Confins du Désert Rouge - les grottes de Leviathan

Alors si il était impossible de les détourner de leurs proies, il fallait mettre les proies hors de portée des fauves. Le bouclier. Elle devait ériger le bouclier autour du groupe. Sauf qu'il n'y avait pas Syld au milieu d'eux. En contrepartie, ce dont elle devrait les protéger était bien moins puissant que ... la présence brutale et rouge qu'elle avait sentie ce jour-là. Pour cela au moins il n'y avait pas de comparaison. Donc, le bouclier devrait être plus grand que, mais moins épais. C'était faisable. Oui. Dans le cercle se trouvaient Mellyna et Tarik. Il y avait Sabu aussi bien sûr mais ... elle devrait aller au-delà de ce qu'il lui inspirait.

Après tout, cela ne comptait pas. Les sentiments ne devaient pas entrer en ligne de compte dans ce genre de situation.
Ils ne devaient pas.

Fanaa se jeta de toutes ses forces sur l'un des assaillants pour le faire chuter. Il tomba aux pieds de Tarik et Sabu qui s'acharnèrent contre lui jusqu'à ce qu'il n'ait plus un mouvement, plus un spasme. Alors ils repoussèrent le corps. Pendant ce temps, la Danseuse était restée accroupie, concentrée pour ériger les bases puis monter les murs d'elixia qui allaient les les enfermer en sécurité. Les monstres auraient beau continuer de se jeter dessus, la barrière ne céderait pas. Par contre, ceux qui seraient protégés ne pourraient pas se déplacer ... alors il fallait vraiment qu'au lever du jour la troupe d'assaillant fasse demi-tour.

Fanaa créa la barrière en forme de dôme, et eut le soulagement de voir un attaquant se jeter dessus et se retrouver incapable de toucher ceux qui étaient dedans. Il n'avait malheureusement pas été assez brusque pour rebondir dessus et se retrouver sonné ... mais ce genre de personne ne pouvait peut-être pas être sonnée ...

- Ne vous inquiétez pas ! Vous êtes à l'abri, c'est normal !
- Arrête Fanaa ! Laisse-moi sortir ! Merde, laisse moi me défendre ! cria Tarik.
- Mais ... mais c'est dangereux !
- Je ne suis pas un lâche.

Étonnamment, c'est la chasseuse qui posa sa main sur l'avant-bras de son ami pour le calmer. Elle non plus n'était pas une lâche, mais si elle pouvait éviter de se frotter à ceux-là ...

- Ecoute, au cas où "ça" céderait, il vaut mieux se tenir prêt. Et garder nos forces pour l'urgence. Reste sur tes gardes Tarik. Ils sont très nombreux.

Fanaa hocha la tête. La barrière devrait tenir mais ... une main sur son épaule ... Non ! Elle n'avait pas surveillé ses arrières ! Elle voulu le frapper de sa lame mais une autre main agrippa son autre bras, entravant ses mouvements. Elle se démena comme une diablesse, colla ses jambes et les envoya en arrière une fois, deux fois, frappant de ses pieds joints le ventre de son agresseur.
Fanaa ne criait pas. Dans le Ringèm crier ne servait qu'à attirer d'autres monstres, jamais de l'aide. Mieux valait alors rester muette.
Elle gigota, se secoua jusqu'à réussir à se déséquilibrer et le déséquilibrer. Le front de Fanaa heurta le sol, elle roula, fixa un regard flou sur celui qui l'avait attrapée, assez grand sans être un géant, ce qu'elle avait pris pour son ventre laissait apparaître sous la peau la colonne vertébrale, en fait son tronc semblait à l'envers, d'ailleurs elle voyait des cheveux là où aurait dû être le visage. Son corps avait certaines parties à l'envers et ... non. Ne pas s'attarder sur des détails. Elle devait rester concentrée.
Elle se laissa glisser au sol pour reprendre son arme et frapper de toutes ses forces au niveau des chevilles. Des chevilles inversées. Elle dut s'y reprendre à deux fois mais il tomba. Ce n'était pas suffisant, elle lui trancha les poignets afin qu'il n'attrape plus personne.

Elle n'aimait pas n'avoir qu'un seul sabre, elle se sentait déséquilibrée, il lui manquait quelque chose ... mais elle pensa à Talisham. Son maître d'arme. Elle ne devait pas se bloquer pour si peu, c'est ce qu'il aurait dit. Il lui avait enseigné à se débrouiller, avec une, deux ou même zéro lame ... même si il valait mieux tout faire pour ne pas se retrouver dans cette dernière situation.

La chose inversée resta à gigoter vainement un moment puis s'immobilisa.

- Fanaa !

D'une détente de tout son corps mutilé, l'être s'était à nouveau propulsé sur Fanaa, insensible à ses blessures. De tout son poids, il l'écrasa au sol. Ses bras et ses jambes se refermèrent sur le corps de la jeune femme comme les pattes d'une araignée monstrueuse. Avec un craquement, les membres du monstre se tordirent, de nouvelles articulations qui n'existaient dans nul bras ou jambe humain jouèrent, assurant encore d'avantage sa prise.

La tête chevelue commença à pivoter sur ses vertèbres, étirant et plissant la peau flasque du cou. Le visage fit face à celui de Fanaa.
Visage ?
Il n'y avait plus d'yeux ni de nez.
En revanche il restait une bouche. Grande, ronde, sans lèvres. Garnie de rangées de dents comme la ventouse d'une lamproie géante.
La tête tenta de s'abaisser vers celle de Fanaa, d'approcher cette "bouche" qui aspirait l'air avec bruit.

Plus bas, une des créatures avança une main à laquelle il manquait pas mal de doigts pour tapoter la barrière avec curiosité. Elle pencha la tête sur le côté, comme perplexe.

- Aha ?

Le son était rauque, inarticulé, mais c'était bien une voix.

La chose approcha son visage presque intact du mur translucide, puis une longue langue dentue sorti entre ses lèvres encore vermeilles pour lécher cet obstacle inattendu.
Un gloussement lui échappa.
La langue s'allongea encore... et se darda vers ceux qui se trouvaient de l'autre côté. Elle traversait.
Pire, la créature commençait à griffer la surface ondoyante avec une frénésie croissante, les mouvements de plus en plus rapides. Elle se nourrissait à toute vitesse, les lèvres pressées sur la barrière.

- Fanaa arrête ! Utilise l'elixia pour les attaquer physiquement, par pour...

Avec un rauquement satisfait, un des monstres tendit un bras d'une longueur extraordinaire par une brèche invisible, depuis l'éboulis sur lequel il avait grimpé avec une agilité d'insecte. Le membre cingla vers une des jeunes filles qui émit un cri aigu.
Mais la grosse main de Ridelgald avait intercepté celle de la créature. Dans un grognement presque bestial, le Lévitis pivota sur lui même sans lâcher prise. Le monstre décolla littéralement et alla s'abattre plusieurs mètres en contrebas dans l'enchevêtrement de troncs et de branches pétrifiés aux cassures coupantes comme du verre. Le bras effroyable secoué de spasme, coupé net en touchant une zone de la barrière intacte, s'abattit sur le chemin au milieu des filles qui réprimèrent mal leur épouvante.

