Confins du désert - sanctuaire du Pas du Dragon

Mellyna finit par une touche de noir sur les bases des paupières, c'était la seule touche de coquetterie qu'elle se permettait, ses longs cils noirs n'avaient pas besoin d'être fardés. En quelques secondes cela mettait indéniablement ses yeux turquoise en valeur, elle ne pouvait s'en empêcher. C'était son petit luxe de tous les jours...
Cela fait, elle ressortit de la pièce et n'y trouva que le lévitis, il paraissait parti dans un monologue intérieur des plus déplaisant, ses sourcils étaient froncés.

- Fanaa est partie ?

*Oui, elle est allé chercher quelqu'un.*

La dédrane avait posé la question à Earl mais la réponse toute joyeuse de Kamshin l'avait précédé.

-Ah, très bien, je vais l'attendre ici alors. Vous vous joignez à nous ?

Le jeune homme ne paraissait pas en très bon état mais il devait bien connaitre les dangers de cette contrée, cela pourrait se révéler utile.

- Bien sûr que non !

Earl ? Venir ?

- Mais il ne peut pas venir, il ne m'a rien dit lorsque je lui en ai parlé. Il m'a seulement dit de venir vous trouver, il n'a pas à un seul moment émis l'hypothèse de venir !

L'appel retentit encore. Les bras se tendirent, les cordes semblaient prêtes à lâcher, le roc lui ne semblait pas affecté par ce qui se passait. Et pourtant, millimètre par millimètre, il bougeait. Fanaa redoublait d'efforts pour ne plus quitter le sol, pour qu'on n'ait pas l'impression qu'elle était là pour décorer.

- Vous avez des gros muscles monsieur Ridel.

Il était vraiment fort. Fort comme elle l'imaginait.

- Je sais que ça ne vous concerne pas. Je pense que ce n'est pas une raison pour ne pas y aller mais de toute façon je vous posais la question pour avoir votre avis. Han ... huf ... huf ... Hgnnn ... Monsieur Ridel je venais pour ... huf huf ... vérifier que vous resteriez avec Earl.

On les arrêta encore. Fanaa avait mal aux épaules.

- Ouh ... ouh ...
- Tsssss
- Oh tiens Kal'en !

Fanaa lui fit coucou. Le jeune homme haussa les épaules.

- Ce n'est pas pour les femmes.
- On ne refuse aucune aide. Et j'ai autant de muscle que toi !
- Ca m'étonnerait.
- Alors là, après les rochers je te bats au bras de fer, pour sûr !
- J'aimerais bien voir ça. Tope-là petite furie.

Il ne pensait sûrement pas être battu, pas plus que Fanaa ne s'imaginait gagner, mais cela tira un sourire au jeune bouvier et c'était tout ce que la Danseuse souhaitait.

- Monsieur Ridel, il a dit que vous aviez reçu des ordres précis. Vous n'êtes pas ici pour l'accompagner ? Par fidélité ? Est-ce que c'est une mission ? Je ne comprends pas. Je croyais que vous étiez là ... par amour. Pas par devoir.

- Ce n'est pas son genre de se proposer de lui-même. C'est une vieille habitude. On l'a suffisamment jalousé au cours de sa carrière pour qu'il ne s'impose pas d'avantage sauf demande expresse.

L'ombre du piton rocheux parut osciller. De fines colonnes de poussière montaient en spirales vers le ciel bleu pâle, scintillant comme des paillettes de cuivre dans le soleil.

- A-amour ?!

De saisissement, Ridelgald laissa filer un bon mètre de corde et il y eu une ou deux personnes à piquer du nez dans le sable ou à se retrouver assises dans la boue. Le Lévitis se reprit bien vite. La brûlure du filin sur ses paumes lui tira une grimace.
Par bonheur le rocher n'en avait pas profité pour partir du mauvais côté.

