Confins du Désert Rouge - les grottes de Leviathan

Ridelgald ne tarda pas à s'encadrer à l'entrée de la pièce, le souffle court d'avoir traversé le village au pas de charge.
Avec mille précautions, il remit Earl sur sa paillasse et lui donna de quoi finir de se rincer la bouche.

L'ex-capitaine avait habituellement l'air trop fier et trop sévère pour que quiconque -fut-il proche- ose se permettre un geste familier. Mais là, plus pâle et tremblant qu'après la pire blessure, le regard égaré, il avait juste l'air de quelqu'un de complètement désemparé. De l'index, Ridelgald essuya une larme que la toux avait fait monter aux yeux du jeune homme.

Earl grimaça et se frotta les paupières. Le sang qui avait coulé sur sa joue lui avait collé les cils, sans parler des cheveux qui avaient raidi dans son cou. Ridelgald lui bloqua le poignet et l'obligea à s'étendre complètement.

- Tenez-vous tranquille.

Armé d'un linge et d'un fond d'eau claire, il entreprit -avec un rien de maladresse, de ses grandes mains rudes- de nettoyer un peu ce visage aux traits tirés. Toujours sans avoir prononcé un mot, l'ancien clerc se laissait faire. Cette docilité suspecte et son regard voilé semblaient indiquer qu'il était encore un peu perdu. Il ne semblait même pas avoir remarqué les autres personnes présentes...

- Seigneur Earl ? Comment vous sentez-vous ?

Il semblait affaibli et perdu. Le grand Ridelgald semblait un père maladroit toilettant son enfant. C'était ... étrange. Ces grandes mains ... Fynarine avait le tournis. Elle se mit à respirer plus lentement. Elle dormirait plus tard. Quand elle serait sure, vraiment sure que le Levitis allait bien. Au moins, malgré sa toux violente, sa gorge n'avait pas bougé. Plus trace de la blessure si c n'était une surface de peau rosée au lieu d'être dorée. Comme sur son torse.

- Essayez de dire quelque chose. N'importe quoi. Ce qui vous passe par la tête. Allez. Juste quelques mots.




C'était rouge, c'était brun, c'était vert, c'était noir aussi. Et c'était sur elle, sur ses jambes, ses bras, son ventre, son visage, ses cheveux ... oh ses pauvres cheveux ... ils étaient restés là-bas, dans la salle aux cuves. Ce qu'il en restait était emmêlé et aussi dégoûtant que le reste de sa personne. C'était à vomir. Tout était à vomir. Etait-elle sortie du Ringèm pour ça ? Pour tuer ? Pour connaître l'amertume, la déception, la colère ? Pour être si sale ? Son coeur se soulevait, dansait la valse avec son estomac vide. Fanaa était quelqu'un de propre, elle avait acquis une hygiène qui la poussait à se laver parfois plusieurs fois par jour si elle le pouvait. C'était ainsi depuis Fedoran. Se laver était un besoin, elle devait, elle voulait être propre. Elle voulait être jolie aussi. Mais non, elle était juste monstrueuse, recouverte de matières sèches, puantes, dont certaines avaient été visqueuses. De l'eau, il lui aurait fallu de l'eau mais il ne fallait pas gâcher l'eau du désert. l'eau du désert n'était pas pour les étrangers. Elle était précieuse. Le sable en revanche, il y en avait assez. Et en frottant assez, assez fort, elle pourrait se débarrasser de cette ignoble seconde peau. A vomir.

Mellyna se remit bien vite de sa surprise. Il était vivant ! Voila une bonne nouvelle !
N'y tenant plus, elle prit avec douceur le tissu des mains du géant qui commençait à arracher le visage du clerc plus que le nettoyer.

-Laissez moi faire, soutenez-le.

Pendant que l'autre dédrane vérifiait une énième fois que ses réparations avaient tenu le choc, la gardienne décrassa avec efficacité le plus gros du sang et de la sueur qui maculait le lévitis. Elle ne dit rien et voulut se faire oublier pour ne pas gâcher les retrouvailles des deux hommes.
Mellyna n'aimait pas particulièrement le seigneur Earl, mis à part le fait qu'il lui avait sauvé la vie, cependant personne pouvait ne pas s'émouvoir de l'état du jeune homme.
L'instinct maternel est quelque chose de terrible pour ceux qui le possède et la dédrane en était souvent victime.
D'ailleurs, il lui soufflait qu'elle n'irait pas se coucher avant d'aller voir la danseuse, elle était sortie à toute allure, avec un visage si pâle.