Masha fit un bond de côté pour s'éloigner de la main qui essayait encore de saisir ses proies dans un dernier influx nerveux. Elle laissa échapper un cri bien vite étouffé lorsqu'un nouvel agresseur qui avait repris la sape de la barrière dans leur dos la tira à lui.
Deux minces lames aux reflets pâles tranchèrent les doigts agrippés à ses cheveux.

- Rentre !

Earl la repoussa par l'ouverture de la barrière qui cédait de toutes parts.
Le monstre blessé lécha le sang trop visqueux qui suintait de ses plaies. Puis, sans prévenir, il bondit sur le Lévitis.
Ce fut à ce moment précis qu'une longue fracture qui courait sous la poussière au bord du chemin s'ouvrit.
Sous le poids conjugué de la créature et de l'ex-clerc qui avait reculé pour se préparer à repousser son assaut, un large bloc bascula brusquement, précipitant les deux belligérants dans le vide.

Sur les plateaux, à bout d'adversaires et d'énergie pour combattre autrement qu'avec ses poings, ses pieds et ses dents, Sheyn avait sauté sur le dos... enfin sur le torse de l'être inversé. Un bras passé autour du cou tordu, il faisait de son mieux pour empêcher la bouche effroyable d'effleurer la peau de Fanaa.

- Arrête-le ! Fracasse-lui le crâne ou je sais pas quoi, mais arrête-le !

C'était bizarre d'entendre son nom. Les monstres grognaient, hurlaient mais ne disaient rien. Bon d'acord, le faux Earl avait dit son nom, et les faux Syld aussi mais ce n'était que pour la perdre, pour la rendre folle, là c'était ... c'était ... Sheyn ? Utiliser l'elixia pour attaquer ? Le crâne ? Une pierre, il lui fallait une pierre ! Elle tendit les bras au-dessus de sa tête à la recherche d'un roc bienvenu ... mais rien. Tant pis ! Elle avait si chaud ...

- Je brûle ...

Fanaa saisit le visage horrifiant à deux mains et laissa s'accumuler la chaleur, sa température corporelle augmentait encore et encore, ses paumes étaient en fusion ... Fanaa ferma les yeux au moment où la chair se mit à cuire, où le crâne explosa. C'était la première fois qu'elle utilisait son elixia de façon si ... offensive. Ce n'était pas agréable. Pas du tout. Mais c'était nécessaire ... du moins devait-elle l'espérer.
La Danseuse souleva les paupières et se secoua, repoussant des pieds et des mains le corps qui pesait sur elle. Elle le toucha encore, le sang entra en ébullition et les morceaux de chairs s'éparpillèrent. C'était répugnant, mais au moins il n'y aurait plus de mauvaise surprise venant de celui-là. Se remettant sur pied, elle regarda Sheyn.

- Tu crois qu'on peut en venir à bout ?

Ce n'était pas le moment de s'arrêter, même une seconde, de penser, de remercier, de se poser des questions. Il ne faisait pas encore assez jour pour ça. Déjà, une ... femme ... se précipitait vers eux. Il fallait s'occuper des autres qui se trouvaient sur les hauteurs avec eux avant de pourvoir descendre s'occuper de ceux qui s'attaquaient au groupe.
Fanaa la rejoignit en quelques pas, posa une main sur sa gorge et l'autre sur son torse. L'inconvénient de cette attaque était qu'il fallait être proche de la victime. Très proche. L'attaquante ouvrait son affreuse bouche et lui griffait les bras en même temps, tandis que Fanaa la faisait ... cuire ... vivante ... ou presque.

*Quelle horreur !*

Sheyn dut prendre le temps de se nettoyer la figure avant de répondre quoi que ce soit. Il avait reçu une bonne partie de la bouillie de cervelle -ou de quoi qu'ait pu contenir le crâne- en pleine face. Et oui, c'était chaud.

- Quoi que tu fasses, fais-le plus vite ! Avec notre chance, on pourrait tomber sur un spécimen capable de t'aspirer plus vite qu'il ne cuirait...

C'était bien joli, mais cette démonstration de force avait surtout pour effet de détourner immédiatement les retardataires vers le reste du groupe. A ce rythme, les choses allaient tourner très mal pour ceux coincés dans les reliques d'une barrière qui ressemblait de plus en plus à une cage trop petite qu'à un abri.

Un craquement terrible.
Tiens, le bruit avait semblé vraiment proche, et vraiment fort.

Erl cilla. Sa nuque lui faisait mal. Mais le plus inquiétant, c'est qu'il ne ressentait pas grand chose d'autre et qu'il avait beaucoup de mal à respirer.
Il était étendu sur quelque chose de lisse et de blanc. Pas un rocher. Un des troncs d'arbre millénaire charriés par la crue ? Oui, ce devait être...

Un grognement juste au-dessus de lui l'incita à faire l'effort de tourner la tête. La créature qui était tombée aussi se tenait juste au-dessus de lui. Une branche à peine épaisse comme le poignet mais dure comme le roc lui avait traversé l'abdomen. Cela ne semblait guère la gêner, d'ailleurs : ses viscères avaient depuis longtemps pourri et il n'y avait plus là qu'une peau épaisse comme le cuir tendue sur des os et quelques tendons. Se tortillant, le monstre s'efforçait de descendre vers sa proie. Chaque traction le long de l'épieu de bois dur produisait un son horrible.

Lentement, comme dans un rêve, Earl laissa son regard descendre lui aussi le long de la branche empoissée à la fois du sang noirâtre de la créature et d'un sang bien rouge.
Le morceau de bois couleur d'os dépassait de son propre torse.
Il ne pouvait bouger.

Le Lévitis détourna la tête pour éviter la main aux ongles jaunis qui se tendait vers sa joue. Les doigts effleurèrent la peau dorée, presque avec tendresse... les lèvres desséchées s'étirèrent en un sourire tandis qu'un doux rauquement montait de la gorge de ce qui avait été un homme.

- Donne... moi...

L'être parlait.
Earl le regarda.
Une ligne sombre se dessina soudain sur le menton blême, descendant le long du cou. Et les os de la mâchoire s'ouvrirent, soulevées par des muscles qui n'auraient pas dû être là, les chairs de la gorge se fendirent par le milieu, se déployèrent sur des dents d'un jaune bilieux.

Alors, le coeur soulevé par l'horreur, Earl tendit la main à son tour.
Il y eut comme un claquement, une détonation. Un souffle brûlant souleva un nuage de poussière alentours.
La moitié supérieure de la branche céda et le monstre décolla littéralement, projeté par une force invisible qui alla le faire s'écraser contre une des parois du canyon.
Nouveau souffle, bruit d'écrasement. Encore, encore et encore.
La pierre se fendilla, se moucheta d'éclaboussures sanglantes. Tout le squelette de la créature émit un bruit de bois sec s'écrasant sous une semelle. Il retomba en tas informe au milieu des pierrailles.