- M-mais bien sûr que c'est pour une mission ! J'ai toujours des obligations envers l'armée, contrairement à lui. La... le respect qu'il peut m'inspirer n'entre pas en ligne de compte. Les conseillers n'avaient pas plus envie de le laisser se faire assassiner hors de Lévitas qu'entre les murs de la cité, et ils connaissent assez ses humeurs pour savoir qu'il ne peut pas supporter n'importe qui plus d'une heure d'affilée.

La colonne de pierre pencha franchement, puis il y eut un craquement terrible et elle se brisa en larges morceaux qui dégringolèrent la falaise. Les hommes refluèrent rapidement, non sans recevoir pas mal d'éclaboussures boueuses lorsque les blocs s'abattirent au pied de la paroi.

- Tant mieux. Je ne vous cache pas que ça m'aurait embêtée de vous avoir comme rival. Vous êtes beaucoup trop fort !

C'est alors que la teneur du message lui parvint vraiment et que l'un des mots tiqua à son oreille.

- Assassiner ?

Tandis que Ridel et les autres se reculaient, elle le poursuivit, inquiète et le saisit par le col ... (enfin plus bas que le col vu la taille de l'homme) et serra les poings.

- Comment ça "assassiner" ? Qui ? Qui lui veut du mal comme ça ?

Elle eut envie de frapper, de bourrer quelqu'un de coups de poing. Ce n'était pas juste ! Elle donna un coup de pied rageur au sable.

Earl considéra Mellyna sans paraître plus sensible à ses discrètes coquetteries bien féminines qu'aux formes d'une théière. A sa décharge, même celles considérées comme les plus belles demoiselles de Lévitas n'avaient pas droit à plus d'attention que des meubles à partir du moment où le jeune homme pensait à autre chose.

- Mmh ?

Il leva un sourcil.

- Je ne vois pas vraiment à quoi je pourrais bien servir dans cette histoire. De surcroit j'ai précisément quelques difficultés... techniques avec le contrôle de mon elixia. Autant se promener avec une enseigne "nourriture gratuite" au dessus de la tête, donc.

---

- Rival ?

Un peu désarçonné par cet aveu trop spontané pour être volontaire, Ridelgald ne fut que plus surpris par... eh bien... l'agression caractérisée de son malheureux col de chemise.

- Ah... je m'imaginais qu'il vous en avait parlé.

Visiblement embarrassé d'avoir eu la langue trop longue, il se détourna à demi, entraînant Fanaa au passage. Heureusement qu'elle s'accrochait bien et que le vêtement était solide...
Le soldat se passa une main dans les cheveux, faisant s'envoler un petit nuage de poussière.

Bon, de toute manière il en avait déjà trop dit.

- Si on savait qui, fuir Lévitas n'aurait pas été nécessaire. Quelques vieux fossiles se sont dit que du sang neuf associé à un nom prestigieux seraient du plus bel effet pour ranimer un peu l'arène politique et... eh bien, ça a un peu trop bien fonctionné. Et tout le monde n'a semble-t-il pas apprécié. Le capitaine a dû quitter Lévitas suite à une tentative d'empoisonnement, puis une deuxième tentative plus brutale l'a enfin décidé à se mettre réellement à l'écart dans un lieu moins fréquenté... enfin théoriquement moins fréquenté... enfin ici quoi.

-Je vois. C'est une tradition ici visiblement les problèmes avec l'elixia...

La dédrane ne voyait pas quoi ajouter. La conversation n'était pas son fort, surtout avec les gens qui préféraient le silence. Leur conversation pendant la fête de l'abondance lui revint en mémoire. Elle devait au moins s'excuser tant qu'elle en avait l'occasion.

-Je suis désolée de vous avoir importuné à la fête, je ne pensais pas que vous étiez en couple avec Fanaa. Je n'aurais, bien entendu, rien dit sinon. J'espère que vous ne m'en voudrez pas trop d'avoir été un tel boulet.
Sur ce je vous laisse tranquille, je vais juste attendre le retour de la demoiselle.

