de stupeur au moment du baiser qui la prit totalement par surprise, puis ils tombèrent à la renverse elle se retrouva au sol, allongée sous Earl. Ce-dernier, surélevé sur ses coudes la regardait après avoir posé sa question.

Voulait-il vraiment une réponse ? Mais que voulait-il entendre ? Qu'avait-il besoin d'entendre ? Qu'est-ce qu'il attendait ? Le calme de Fanaa avait volé en éclat, remplacé par un début de panique. Elle sentait son coeur battre sourdement dans sa gorge, bloquant son larynx. Elle voulait trouver les mots, elle le voulait vraiment, mais s'en savait incapable. Chaque dialogue avec le Levitis était comme une roulette russe à l'envers, où le barillet de Fanaa contenait 5 balles au lieu d'une ...

Des raisons, il y en avait beaucoup. Mais toutes les énumérer ? Non. Elle ne lui ferait que plus mal à la tête. Il y avait aussi l'option de ne rien dire. Peut-être était-ce ce qu'il souhaitait après tout. Qu'elle lui fasse comprendre les choses avec des gestes plutôt qu'avec des mots. Peut-être.

Une première main se leva et se posa avec douceur sur la joue, tandis que l'autre se glissait dans les cheveux pour attirer la tête et la poser sur sa poitrine. Les doigts restaient dans les cheveux blancs tandis que l'autre main quittait la joue pour aller caresser la peau du dos en gestes lents. La respiration et le rythme cardiaque de la Danseuse se calmèrent alors que les doigts couraient sur l'épiderme et le cuir chevelu du jeune homme. S'il n'y avait eu ce mouvement continu,régulier et apaisant, on aurait pu croire qu'elle s'était endormie.

- Comment l'aurais-je pu ? lâcha-t-elle dans un souffle.