Le bruit, le danger et le sentiment de panique alentour tirèrent la dédrane de son sommeil réparateur. Elle se sentait mieux, pas en forme, mais beaucoup plus énergique. Elle sentit une odeur, une respiration, la chaleur d'un corps. Mellyna se redressa d'un coup, elle faillit faire basculer l'eyerash en arrière.

-Thani ! Que s'est-il passé ?
-Ah, tu es réveillée, c'est pas trop tôt. On a de petits soucis, ton aide ne serait pas de refus. Tu peux marcher ? Te battre ?
-Oui, pose-moi à terre.

L'homme s’exécuta, il détailla son amie des pieds à la tête avec inquiétude. Ces quelques heures d'inconscience avaient réussi à la gardienne, les traits de son visage étaient moins tirés, toujours ridés mais plus sereins, presque, plus jeunes ? Il n'en était pas sûr, c'était peut-être la fatigue disparue de la dédrane ou son espoir à lui qui le faisait croire que les choses s'étaient améliorées. Il se reprit bien vite en voyant Mellyna se dandiner sur place mal à l'aise.

-Alors c'est ça les problèmes dont m'a parlé le seigneur Earl ? J'aurai aimé qu'on les évite, ils sont encore plus terrifiants que leur description.

Le dragonnet se réveilla à son tour. Un bâillement lui échappa.

*-Des ennuis pour les humains.
-A parce que toi, tu es tranquille face à eux ?
-En théorie, ils ne volent pas, il faut juste faire attention quand ils nous voient. Mais ils ne nous sentent pas d'habitude.
-Tu as bien de la chance.
-Dans ma grande mansuétude, je daigne t'aider.
-Je ne savais pas que les dragons avaient le sens de l'humour...
-C'est quoi "humour "?.
-Pas le temps de t'expliquer, on y va ?*

Pendant que Mellyna remettait ses idées en place, un nouvel être avait passé la barrière pour s'attaquer aux filles. Avec un coup d’œil à sa droite pour vérifier que s'était bien Thani qui la suivait, la dédrane sortit ses lames jumelles et partit à l'assaut.
Thani attaqua de front pendant que Mellyna passait derrière la femme, ou ce qu'il en restait.

*Pas de point vital déterminé m'a dit Earl, bon il va falloir y aller au hasard alors.*

Pendant que l'eyerash abattait sa hache dans le vide, Mellyna esquiva et bloqua la fuite de la créature. Ses lames tranchèrent un bras, puis l'autre. L'ennemi ne ralentit pas pour autant et se retourna pour attaquer la dédrane. Thani profita de cette ouverture pour lâcher son arme sur le crâne qui émit un craquement des plus sympathiques.
Elle bougeait toujours.
La dédrane repartit à l'attaque, un coup de ci, un coup de là. Pas la peine de s'embêter à viser un point précis, rien ne correspondait aux faiblesses anatomiques usuelles. La gardienne en conclu qu'il faudrait découper la chose en morceaux pour s'en sortir, ou avoir de la chance.
Une main décharnée saisit son bras, Mellyna réprima un hurlement de dégout et trancha net avec son autre lame. Le premier adversaire était bien affaiblit, elle le laissa à Thani et Tarik ,qui les avaient rejoint.
Avec Eleïr'l, elle s'occuperait du dernier arrivé. Le dragonnet voulut essayer la technique de la grotte, mais il n'y avait pas d'yeux à crever. Il fondit, au hasard, pour arracher des bouts de chairs. Il se renvola penaud.

*Bon là je ne sers à rien, autant me reposer. Bon courage.*

Il passa par un trou de la barrière et s'envola dans la nuit pour trouver un coin tranquille, loin de toute cette agitation.
La dédrane n'eut pas le temps de raffermir l'orgueil malmené du reptile. Elle était aux prises avec son adversaire qui était plus que résistant. Elle sectionnait les membres, tranchait la chair sans ralentir pour voir si ses coups étaient efficaces. Elle n'en avait pas le temps, la chose ne ralentissait pas. Mellyna finit par en venir à bout, quand il ne resta que des morceaux étalés sur le sol.
Les hommes étaient venus à bout du leur que déjà un autre s'approchait.
Les plus grands étaient tenus à distance par la barrière mais combien de temps cela durerait-il ?
Un filet de sueur glacée courut le long de la tempe de la jeune femme.

Tout d'un coup, une détonation se fit entendre. Elle sursauta, examina le groupe qui se trouvait derrière elle.

-Où sont le seigneur Earl, Zidayah et Fanaa ?

- Plus vite ?

Mais comment voulait-il qu'elle aille plus vite ? En lâchant la bride à l'autre ? En se transformant en torche humaine et en brûlant tout sur son passage ? Amis comme ennemis ? Et puis peut-être même elle-même à la fin ?
Non non non. Ca c'était à éviter. Elle ne comptait pas devenir un genre de monstre elle aussi. Mais comment faire plus vite ?

Oh, en bas ça bougeait. Bien. Mellyna se déchainait, Sabu était lui aussi sorti et réduisait son adversaire en bouillie avec sa lance.

Fanaa aurait voulu pouvoir contrôler sa température pour geler les assaillants sur pied et les immobiliser plutôt que de les faire cuire. C'eut été ... moins ... mais elle ne savait pas si elle pouvait régler son thermostat interne, surtout en pleine panique comme cela où garder le contrôle était très difficile.

Elle ramassa son arme. Les couper en morceaux était plus difficile et aussi un peu plus risqué mais préférable. Car il allait falloir descendre maintenant, et les autres allaient la voir. Elle n'aimait pas qu'on la voie se battre.

Ils avaient tous quitté les hauteurs maintenant.

- Fais attention.

Dernier coup d'oeil, non il n'y en avait plus aucun autour d'eux. Fanaa sauta, prit appui sur le "toit" du dôme et se laissa glisser pour faire face à un nouvel intrus. Elle brandit son sabre.

- Recule !

Il ne recula pas. Ils ne reculaient jamais. Non, eux ils ouvraient la bouche. Fanaa trancha les tendons qui soutenaient la grand mâchoire. Sans bouche, ils seraient moins dangereux, hein ?

La mâchoire inférieure du monstre pendait maintenant lamentablement. Il n'y avait plus ni os ni tendon pour la faire bouger et elle était devenue inutile. Quelques coups de lame dans le ventre mou et des viscère qui étaient loin d'être frais se déversèrent dans une puanteur à soulever le coeur. Le monstre tomba.
Fanaa lui tourna le dos et posa la main sur le dôme pour le renforcer, car avec les assauts des autres, la paroi faiblissait. Sans comprendre ce qui lui arrivait, elle se retrouva la menton cognant durement le sol, un goût de sang dans la bouche et mille étoiles dansant devant ses yeux. On la tenait par la cheville. On la tirait. Fanaa se retourna et donna des coups de pied de sa jambe libre. L'éviscéré n'avait pas cessé de respirer, il lui en fallait plus que ça.

