Confins du Désert Rouge - les grottes de Leviathan

Elle ne bougeait plus... enfin autant que faire se peut pour quelqu'un qui voit une route parfaitement rectiligne onduler comme un siarpen en pleine frénésie.

Earl se raidit d'avantage, se mordant la lèvre. Puis un frémissement lui échappa.
Le Lévitis tenta désespérément de s'intéresser à un passionnant caillou à quelques mètres de là.

- Gz... rmf...

Il se plaqua une main sur la bouche et articula d'une voix aussi étouffée qu'approximative :

- Arr... glrmf... arrête, ça... prfff... ça chatouille !

- Cht. Faut que je m'accroche si je veux pas tomber. Et comme ça je me repose en attendant que tu sois sûr de la route.

Elle avait l'impression qu'il ondulait, lui qui était d'habitude si immobile alors elle raffermit légèrement sa prise et son oreille se frotta contre son dos à la manière d'un félin qui s'installe pour un petit somme.
La pulpe de ses doigts traçait les contours des muscles qui se laissaient apercevoir là où les mains s'était échouées, et passaient aussi sur les cicatrices qui se trouvaient dans les parages.

- Mais je suis sûr que c'est à droite...

Earl se trémoussa.

- Tu es sûre de vouloir me tripatouiller en public ?

Il ravala un rire et l'attrapa par les poignets pour l'obliger à décoller les mains de sa peau.

- Allez, à droite, j'ai dit.

Mellyna les avait observés en riant, ils l'avaient totalement oubliée, occupés comme ils l'étaient à flirter. Ils faisaient un bon duo de comiques, elle avait emboité leur pas de loin pour être sûre qu'ils ne se perdent pas et de façon à ce qu'ils ne se sentent pas gênés par sa présence.
De toute façon, dans leur état, elle aurait pu leur tenir la main qu'ils ne l'auraient pas remarquée.

Elle se tourna un moment pour leur laisser de l'intimité. Quand ils reprirent leur cheminement, elle prit la décision de les guider plutôt qu'ils ne fassent des bêtises sur la place publique avec de jeunes enfants qui pouvaient surgir à tout moment.

-Navrée de vous interrompre, c'est à gauche. Si vous le permettez, je vais vous guider. Vous pourrez ainsi faire vos affaires en toute intimité loin des regards.

La dédrane avait parlé d'une voix la plus neutre possible mais ses yeux pétillaient d'amusement. Elle espérait ne pas avoir gâché leur moment de camaraderie. Elle pris Fanaa dans ses bras, elle tanguait beaucoup trop et finirait par se prendre un mur.

-On y va ?

- Ah oui, "droite" c'était en venant dans l'autre sens. Mais vu la façon dont certaines vacillent au lieu de marcher, on a plus de chance d'arriver à bon port en leur indiquant la direction opposée.

Haussement de sourcil à l'intention de Mellyna.

- Et il n'y a pas d'"affaires".

Avec une dignité plutôt bien imitée, Earl réajusta à nouveau sa chemise, qui cette fois-ci en avait bien besoin.

- Derrière leurs airs de sages bien pensants, certaines ont l'imagination un peu trop débridée. Hrmpf. Bon soit, à dr... gauche.

- Je suis désolée ... Mellyna. Je ne pensais pas ... que ça ferait cet effet là. Pourtant j'ai l'esprit clair mais ... ce sont mes jambes. Dire que ... dire que je sais danser ... si Falisèn me voyait dans cet état, elle ne serait pas fière ...

Fanaa se laissait entraîner par Mellyna. Earl ... soupir ... Earl marchait mieux tout seul. Mais pourtant c'était bien d'être main dans la main ...
Elle secoua la tête. De toute façon Fealisèn n'avait jamais été fière. Jamais. Elle exigeait toujours plus et même si Fanaa faisait de son mieux ce n'était jamais assez. Heureusement qu'Ashk était là pour temporiser. Comment expliquer qu'après tout ce temps elle gardait un souvenir aussi précis de sa mère et flou de son père ? Fealisèn qui dansait c'était au-delà de tout adjectif, c'était une autre dimension. Elle avait un niveau impossible à égaler.

- Merci Mellyna.

La jeune femme laissa aller sa tête sur l'épaule de son amie tout en marchant et en se laissant totalement guider. Cette position gênait quelque peu la démarche de la Dedrane mais Fanaa n'y fit pas attention.

