Les Ruines Blanches

Assis à proximité, l'elven se sentait passablement... inutile.
Bon, et bien puisque l'on n'avait plus besoin de lui...
Il s'apprêtait à s'éclipser, quand Taymir accepta de conter une partie de son histoire. Sa curiosité aiguillonnée, il se ravisa et resta où il était, les oreilles aux aguets.
Lorsque l'Ilymis eut terminé son récit, Talisham se leva.


- On pourra les chercher tous ensemble ces plantes! On couvrira plus de terrain comme ça. Et puis peut-être que Syrven pourra te renseigner, lui qui connaît le terrain. En attendant, qu'est-ce que vous diriez de faire une virée "ravitaillement"? Enfin, quand tu iras mieux Fanaa.

Lorsque Taymir avait terminé son histoire, elle avait ramené ses genoux sous son menton, et s'était tue. Sous sa cascade de cheveux dorés humide, elle avait une expression plutôt indéchiffrable.
Mais le son de la voix de Talisham la sortit de son état. La guérisseuse tourna son regard vers lui, étonnée par sa proposition. Elle ne s'attendait vraisemblablement pas à ce qu'on lui offre de l'aide dans sa mission à elle.
Du coup, elle ne savait pas trop quoi dire.
Elle rebondit sur le fait que Fanaa était fatiguée.

- Syrven a dit qu'il fallait attendre quelques jours pour que son énergie puisse la remettre. Mais je peux aller au point de ravitaillement avec l'un d'entre vous chercher du stock.

C'était stupide ce qu'elle disait, pensa-t-elle. Elle bailla puis se leva elle aussi. Elle sourit à Fanaa.

- Je reviens. Je vais me sécher.

Avant qu'elle ne puisse l'en empêcher avec un regard brillant, Taymir se depêcha de rejoindre la salle de bains, tout en fredonnant sa chanson préférée.

Talisham ne put s'empêcher de sourire. "aller au point de ravitaillement"... Oui, on pouvait dire ça. C'était plus élégant que "chaparder dans les réserves de ses camarades".
L'elven décida de laisser Taymir tranquille. Une intrusion dans la salle de bain suffisait, pas la peine d'en rajouter. Il resta donc auprès de Fanaa en attendant le retour de l'Ilymis.

- Et bien Fanaa, on peut dire qu'avec toi, on a pas le temps de s'ennuyer!

Une fois dans la salle d'eau, Taymir ne put s'empêcher de se maudire. Pourquoi est-ce qu'elle avait parlé de ça ? Ca ne les regardait pas... Ils n'étaient pas.. Enfin, si. Ils lui étaient devenus, en l'espace de quelques heures, vraiment proches. Ca, elle ne pouvait pas l'expliquer.
Mais ce n'était pas dans sa nature de se dévoiler comme celà.

A dire vrai, ça ne lui arrivait jamais.

Secouant la tête brusquement, Taymir décida de faire l'impasse sur ce moment, et de passer à autre chose. Il lui avait proposé son aide quant à ses cueillettes.
Elle se rappella bien de son silence. Encore une fois, c'était la première fois qu'on lui proposait son aide, et non lui demandait.
C'était fou, ce que de simples mots peuvent vous destabilliser. En l'occurence, Taymir devait apprendre à accepter ce qu'il lui arriver. Difficile, quand on a toujours été habituée à faire cavalier seul. Mais... C'était plus fort qu'elle.

La guerisseuse essora avec soin ses cheveux, puis, les natta jusqu'à obtenir une très longue tresse. Elle l'enroula autour de sa tête. Ainsi, pendant ses excursions, ils ne la gêneraient plus.
Puis elle dégrafa sa robe. Le rouge, c'était beau, mais dans cette Vallée, pas très discret.
Elle se résigna à enfiler de nouveau les habits de son père. Ils n'étaient pas propres comme elle l'aurait désiré, mais tant pis.
Taymir se sentait plus à l'aise dans ces vêtements. Elle avait l'air d'un homme, et ainsi, personne ne l'embêtait. Sauf les ivrognes, pensa-t-elle avec un frisson de dégoût.
Il était rare qu'ils fassent la différence entre garçon et fille après une douzaine de mousses.