*Mais lâche moi !*

Quelqu'un brandit un couteau dentelé et découpa le cou de son agresseur. Nandini.

- Ne leur tourne jamais le dos enfin !
- Mais ...

Un cri, grosse voix. Sabu faisait des moulinets de ses lances, il avait bandé tous ses muscles et repoussait les attaques sans s'arrêter. Personne ne toucherait à Lahili maintenant qu'il l'avait retrouvée. Il fauchait dans le tas et les maintenait autant qu'il le pouvait à distance de la barrière. Glacée, Fanaa recula. Elle ne savait pas qui lui faisait le plus peur entre les monstres, Sabu et Ridelgald, mais en tout cas elle comptait rester à bonne distance du colosse.
Elle dérapa sur le bord du chemin qu'elle ne pensait pas si près et tomba. Elle put seulement se rattraper de ses bras. Alors qu'elle tentait de reprendre pied, deux mains s'approchèrent dans une envie évidente de l'aider. Deux mains tordues, plus crasseuses que celles de Sheyn et aux ongles jaunes et gris. A peine l'eurent-elles effleurée que Fanaa relâcha toute prise, préférant tenter sa chance dans une chute et remonter plus tard que de se donner à ... ça. Fanaa rebondit, roula, se cogna et l'atterrissage final, sur le dos, expulsa tout l'air de ses poumons. Mais les lunes merci, elle ne s'était pas empalée sur son propre sabre. Son regard restait fixé là-haut, elle devait remonter. Elle devait remonter tout de suite et ... un bruit bizarre. Un bruit de succion et de ... Elle tourna la tête, doucement, car elle craignait ce qu'elle allait découvrir. Ce fut un choc. Elle ne comprit pas en fait, l'image n'avait pas de sens.

- Mais qu'est-ce que tu fais ?

Pourquoi ne bougeait-il pas ? Pourquoi se laissait-il faire ? Pourquoi s'offrait-il ainsi sans se défendre ? Pourquoi était-il si mou ? Pourquoi n'offrait-il aucune résistance ? Mais qu'est-ce qui pouvait bien lui passer par la tête à ce mec ? Se croire au-dessus du reste du monde et s'offrir ainsi ? Ca n'allait pas du tout. Il devait avoir un problème. Un sérieux problème. Et peut-être plus d'un.

Elle passa sa larme en travers de la gorge du vampire et tourna. C'était mou, il n'y avait pas d'os pour protéger, c'était facile. Sans tête, il ne pourrait plus boire, non ? Pointant le fil de la lame vers le haut elle tira d'un coup sec. La tête se retrouva séparée du corps mais chaque partie continuait de bouger séparément. La bouche, il fallait sortir la bouche du cou du Levitis, mais sans se laisser agripper par les grands bras en bas. Et cling une main en moins, et bim retombe retombe, retombe saleté !
La tête qui continuait de se sustenter ... Fanaa glissa ses doigts sous les dents et força pour rouvrir la mâchoire. Allez, allez ! Ouvre ! Lâche ! Rends ! Sale bête ! Ca suffit ! Ca suffit j'ai dit ! Bon sang !
Elle n'avait pas voulu faire exploser la tête. Elle voulait juste lui faire lâcher prise mais avec peut-être un peu trop d'empressement. Enfin au moins, il n'y avait plus rien. Sauf le corps à bras qui remontait encore une fois. Mais ça ne s'arrêtait jamais ?!
Quand il retomba encore une fois, il ne bougeait plus. Réellement plus cette fois.

Elle put remonter à côté du tronc blanc ... enfin rouge maintenant et ce n'est qu'à ce moment qu'elle remarqua la partie qui traversait le jeune homme de part en part. son poumon droit était complètement transpercé par une branche qui avait dû être pâle et qui dégouttait maintenant de liquide rouge. Comment avait-elle pu manquer ce détail ? Mais il était vrai qu'elle était assez sonnée en tombant ... mais tout de même ...

- Tu te fiches de moi ? Et sinon, faire attention, c'est une option que tu avais envisagée ou pas du tout ? Je rêve ...

Elle appuyait sa main contre la gorge ouverte, mais ce n'était pas une bonne idée, elle allait juste risquer de salir et infecter la plaie. Mais si elle ne faisait rien, il allait juste se vider de son sang et ...

- Dis quelque chose ! Dis quelque chose Earl ! N'importe quoi mais dis un truc !

Elixia. Un pansement d'elixia, c'était plus facile à faire, plus facile à maintenir et donc plus stable qu'une boîte. Elle compressa la blessure d'Earl comme elle avait bouchée celle de Khamsin durant tout le voyage. Cela au moins, une fois que c'était en place ça ne bougeait plus. Bien. Pour le cou c'était fait. Pour l'autre par contre ...

- Si tu ne parles pas tout de suite, je te préviens je te gifle, c'est compris ?

Elle frotta ses mains l'une contre l'autre, souffla pour se détendre ... ce qui fut un échec, puis plaqua ses paumes de chaque côté de la branche. Si ça se trouve il était déjà mort, si ça se trouve il était déjà ... déposer l'elixia sur tous les rebords de l'ouverture, partout, sans laisser un seul millimètre à nu. Boucher les veines, les artères, les vaisseaux, tout. Et maintenant, le soulever, voilà, tout doucement. Fanaa était concentrée, elle devait le faire glisser tout doucement et sans à-coups pour le retirer de ce pieu naturel. Mais les os à l'intérieur, les os déplacés et cassés tentaient malignement de s'agripper, de ralentir et compliquer la progression du corps. Fanaa avait les bras tendus, Earl avait quitté le contact du bois et il y avait maintenant un trou, rond, béant en lui. Elle pouvait voir à travers lui, elle pouvait ... elle trembla, ce qui le secoua légèrement et elle le reposa du plus doucement qu'elle put sur le tronc lisse. Fanaa repassa une couche d'elixia sur les deux blessures.

- Bon tu la veux ta baffe ou tu l'ouvres enfin ta stupide bouche ?!

La colère. La colère était une bonne protection. Elle était un mur derrière lequel on se trouvait à l'abri des autres émotions. La colère savait se rendre utile.

Entre Fynarine qui lui montrait le précipice avec un air de regret et Fanaa qui venait de dégringoler, la dédrane prit sa décision après avoir démembré un nouvel adversaire. Les autres paraissaient se débrouiller, le mur d'elixia s'était renforcé, il fallait descendre. Sauver ce qui pouvait l'être, mais pas question, même s'ils étaient morts de laisser leur cadavre se faire bouffer par les morts qui marchaient, pas question.
Elle passa devant l'autre dédrane en courant :

-Fynarine, suivez moi, on va essayer de les retrouver. Vous ne pouvez rien faire pour les blessures de ceux qui combattent pour le moment, il y a peut-être du boulot en bas.

La gardienne attrapa une corde dans son sac, s'attacha une extrémité à la taille et tandis l'autre à la soignante.