- Tu viendras avec moi, dis ?

-Si peu, si peu.

Mellyna évita d'aller plus loin dans la discussion. Elle se serrait engagée sur la pente glissante de ce qu'elle avait vu, ou pas, dans le temple et ne tenait pas à rendre encore plus difficile la relation des deux tourtereaux. Elle fit la mamie gâteuse, un petit sourire aux lèvres, et sourde d'oreille pour cette fois.
La danseuse, malgré ce que pouvait affirmer son compagnon, était toute légère, elle n'eut aucun mal à la porter.

-Où veux-tu aller ma douce ? Oui, je viendrai avec toi au temple. Je ne vais pas rester dans ce village.

Fanaa était vraiment une jeune fille toute mignonne, l'alcool accentuait son côté petite fille et l'instinct maternel de Mellyna ne savait pas y résister.

Fanaa ne se sentait pas spécialement une petite fille, elle était elle-même c'était tout. Elle avait toujours été ainsi.

Elle ne s'était pas attendue à ce que Mellyna la soulève et la porte mais ne s'était pas débattue car la sensation d'apesanteur était plutôt agréable. Sauf qu'Earl avait disparu de sa vision. Elle s'accrocha mieux au cou de la Dedrane.

- Il me manque, tu sais ...

Oh non. Elle n'allait pas être triste quand même ! Non non non. Il ne fallait pas. Fort heureusement la maison fut bientôt en vue et la Danseuse put retrouver la terre ferme. Sur ses jambes vacillantes elle alla s'adosser contre un mur et se laissa glisser au sol. Ce-dernier ne portait plus aucune trace d'eau de la toilette du Levitis.
Elle croisa les bras et son regard resta vague.
Maintenant elle devait trouver le moyen de se concentrer assez pour se reposer mais sans pour autant lâcher prise et dormir. Ou alors trouver une occupation pour que le temps passe plus vite.

Un pompon, deux pompons, trois pompons, quatre pompons...

- Gnnn...

Ridicule. Il devait avoir l'air ridicule.
Le sourcil dangereusement agité d'un tic agacé, Il fit brusquement volte-face.
Une demi-douzaine de kirikas se pétrifia en plein milieu du chemin, à quelques mètres à peine.

Earl regarda les kirikas, les kirikas regardèrent Earl.
Le meneur tacheté inclina la tête sur le côté, faisant retomber une oreille sur son oeil d'une façon comique, l'air perplexe.

- Tiou ?

Le fier Lévitis leva soudain les bras.

- Bouh !

Les boules de poils se hérissèrent mais restèrent à le contempler avec fascination. Décidément, leur instinct de survie rendait la perpétuation de l'espèce quasi miraculeuse.
Alors Earl fit un bond en avant, provoquant une grande débandade. Il passa dix bonnes minutes à courser le kirika tacheté autour de la maison, avant de s'effondrer à demi à côté de la porte, le souffle court.

- Ah... enf...

Il fusilla du regard la peluche qui était tout naturellement venue se poser juste devant lui, ses oreilles bien dressées, toute prête à continuer ce jeu amusant.

- Enfoiré.
- Tiou ?

Mais ? Sur qui grondait-il encore ? Pas Mellyna au moins ? Fanaa s'avança à quatre pattes vers l'entrée de la maison pour découvrir la meute de bestioles à pompon en train de fixer Earl. Celui qui avait passé la nuit avec lui osait se tenir beaucoup plus près que les trois autres.

- Ah oui c'est vrai que tu t'es fait un ami hier ! Et tu lui as tant plus qu'il a rameuté tous ses copains c'est chouette ! Tu n'auras pas froid cette nuit !

- Ah ah ah... désopilant, je me marre.

Earl adressa un grondement péremptoire à une des bestioles qui avait fait mine de s'avancer d'avantage. Tout se groupe se gonfla à nouveau de tous ses poils, mais sans reculer d'un pouce.

Surveillant du coin de l'oeil l'assemblée de kirikas, il se décala vers la porte et rentra à l'intérieur en enjambant Fanaa.
Qu'est-ce qu'elle fichait à quatre pattes, d'ailleurs ?

Un observateur extérieur n'aurait sans dout su que penser en voyant ce rassemblement de boules de poils qui tenaient conseil en rangs d'oignons devant la porte et se hérissait régulièrement en réponse à des grognements furieux provenant de la maison.