Mellyna espérait que Thani avait plus de chance avec son propre recrutement. L'affaire ne semblait pas bien engagée...

- Si par "tradition" vous voulez dire "hérédité", c'est exact, au moins pour les gens du désert. Si ce n'est que dans tous les cas qualifier de tradition quelque chose que les personnes n'ont pas choisi et qui leur est potentiellement néfaste est un peu... malvenu.

Une légère froideur transparaissait derrière la diction soudain un peu trop soignée du Lévitis. Mais la suite de la conversation parvint à lui faire monter les couleurs de l'embarras aux joues.

- Je ne... nous n'étions pas en couple. Absolument pas. Et même maintenant ce n'est pas... enfin pas exactement...

Mellyna ne l'avait nullement embarrassé auparavant -ou juste un peu gêné lors de la tentative de danse-, mais là elle venait d'y réussir.
Alors elle les avait vus ensemble ?
Où ?
Le bain ? Les couloirs ? ... pire, la chambre ?
Encore euphorique de sa petite séance de brisage de sommier, il avait pu parcourir les corridors avec autant de dignité que possible lorsqu'on se trouve dans le plus simple appareil. Mais là il avait à nouveau l'esprit dégagé de tout nuage de félicité et il dut se détourner précipitamment, une main sur la figure dans l'espoir de dissimuler l'afflux de sang qui lui montait aux pommettes.

-Non je ne parlais pas forcément que des gens du désert...
J'ai cru que comme vous preniez des bains ensemble, vous aviez une relation, c'est tout.

Mais s'ils n'étaient pas "officiellement" ensemble, Fanaa ne lui avait pas forcément parlé de son problème d'elixia mieux valait se taire pour ne pas gaffer d'avantage. Vu le revirement dans le comportement du lévitis le sujet était brûlant.
Tous les sujets qu'elle abordait semblait déconcerter Earl, quand est-ce que sa poisse de mettre les pieds dans le plat la quitterait-elle ?

*Quand tu cesseras de parler avant de réfléchir.*

Encore une pique du dragonnet, décidément ce n'était pas son jour... Elle n'eut même pas le courage de répliquer à la bestiole qui s'était nichée de nouveau dans sa chevelure.
La dédrane essaya un dernier sujet avant d'abandonner toute idée de conversation.

-Euh, ces bêtes dont vous parliez tout à l'heure, si on tombe dessus, qu'elle est la meilleure chose à faire ? La fuite ? Le combat direct ? Un point faible quelconque ?

Apprendre que la Dédrane les avait vus uniquement dans la salle des vapeurs rasséréna à peine le Lévitis. Cela permit cependant à la première allusion de Mellyna de passer beaucoup plus discrètement, sans attirer son attention. S'il avait su de qui elle parlait, il n'aurait été que plus inquiet de leur projet de sauvetage.

- La fuite, ou le corps à corps à l'arme blanche. Leur structure est trop... anarchique pour trouver un point vital d'une seule flèche autrement que par pur hasard. Le plus efficace reste encore de les mettre en pièces. Mais vous préférerez probablement la fuite. Non pas que je sous-estime votre courage, mais...

Bon, au moins réfléchir à ce sujet était le remède idéal à toute rougeur intempestive.

- Empoisonner !

La main se crispa plus encore sur le tissu qui eut appelé à l'aide si il avait eu une voix.

- Non Monsieur, il ne m'en a pas parlé. Nous ne discutons pas vraiment. J'aimerais bien mais je ne suis pas douée pour cela. Avec lui je dis toujours les mauvaises choses.

Fanaa soupira et sa poigne se desserra.