-Si je tombe, vous coupez la corde. Si c'est vous qui tombez, je suis suffisamment costaud pour soutenir votre poids. Pas une seconde d'hésitation, vous coupez. Vous êtes la seule clerc du groupe, on a trop besoin de vous.

Quand elle vit l'assentiment dans les yeux de sa compatriote et son hochement de tête, la dédrane commença à descendre prudemment. Ce n'était pas si difficile si on excluait les pierres qui se détachait sous ses pieds. La pente était raide mais il y avait beaucoup d'aspérités auxquelles se raccrocher et ça glissait moins qu'un tronc d'arbre. Mellyna était précautionneuse, au-dessus Fynarine s'en sortait bien, posant les pieds là où la première était passée, évitant les rochers branlant.
De longues minutes s'écoulèrent, le jour commençait faiblement à se lever, le cauchemar était-il enfin fini ?
Elles arrivèrent non loin de deux silhouettes. Elles s'approchèrent, se précipitèrent lorsqu'elles reconnurent Fanaa et Earl.

-Il s'est empalé ! Oh, par les lunes ! Fanaa, rien de cassé ? Seigneur Earl...

Elle ne put rien ajouter, il était inutile de lui demander de parler, il fallait qu'il garde ses forces. Elle s'accroupit à côté d'une Fanaa très concentrée. Fynarine avait déjà commencé à apprécier les dégâts, le lévitis était pâle, il avait perdu une grande quantité de sang, sa cage thoracique se soulevait avec peine.

-Fanaa, est-ce que tu peux, je ne sais pas, faire un transfert d'énergie ou de mes cellules pour régénérer son sang ?

- Mellyna ... oh ... Mellyna ...

Larmes.

- Il va encore mourir, il va encore ...

Earl n'entendit plus rien. Elle avait formé autour de lui la cage d'elixia qui le plongeait en stase. Ainsi tout évolution était arrêtée, plus rien ne pouvait empirer. Elle le plaçait en sursis, il était protégé. Protégé mais pas sauvé.

- Tu veux que je mette ton énergie en lui ? Je pense pouvoir faire le transfert mais en auras-tu suffisamment? Ton énergie est affaiblie, je le vois.
- Fanaa il a besoin qu'on s'occupe de lui très vite mais là il est beaucoup trop faible. Il a perdu trop de sang, beaucoup trop. Et son poumon, et ses côtes ... s'inquiétait la clerc.
- Il va s'en sortir ?
- Si nous étions dans un temple avec le matériel adéquat, peut-être. Mais là nous sommes au milieu de nulle part, je vais faire de mon mieux mais je ne peux rien garantir...

Son regard se tourna vers le jeune homme inerte.

- Tu es un imbécile et un menteur ! Je te déteste !
- Fanaa je doute que ce soit le moment ... gronda Fynarine, les sourcils froncés.

La Danseuse emmêla ses doigts dans ses cheveux et tira, les yeux fermés trop fort. Menteur ! Menteur ! Menteur !

- D'accord ! cria-t-elle -à personne en particulier- avant de se forcer à la réflexion. Bon. Il faut s'organiser car ce sale type se débrouille toujours pour tomber encore plus bas, se faire encore plus mal et ne pas se soigner comme il faut. Fynarine, faites attention à tout, le moindre oubli, la moindre faille et sa mauvaise étoile s'y engouffrera pour arrêter son coeur de battre. Je suis sérieuse, soit quelqu'un veut vraiment qu'il meure, soit c'est lui qui ne tient pas à la vie.
- Ne dis pas de choses pareilles.
- Je me trompe peut-être. Mais qu'importe, le résultat est le même. Fynarine, je vais le maintenir comme il est pendant que tu fais tout pour le sauver. Son sang ne coulera pas et il ne respirera pas, tu pourras donc prendre ton temps. Mais sauve le. Sauve le Fynarine, et pas seulement parce que son sauvage là-haut nous trucidera toutes en cas d'échec -sauf peut-être toi-, mais parce que quelqu'un l'attend. Quelqu'un nous en voudra beaucoup plus si on le ramène en trop mauvais état.
Mellyna ... viens. Ce que tu me demandes, je ne l'ai jamais fait, mais c'est une bonne idée et une généreuse proposition. Nous allons trouver un moyen de la mettre en pratique.

Fynarine avait fait le tour du corps, posé son sac sur le tronc, en sortait compresse, bandages, potions d'elixia, eau, se concentra, puis imposa ses mains de chaque côté du trou béant. Il fallait sonder, sentir les éclats d'os, les rassembler, reformer les côtes sans en oublier une miette, puis s'attaquer aux tissus, reboucher, reconstruire, il y avait tant à faire et à une échelle si petite ... ça allait prendre du temps. De longues heures seraient nécessaires. Et il faudrait s'assurer que le corps n'abandonne pas toute lutte.

Fanaa fit asseoir Mellyna à califourchon derrière la tête du levitis et elle-même s'installa derrière la Dedrane, collée à elle. La Danseuse colla ses mains sur celles de Mellyna, paumes contre dos, doigts entrelacés, elle écouta le rythme de respiration de la Gardienne, ainsi que les battements de son coeur. C'était l'harmonie des grands arbres, de la mousse, du vent dans les feuilles, de la sève sous l'écorce. Un rythme biologique sain, qui était le même depuis des siècles, des millénaires, il était doux mais puissant, une force tranquille qui patientait au lieu de se déchaîner.
Elle mena leurs mains pour poser le bout de leurs doigts sur les tempes en sueur du patient, puis chercha en elle ce qu'elle avait gardé de lui. Elle avait acquis son rythme à lui, sa chaleur, son elixia, tout, elle l'avait bien à l'abri et elle allait devoir le lui rapprendre.
Sous ses paupières, ses iris avaient abandonné leur teinte violette pour se vêtir de vert et d'or. Petit à petit elle s'oublia, elle se fit transparente et légère, captant l'énergie de Mellyna et la raffinant juste assez pour que l'organisme d'Earl la comprenne et l'accepte en lui.
Elle était juste un catalyseur, le moyen de transférer l'énergie de l'un à l'autre. Elle était le lien entre Mellyna et Earl comme elle l'avait été entre la Source et Syld ...

Le corps inerte devait réapprendre à respirer, faire circuler le sang, cicatriser. Il ne devait pas lâcher, aussi Mellyna le guidait et lui offrait ne partie de ses cellule régénératrices afin de soutenir et de faciliter la tâche de Fynarine ...




En haut, les derniers assaillants s'étaient retirés et les jeunes filles hésitaient encore à sortir du dôme. Il y avait quelques blessures à déplorer mais, le Désert soit Loué, personne n'avait été mordu par un des attaquants. Tarik serra Nandini et Masha. Cette dernière était toute tremblante.

Un mur. Deux grandes portes d'airain.

La connexion ne s'établissait pas.

Parce qu'il était trop vulnérable aux émotions extérieures, Earl avait développé une défense trop solide... et cette défense était dressée, elle tenait toujours. Les portes sans gardien restaient fermées.