Elle plia avec grand soin la robe rouge. C'était une des seules choses qu'il lui restait de sa mère Vallön. Avec un sourire, elle la glissa dans son grand sac de peau.

Puis tortilla le ruban qu'il y avait d'accroché dessus. Le ruban rose délavé.. Qu'elle gardait depuis si longtemps.

Taymir se releva. L'heure n'était plus aux rêveries. Elle était guérisseuse, oui ou non ? Alors, il lui fallait se bouger et cesser de penser à elle-même.

Son aplomb habituel et sa détermination revenues, elle se décida à sortir de la salle d'eau et reprit le chemin de la Chambre Commune.

- Me voilà prête.

Taymir revint au chevet de Fanaa, et lui adressa un sourire rayonnant. Malgré tout, elle sentait une pointe de fierté lui aiguilloner le coeur quand elle les regardait. Elles les avait aidé, et en échange, on l'avait acceptée.

- Alors.. Pendant que Fanaa reste ici, au campement avec une bonne garde, je vais demander à Syrven ou à Isatiis de m'accompagner. Je n'en aurais pas pour longtemps. Ou sinon... Je ferais ma prospection pendant le trajet pour les vivres. C'est comme tu le sens Talisham.

C'est bon. Elle lui avait enfin fait une demande, en tant que membre du groupe. sa fierté lui gonfla le coeur !

L'elven réfléchit un moment.

- Et bien... ce serait mieux d'avoir l'opinion de tout le monde avant de prendre une décision non? Pour ma part, je suis pour un minimum de séparation du groupe. Pas de séparation du tout, ce serait même l'idéal, mais si Fanaa doit se reposer... Et si de sa présence dépend la barrière...
Vu l'heure, si on veut du ravitaillement aujourd'hui, il va falloir se presser. Bien sûr, on peut aussi étaler l'aller et le retour sur deux jours... ce qui, à la réflexion, va même s'avérer nécessaire. Au nombre qu'on est, il va falloir charger les montures, et Syrven s'il y consent, au maximum.
Sur le retour, nous serons par conséquent tous à pied, et donc nettement plus lents... Et vulnérables. Il faudra alors qu'on soit nombreux, parés au combat. Et il faudra qu'on parte tôt le matin, pour éviter d'avoir à voyager de nuit à l'extérieur de la barrière.

- Dans notre cas, Fanaa pourrait nous accompagner. Je peux la prendre sur Ney'la. Elle ne pèse pas lourd et je peux tout aussi bien cheminer à pied.
Le problème, c'est que si nous arrivons à parcourir l'aller, est-ce que le retour va pouvoir se faire ?

Dans ses yeux bleus, se reflétait de l'appréhension.

- Quelle route allez-vous prendre surtout ? Allons-nous longer les fleuves ?

Parés au combat. Taymir fit une moue. Donc, exit la guérisseuse. Elle savait pertinement que, même si Talisham disait vouloir prendre les décisions en commun, il serait intransigeant quant à la sécurité de Fanaa, sa protégée.

- Ou alors, je peux rester ici. Avec Fanaa. Du moment que son énergie maintient la barrière, ce sera impeccable. Moi, je ne vous servirais à rien dans cet aller-retour. Soyons objectifs: Je ne sais pas me battre. Celà vous ferait un souci de moins.

Son regard s'était baissé et à présent, elle regardait Fanaa.
Si étrange Fanaa. Pourquoi toute... Toute cette agitation, tout ce monde, gravitant autour de toi ? Tu es si douce, si jolie, et si rongée. Pourquoi le cacher ? Ca se ressentait, rien qu'en se plongeant dans tes yeux. Quelque chose a dû t'arriver, Toute belle.
Quelque chose d'horrible.
Taymir la regardait. La regardait encore.
Pourquoi ? C'était encore des questions.
Dans le Ringèm, les questions ne servaient à rien. Elles causaient la mort de ceux qui s'en posent trop.
La médecine du corps ne servait à rien. Ce n'était pas le corps qui était malade.