- Dites moi, est-ce que les hommes ont naturellement un bouclier autour du cœur ? Est-ce qu'ils l'ont tous travaillé durant leur enfance ? Vous ne semblez jamais ... affecté par ce qu'il dit. Et la façon dont il le dit. C'est aussi ce qui m'amenait à penser que votre attachement était plus que professionnel. Car quelqu'un qui serait obligé car mandaté pour le supporter, comment y réussirait-il ? Seulement si les hommes ont ce genre de secret, alors ça explique bien des choses.

- Je ne suis pas sûr que lui soit plus doué pour discuter. Doué pour parler, oui. Mais discuter, ça...

Ridelgald récupéra précautionneusement sa chemise et la défroissa machinalement du plat de la main.

- Et il n'y a pas de secret ou de formule miracle. Chaque homme ressent des émotions à divers degrés, mais chaque homme les laisse aussi plus ou moins s'exprimer.Quand quelque chose fait trop mal, on essaye juste de faire comme si ce n'était rien, on pense à autre chose pour continuer d'avancer. Moi je n'ai pas de bouclier. J'ai simplement...

Il examina ses paumes rougies par le frottement de la corde puis haussa les épaules.

- J'ai simplement l'habitude de sa façon d'être. Il s'énerve facilement mais c'est rarement sans raison. Et la plupart du temps ce n'est pas vraiment sur la personne en face de lui qu'il crie, mais plutôt sur lui-même. Parfois il a un peu trop tendance à dire ce qu'il pense... cela peut être terriblement blessant. C'est comme lorsqu'il s'entraîne à l'épée : chaque coup fait mouche, touche précisément un point faible qui fait très très mal. Cependant il ne fera jamais de mal à quelqu'un de façon vraiment intentionnelle, sauf si les circonstances l'exigent. Je le supporte parce que je le connais assez pour savoir comment il fonctionne. Il a assez de bons côtés pour qu'on supporte ses humeurs capricieuses, voilà tout.

Parler, discuter. Oui la nuance était importante. Et ce que disait Ridelgald, Fanaa avait déjà eu l'occasion de le constater. Earl ne voyait que ce qu'il voulait voir et si des faits, des choses ne rentraient pas dans le cadre de ses connaissances, de ses certitudes, il les rejetait purement et simplement. Cela lui donnait un regrettable côté égoïste.

- Donnez moi vos mains.

Fanaa attrapa une des grandes paluches et posa sa paume sur la sienne. Il y eut une sensation de fraîcheur sur la peau calleuse du soldat et un apaisement. La Danseuse fit de même pour l'autre.

- Je vous remercie d'avoir bien voulu me parler. Je ne vais pas vous embêter plus longtemps. Je ne vais pas lui proposer de venir, je sais que ça va être dangereux, il l'a dit lui-même. Il vaut mieux qu'il reste à l'abri à casser des murs. Il se fera peut-être mal aux main mais ce ne sera pas trop risqué. Et puis vous n'êtes pas loin, ça me rassure beaucoup. Je ...

Fanaa ouvrit les mains en un signe d'impuissance.

- Je n'ai pas envie de demander aux gens de se jeter dans la gueule du loup en notre compagnie, vous savez. C'est juste qu'on me l'a demandé et que je suis lucide, sans aide il ne pourra y avoir de résultat. Si je le pouvais, je n'entraînerais personne là-bas.

Ses épaules s'abaissèrent.

- Je vais aller chercher Fynarine. J'espère que comme vous, elle aura la bonne idée de refuser. Au revoir Monsieur Ridel.

- Attendez.

Ridelgald se passa une main sur la nuque, hésitant.

- Vu qu'il est réveillé, il...

Il n'osait poser la question, craignant la réponse.

- Comment va-t-il ? Je veux dire... rapport à... l'incident de ce matin.

A bien y réfléchir, ce n'était peut-être pas le moment idéal pour le laisser "casser des murs". Les accès de fureur de l'ex-capitaine étaient souvent suivies de périodes assez moroses, comme s'il n'arrivait jamais à relâcher complètement la pression et que cet état le frustrait au plus au point.