Noir.
Obscurité.
Puis une pâle lueur grisâtre, la luminosité un peu terne d'un soleil d'hiver invisible au dessus des nuages gonflés de pluie.
Le bruit aussi : le ressac un peu assourdi des vagues contre de hautes falaises.

Il plissa les paupières et leva une main le temps de s'adapter à la luminosité blafarde. Il se trouvait dans la grande salle du trône du palais à Lévitas.
Sauf qu'il manquait le plafond.
Un trou béant hérissé de charpentes noircies semblables à des ossements carbonisés laissait voir les nuages gris acier. La neige qui tombait par cette ouverture était grise, elle aussi. C'étaient des cendres.

Hébété par ce spectacle, Earl s'avança. Des fragments de vitraux dispersés sous la couche de cendres crissaient sous ses semelles. La pierre blanche des murs semblait avoir fondu par endroits.
Un bout de charbon dégringola quelque part, éveillant un écho solitaire dans les ruines trop silencieuses.

Qu'est-ce qui s'était passé ?

Réprimant son envie de courir, il gagna un des balcons qui tenaient encore.

Toute la ville n'était plus qu'un mélange de gris et de noir. Des cheminées sans murs dressaient des doigts accusateurs vers le ciel morose. Des squelettes de maison éventrées, des fenêtres vides et sans regard... Pas une voile sur l'océan qui, seul, semblait vivre encore un peu. Les oiseaux de mer restaient eux aussi trop silencieux.
Earl se tourna vers le grand pont. N'en demeuraient que les grands piliers à l'entrée de la cité. Les vagues couleur d'ardoise avaient englouti jusqu'à la dernière pierre.

Impossible, impossible !

Il se précipita vers les escaliers, manqua se rompre le cou sur les marches descellées.

Les deux grandes statues gardiennes. L'une d'elle s'était effondrée en travers de la porte mais on pouvait toujours passer.
Les marches qui descendait jusqu'en bas de la tour lunaire n'avaient jamais semblé si nombreuses. L'escalier descendait en spirale, profond, encore plus profond. Jusqu'au cercle des colonnes blanches, jusqu'au bassin central. L'eau qu'il contenait était devenue noire. Des gouttes de pluie qui tombaient depuis le sommet sans plafond ridèrent à peine cette surface presque huileuse.
Le bassin exhalait un relent de décomposition.

- Ael...

Earl descendit les marches qui menaient jusqu'à l'eau et se laissa tomber à genoux. Ses doigts tendus tremblaient à quelques millimètres de la surface visqueuse.

Un grondement. Un rauquement qui semblait s'arracher d'une gorge gigantesque. Le roulement sourd s'enfla sur un véritable hurlement qui fit dégringoler des débris jusque dans le bassin, qui résonna sur l'océan désert. Il y avait quelque chose là haut. Une créature aux dimensions phénoménales était enroulée telle un serpent autour de la tour.
Et ce vent...
Un bruit d'ailes.

Earl baissa les yeux vers le bassin dont la surface sans reflet s'était à nouveau calmée. Il avait toujours la main tendue. Une main pleine de sang.
Puis une serre osseuse à laquelle s'accrochaient encore quelques lambeaux de chairs creva la surface, lui saisit le poignet.
Elle tirait, tirait.
Le liquide épais lui envahissait la bouche, coulait dans sa gorge, remplissait ses poumons.

Noir.
Obscurité.

Fynarine avait déjà bu deux potions d'elixia pour se booster. L'importance et la complexité des blessures demandaient énormément d'énergie et de concentration. Plus qu'elle n'avait de la première, mais en ce qui concernait la seconde, elle en avait à revendre, fort heureusement.

Tarik était descendu voir ce qui se passait.

- Ouch ! Il est mort ?
- ni mort ni vivant pour l'instant. répondit Fanaa d'une voix atone. S'il te plaît, il faut du silence. Beaucoup de silence.
- Mais il va bientôt faire chaud ...
- S'il te plaît Tarik. Je préfère ne pas bouger. S'il te plaît.

Il hocha la tête.

- D'accord. Ecoute, je vais remonter ... mais je reviens.

Il n'y eut pas de réponse.

Le jeune homme escalada la paroi pour rejoindre le groupe. Arrivé sur le chemin il se releva doucement.

- Il y a eu un accident grave en bas mais elles sont en train de s'en occuper. Personne ne doit descendre les déranger. Il regarda Ridelgald et appuya sur son dernier mot. Personne.

Il frappa dans ses mains.

- Elles ont besoin de temps. Alors en attendant, ceux et celles qui se sentent trop blessés ou épuisés pour aider, qu'ils restent assis et se reposent. Les autres, vous aller m'aider à rassembler ... les morceaux. Nous allons nous occuper de les brûler, qu'ils reposent enfin en paix ... et qu'ils ne nous fassent pas de mauvaise surprise. Allons !

Masha se proposa pour aider et Tarik refusa.

- Non. Tu ne tiens presque plus debout. Assieds toi au bord du chemin et guette en bas. Si tu vois les filles te faire des signes, appelle Nandini ou moi, nous irons voir ce qui se passe. D'accord ? C'est important. Les filles, asseyez vous et reposez vous tant que nous avons un peu de temps. Thani, Mellyna va bien. Elle aide en bas. Nandi, choisis des pierres à étincelles. Allons-y.





Les filles n'avaient pas bouger et gardaient les yeux clos. Elles était entièrement tournées vers Earl, surtout Mellyna car Fanaa sondait parfois ce qui se passait autour d'elles afin de prévenir un danger. Mais quelque chose n'allait pas. L'énergie de Mellyna essayait de la quitter, elle traversait Fanaa mais il n'y avait personne pour la recevoir de l'autre côté. Il y avait un blocage.

- Mellyna ... j'ai arrêté le temps pour son corps, afin de laisser Fynarine faire ce qu'elle a à finir. Mais son esprit ... je ne sais pas où est son esprit et il faut le retrouver pour le forcer à accepter ton énergie. Sinon je ne sais pas si il voudra se réveiller ...

-Je vais essayer, mais je n'ai jamais fait cela avant... J'avais invité Kamshin dans un rêve et il s'y était présenté de lui-même. M'incruster dans le rêve de quelqu'un... Je ne suis pas sûre qu'il goûte l'intrusion... Bon, on y va !

Mellyna prit une grande inspiration, c'était plonger dans l'inconnu et si elle passait les défenses elle pouvait tout simplement perdre sa personnalité dans des méandres de rêves ou de souvenirs. Elle savait qui elle était, elle espérait le rester.

La dédrane se lança, il faisait noir, s'en était oppressant. Elle se promena dans ce noir jusqu'à arriver à de grandes portes en métal et à un mur de pierres grises.
Elle essaya de pousser les portes, elles ne s'ouvrirent pas.
Elle tenta de gratter doucement. Si elles étaient conçues pour résister à des intrusions violentes, peut-être qu'avec un peu de douceur... C'était comme frapper à la porte d'une habitation et crier : C'est moi, il y a quelqu'un ? Mais rien d'autre ne lui venait à l'esprit pour le moment.