Elle n'était pas comme Fanaa. Ou plutôt, Fanaa n'était pas comme elle. Elle était différente. Comme Talisham. Taymir dut faire un effort pour ne pas le dévisager. Des yeux différents, des oreilles différentes. C'était un tout dans ce groupe. Chacun était très différent de ce qu'elle avait côtoyé tout sa vie. Ayana aussi était différente.

Il lui fallait trouver une place, et la mériter, pour rester aux côtés de ce groupe soudé autour de la plus intrigantes des personnes qu'elle aie rencontrées.

Fanaa.

C'était décidé. En elle-même, tout s'était décidé. S'il fallait se battre, elle allait se battre. Pour elle. Pour Fanaa.

L'elven trouvait les réponses de Taymir quelque peu déroutantes parfois. Peut-être se creusait-elle un peu trop la cervelle.

- Longer les fleuves? Surtout pas! On traversera au nord, mais c'est tout.
Pour la répartition des gens, il y a deux stratégies possibles: on y va tous ensemble ou on se scinde en deux groupes. Dans les deux cas, il faudra partir au plus vite, passer la nuit à notre destination, et repartir chargés demain matin.
Si l'on se divise, et bien il faut que je parte, sans quoi on ne vous laissera jamais arriver... Ce serait mieux si tu venais aussi. En théorie, avec la barrière, Fanaa ne risque rien. Par contre ceux qui se déplaceront, si. Je ne l'espère pas, mais nous pourrions avoir besoin de tes compétences. Et puis dans la forêt enchantée, car c'est là que nous allons, peut-être trouveras-tu des choses intéressantes...
Il nous faudrait également Syrven, et Khamsin pour m'épauler. Le matou roucouleur resterait avec Fanaa... avec Isatiis et Kraa comme chaperons - ajouta-t-il avec un clin d'oeil.
En fait... - il s'accroupit près de Fanaa - tout dépend de toi. Si tu te sens d'attaque, tout le monde part en virée. Sinon, on reviendra vite avec tout ce qu'il faut. On peut aussi attendre demain, peut-être que tu iras mieux.

Fanaa avait les yeux clos et la respiration régulière. Elle dormait. Jusqu'où avait elle entendu la discussion ? Bonne question. Mais si Talisham ne la secouait pas pour la réveiller, elle serait incapable de répondre.

Dans son sommeil, elle sourit et prononça un "oui", puis se tourna de l'autre côté et se roula en boule.

Lyrev, lui, se trouvait maintenant derrière Talisham. Le chat s'assit et déclara :

- Je resterai pour la surveiller. Vous pouvez y aller tranquillement. Mais faites de vraies provisions, hein ! qu'on n'ait pas à y aller tous les deux jours. Il vaut mieux éviter de trop se balader dans le Ringèm.

Sous le casque blond de Taymir, une kyrielle de pensées s'agitaient. Ca bouillonnait, fermentait. Fanaa s'était endormie. Un ange.
Tout en écoutant Talisham parler, ses lèvres s'étaient étirées en un sourire attendri. Il devait avoir raison. Après tout, c'était un combattant. Il fallait lui faire confiance.
Quoi qu'il fasse, ils s'en sortiraient tous. Mais elle, elle devait trouver cette fleur.

Dans les livres obscurs qu'elle avait étudiés, il était dit qu'elle poussait aux abord des fleuves noirs. Mais il était clair que c'était trop, beaucoup trop dangereux pour eux.

La voix de Lyrev faillit la surprendre, mais elle n'en montra rien. Il lui fallait réfléchir, mettre tout en ordre. C'était déjà par trop hasardeux, cette quête d'une plante utopique. La fôrêt.. Voilà qui était peut-etre plus à même de l'aider dans ses recherches.