Le soldat lui faisait confiance pour arriver à affronter les dangers extérieurs. Et lui-même pouvait le seconder le cas échéant.
Mais s'il s'agissait de le protéger Earl de lui-même...

Ce matin ...

Le regard de Fanaa se perdit et elle sourit légèrement. Sa voix était douce, presque un murmure.

- Il va bien.

La sensation habituelle de picotement des larmes qui montent aux yeux.

- Il s'est reposé et à son réveil ses premiers mots étaient pour dire qu'il ne s'était rien passé. J'ai tout de suite embrayé sur un autre sujet de conversation, il s'est reposé encore et il va bien. Il est calme, il n'a pas crié. Il nous a mises en garde contre les bêtes et puis il m'a envoyée vers vous.

Elle leva les yeux vers le visage du soldat et haussa les épaules.

- Mais vous le connaissez mieux que moi. Il a l'air bien, vraiment, mais qu'en est-il en réalité ? Vu qu'il cache le moindre signe, je voudrais vous promettre que je suis totalement sure de moi, mais je ne le peux pas. Pourtant sa démarche, sa posture, son visage, ... tout indique qu'il va bien. Le repos forcé suite à la crise, je pense que ça l'a vraiment calmé.

Fanaa pencha la tête sur le côté.

- Et je l'espère sincèrement.

"Rien passé"...

Ridelgald réprima une grimace.
Non, il s'était bien passé quelque chose. Et si Earl refusait de l'admettre tout haut, c'est que cela allait le travailler longtemps.

- Hum, il savait aussi bien que moi quelle réponse je pouvais donner. Du moment que ce n'est pas pour s'arranger afin de rester tout seul... A part lui taper dessus suffisamment pour l'assommer, il n'y a pas beaucoup de moyens efficaces pour l'inciter à se tenir tranquille dès qu'on a le dos tourné.

Le soldat lâcha un gros soupir.

- Lorsqu'il s'énerve, on sait clairement -parfois trop clairement, d'ailleurs...- ce qui lui passe par la tête. C'est quand il est trop calme qu'il faut commencer à se méfier.

Fanaa secoua les mains, essayant de se retenir de s'affoler.

- Ne dites pas ça ! Je n'ai pas dit qu'il était calme du genre "je prépare un mauvais coup", j'entendais vraiment "reposé" "apaisé". Ne me dites pas que cela ne lui arrive jamais, je l'ai vu !
Et je vous rassure, il n'a pas dit que vous viendriez, mais au contraire que vous ne seriez pas facile à convaincre car cela sort du cadre des ordres que vous avez reçus.

Elle se mit à triturer nerveusement une mèche de cheveux. Elle savait ce qu'elle avait vu, Earl avait vraiment semblé "calme" et "bien". Elle n'avait pas un instant songé que ç'eut pu signifier autre chose ! Mais elle le connaissait mal encore, elle pouvait facilement se tromper des son interprétation, avec lui tous ses repères étaient faussés !

- Alors selon vous je ferais mieux de le ficeler, de le jeter sur mon épaule et de l'emmener droit vers le danger parce qu'au moins, là, je pourrai l'avoir à l'oeil ? Je ne peux pas faire ça !?

Elle avait pâli. Concrètement, elle pouvait toujours essayé. Mais cela serait au péril de ce qui se tissait entre eux. Ce n'était déjà pas facile, elle aurait voulu le laisser avec un souvenir agréable, une jolie image. Là... c'était contraire à ce qu'elle avait souhaité.