- Je...

C'était à peine plus qu'un rauquement étouffé. Il dut forcer un peu pour poursuivre :
- ... ne comprends pas. Qu'est-ce que j'ai...

Earl porta une main mal assurée à son cou. Du bout des doigts, il effleura une zone d'où quelques minces écailles argentées avaient été arrachées. Il était peu probables qu'elles repoussent un jour à la place des zones de peau plus claire.

Il adressa un regard interrogateur aux Dédranes. Il ne cessait de ciller, comme s'il éprouvait des difficultés à faire le point sur ce qu'il voyait ou qu'il luttait contre une immense envie de dormir. La dernière option n'aurait rien eu de surprenant, d'ailleurs.

- Les... autres ?

- Restez calme, les autres vont bien. expliqua Fynarine.

Tarik acquiesça, les autres blessures, moins graves, avaient été soignées sans elixia, à la manière des soigneurs du désert.

- Quant à vous, vous êtes tombé. Une bien mauvaise chute, il faut l'avouer. Nous avons dû nous mettre à trois pour nous occuper de vous, vous savez. Trois femmes juste pour vous. Et maintenant vous êtes là et je vous parle. C'est uns sorte de miracle vous savez, vu l'état des lésions ... Oooh ...

Un étourdissement. Elle posa son poing sur son front. C'était sans nul doute la réparation la plus dure, longue et complexe qu'elle ait eu à effectuer seule. Elle espérait bien ne pas avoir à recommencer de sitôt, mais la pointe de la fierté lui aiguillonnait agréablement l'esprit il fallait l'avouer.

- J'ai un coup de fatigue alors je vais m'allo,ger, mais je suis juste là, au fond de la pièce. En cas de besoin, réveillez moi. Bon retour seigneur Earl, c'est un véritable soulagement de vous revoir parmi nous. Vos devriez vous reposer vous aussi.

La Dedrane vérifia encore une fois l'état des blessures, le pouls et la respration du jeune homme enfin d'aller effectivement se coucher. Elle s'endormit aussitôt.










- Ca n'ira pas, ça ne me suffira pas. Il me faut de l'eau, de la vraie eau, là j'ai seulement retiré un peu du sang des autres pour y mettre le mien et j'ai une armure de sable ... je dois trouver de l'eau, donnez moi de l'eau ...

Le regard vitreux, elle avait tellement besoin de cette eau qu'elle aurait peut-être même sauté dans le lac au palais englouti. Malgré ce qui y nageait. Ou alors elle se serait contentée de l'eau qui tombait de pierre en pierre ... ah si seulement ... De l'eau. Elle devait absolument trouver de l'eau. C'était sa seule pensée cohérente. Le reste serait pour plus tard. Elle devait absolument en trouver. Il y en avait parfois sous terre. Elle devait retourner sous terre. Voilà. Trouver un passage sous le plateau. Oui.
Elle descendit et fit le tour du plateau par en-bas à la recherche d'une ouverture. Là-dessous elle serait à l'abri et elle trouverait quelque chose. Une ouverture, elle s'y engouffra. Il lui fallait absolument cette eau. Absolument. Pour se décrasser enfin. Et pour se calmer. Il y avait des bruits de glou glou. Si ce n'était pas une illusion sonore, elle trouverait quelque chose. Il le fallait absolument.

- Tombé ?

Non, ce n'était pas...

Earl se mordit la lèvre, ravalant ses questions.

- Buvez encore un peu, et dormez. Vous en avez besoin.
- Pareil... pour toi.

Ridelgald avait lui aussi les traits tirés.
Le soldat hésita. Il n'y avait guère de place dans cette petite habitation.
Juste dormir un peu assis contre un des murs, peut-être... Mais le regard d'or trop clairvoyant lui fit hocher docilement la tête. Il ne devait plus risquer grand chose dans ce village.

- Très bien, mais je ne sortirai pas avant que vous ayez fermé les yeux.