- Où se trouve au juste, ce point de ravitaillement ?

Le sérieux dont elle faisait preuve la surprenait quelquefois, mais c'était nécessaire pour elle de sentir qu'elle s'impliquait. Et puis.. Cette halte. Taymir n'en avait jamais entendu parler !

Talisham tourna la tête vers Lyrev, un air faussement surpris sur le visage.

- Alors là, tu m'en apprends une bonne! Moi qui croyait que le Ringèm était l'endroit idéal pour le jogging du matin et la petite promenade digestive! - il lui fit un clin d'oeil.
Oui, je compte sur toi pour la surveiller de près... pendant que Kraa et Isatiis vous surveilleront de loin. On est jamais trop prudent n'est-ce pas? Oh, essayez de ne pas négliger notre nouvelle invitée.
Bien!

Se redressant, il fit signe à Taymir.

- Puisque tout est réglé, allons-y alors.

Tout en marchant, il continua pour l'Ilymis.

- Notre "point de ravitaillement" est un petit village niché dans la forêt enchantée... le village des miens. Qui, tout comme le lieu où nous nous trouvons actuellement, n'est pas censé exister.
Adreis et ses mystères...

Arrivé en haut, il fit part à la ronde des dispositions qu'il suggérait, avant d'aller chercher Handelë.

- La journée d'aujourd'hui étant déjà assez avancée, nous allons foncer droit chez moi. Nous prendrons davantage notre temps au retour, ainsi Taymir pourra-t-elle se consacrer à ses recherches. Quelqu'un a-t-il des remarques ou des objections à formuler, ou bien quelque chose à faire avant qu'on parte?

Tandis qu'ils avaient quitté la salle ensemble, l'elven avait continué son explication quant à leur prochaine halte.
Il s'agissait en réalité de son village. Il y en avait donc d'autres comme lui. Mais durant les quelques années pendant lesquelles elle exerçait son art, elle n'avait jamais croisé d'hommes, ni même de femmes de sa race. Sa race. Taymir ne lui fit pas part de son étonnement. Ca pouvait être mal perçu, même si celà venait d'une bonne intention. Elle écouta donc Talisham.

Seul Syrven allait les accompagner. De toutes façons, les autres allaient bien veiller sur Fanaa. Elle ressentit un peu d'appréhension à la pensée de quitter leur abri.
La guérisseuse espéra de toutes ses forces que la voix... Cette horrible voix n'allait pas la hanter de nouveau.

Un nuage gris pommelé passa devant elle. La jument devait probablement jouer avec Handelë, la monture de Talisham. Ils semblaient bien s'entendre. Ney'la était heureuse de repartir. Cette jument est incompréhensible, pensa l'Ilymis avec un sourire alors qu'elle frotta son nez contre le sien. Elle regarda Talisham à nouveau.

- C'est... Vraiment gentil de m'aider. Merci.

Ca lui faisait tout bizarre de dire celà, mais Taymir le pensait. Pour une fois, c'était agréable, ne serait-ce que pour son travail, que l'on s'interesse à elle.
Elle endossa son sac et rabattit sa capuche.

Puis d'un bond, elle s'installa sur la selle.

Talisham, à regrets, prit acte de la décision de Khamsin d'un hochement de tête. Il aimait bien le loup. Et en cas de conflit, sont absence risquait de se faire cruellement sentir.
Mais l'elven ne désirait forcer personne à agir contre son gré.
Il vérifia la présence de son "nécessaire de voyage" au complet, avant d'enfourcher Handelë qui piaffait d'impatience.

- Il n'y a pas de quoi Taymir. Vraiment pas de quoi. Bon allez, en route! À demain les enfants, soyez sages!

Après un démarrage en trombe, Ney'la, Syrven et Handelë, maintenant une allure soutenue, chevauchèrent à travers le Ringèm vers le village des elven...