- Pauvres petits bouts ! Vous avez faim ? Attendez je vais vous trouver quelque chose.

Fanaa hésita entre la station agenouillée et debout, et il s'avéra que le sol s'était un peu stabilisé donc elle pouvait marcher sur ses pieds.

- Je me lève donc je suis un peu plus grande que vous mais il ne faut pas avoir peur d'accord ?

Elle s'épousseta les genoux et alla fourrager dans le coin où avaient été déposées quelques réserves de nourriture pour le convalescent, Fynarine et quelques autres. De retour sur le seuil, elle s'assit en tailleur.

- J'aurais dû vous prendre un gâteau au miel tout à l'heure mais je ne pensais pas que nous aurions autant de visites. Tenez !

Elle tendait à chacun des bouts de galettes, de fruits séchés, de noix et était chaque fois surprise par leur absence de pattes supérieures. Ils attrapaient directement avec leurs museaux, et étrangement, ne faisaient pas trop tomber leurs prises !

- Ne les encourage pas trop...

Earl alla s'installer dans le renfoncement sous une des étroites fenêtres. Il tapota un des cousins bariolés qui rendaient cette niche de pierre un peu plus confortable.

- ... enfin, sauf si tu tiens à ce qu'ils finissent de piller tout ce qui leur semblera comestible dans la maison dès qu'on aura le dos tourné.

Les kirikas agglutinés se disputaient à coups de tête pour s'emparer des bribes ainsi distribuées. Ils ne se faisaient pas grand mal. Le pire qui semblait pouvoir leur arriver était de rouler hors de la masse duveteuse et piaillante. D'ailleurs autant un kirika seul restait plutôt silencieux, autant en groupe ils se montraient bruyants.
Le spectacle de deux kirikas qui s'affrontaient dans une version toute personnelle du tir à la corde en entortillant leurs queues était particulièrement drôle.

Mellyna était repartie sans un mot. Les jeunes étaient rentrés sans encombre, sa mission s'arrêtait là. Fanaa savait qu'elle pouvait la rejoindre à tout moment dans la tente si elle voulait se reposer, pas besoin de les embêter davantage.

Elle repartit à travers le village vide, la plupart des habitants étant à la petite fête. Le soleil tapait agréablement, leur séjour dans l'obscurité avait été pesant. La dédrane se mit à rêvasser sur le chemin poussiéreux.

*Et maintenant ?*

La question la hantait dès qu'elle se retrouvait seule sans rien à faire. Il lui fallait prendre une décision. Si une caravane repartait du désert, serait-elle du voyage ? Pour aller où ? Pour faire quoi ? Repartir dans sa forêt ? Non, elle n'était pas encore prête, de cela, au moins, elle en était convaincue.
Elle arriva dans la tente qu'on lui avait alloué sans avoir sa réponse. Elle passa le rideau qui servait d'entrée, le referma et commença à se dévêtir en vue d'une petite sieste. Un raclement de gorge gêné interrompit son geste. Elle se retourna en sursaut vers l'inconnu :

-Ah, Thani... Tu m'as fait peur.

-Je vois ça. Désolé. Ca faisait un moment que je t'attendais, j'ai du m'assoupir. Je me suis réveillé à ton arrivée mais tu ne m'as pas laissé le temps de me signaler. Tu vas bien ? Tu as l'air préoccupée.

-Rien de bien nouveau je te rassure. J'ai besoin de savoir ce que je vais faire maintenant, je tourne en rond sans parvenir à prendre une décision.

L'eyerash ne répondit pas tout de suite, il paraissait hésitant, son visage était fermé comme si un conflit l'agitait. Il se rapprocha de Mellyna, lui prit les mains :

-Tu pourrais rester dans ce désert... Avec moi...