Les cils clairs qui gardaient quelques petites taches sombre en dépit du débarbouillage soigneux de Mellyna consentirent enfin à s'abaisser sur les joues pâles. Il aurait besoin d'un bon décrassage du corps aussi, et de vêtements propres... mais plus tard.

Les traits de l'ex-clerc ne parvenaient pas à se détendre complètement.
Avec un gros soupir, Ridelgald se décida à se relever pour quitter la petite demeure de pierre rouge. Tout épuisé qu'il soit, Earl avait vu juste : lui aussi avait grand besoin de sommeil.

C'était froid.
Tellement froid.

- Donne... moi...

Un grand tressaillement secoua le Lévitis. Il rouvrit les yeux.
Fynarine dormait profondément à l'autre bout de la pièce. Tout était calme et silencieux.

Se reposer.
Il devait...

Froid.

- ... moi...

Haletant, il se plaqua les paumes sur les oreilles.
Des doigts glacés lui agrippaient les poignets, tentaient de les écarter.
Des mains froides et si lourdes...
Du métal. Cliquetis. Des bracelets de fer reliés à des chaînes.

Non, pas encore.

Un violente brûlure à l'épaule.
La marque au fer rouge ?
Non, c'étaient des dents qui perçaient sa peau. De grandes dents jaunes.

Les bracelets métalliques s'étaient mués en une matière plus fine, plus fluide. On aurait dit des cheveux, de longs cheveux d'acier.
Ils lui étreignaient les bras, s'enroulaient autour de son cou. Ils le traînaient au sol, vers une porte immense, aux battant grands ouverts.

Non, non...
Non.

Mellyna avait quitté la pièce en même temps que le lévitis. Elle ne servirait plus à rien ici, autant trouver Fanaa. La lumière du jour lui fit cligner les yeux. Ce soleil faisait tellement de bien après les heures obscures qui avaient précédées.
Elle ne voulait pas dormir, pas encore, elle savait qu'un beau disparu et une momie l'attendaient, tapis dans son sub-conscient, elle n'était pas prête à les affronter de nouveau.

Avec l'aide de son petit protégé ailé, elle retrouva la danseuse occupée. Cela semblait lui faire du bien. Elle s'était nettoyée depuis la dernière fois, mais n'avait pas arrangé ses cheveux, pas de miroir peut-être. C'était leur hantise et leur rêve à toutes les deux.

-Bonjour, je viens vous emprunter Fanaa quelques minutes, dit-elle avec un grand sourire à la propriétaire de la teinturerie.

La dédrane fit signe à la jeune fille de la suivre dehors, elle l'emmena dans une tente qu'on lui avait gentiment dressé.

-J'ai des ciseaux, si tu veux, je peux te recouper tes cheveux pour que la forme soit jolie. Et les nettoyer un avec un peigne. Je coupais les cheveux de ma sœur dans le temps. Je suis assez douée, cela te plairait ?

C'était futile, certes, cependant un peu de repos et de temps pour soi ne pouvait faire de mal. Cela amenait les gens à se confier parfois, elle espérait que Fanaa se déchargerait de ce qui la rongeait. Il y avait le seigneur Earl, mais était-ce vraiment tout ?

Fanaa s'était laissé entraîner par la Dedrane et c'était un miracle si elle n'avait pas fondu en larmes à l'évocation de ses cheveux. Ce n'était que des cheveux pour certains, pour les hommes surtout, ils ne voyaient là que futilité, détail sans importance. Ils n'essayaient même pas de comprendre que cela pu être plus qu'une simple parure. Mellyna la comprenait, elle aussi avait changé physiquement, beaucoup. Elle en souffrait probablement.

Fanaa hocha tristement la tête.

- Je veux bien s'il te plaît. Essaie ... essaie d'en laisser le plus possible. Si tu peux.

Elle soupira te laissé le peigne et les ciseaux jouer sur sa tête.

- Je pourrai te teindre le cheveux si tu veux. En utilisant de l'elixia. Je peux faire n'importe quelle couleur. J'avais proposé à Earl ... de les lui teindre en orange ... ou rose je ne sais plus ...

Fanaa se mit à rire. C'était un rire nerveux, qui la secouait toute entière. En aucun cas un rire de joie. C'est que ça semblait si loin tout ça ...