-Seigneur Earl... C'est Mellyna... J'aimerai bien vous aider mais je suis bloquée, Fanaa aussi et le travail de Fynarine ne sera pas suffisant. Ce serait bien que vous entrouvriez, ne serait-ce qu'un peu, vos barrières.

- Il n'ouvrira pas.

Dans un grincement qui résonnait comme une longue plainte, une des figures de métal qui ornaient les portes étincelantes commença à s'extirper d'un des battants. C'était un grand buste de femme au visage hiératique. Ses grands yeux sans regard fixaient l'intruse.

- Nul ne passe lorsque les portes sont fermées.

Les lèvres argentées ne bougeaient pas et la voix semblait venir de l'obscurité elle-même.

- Faites demi-tour tant que vous le pouvez.

-Allons bon, le contraire m'aurait étonnée. Vous ne feriez même pas une exception pour lui sauver la vie ?

Mellyna faisait les cents pas devant la figure impassible, cherchant une solution. Faire le tour des murailles ? Non, elles devaient s'étendre à l'infini, elle ne ferait que se perdre.
Grimper au mur ? Il était haut, mais pas plus que les arbres millénaires de la forêt. Les pierres laissaient des appuis suffisant pour ses pieds. Si la figure ne pouvait pas s'extraire plus ou sortir d'un mur ça devrait passer. Oui, elle grimperai si la statue ne voulait pas ouvrir ce passage.
Qui était cette femme ? Elle devait appartenir au passé du seigneur Earl, avoir été très importante pour garder ainsi ses pensées. Elle devait tenir à lui plus que quiconque.
La dédrane tenta les suppliques une dernière fois.

-Je lui dois la vie, laissez-moi lui rendre la pareille. Je ne demande pas à passer, juste à faire circuler de l'énergie.

- Il ne m'appartient pas de déverrouiller les portes. Elles ne s'ouvrent que de l'intérieur.

La longue chevelure de métal qui se mêlait étroitement aux arabesques de la porte se soulevait par vagues, telle la surface d'un océan.

- Et pour répondre à vos interrogations, je ne suis personne. Nul humain n'irait confier la clef de ses songes à un autre humain. Leur mémoire est éphémère, fluctuante. Il feraient de bien mauvais gardiens pour les pensées des autres.

Une grande main d'argent vint pointer un index sur le front de la Dédrane.

- Vous voyez une femme parce que c'est ce que l'écho de vos propres pensées ont éveillé au coeur de cette muraille. A chaque pierre que vous grimperez, une nouvelle apparaîtra au sommet. Si vous perdez le sol de vue, vous vous perdrez vous même. Que croyez-vous ? Ce n'est pas chez-vous. Ce n'est ni votre esprit, ni votre manière de penser. Vous n'avez pas été invitée ici.

Le gardien commença à se retirer dans la porte dont la surface ondulait comme de l'eau.

- Trop d'années vous ont insufflé trop d'arrogance. Faites demi-tour. L'énergie doit circuler dans les chairs blessées. Ce n'est pas comme si son esprit vous faisait barrage de ce côté-là. Que croyez-vous faire en tentant de forcer ces portes ? Si elles sont fermées, c'est qu'il y a une bonne raison. Faites demi-tour.

La surface mouvante se referma sur le visage d'airain, reprenant son aspect lisse et froid.
L'obscurité semblait à nouveau grignoter le mur surgi du néant.

-Vous mentez ! Fanaa m'a dit que l'énergie ne circulait pas convenablement ! C'est pour cela que je suis ici, pas pour un séjour touristique !
Ca ne m'étonne pas que vous soyez Earl, son amabilité refait surface même aux portes de la mort.
Bref Seigneur Earl, laissez circuler cette foutue énergie je vous prie !

La dédrane en avait marre de se faire insulter pour son ignorance de l'elixia. Qui était arrogante ? Susceptible peut-être, arrogante... Pas si souvent...
Elle n'était ni mage, ni clerc. Une gardienne, une guerrière, pas une spécialiste en elixia.

Elle fit demi-tour, pour le moment, ouvrit les yeux.

-Fanaa, il est trop têtu, il me dit que l'énergie circule... Enfin la gardienne des portes au caractère de cochon me dit cela... Tu as vraiment besoin de moi pour retrouver son esprit ? Tu ne le ferais pas mieux toi-même ou cela interromprait le processus de transfert ?

- "Caractère de cochon" ? Ca ne m'étonne même pas. Je suis désolée Mellyna, je me suis trompée. Pour ma défense c'est la première fois que je fais ça et de plus ... j'échoue chaque fois que je veux l'aider. Nous sommes sûrement incompatibles tous les deux. Ou plutôt ... il ne supporte personne. Ecoute, laisse tomber son esprit, tu ne peux rien y faire et moi non plus. Nous allons réparer son corps et le ramener au Temple. Nuada le sauvera. Je ne vois qu'elle.
Moi ... si j'essaie quoi que ce soit, vu nos rapports, ça va simplement précipiter sa fin. Je suis inutile, je n'ai pas d'illusion sur ce point.

Fanaa parut sur le point d'ajouter quelque chose mais referma la bouche.

- Je te prie de m'excuser Mellyna.

Fanaa se redressa. Là-haut, Masha appela.

- Tarik! Tarik il y a du mouvement ! Viens voir !

Le jeune homme se dépêcha de descendre tandis que les corps flambaient. Il observa le Levitis, qui ne semblait pas plus vivant qu'auparavant ... mais au moins ne voyait-on plus le tronc à travers lui. Sous le morceau manquant du tissu on voyait une peau rose et fragile. Fynarine était prête à défaillir.

- Pour la gorge il va falloir attendre un peu que je reprenne des forces. Je n'en peux plus.
- D'accord. Tu as très bien travaillé. Toi aussi Mellyna, mais il faut arrêter, tu as toi aussi besoin de ta propre énergie pour te remettre.
- Mais ... rester ici, non seulement l'endroit est dangereux, vous pourriez encore tomber, ou alors des prédateurs pourraient sortir, et de plus la chaleur est déjà forte, cela va encore empirer. Vous ne la sentez pas ?

Toutes à leurs tâches, les trois femmes n'avaient en effet senti ni la chaleur, ni leur soif, ni leur fatigue.

- Tu as raison Tarik. Nous allons reprendre la route. Il faut parvenir au village le plus proche, comme c'était prévu. Là, Fynarine pourra se reposer, se nourrir, Mellyna aussi et tout le groupe. Fynarine guérira son autre plaie. Elle le sauvera. Mais ensuite il faudra rentrer au Sanctuaire.
- Je ferai de mon mieux.
- Tu le sauveras Fynarine. Mais lui, est-ce qu'il se sauvera lui-même ? Essayons de nous dépêcher.