- Je pensais vraiment qu'il pourrait rester à avec vous en attendant. Je pensais que ce serait mieux, plus sûr. Et surtout j'ai vraiment eu l'impression qu'il n'avait pas envie de venir, tout simplement. Je ne le mets pas à l'écart, je respecte son choix ... un choix qui m'arrange et me rassure je dois dire.
Monsieur Ridel, si vous y tenez ... elle déglutit, tendue ... je peux lui demander de venir. Une fois. Comme à vous. Et si il refuse, cela signifiera qu'il préfèrera rester ici, à l'abri, à aider à soulever des cailloux, lire ou que sais-je d'autre. Sans songer à préparer une bêtise. Vous êtes d'accord ? Cela vous parait-il acceptable ?

La vision imaginaire d'une Fanaa transportant fièrement un Earl ficelé comme un rôti sur l'épaule tira un "hum hum" à Ridelgald.

- L'ennui c'est qu'il adore dire "non" quand il est tout prêt à accepter quelque chose, juste pour avoir le plaisir de regarder ses interlocuteurs se lancer dans une argumentation qu'il se fera une joie de démonter pièce par pièce. Du coup il est vrai que c'est difficile de savoir s'il est réellement en désaccord ou s'il s'agit juste d'un jeu intellectuel pour lui.

Le soldat finit de secouer son bas de pantalon alourdi de boue et de sable. A force de piétiner l'endroit, le sol dégorgeait une eau brunâtre désagréablement chaude et visqueuse.

- De toute façon s'il ne tient pas à intervenir au final, rien ni personne ne pourra l'y forcer. Il n'y a bien que la demoiselle jumelle qui arrive à littéralement l'enrouler autour de son petit doigt par je ne sais quel sortilège... des fois j'aimerais bien savoir en faire autant, ça serait plus reposant. Mais vous pouvez toujours tenter, je vous aurais prévenue.

- Oui, Nuada est vraiment spéciale. Nul besoin de sortilège elle est naturellement ainsi. Touchée par une grâce ... dit rêveusement Fanaa.

Puis elle ajouta plus bas, amère.

- A elle il fait des excuses ...

En soupirant elle tapota le bras musclé du soldat en signe de soutien autant que pour se donner du courage.

- Merci de toutes ces explications. Je serai malheureusement incapable de lui sortir une argumentation qui tienne la route. Il la briserait si facilement que ce ne serait pas même amusant pour lui j'en ai peur ...

*Et c'est sadique comme façon de faire !*

- Si jamais il décidait de venir et que vous restiez ici, et si il lui arrivait quelque chose là-bas, c'est à moi que vous en voudriez ?

Le soldat eut un sourire.

- C'est à lui que j'en voudrais pour s'être montré si maladroit.

Il se gratta une oreille, faisant tomber quelques grains de sable insidieux.

- Et vu que ma mission consiste à le garder en un seul morceau autant que faire se peut, je devrais venir aussi, pas le choix.

-Le courage n'a rien à voir là dedans... Si on part là-bas c'est pour sauver des gens, pas pour en tuer d'avantage. S'il faut fuir, nous fuirons mais si la fuite est impossible, je veux être capable de protéger les membres de l'expédition.
Qu'entendez vous par structure anarchique ? L'aspect reste le même mais la composition interne change ? C'est un problème de perception, de vue ?
Leur détection de l'elixia est un problème de distance ? De puissance intrinsèque ou d'utilisation ?

La dédrane était maintenant moins emballée à l'idée d'amener des gens comme Fanaa dans cette aventure. Peut-être qu'elle vaincrait les mages mais ces bestioles semblaient bien plus inquiétantes. Le lévitis ne s'était pas appesanti sur le problème des mages, cela devait donc moins le préoccuper.

- Je parlais bien évidemment de courage quant à défendre votre peau et surtout celle des autres. Je suis bien placé pour savoir qu'il n'y a nul besoin de courage pour simplement tuer quelqu'un.

Le regard d'ambre s'assombrissait d'instant en instant.