- Il s'est fâché bien sûr. Il était tout faible ce jour-là encore mais il se fâchait quand même. Il es toujours fâché. Toujours toujours.

Elle s'essuya les yeux et entoura ses genoux de ses bras. Ses larmes coulaient silencieusement. Finalement elle n'aurait pas dû boire. Ca avait pour seul effet de lui faire des réserves d'eau pour ses yeux.

- Il va bien ? Quand tu l'as laissé ... il allait bien ?

Elle voulait le détester. Mais c'était plus difficile que prévu. Et devant Mellyna elle avait du mal à faire semblent, à mentir car la Gardienne ne le méritait pas. Elle ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter. Il était si fragile aussi ! Il semblait avoir le chic pour attirer tout ce qui allait lui abîmer la santé. Si elle lui reparlait, elle aurait bien un conseil à lui donner. Une idée à lui glisser. Car bon, il ne comptait quand même pas continuer ainsi, hein ?

La dédrane ne put s'empêcher de rire.

-Il serait magnifique avec les cheveux roses, un vrai prince !

Après avoir essuyé une petite larme d'hilarité au coin de l’œil, elle reprit avec plus de sérieux.

-Oui, il s'était endormi. Fynarine aussi, elle a vraiment fait un travail exceptionnel ! On ira le voir tout à l'heure si tu veux.
Pour ce qui est de mes cheveux, je ne sais pas trop. C'est très généreux de ta part. Je voudrais attendre, de savoir, de voir...

Un petit silence s'installa, juste le temps de faire face à la réalité.

-... si je reste vieille. Les cheveux blancs m’iront bien mieux dans ce cas. Dans la cas contraire, quand tu te seras reposée et qu'on aura le temps, ce serait adorable si tu pouvais leur rendre leur couleur d'origine...
Je coupe juste le minimum, ne t'inquiète pas. Ceux qui restent sont toujours aussi beau et ils devraient repousser assez vite. Et puis avec ton joli minois, une coupe courte met en valeur le visage, tes yeux devraient encore plus ressortir .

Elle posa les ciseaux, se mit en face de Fanaa, lui releva doucement le menton du bout de l'index. Les larmes roulèrent sur les joues rondes.

-Ne bouge pas s'il-te-plait, je fais les finitions.
C'est toujours le seigneur Earl qui te fait des misères. Tu es trop bien pour lui.
Il y a autre chose qui te tracasse ? Tu es un peu excessive dans tes réactions dernièrement, comme si tu paniquait, était perdue...

- Trop bien ? Tu es vraiment gentille. Personne n'est assez bien pour lui, c'est assurément ce qu'il pense. Et il essaie de modeler son entourage à son idée, il veut changer les gens sans leur demander leur avis. C'est bizarre d'ailleurs parce qu'il est empathe mais ne réagit pas du tout comme on pourrait s'y attendre. Je veux dire, si j'étais empathe et que je sentais que quelqu'un était triste, je voudrais aller le consoler. Toi aussi, j'en suis sure. Mais il faut dire aussi qu'être submergé par des sentiments qui ne sont pas les siens, ce doit être désagréable et dangereux. On peut sûrement se perdre si on écoute trop. Je suppose.

Elle secoua la tête.

- Merci pour mes cheveux. C'est gentil. Tu crois que les femmes sont plus gentilles que les hommes au naturel ? Peut-être que c'est là que réside l'explication ? Peut-être que les hommes sont durs alors que les femmes sont douces et qu'il faut se mêler pour parvenir à un équilibre ?

Elle prit la main de la Dedrane et la regarda dans les yeux.

- Tu ne resteras pas vieille. Tu n'es pas toi-même, là. Je suis sincèrement désolée de ce qui t'est arrivé. Je voudrais pouvoir faire quelque chose mais à part la couleur de tes cheveux, je ne peux rien changer. Enfin je n'ai pas essayé mais je l'y refuse, ça pourrait être dangereux. Je ne voudrais pas qu'il t'arrive plus de mal.

Fanaa remit une anglaise blanche derrière l'oreille de la Gardienne.