Khamsin bailla et donna un petit coup de tête à la main d'Isatiis pour lui demander des caresses. Fanaa ouvrit les yeux et resta quelques instants à fixer le plafond. Elle avait fait un rêve durant sa sieste mais les images, les sensations s'enfuyaient déjà. Elle n'en gardait aucun souvenir. Pourtant, il lui avait semblé important.

Il y avait du rouge dedans.

Elle tourna lentement la tête vers Isatiis et l'observa un long moment.

- Je crois que je t'ai déjà vue mais je ne me souviens plus. Qui es tu ? Tu vis ici ? Et c'est où ici déjà ?

- Fanaa ! Fanaa tu es réveillée ! jappa joyeusement Khamsin. On est à la maison !

- A la maison ?

Elle se passa une main sur les yeux. Elle se sentait encore un peu patraque mais allait se reprendre. Elle s'occupa de se redresser en position assise et fixa de nouveau Isatiis.

- Tu ressembles à une fleur !

Isatiis répondit à la demande du loup et caressa avec plaisir son pelage. Les minutes s'écoulèrent sans qu'elle ne s'en aperçoive et finalement, Fanaa se réveilla.

- Je m'appelle Isatiis et on s'est rencontré il y a quelques heures à peine, répondit-elle en fronçant les sourcils d'un air sérieux. J'étais poursuivie par un monstre et vous tes amis et toi m'avez aidé.

Un peu intriguée, elle observa la jolie brune se remettre d'aplomb sous les jappements encourageants de Khamsin.

- Merci, c'est normal, je suis une Dédrane, crut-elle bon de repréciser à son interlocutrice qui semblait ailleurs. Hum juste pour vérifier, tu sais qui tu es et où tu te trouves ?

Isatiis ignorait de quel mal Fanaa souffrait et en voyant sa réaction, elle craignit que sa mémoire ne lui joue des tours.

- Où je suis ? Khamsin a dit à la maison mais je ne reconnais pas ...

Fanaa tourna la tête de tous côtés, à la recherche d'un signe. Elle ne reconnaissait pas la maison de shalanos. Les murs étaient bien trop clairs, et puis elle n'aurait pas dû avoir une chambre à elle. Quant à cette lumière qui entrait par le haut de l'escalier ... non ça ne collait pas. Fanaa secoua la tête.

- Un monstre ? Oh! Je me souviens ! Mais alors où sont Talisham et Taymir ? Ils ... ?

Elle sut. Elle le sentit au moment où elle posait la question. Elle tourna vers Isatiis de grands yeux plein de larmes.

- Ils sont partis c'est ça ? Ils sont partis sans nous ? Ils nous ont ... abandonnées ...

Lyrev se réveilla, s'étira et s'assit sur son derrière en secouant la tête, sa queue battant nerveusement le sol.

- Mais non, mais non. Le lézard ne ferait jamais ça.

Il n'ajouta pas qu'il savait qu'il était sous serment, mais songea qu'il devrait rester une journée de plus pour la présente journée puisqu'il était parti avant la fin du jour. Qu'il ne compte pas s'en tirer ainsi.

- C'est ... vrai ? Tu es ... sûr ?

La félin acquiesça et Fanaa se tourna vers la dédrane ses grands yeux larmoyants lui demandant confirmation.

- Tu vas rester toi hein ? Tu ne vas pas t'en aller aussi ?

[sorry pour le délai Fanaa]

Isatiis se sentit désemparée en voyant avec quelle vitesse la jolie Fanaa imaginait déjà l'impossible. Elle se dépêcha donc de la rassurer alors qu'elle la voyait presque en larme.

- Ne t'inquiète pas, ils vont très bien ! Ils sont juste partis pour chercher des plantes et te soigner... je crois.

La Dédrane réfléchit, elle avait l'impression d'oublier des informations au passage. Mais cela ne lui avait pas semblé important sur le coup.

- Je suis restée pour te tenir compagnie, Fanaa, répondit Isatiis avec un sourire encourageant. Et aussi pour surveiller ton état de santé.

D'ailleurs, elle tendit sa main vers le front de la jeune femme et vérifia qu'il n'était pas chaud.