C'était peut-être le calme du moment, la paix ressentie ... Les yeux de Fanaa se fermèrent. Derrière ses paupières, nul double mort d'Earl, non, rien qui fasse peur à vrai dire.
Un baquet d'eau chaude avait été montée dans la chambre de l'auberge et Fanaa s'y était glissée. Elle s'était saisie du savon pour commencer à se laver lorsqu'une main le lui avait subtilisé pour s'occuper de lui nettoyer la peau à gestes précis et tendres. Fanaa ne pouvait plus plus respirer, elle en frissonnait et n'osait pas se retourner et risquer de le voir ...
Pourquoi ? Pourquoi penser à lui maintenant ? Pourquoi ? Le manque s'était fait si discret ces derniers temps, si absent, et sans prévenir voici qu'il revenait d'un seul coup, brutalement et emplissait la jeune fille d'un sentiment de tristesse qui la prenait à la gorge, d'une montée de larmes qui menaçait.
Il passa doucement sa main sur la joue de la Danseuse pour lui faire tourner la tête et son coeur fit un bond en croisant son regard bleu-vert, mais il ne lui laissa pas le temps de parler, préférant sceller sa bouche par un baiser, un baiser sans fin. Ils s'embrassaient encore lorsqu'il la souleva dans ses bras pour ensuite aller l'installer sur le lit. Cette fois, il resta avec elle tout le temps et ne la quitta même pas pour aller emprunter des vêtements propres à Earl. Il faisait chaud dans cette chambre, il faisait chaud, doux, et c'était bon ...

Fanaa souleva les paupières, sentit une larme couler le long de sa joue et de son cou, tourna la tête et laissa tomber son regard sur Earl. Le Levitis était endormi, il respirait profondément. Il était là. Il était là, lui. Attendrie, elle l'embrassa dans le cou et se pelotonna plus près de lui avant de baisser de nouveau ses paupières.

Mellyna resta un moment interdite, sans oser bouger de peur que Thani ne retire son offre.
Elle aurait pu s'y attendre, elle connaissait l'eyerash, il n'aurait pas embrassé n'importe qui juste sur un coup de tête. C'était un solitaire, un célibataire par choix.
Elle aurait du s'y attendre, y réfléchir, pourtant cela n'avait même pas effleuré son esprit.

*- Trop naïve...
- S'il te plait Eleïr'l, ce n'est pas le moment... Et pas de morsure ce coup-ci !
- Oui, oui, s'il reste correct.
- Cela ne te regarde pas, je suis assez grande pour me débrouiller !
- Humpf, tu parles. Mais je respecterai ton choix.
- Merci. *

L'échange n'avait duré que le temps d'un battement de cil et elle n'était pas plus avancée.

L'homme attendait patiemment sa réponse. Il savait qu'il ne servait à rien de brusquer un animal paniqué, on n'en retirait que la fuite ou de l'agressivité, ça marchait pareil avec les femmes, non ? C'était la première fois, depuis longtemps, qu'il osait ce genre de rapprochement. Il n'était plus tout jeune, c'était maintenant ou jamais s'il voulait une famille et elle lui plaisait vraiment. Depuis le début en fait, elle était plus proche de lui dans sa vision du monde que beaucoup de ses compatriotes. Elle était si forte, tout en étant si fragile. Pas question de la laisser partir après l'avoir emmenée si loin sans avoir tout tenté.

Le mur qui entourait l'esprit d'Earl était résistant mais celui que la dédrane avait forgé autour de son cœur n'avait rien à lui envier. Après la mort de tous ses êtres chers, elle avait décidé de ne plus se laisser approcher par des gens qui vivaient moins longtemps qu'elle. Elle s'était laissée amadouer par Lor pour un résultat encore plus catastrophique. Mais la solitude est si difficile, si froide, si longue.
Après tout qu'avait-elle à perdre ? Si ça ne marchait pas il suffisait de repartir. Si ça marchait... Elle pourrait, peut-être, être heureuse comme avant. Ne serait-ce que pour quelques années ? Peut-être aurait-elle de nouveau une famille ? Des enfants, cela était-il seulement possible ? Loin de sa forêt peut-être qu'elle finirait par vieillir, par mourir avec quelqu'un à ses côtés ?
Mellyna prit sa respiration comme si elle s’apprêtait à plonger dans un océan hostile. Elle ne retira pas ses mains, ferma les yeux et vint embrasser les lèvres gercés de l'homme qui lui avait offert la liberté du choix.

Le soleil partout, la lumière aveuglante, la chaleur écrasante ... le désert, enfin ! Ivre de joie, Aryllë ne put se retenir de pousser un grand cri tandis que sa monture filait sur les dunes. Chez elle ! Elle était chez elle ! Il y faisait bien trop chaud par rapport à la forêt dans laquelle elle vivait à présent mais elle était fille du désert et il resterait à jamais sa maison. Entre ses jambes, le cheval du désert filait comme le vent brûlant. Le fenwel, "mirage" était une créature d'une vitesse irréelle et impossible à attraper. Généralement. Pourtant la femme aux cheveux de soleil avait pu se faire accepter par deux d'entre eux et avait maintenant l'honneur -et le plaisir il fallait l'avouer- de pouvoir les monter.