- Et je préfère ne pas aller le voir. Il y aura Ridelgald auprès de lui et je refuse de m'approcher de cet homme. Il est dangereux. Il me faisait peur avant et encore plus maintenant. Earl trouverait cela stupide et insensé mais c'est qu'il n'essaie pas de comprendre, il se contente de juger selon ses propres critères. De toute façon, eux et moi... Elle secoua la tête Je n'irai pas le voir. Comme tu l'as dit Fynarine a fait un excellent travail et elle le sauvera encore et encore si besoin. Et toi tu pourras me donner des nouvelles. Si tu veux bien faire cela pour moi. Car je te fais confiance Mellyna.

Elle pressa la main de la Gardienne.

- Et ne t'inquiète pas pour ton visage. Je suis sure qu'il va redevenir comme avant. Et Thani reviendra lui aussi. Il n'y a pas de raison. Il te reviendra, Mellyna.

La dédrane fut un peu émue par les paroles de la danseuse. C'est ce qu'elle avait tellement voulu entendre, même si ce n'était qu'un petit espoir, cela lui fit du bien.

-Merci.
Pour ce qui est de Thani, je suis plutôt satisfaite de son attitude. Je ne sais pas où j'en suis moi-même... Je préfère qu'on attende de voir comment les choses vont évoluer, nous sommes avant tout des compagnons de route, ce n'est pas si mal.

Elles entendirent des pas qui se rapprochaient rapidement. Ce n'était pas des enjambées fluide de danseuse, c'étaient un pas lourd mais assuré, un peu précipité. On gratta au tissu de la tente, puis on attendit l'autorisation d'entrer.

-Quand on parle du valae...
Thani, qu'y-a-til ? Tu peux entrer, je suis avec Fanaa.

Une grande tête passa par l'entrée de la tente, avec un air légèrement soucieux.

-Désolé de vous déranger. Je suis passé devant la maison où sont logés Fynarine et Earl. Le lévitis paraissait délirer un peu, j'aimerai avoir ton avis sur la question Mellyna, si ça vaut la peine de réveiller la clerc ou pas. Tu sais moi et les humains malades...

Thani ne prit pas la peine de mentionner qu'il cherchait en fait la gardienne pour voir comment elle allait et pour s'assurer qu'elle dormait bien. Des enfants lui avaient appris où elle se trouvait, avec une dame aux beaux yeux violets. Il se doutait bien qu'elles seraient en train de papoter au lieu de se reposer.

-J'arrive.

Mellyna sourit à Fanaa avant de poser ses ciseaux et de se diriger vers la sortie.

-Tu es sûr que tu ne veux pas venir avec nous ? Si tu veux regarder ta coiffure, j'ai nettoyé mes lames, ce sera le meilleur miroir des environs. Tu peux aussi rester dormir ici si tu veux, il y a de la place pour deux.

Laissant la danseuse le temps de prendre sa décision seule, la dédrane sortit sous le chaud soleil et se dirigea avec l'eyerash vers la maison du convalescent.

- Il délire ?

Fanaa se mordit la lèvre.

- Non ... il ne vaut mieux pas que je vienne. Je ne sais pas soigner. Mellyna, tu fais bien attention à lui, il a peut-être de la fièvre. Si jamais il y a besoin de moi je suis là. Merci Mellyna, merci Thani.

Ils sortirent et la laissèrent seule. Elle ne prit surtout rien qui puisse lui montrer son visage, elle ne voulait pas se voir. Et ... quelque part elle ne voulait pas se montrer non plus. Même si ça n'avait sûrement pas d'importance pour lui.
Ses blessures avaient-elle pu s'infecter ? Non, Fynarine n'aurait pas laissé faire ça. Et tout bloquer dans la bulle servait aussi à empêcher ce risque. Il ne fallait pas que ce soit cela. Peut-être était-ce l'épuisement ? Son corps devait avoir besoin de récupérer. Les cellules de Mellyna avaient fait un bon travail de régénération, mais cela n'empêchait pas que les blessures avaient été lourdes, sérieuses.

Fanaa se tourna vers l'entrée de la tente et espéra que Mellyna allait vite revenir pour lui annoncer qu'Earl allait bien. Que tout allait bien. Elle se mit à frissonner, il faisait un peu froid, non ?

C'est à cet instant que les deux amis débouchèrent dans la pièce sombre. La lueur de la flammèche attira immédiatement leur attention.