- Et cela veut dire très exactement ce que ça veut dire. Les os, les organes, la structure enfin, tout est réorganisé, reconstitué en un chaos total... mais un chaos viable. Et si vous sentez naturellement des dessous de bras, on vous sentira. Si vous vous mettez à danser la gigue, vous sentirez d'autant plus fort. Et si vous sentez plus fort, on vous sentira de plus loin. La perception de l'elixia fonctionne pareil, si ce n'est qu'il s'agit d'avantage d'un rayonnement. Vous ne serez pas à l'abri si vous vous contentez de vous mettre à l'abri du vent.

Earl croisa les bras avec un haussement d'épaules.

- D'autres questions, ou vous les réserverez au guide local qui ne manquera pas de vous accompagner ?

-C'était histoire d'apprendre des choses intéressantes en attendant le retour de Fanaa... Je sais bien que je suis inculte en la matière, une leçon est toujours bonne à prendre. Tant mieux si le guide local est expert en Elixia, cela nous aidera, néammoins, deux avis valent toujours mieux qu'un.
Si cette conversation vous dérange libre à vous d'y mettre un terme à tout moment, je vous remercie de votre patience.

Mellyna ne s'énerva même pas, elle était un peu blasée par le caractère difficile de son interlocuteur. La journée risquait d'être longue, elle ne devait pas gaspiller ses forces. Elle retourna au brossage du pelage du loup qui n'avait pas bougé attendant d'autres soins.

*J'espère que Fanaa ne va plus tarder. C'est si facile de converser avec elle.*

Le poussin attendait la suite des évènements, boudeur il ne disait rien. Il ne manquait cependant pas d'étudier du coin de ses yeux à facettes le curieux individu avec lequel son âme-soeur discutait.

- Oh Monsieur Ridel ! Vous avez souri ! Je suis contente ! Vous avez l'air gentil maintenant ! Bien, je dois y aller maintenant, j'ai déjà trop traîné. Merci ... encore, pour votre franchise et le reste. Au revoir !

Elle pressa la large main dans les deux siennes et se retourna pour s'éloigner, fit un signe de la main et partit à la recherche de Fynarine. Elle trouva la Dedrane occupée à fabriquer des bandages, lui expliqua succinctement la situation et eut une réponse tout aussi succincte ... positive !

- Mais ... Tu es sûre ?
- Oui pourquoi ?
- Mais ça va être dangereux !
- Je m'en doute bien.
- Alors pourquoi as tu dit oui ?
- Parce qu'une soigneuse est un élément important. Qu'est-ce que tu as Fanaa, tu ne veux pas que je vienne ?
- Ben ... à vrai dire, pas vraiment ...
- Tu te fiches de moi ? Pourquoi viens tu me le proposer alors ?
- Mais non mais ça va être dangereux ! Tu as dit oui si vite, je trouve que tu devrais y penser ! En plus si tu pars, Earl ne t'aura plus pour le soigner en cas de besoin.
- Mauvaise excuse. Ici il y a des soigneurs autrement plus compétent que moi pour pas mal de chose. Surtout qu'ils connaissent ses affections. Alors vas tu arrêter d'être compliquée ?
- Je suis désolée, je sais que ta présence est très importante, mais je suis inquiète ...
- Tant de complications pour une chose si simple. Fanaa ... Je viens. Et je sais me défendre. Et Fanaa ?
- Oui ?
- Arrête de t'inquiéter et d'être négative. Tu es pleine de mauvaises ondes là, ce n'est pas bon pour une mission sauvetage tu sais ...
- Oh. Tu as raison ... j'ai un mauvais pressentiment ... Excuse moi. Je vais arrêter de penser à tout ça.
- Bien ! Bon direction le dortoir, je vais avoir besoin de pas mal d'affaires. En route !


Elles retournèrent à leur dortoir et découvrir un Earl au visage fermé et une Mellyna à l'air contrarié qui cajolait Khamsin. Les deux humains semblaient bouder. Et ce n'était pas qu'une impression. Fynarine salua le seigneur Earl, se rassura de le voir déjà debout, mais regretta de ne pas l'entendre. Pouvait-il seulement parler ? Elle se planta devant lui.