Aryllë tira un peu sur la crinière crépitante et le quadrupède s'arrêta, les flancs battants, les jambes nerveuses et prêt à repartir en vitesse au moindre signe. La femme tira de sa poche une sorte de boussole et en souleva le couvercle pour s'absorber dans l'observation de la drôle d'aiguille.

Dès qu'elle le pouvait, Aryllë venait dans le désert pour observer sa famille de loin. C'était là qu'elle préférait passer son temps libre seulement si elle était là aujourd'hui, ce n'était pas pour cette raison. C'était à cause d'un pressentiment. Il se passait quelque chose de mauvais dans "son" désert. Cela n'avait pas été facile de faire entendre raison à ses supérieurs, mais elle avait insisté sans relâche et il l'avaient laissée y aller. Mais seule. Qu'à cela ne tienne, elle était équipée, elle ferait ce qu'il faudrait.

- Haï Raïtenn Haï !!!

Sentant la pression des jambes sur ses flancs, le fenwel passa de l'arrêt au galop et fila vers les plateaux et les tertres de pierre.

L'après-midi s'était écoulée trop vite, l'abandon et les caresses avaient vite fait de la sortir de toutes ses préoccupations. C'est le soir, la fraicheur lui provoquant un frisson sur sa peau nue que Mellyna revint à la réalité.

-Ah, zut j'ai oublié de te demander si tu avais décidé quand serait le départ.

L'homme allongé à ses côtés s'étira, un sourire tendre et satisfait sur les lèvres. Il attrapa une couverture qu'il étendit sur eux, la prit dans ses bras et répondit à regret. La réalité venait s'imposer à lui. Il serait bien resté quelques heures encore sur son nuage.

-Ne t'inquiètes pas. J'ai croisé Fynarine avant de venir ici, elle m'a dit que ça allait mieux et qu'elle supporterait le voyage vers le temple sans problème. Pour Earl, il ne m'a pas semblé très frais. Il peut marcher, c'est déjà pas mal, mais jusqu'au temple... J'ai peur que cela soit trop long pour lui. Un villageois doit y retourner demain pour amener des nouvelles sur l'avancement des réparations au temple. Il a accepté de marcher avec nous et de laisser son cheval disponible si les blessés ne se sentaient pas bien.
Bien entendu j'ai prévenu tous ceux qui étaient à la fête. Ils seront près à partir demain aux premières lueurs du jour. J'ai aussi demandé à Fynarine de prévenir les deux-qui-ne-tiennent-pas-l'alcool-de-fleur quand elle les rejoindrait ce soir pour le repas. Tu vois, tout est réglé, pas la peine de t'en préoccuper.

Thani considéra que le sujet était clos et qu'il avait bien mérité quelques câlins supplémentaires comme récompense. Les yeux pétillants, les joues en feu, Mellyna se prêta au jeu avec enthousiasme.
Ils finirent tout de même par s'endormir avant le milieu de la nuit. La dédrane devait encore reprendre des forces et l'eyerash n'était pas du genre à accepter qu'une convalescente ne se repose pas convenablement.

Il se leva avant l'aube, considéra la jeune femme endormit et décida de ne pas la réveiller tout de suite. Elle paraissait vraiment jeune, son âge ne pouvait se deviner que quand son regard devenait mélancolique. Néanmoins, il ne s'en serait jamais douté, si elle ne le lui avait pas avoué en rougissant. Un soir où, échangeant des souvenirs à la lueur d'un petit feu, il lui avait demandé en riant qu'elle âge elle avait donc pour connaitre tant d'histoire de matriarches.
Thani s'habilla en silence et alla chercher de quoi manger. Il ne réveilla la dédrane qu'après avoir déposé un repas bien fournit à côté d'elle.
Ils mangèrent en vitesse, finirent les bagages et se rendirent, main dans la main, sur le lieu de rendez-vous alors que le soleil commençait à peine à percer au delà des falaises.