-Du feu ? Ici ?

Mellyna se précipita sur le reste d'eau qui avait servi à nettoyer sommairement le lévitis et en aspergea la toile. Elle chercha la source du feu, ne vit pas de braise, en conclut avec un soupir que ce devait encore être une histoire d'Elixia. Elle chuchota à l'attention de Thani :

-Ce doit être un problème de magie, peut-être que le seigneur Ear est trop faible pour la contenir dans son corps. On va le surveiller un peu, si ça recommence je réveillerai Fynarine.

Elle se pencha vers le jeune homme endormi, il transpirait abondamment et grelottait. Elle posa sa main fraiche sur son front : il était brûlant de fièvre.

-Thani va me chercher des herbes contre la fièvre s'il-te-plait.

Pendant que l'eyerash se hâtait, elle fouilla dans la demeure et trouva des couvertures qui semblaient propres. Elle en recouvrit Earl tout en laissant les mains bien visibles au cas où la magie referait des siennes. La gardienne préleva un peu d'eau dans un pichet et avec un torchon propre humecta les lèvres du convalescent. Elle passa une main sous la tête pour le redresser un peu tout en lui chuchotant :

-Seigneur Earl ? C'est Mellyna, vous avez soif ? Entrouvrez les lèvres que je vous fasse boire un peu.

*Elle ne revient toujours pas ?*

En même temps, mellyna n'avait quitté la tente que depuis quelques minutes. C'était assez peu pour faire un diagnstic et revenir en informer Fanaa. Oui mais si il allait bien, nul besoin de diagnostic, donc aller-retour rapide. Et elle ne revenait pas. Donc tout n'allait pas bien.
Mais si.
Enfin peut-être pas.

*Zut bon sang à la fin ! Pourquoi est-ce que je m'inquiète ? il est entre de bonnes mains. Voilà. Alors du calme maintenant.*

Oui du calme. Voilà qui serait bien. S'inquiéter ne serait à rien.
Mais ça avait peut-être lieu d'être ?
Peut-être. Mais si il se passait quelque chose, pourrait-elle aider à arranger son état ? Franchement ?
Non. Elle ne savait pas soigner. Elle n'était pas capable d'utiliser son elixia pour sauver quelqu'un. Elle n'avait pas appris. Et puis Earl lui avait expliqué qu'en gros, de toute façon elle ne pourrait pas.
Fanaa secoua la tête.

*De toute façon si il se passe quelque chose et que j'y vais, que ferai-je faire alors ? Rien. Rester là à lui tenir la main. C'est stupide. En plus je prendrai trop de place dans la petite maison. Je vais juste gêner et prendre l'ai destiné à d'autres.*

Dépitée, elle laissa s'affaisser ses épaules. De toute façon il n'y avait rien à faire. Mellyna et Fynarine seraient plus à même de le sauver.

Fanaa poussa un grand soupir et baissa la tête. Qu'est-ce qu'elle allait bien pouvoir dire à Nuada ? Quand elle allait voir l'état dans lequel il allait rentrer ...

*Je m'étais promis de veiller sur lui pour elle. J'ai complètement failli. Raaaaaah zut zut zut !*

Bon. Et si elle allait voir quand même ? Au moins elle serait assurée ... oui mais le soldat serait là.
Peut-être pas ?
Assurément que si.
Respire.
Calme toi.
De toute façon tu ne servirais à rien alors patiente.

Elle avait les mains gelées. Fanaa entrouvrit le rabat de la tente mais la maison du blessé n'était pas visible d'ici. Elle se trouvait un peu plus loin et plus bas.
Mais Mellyna et Fynarine étaient auprès de lui. Ca allait aller.

Seulement connaissant sa faculté de toujours empirer, Fanaa n'y croyait qu'à moitié. Et encore ...

Thani était revenu avec la décoction. Plusieurs minutes plus tard, alors que la fièvre aurait dû baisser, la température du lévitis était toujours très élevée.
Les deux amis se regardèrent découragés, ils n'avaient pas les compétences nécessaires pour aller plus loin dans les soins. Décidément c'était une bien belle blessure qu'Earl avait reçu.
Avec un soupir, Mellyna se mit en devoir de réveiller Fynarine. La pauvre aller finir par s'évanouir de fatigue.
Elle lui fit un résumé rapide de leurs observations et de leurs thérapeutiques infructueuses.