- Ouvrez la bouche, je vous prie.


Pendant ce temps, Fanaa s'était immobilisée. Elle savait qu'elle devait lui poser la question, elle avait dit à Ridelgald qu'elle le ferait mais maintenant qu'il était là, aucun mot ne semblait vouloir sortir.
Alors profitant de ce qu'il était occupé avec la Dedrane, la Danseuse alla s'accroupir auprès de Mellyna pour lui indiquer que Ridelgald ne pouvait venir mais que Fynarine, en revanche serait des leurs. Ce qui serait un atout considérable.

Avant que la Gardienne de la forêt n'ait dit un mot, Khamsin releva la tête et lança joyeusement:

*Mellyna ! Fanaa va faire de moi un humain et je pourrai venir avec vous ! Hein Fanaa ? Hein ?*

Fanaa enveloppa la gueule du loup dans sa main de manière à la maintenir fermée.

- Arrête de dire des bêtises, je ne transforme pas les gens. Ne l'écoute pas Mellyna. Il dit n'importe quoi.

*Mais si ! Mais si ! je m'en souviens !*

- Je ne ...

Elle se sentait en colère. Transformer les gens ? Et puis quoi encore ? Pourquoi infligerait-elle cela à quiconque ? Elle se força à baisser la voix pour ne pas se faire entendre plus loin que Khamsin ... et Mellyna car elle était de toute façon trop près pour rater ses mots. Au besoin, elle s'expliquerait avec cette dernière plus tard.

- Khamsin, je ne transforme personne. Ce qui t'est arrivé je n'y suis pour rien.

*Tu l'as fait pour Lyrev !*

- Pour la dernière fois Khamsin, je ne fais pas ça. Jamais. Pour personne. Lyrev lui il n'est pas pareil, il fait ça tout seul, c'est tout. D'ailleurs ta mission puisque tu ne viens pas c'est de retrouver Lyrev voilà. Ce chat doit bien être quelque part !

*Tu es fâchée.*

- Je ne suis pas ... bon oui. Un peu. Ecoute sans tes dents et tes griffes tu serais inutile. Et puis je suis sure qu'il te faudrait beaucoup d'elixia pour te changer. Et alors tu serais une proie bien juteuse pour les bêtes. Alors s'il te plait, ne pense plus à ça. Tu vois bien que ça ne tient pas debout !

Tout triste, Khamsin posa son museau libéré sur les genoux de Mellyna et poussa un long soupir résigné. Fanaa secoua la tête et posa sa main sur l'épaule de la Dedrane.

- Nous devrions y aller. Le temps de retrouver Thani et les autres. Il n'y a pas de temps à perdre je crois. Tu es prête ?

La jeune Masha arriva sur ces entrefaites.

- Ah Mellyna tu étais là ! Oh ... heya.

Il y avait du monde, elle salua tous les inconnus et regarda plus longuement l'homme au visage fermé. Il était beau. Oui il était ...

- Seigneur Earl, je vous ai demandé d'ouvrir la bouche s'il vous plait. répéta Fynarine.

Ainsi il s'appelait Earl ... oh mince. Masha secoua la tête et alla s'asseoir auprès de mellyna pour lui saisir le bras (manifestement elle affectionnait ce geste).

- J'ai préparé tout ce que tu m'as demandé !

Les bras croisés, Earl souffla par les narines d'un air buté.

- Je-vais-très-bien-merci, lâcha-t-il sans desserrer les dents.

Elle tenait vraiment à lui faire ouvrir la bouche au grand comme ça, devant toute une assemblée comprenant pas mal d'inconnues ou quasi inconnues ?

- Dans mes souvenirs vous étiez sensiblement plus attentive au caractère privé d'un examen à caractère médical, ce me semble.