- Tu as besoin de quelque chose ?

Isatiis se dit également que c'était là une bonne occasion de discuter avec un étranger, un vrai ! De plus, Fanaa paraissait très gentille et intéressante, elle pourrait donc assouvir sa curiosité en bonne compagnie.

Fanaa ouvrit de grands yeux ronds.

- Me soigner ? Ma santé ?? Mais je vais bien, moi !

Elle frotta son front là où la main de la dédrane l'avait effleurée et baissa le regard.

- Je vais très bien. Il me manque juste ... elle fronça les sourcils, comme se forçant à retrouver un souvenir ... quelque chose ...

Lyrev leva la tête et sa queue se mit à battre rageusement l'air. Fanaa retrouva vite son sourire et saisit la main d'Isatiis avant de se lever.

- Oh viens je vais te montrer quelque chose qui va te plaire !

La jeune fille se mit debout, suivie de Khamsin, et entraina vivement sa compagne en haut des escaliers, dehors, puis la guida à pas sautillants hors de la "terrasse" et Isatiis put apercevoir ... des arbres ?! Les deux filles se rapprochèrent encore et la dedrane put dénombrer une vingtaine d'arbres dont les plus grands ne dépassaient pas les 5 mètres, la plupart semblant s'être arrêtés à une hauteur de 3 mètres. Chaque arbre avait poussé sur un monticule de terre qui n'était pas sans rappeler une tombe. Plus surprenant encore, ces arbres portaient des fruits ! Des fruits étranges dont certains ressemblaient à des fruits connus de la dedrane, sans être pour autant les mêmes et d'autres ... qu'elle n'avait encore jamais vus !
A pousser sans avoir jamais pu profiter des rayons du soleil autrement qu'a travers une épaisse couche de brume, les couleurs des troncs, des écorces et des feuilles étaient de couleurs ternes, fades, des tons verdâtres et gris.
Un seul de ces végétaux sortait du lot. Son vert, s'il n'était pas aussi intense et beau que les magnifiques arbres de la forêt du Ternaël, avait tout de même meilleure mine que celui de ses voisins.
La terre sur laquelle il était planté était meuble, l'on voyait qu'elle avait été retournée assez fraîchement.
Et cet arbre, à la différence des autres ne portait pas de fruits mais de belles roses bleu roi parfumée.

Fanaa approcha son nez de l'une des fleurs et sourit, avant de se tourner vers la dédrane.

- Alors ? Tu aimes ?

Sérieuse, elle leva un doigt pour expliquer :

- Tu peux manger les fuits si tu veux. Mais seulement ceux qui sont sur ces arbres là. Aucun autre n'est comestible, c'est important !

Isatiis n'insista pas sur l'état de santé de Fanaa. La jolie brunette semblait aller bien mieux même si son esprit lui semblait lointain. Mais après tout, elle ne connaissait strictement rien de ces gens, si ce n'est leurs noms. Fanaa n'était cependant pas hostile, mais malgré ses airs de "je ne fais pas de mal à une mouche", elle avait tout de même combattu un monstre. Mieux valait donc ne pas se fier aux apparences. Son sourire communicatif incita toutefois la Dédrane à la suivre avec Khamsin.

- Ooooooh ! S'exclama-t-elle en découvrant le petit jardin.

Par jardin, on entendait plutôt un cimetière vu les monticules aux formes facilement reconnaissables. Cependant Isatiis n'avait cure de ce détail macabre, elle n'avait d'yeux que pour cette végétation qui, après la nature morte qui l'avait accompagnée durant son voyage, avait des allures de forêts luxuriantes.

- Bien sûr que ça me plaît, répondit-elle avec un sourire ravi. Mais quel est ce miracle ?

Isatiis évolua entre les arbres, les touchant comme pour vérifier qu'ils étaient vrais. Elle savait où passer les prochaines heures, voire les prochains jours. Suite aux recommandations de Fanaa, elle se saisit d'un fruit et l'étudia quelques minutes en le faisant rouler dans ses mains avant de croquer à pleine dents dans sa chair tendre.