*Pauvre Fanaa, elle doit être en train de se faire du soucis, mais si j'envoie Eleïr'l la chercher, elle s'inquiètera d'autant plus. Je vais attendre un peu de voir si Fyanrine améliore la situation.
J'espère qu'elle a réussi à s'endormir, ce serait le mieux pour l'empêcher de se prendre la tête.*

Tirée brutalement de son sommeil, Fynarine écouta les explications de Mellyna et son compagnon. Enfin ... écouta ... elle entendit plutôt. La clerc était si épuisée, si ivre de fatigue qu'elle se trouvait incapable de réfléchir correctement, d'établir un diagnostic. Des tâches noires dansaient devant ses yeux et ses oreilles bourdonnaient. Elle se traîna auprès du Levitis, posa sa main sur son front, souleva ses paupières, prit son pouls, fronça les sourcils.

- C'est ...

Elle secoua la tête pour chasser ce qui gênait sa vue.

- C'est ... ooooh ...

Non. Elle ne pouvait plus tenir. Reconstruire les os, les chairs, les cartilages et la peau, toute seule ... tout cela lui avait coûté trop d'énergie. Elle avait terminé toutes ses potions d'elixia et, même si elle souhaitait de toutes ses forces que ce ne fut pas le cas, elle était à présent totalement à bout de force. Sa vue se brouillait, elle passa sa main sur ses yeux.

- Excusez moi... je ne vais pas pouvoir ...

La Dedrane s'écroula sur le sol.

Sans y faire attention, Fanaa avait commencé à se ronger un doigt. De son autre main elle maintenait la tente ouverte et guettait Mellyna ... qui ne revenait pas. Bon signe ? Ou mauvais signe ? Fanaa pouvait avoir une imagination galopante et envisager mille possibilités autant qu'une seule. Son esprit courait vite à ce jeu-là. Cela énervait Earl d'ailleurs. Mais sa partait tout seul ! Le cerveau de Fanaa s'arrêtait rarement de tourner. Et probablement tournait-il un peu vite, se créant de nombreuses idées mais ne prenant pas le temps de s'y arrêter pour y réfléchir, pour les analyser.

Et là peut-être qu'il y avait une urgence et que les Dedranes étaient occupées à y faire face, ou bien peut-être qu'il ne se passait rien et que Mellyna et Thani étaient partis se promener et discuter ... ah discuter ... ou bien alors ils étaient retenus sur le chemin par une fleur ... ah non pas de fleur ici ... par un ou une villageoise et que pendant ce temps l'état du Levitis empirait, qu'il ne pouvait peut-être pas appeler à l'aide et qu'il se mourait avec, lui tournant le dos un Ridel et une Fynarine en train de flirter et ... non. Ils ne feraient pas ça en mission. Pas eux. Eux savaient tout séparer. Eux ne plaçaient pas une personne au-dessus de toutes les autres dans l'ordre de priorité juste parce que cette unique personne affolait leur rythme cardiaque.

*Et bien non je ne suis pas une personne froide et alors ? Je n'arrive pas à être un mur, je manque d'entraînement, voilà. C'est comme ça.*

Fanaa soupira. Oui c'était stupide mais c'était ainsi. Là encore elle voulait se convaincre qu'elle n'avait rien à faire là-bas et que de toute façon y aller ne ferait que compliquer les choses ... seulement malgré ses efforts, elle s'inquiétait. Et beaucoup.

*Il se fâcherait encore si il me voyait comme ça. Je suis probablement irrécupérable ou quelque chose comme ça ...*

A quelques pas de là flottait dans les airs un petit pompon de fourrure au bout d'ne tige bien souple. Etait-ce une sorte de fleur bizarre ? Curieuse, Fanaa sortit de la tente et s'approcha à pas lents pour découvrir deux grands yeux bleus dans une petite boule de fourrure immobile.

- Oh !

Quelle était cette drôle de bestiole ? Sa queue n'était pas attachée derrière elle mais à l'arrière de son crâne et ... ne lui manquait-il pas des pattes ? La Danseuse haussa les sourcils, de plus en plus surprise.

- Bonjour ?