Ils furent rejoints peu de temps après par Masha, puis Nandini et la ribambelle de jeunes filles arc-en-ciel (qui n'étaient plus arc en ciel car elles avaient changé de vêtements).

Tarik était passé toquer à la hutte du convalescent avant de rejoindre la troupe. Earl avait dormi avec un kirika dans le cou et quelques autres roulés en boule sur son abdomen. Fanaa était restée à cpoté du lit, la tête près de celle d'Earl. Ce n'était pas la plus confortable des positions mais elle voulait dormir près de lui, et ne voulait pas risquer de casser le lit en montant dessus. C'est la nuque raide qu'elle releva la tête, le regard encore un peu embrumé. Elle se redressa, passa au dessus du Levitis et frotta son nez contre le sien avant de lui faire un petit bisou du matin sur la bouche.

- C'est le moment de rentrer !

La Danseuse était rassurée. Earl serait enfin à l'abri. Enfin dans un lieu sûr. Très bientôt.

- Je vous attends dehors !

Elle quitta la maisonnette et rejoignit la troupe. Elle salua tout le monde s'approcha de Thani et Mellyna. Les voir main dans la main fit pétiller son regard.

- Mellyna !!!

Elle serra son amie contre elle et hocha la tête à l'intention de Thani.

- Alors c'est bon ? C'est vraiment le retour cette fois ? C'est bien. Ecoute Thani ... je ... je ne vais pas rentrer avec vous.

L'eyerash la regarda étonné :

-Bien, tu fais comme bon te semble.

Il n'ajouta rien et partit inspecter les préparatifs laissant les deux femmes discuter. Mellyna se sépara de Fanaa pour mieux la regarder.

-Si ce n'est pas indiscret, il y a une raison précise ?
En baissant la voix.
Un jeune homme aux cheveux blancs ?

Ce n'était pas de la curiosité mal placée, elle avait peur qu'une dispute n'ait éclaté entre les deux amants et ne voulait pas laisser la danseuse pour de mauvaises raisons. De plus c'était la seule amie qu'elle se soit fait dans ce désert, elle allait se sentir seule sans elle. Surtout si Macha continuait de regarder alternativement elle et Thani avec des yeux ronds.

- Earl ? Non non Earl ...

Fanaa dut fermer les yeux pour calme son souffle et ses battements de coeur.

- Pfiou. Non Mellyna, ça n'a rien à voir avec lui. Je voudrais retourner à la grotte et d'ici c'est encore accessible, tandis que si je rentre au Sanctuaire, ce sera très loin. Trop loin en fait et je ne pourrai pas refaire le chemin. Alors qu'elle n'est qu'à 1 journée d'ici.

Elle avait envie d'y retourner. Ou alors était-ce un besoin ? C'était comme une sorte d'appel. Une sensation bizarre sous son crâne. Elle s'était retenue de faire demi-tour jusque là, mais maintenant que tout le monde allait mieux que que la route qui restait à faire pour le groupe était sans danger, maintenant elle pouvait regarder derrière elle et revenir sur ses pas.
C'était une sensation bizarre, qui s'atténuait avec la distance, mais du village où ils étaient, elle la sentait encore bien.

Elle baissa la voix.

- Tu pourras essayer de garder un oeil sur lui s'il te plait ? Avec sa propsension à s'attirer des blessures ... je m'inquiète un peu. Et sinon félicitations pour Thani ! Ca fait plaisir de vous voir ainsi ! Tu es heureuse ?

- gnrf ?

Earl n'eut guère le temps de s'étonner d'avantage : la maison était déjà vide.
Il se redressa, provoquant un éboulement de kirikas, et le regretta presque aussitôt. Allongé cela allait encore, mais assis...

- Gnn, mon crâne...

Peut-être résistait-il mieux aux effets immédiats de l'alcool, malheureusement il n'en était pas de même pour le contrecoup.

Ce fut donc un Earl très froissé qui finit par sortir, la mise approximative et les cheveux dans la figure. Il traîna vaguement des pieds vers le rassemblement déjà piaffant d'impatience. Les jeunes filles qui piaillaient aussi fort que des kirkikas eurent droit à un coup d'oeil incendiaire et même le soleil qui avait l'audace de briller trop fort eut sa part de grognements.
Le Lévitis s'assit sur le premier rocher disponible puis entreprit de se masser les paupières sans prêter attention aux bavardages. Il s'était déjà senti plus alerte...