Fanaa réajusta le grand manteau d'Earl, sa capuche pour lui cacher le visage, puis lissa et renforça la boîte d'elixia autour de lui. Elle le détestait. Elle voulait le lui crier pour le secouer. Et elle voulait le ressentir. Parce que c'était tout ce qu'il méritait. Parce que c'était ce qu'il souhaitait sûrement, avec son attitude. Parce qu'elle voulait ne pas être seule à avoir mal. Parce que ses derniers souvenirs de lui, elle les détestait et qu'il n'avait pas été fichu ... de trouver mieux. Parce qu'il était un imbécile imbu de lui-même qui avait certaines idées bien arrêtées, des idées erronées et qu'il ne voulait rien entendre d'autre. Parce qu'il prenait les sentiments des autres de haut. Parce qu'il était cruel, insensible. Et parce que si elle n'arrivait pas à le détester, il allait la blesser encore. Mais surtout, elle voulait le détester pour se protéger. Pour se préparer. Pour parer à ce qui allait venir.
Elle le voulait ... mais les émotions, les sentiments ne répondent pas à la volonté. Mais autant faire comme si. Autant faire semblant. Autant mentir.

Tarik aida Fynarine à remonter, Mellyna le rejoignit bientôt, suivie de Fanaa. La Danseuse étendit ses mains au-dessus du vide et le corps remonta bientôt, allongé, droit, soutenu par l'invisible. Elle le plaça au-dessus de sa tête et ferma les yeux.

- Thani, nous devons rejoindre le plus proche village au plus vite. Nous ne pouvons pas rester au-milieu du chemin. En passant par en-haut nous éviterons l’éboulis et retrouverons une route praticable, Nandini l'a trouvée. Allons y.

Ils se mirent en marche. Ils avancèrent longtemps, évitant au maximum de s'arrêter. Il restait assez peu de provisions et d'eau, elles servirent à Fynarine et aux jeunes filles les plus faibles. Au village, tout irait mieux. Du moins il fallait l'espérer.

Peu de paroles furent échangé au début, il fallait économiser son énergie et l'eau.
Fanaa paraissait ruminer de noire pensées, aussi Mellyna tenta une approche.

-Tu sais, pour tout à l'heure, il ne fallait pas t'excuser, je n'en savais pas plus que toi. C'est bien d'avoir tenté. Je réessayerai au village si ça peut te rassurer et si tu as l'énergie pour me guider. Ce ne sera pas la première, ni la dernière fois, que je me fais rabrouer par le seigneur lévitis.
Ne dit pas que tu es inutile, ce n'est pas vrai.
Après pour ce qui est de vos rapports, je n'en sais rien mais s'il te laisse approcher et qu'il passe la nuit avec toi c'est bien qu'il y a de la confiance, non ?
Je n'ai pas beaucoup d'expérience en la matière mais, au vu de son caractère, s'il ne t'aimait pas un peu, il ne te laisserait même pas approcher de lui. Tu ne crois pas ?

La dédrane était fatiguée par le transfert, mais pas épuisée, comme au milieu de la nuit. Chaque minute qui passait lui paraissait bénéfique. Cette marche en plein soleil rechargeait ses réserves.
Le dragonnet était réapparu de fort bonne humeur et voletait gaiement autour du groupe.

- Tu es gentille ...

Le fond et les côtés de la boîtes se teintèrent de beige. Ce serait sûrement moins morbide pour les autres de ne pas voir ce corps inerte flottant au-dessus d'eux tel un mauvais augure.
Fanaa avançait les yeux fermés car elle avait besoin de toute sa concentration pour maintenir Earl dans son état de stase car il était beaucoup plus fragilisé et complexe qu'un valaë.
Heureusement, Mellyna avait le réflexe de la pousser doucement quand il fallait la faire tourner et de lui faire éviter pierres et ornières.

- J'aimerais que ce soit si simple mais je crois qu'il n'aime pas la simplicité. Sinon il ne serait pas là. Les hommes passent leurs nuit avec des femmes sans avoir besoin de rien éprouvé. Il n'a pas démenti quand Ridelgald m'a insultée, il me voit donc lui aussi comme une "sale garce". Ce n'est pas important. Il ne me comprend pas, je ne le comprends pas ... et il m'a dit de toute façon qu'il ne pouvait plus me faire confiance. Il n'y a rien à ajouter. Tu es très gentille et forte. Je te remercie infiniment de m'aider à le sauver. C'est tout ce que je demande. Le reste n'a pas d'importance.

Gardant la boîte en équilibre sur une main, elle allapresser de son autre main le bras de Mellyna pour ma remercier et lui signifier qu'elle ne souhaitait pas continuer de parler. Pas de ça.

Ils arrivèrent au village, c'était celui d'Ouvea dont les parents furent fous de joie en retrouvant leur enfant disparu. Les visiteurs furent installés ça et là éparpillés dans diverses maisons, accueillis là où il y avait de la place, nourris, abreuvés.

Fanaa but une gorgée d'eau mais ne mangea pas. Pour garder la main, elle devait laisser plus de place à l'autre, cela impliquait de remiser les sensations corporelles "humaines" loin.

Et les trois femmes de recommencer, de reprendre la guérison, de remettre d'aplomb un corps ... sans esprit.

*Mais reviens enfin ! Qu'est-ce que tu fais ? Reviens !*

Les cellules de Mellyna accéléraient la guérison, Fynarine était très professionnelle, les soins prenaient du temps mais physiologiquement ils fonctionnaient très bien ! La clerc s'y était prise si tôt qu'elle pensait même pouvoir éviter de lui laisser des cicatrices.

Mais Fanaa ne l'entendait toujours pas dans sa tête. Alors que sa voix aurait dû résonner, elle attendait, elle guettait, elle appelait même parfois. Mais rien. Toujours rien.

La violence de l'impact, la surprise aussi avait fait tombé Fanaa en arrière. En se déséquilibrant elle avait rompu le contact avec Mellyna. Ensuite elle s'était relevée et était sortie de la maison en vitesse. Sur le seuil elle était rentré dans Tarik qui montait la garde et venait voir ce qui se passait en entendant du bruit.

- Ouch ! Hey ça va ? Qu'est-ce qu'il a ?
- Il est réveillé. Je crois. Préviens son ami.
- Hein quoi ? Mais ?

Elle s'était déjà sauvée. Bon. Il jeta un oeil et vit le pauvre homme dans un coin et qui ne faisait pas le fier. Il se semblait pas en très bon état à vrai dire, tout tremblant avec la clerc qui lui tapotait le dos et lui disait des paroles apaisantes. Mais au moins il était vivant.

Tarik courut prévenir l'autre Levitis de la nouvelle.


Pendant ce temps Fanaa sortit du village, escalada le premier plateau qu'elle pouvait et armée d'une pierre et de l'espèce de sable qu'elle pouvait trouver là, elle se mit à se frotter frénétiquement la peau. Elle était sale sale sale, crasseuse, couverte de ... et de ... elle frotta plus fort. Ca n'allait pas. Mais alors pas du tout. Berk ! Berk ! Horreur !