La pauvre petite bestiole était tout de même mignonne avec ses grands yeux sans pupilles et ses oreilles grignotées. Fanaa avança doucement la main pour caresser la petite tête du doigt.

- Qu'est-ce que tu es toi ?

Le pauvre petit paressait terrorisé, ce qui fit s'arrêter Fanaa. Pendant une seconde ou deux elle arrêta la course de son doigt, juste avant d'entrer en contact avec le petit crâne duveteux ... et d'une détente la petite bête se sauva en sautant sur le sol et les murs. Sans réfléchir, Fanaa se redressa et courut après la balle rebondissante à fourrure.

- Attends ! Je ne voulais pas te faire peur !

Avait-elle été trop brusque ? Et puis en fait pourquoi poursuivait-elle la pauvre petite bestiole ? C'était juste un réflexe. Avec ses pattes bondissantes, sa fourrure tâchée de blanc, son petit pompon ... ce petit animal semblait avoir été créé pour faire courir les gens après lui.

- Héya Fanaa ! Où étais-tu passée ?
- Hein ? Tarik ?

Fanaa ralentit et s'arrêta. Elle était maintenant devant la maison où se trouvait Earl. Son regard passa au travers du chasseur pour se fixer sur le mur. Derrière ce mur ...

- Tu es partie comme une furie tout à l'heure. Tu avais l'air bizarre, je suis rassurée de voir que ça va mieux.
- euh ... oui ?
- Et tu n'as pas attrapé ton kirika. tssss. C'est que tu es encore un bébé en fait !
- Un bébé ?
- Oui. On commence à grandir dès qu'on a choppé son premier ! Les enfants pourraient t'apprendre.

Fanaa cligna des yeux. Elle n'arrivait pas à se concentrer à la conversation. Tarik ne put le rater.

- C'est bon, "il" n'est pas là. Il est parti se reposer. Tu peux rentrer sans crainte.

La jeune femme posa le bout de ses doigts sur l'épaule de Tarik.

- Merci.

Puis elle passa la porte, se demandant ce qu'elle allait trouver. Thani et Mellyna étaient autour d'un Earl et d'une Fynarine inanimés. Que s'était-il passé ?
Le mur de sa colère et de sa rancoeur vola en éclat. Elle ne pouvait pas rester froide et insensible. Malgré sa décision de faire comme le Levitis, elle s'en trouvait incapable. Bah, ce n'était qu'une déception de plus, rien de si important, au fond. L'amour-propre, la fierté, ce n'était probablement pas pour elle. Elle chassa ses idées grises d'un mouvement de tête. ce n'était pas le moment.

Fanaa pressa le bras de Mellyna puis alla s'agenouiller auprès du Levitis allongé sur une natte au sol. Elle passa sa main derrière sa nuque et souleva sa tête. Son autre main lui caressa doucement le front et le visage.

- Earl ? Earl, qu'est-ce que tu as ?

A défaut de baisser, la fièvre avait au moins cessé d'empirer.

La température ambiante avait elle aussi augmenté graduellement. Dans l'ombre des rochers, derrière les murs aux enduits clairs, il faisait assez chaud mais respirable. Rien de comparable avec la fournaise ardente en plein soleil...

Le kirika fugitif ne risqua qu'une patte dans la lumière avant de rebondir en arrière et de remonter bien vite vers son creux de poussière. Les sans-fourrure étaient moins nombreux à aller et venir. La tente qui n'était pas là d'habitude était à nouveau fermée et silencieuse. Elle bouchait toujours la fissure qui servait de terrier à l'animal, mais pour l'heure cela ne l'inquiétait guère. Avec un trille satisfait, il entreprit de se rouler par terre dans un nuage de poussière rousse, sous l'oeil intéressé des deux ou trois bambins que comptait le village.

La sensation trompeuse de froid avait disparu.
Les tremblements du Lévitis n'étaient plus que nerveux.

Le contact des mains fraîches sur sa peau lui tira un long frémissement et un son inarticulé filtra entre ses lèvres.

- ... sse...

Une de ses mains glissa mollement sur les couvertures.

- ... moi... laisse...

Quoi qui puisse se passer dans son esprit ravagé par la fièvre, c'était tout sauf agréable.

- ... Ma... ra...