- Huuuuum ! C'est acide ! dit-elle en essuyant du bout des doigts le jus qui coulait de ses lèvres.

Elle tendit le fruit à peine entamé à Fanaa, partageant cette saveur unique qui titillait ses papilles.

Fanaa observa un moment de silencieuse immobilité avant de tendre la main vers le fruit offert. Elle savait qu'ils étaient les seuls à pouvoir être mangés, mais elle-même ne les avait point encore goûtés.
Emue comme chaque fois que quelqu'un avait envers elle un peu d'attention, elle accepta le présent avec une bouffée de reconnaissance dans le coeur. Pourtant le fruit à sa bouche, Fanaa le goûta, puis ferma les yeux afin de bien profiter du goût, du parfum, des sensations.

- Il s'appelait Oönen. C'était un chasseur très brave. Il revenait d'une expédition de chasse avec des compagnons lorsqu'ils ont été attaqué par des monstres. Ils étaient 4 à partir, il ne furent que 2 à revenir. Oönen avait été grièvement blessé dans la lutte contre le monstre. La blessure, infectée, le fit succomber quelques heures plus tard. Mais malgré cela, lui et son dernier compagnon avaient réussi à ramener une partie du produit de leur chasse au clan. Et contrairement aux 2 qui furent dévorés dans les brumes, Oönen put être enseveli avec le autres défunts de son clan et put faire don de son âme à ceux qui étaient encore de ce monde.

La jeune fille rouvrit les yeux et les posa sur Isatiis.

- Le don d'Oönen ce sont les fruits de son arbre. Là d'où tu viens, quel goût ont les fruits ?

Isatiis écouta d'une oreille attentive et observa les fruits de l'arbre avec étonnement. C'était une belle histoire de bravoure, la lutte d'un homme pour la survie de son clan face aux monstres. Et au milieu, la nature l'avait récompensé. Un noble geste.

- De là où je viens, les fruits ont des goûts très différents. Doux, sucrés, acidulés, forts, piquants, âpre. Il y en a pour tous les goûts. Je suis sûre que cela te plairait beaucoup. Tu n'es jamais venue au Ternael ?

Sans savoir pourquoi, la Dédrane voulait réconforter Fanaa dont l'expression paraissait si mélancolique. Elle la connaissait à peine et pourtant elle se sentait d'ores et déjà intéressée par son histoire. Sans nul doute ses autres compagnons de voyage avaient-ils dû ressentir la même chose, sans quoi elle ne serait pas aussi bien entourée.

Fanaa se redressa.

- Non, je n'y ai jamais été. Je sais que Khamsin en vient et ...

Elle eut soudainement l'air triste et laissa son regard dériver vers le sol.

- Sendaë avait dit qu'elle m'emmènerait ... mais c'était avant qu'elle ... qu'elle ...

Fanaa se mordit la lèvre. Visiblement, elle avait du mal à évoquer ce moment. C'était un souvenir qu'elle avait occulté et que l'évocation de la grande forêt Royaume Dedrane faisait ressortir. Un souvenir pénible.
Finalement la vérité tomba :

- Elle a embrassé Syld. Alors ... je suis partie. Puis je me suis raisonnée, car Syld ne m'appartient pas. Et quand je suis revenue, elle n'était plus là. Sendaë m'avait abandonnée. Malgré sa promesse. Je n'aurais pas dû réagir comme ça, je le sais ... mais je n'ai pas pu m'en empêcher.

La belle clerc Dedrane avait regardé Fanaa avant de voler un baiser à l'assassin. Et ce n'était pas un regard méchant, il n'y avait nulle provocation, mais plutôt comme des excuses. Aujourd'hui, Fanaa ne comprenait toujours pas son agissement. Mais ce qu'elle voyait, c'est que les gens l'abandonnaient petit à petit. Tous. Sa mère. Sendaë. Syld lui-même. Talisham.
Les liens étaient toujours si éphémères ...

La Danseuse secoua la tête pour chasser toutes ses image puis alla saisir la main d'Isatiis avant de lever ses grands yeux vers elle.

- Je ne connais pas le Ternaël, tu m'y emmènerais toi ?

Si les liens sont éphémères, alors autant en profiter le plus possible avant qu'ils ne se dénouent.

- Mraou ?

Lyrev leva la tête et se rapprocha de Fanaa. La jeune fille s'était immobilisée soudainement.

- Maman ? Hasarda-t-elle.

Le félin s'assit à ses pieds et posa sa patte sur la jambe de la danseuse. Fanaa porta la main à son oreille.

- Maman Adwel ? C'est toi ?

Lyrev se dressa sur ses pattes postérieures, cherchant à en savoir plus. Il se demandait si Lynn était avec Adwel ... Puis il secoua la tête et se laissa retomber. Et quand bien même ? Ils étaient si loin. Ils étaient ... presque dans un autre monde. Un monde où Fanaa était à l'abri. Un monde où Syld ne pourrait jamais l'atteindre. Et cela, c'était bien.

Elle était comme une poupée que Lyrev avait envie de ranger dans une jolie vitrine. De garder pour lui. Il frotta sa tête contre la jambe de Fanaa et celle-ci se baissa pour le prendre dans ses bras, avant de se tourner vers Isatiis.

- Isatiis, maman me cherche ! Je n'aurais pas dû la laisser ... je crois ... enfin je ne sais pas mais ... peut-être que ...

Fanaa jouait nerveusement avec les oreilles du chat. Qui se laissait faire complaisamment. La jeune fille n'était pas sure ... devait elle repartir à la recherche d'Adwel et retourner dans le monde dangereux ? Ou valait il mieux rester à l'abri et être égoïste ?

- Maman ?

Fanaa ferma les yeux et tenta de se concentrer.

- Maman Adwel ?

Mais le contact avait été rompu. Elle n'entendait plus la Médiovienne. Elle se demanda si elle avait rêvé... Le bras qui tournicotait l'oreille de Lyrev retomba mollement. Ce n'était peut-être qu'une illusion. La jeune fille soupira et regarda sans rien voir vers le fleuve du nord. Le fleuve Astérisque.

Pendant ce temps, Khamsin, lui, dressa l'oreille.

- Ca remue dans la vallée.

Fanaa le regarda sans comprendre. Il y avait de la vie dans la vallée, de la vie dangereuse et mortelle, mais il y en aurait toujours, à moins que quelqu'un n'éradique tout ce qui y grouillait.

- Voyons Khamsin, c'est normal, ça ne change pas de d'habitude. Mais tu sais bien qu'ils ne peuvent plus nous atteindre, j'ai tourné les pierres.

La truffe lupine remua. Et il éternua.

- Caïmodile. Berk. J'ai quand même l'impression qu'il se rapproche. Il est de l'autre côté, sur l'autre bord du fleuve le plus sombre.

Fanaa se retourna et plissa les yeux mais n'aperçut rien. Ils étaient tous trop loin. Elle reposa le chat au sol et posa ses mains sur les gardes de ses sabres. Elle ne comptait pas s'en servir, elle se rappelait comment avait terminé l'entraînement. Mal. Elle ne savait pas se battre ... mais elle comptait faire des efforts pour faire plaisir à Talisham.
Si il revenait.

La Danseuse secoua la tête pour se débarrasser de ses mauvaises pensées et quitta l'esplanade, traversa le jardin se dirigea vers le pont. Elle n'avait pas peur, les monstres ne pouvaient pas dépasser la barrière. Mais il valait mieux vérifier, au cas où ... Encore une cinquantaine de pas. Un grondement venant de l'autre côté du fleuve.
Sans réfléchir, elle se mit à courir, bientôt rejointe par le loup. Quel que soit ce qui se trouvait de l'autre côté, il ne fallait pas qu'il entre !