Confins du désert - sanctuaire du Pas du Dragon

- Mmh... pas un jouet ? Pas une petite fille ?

Sheyn haussa les épaules.

- C'est peut-être moins vrai maintenant, mais ce n'est pas à toi d'en juger.

Il se leva avec souplesse mais fronça le nez en sentant le frottement des cloques de ses pieds sur la pierre rugueuse.

- Zehel ne m'appartient pas. Ce n'est pas un animal domestique, ni même un animal apprivoisé. Et ça m'étonnerait bien qu'il puisse être maladroit au point de se "tromper de trajectoire".

Il fit craquer bruyamment les articulations de ses doigts.

Le garçon semblait un peu mécontent et étrangement gauche, comme s'il se sentait encore moins à son aise dans ce pays de pierre que sur les terres des arbres sans âme du Ringem. Malgré tout, ses déplacements s'apparentaient toujours à ses glissements de fauve en maraude et son regard restait oblique et inquisiteur.

De l'ongle, Sheyn fit mine de se curer les dents. Un grognement peu discret lui fit abaisser un sourcil. Ah, mais c'est que le spectacle du rapace en train de se repaître parvenait à lui donner faim !
Les pouces à la ceinture, il se pencha en avant pour scruter Fanaa par en dessous.


- Dé ? Et qu'est-ce que tu fiches ici ?

- Non c'est sûr que lui n'est pas maladroit ... lâcha-t-elle pensivement en repensant aux quelques secondes qui avaient suffit à l'immense rapace pour se charger du ver géant.

Ensuite elle reporta son attention sur Sheyn qui avait des manières ... euh ... enfin des façons ... disons sauvages d'agir. Il était tout sale. Comme la dernière fois. Fanaa se demanda si il avait pris la peine de se laver de la bave du caïmodile.

La jeune fille s'abaissa pour mettre son nez à la hauteur de celui de Sheyn. Elle tendit souplement ses muscles pour préparer son corps en cas de besoin de vitesse. Elle retrouvait les sensations de chasse aux monstres du Ringèm. C'est que celui qui faisait face avait toute les mimiques d'un animal. D'un animal grognon d'ailleurs.

*Le soleil met-il tout le monde mal à l'aise ?*

- Je suis venue faire soigner Khamsin. Lorsque tu es parti la dernière fois tu as laissé entrer l'azerak. Je sais que tu n'as pas fait exprès mais je me serais bien passée de sa visite. Et moi je ne sais pas soigner. Et toi tu avais disparu.

Elle l'observait et calquait sa posture, son attitude sur la sienne. Sauf pour la crasse. Les reflexes de panthère, oui, comme durant les longs mois au Ringèm. Lorsqu'il n'y avait personne pour la perturber, elle était une bonne chasseuse. Seulement dès qu'il y avait ne serait-ce qu'une personne, elle perdait ses moyens et devenait maladroite, ce qui était assez frustrant. Elle leva une main et agrippa le bras couvert de poussière de sable.

- Tout va bien ? Tu as l'air ... *bizarre ? non il l'est tout le temps.* ... Tu as mal aux pieds ?

- Ah ? Donc ça s'appelle un "azerak" ?

Un petit reniflement dédaigneux vint saluer les singeries de Fanaa.
Sheyn tressaillit brusquement lorsqu'elle lui attrapa le bras et un clignotement verdâtre traversa les yeux bruns.

- Hé... tu as toujours cette fichue habitude de tripatouiller les gens sans leur demander leur avis ?

Le zehel détourna un instant le bec de son repas, l'air de se demander s'il pourrait récupérer au moins quelques os de la deux pattes. La moelle devait être succulente et...

- Mes pieds ne regardent que moi. Enfin, pour autant qu'ils y voient quelque chose ici.

Déçu, le rapace goba un dernier morceau de viande visqueuse et secoua les fines particules rouges qui collaient à ses plumes aux reflets de métal.

Sheyn récupéra son bras puis tourna le dos à Fanaa. Il étudia la paroi quasi verticale qui descendait au fond des gorges d'un bref coup d'oeil, avant de sauter dans le vide avec une suprême inconscience, les pouces à nouveau à la ceinture. Prenant appui du talon sur de minuscules surplombs de loin en loin, il se laissa littéralement tomber jusqu'en bas. De toute évidence, il connaissait presque par coeur la moindre anfractuosité des plateaux.

Ignorant avec superbe les autres spectateurs de la scène, il remua les orteils dans la fine couche sableuse qui nappait le lit rocheux et sa moue boudeuse s'accentua encore d'avantage.

- Franchement, s'ils ne m'avaient pas demandé de revenir...

*Mais pourquoi tient-il tant à montrer à tout le monde combien il se fiche d'eux ?*

Avec un soupir, Fanaa s'élança à sa suite et redescendit mais en utilisant ses deux mains et ses deux pieds. Une fois au sol, elle s'essuya les mains, rejoignit Sheyn à grands pas et lui accrocha le bras. Oui, encore.

- Et comment t'ont-ils fait passer le message ?

Nandini observa leur manège d'un mauvais oeil et retourna se cacher derrière un rocher. Tarik secoua la tête. Une fille, ça restait intéressant tant que c'était joli. Si elle était accompagnée c'était bien moins amusant.

- Tu n'aimes pas me désert Sheyn ? Est-ce parce qu'il y fait trop sec ? Et si on attendait que le soleil baisse un peu pour y retourner ? Allez viens, allons plus haut, tu es fort et rapide, tu pourrais me montrer un chemin, amusons nous un peu !

Le garçon laissa échapper un rauquement sourd et se dégagea à nouveau.

- De quoi, quel message ? Je suis tenu de repasser ici de temps en temps, c'est tout.

Finalement, il laissa éclater son aigreur contenue :
- Ce n'est pas que je ne l'aime pas ! Mais si je t'enferme dans un endroit où il n'y a pas d'air, est-ce que tu continueras à sourire béatement ?

D'un coup de pied rageur, il fit voler un nuage de poussière rousse.

- Presque pas d'eau, presque pas de plante ! Tché ! Je me sens tout nu ici !

Les ornements de perles et de plumes de ses bras et de ses poignets, similaires à ceux de Thani, émirent un cliquetis agressif lorsqu'il se retourna brusquement afin de foudroyer Fanaa du regard comme si elle était responsable de cet état de fait.

- Alors je n'ai PAS envie de m'amuser !

- Oh d'accord. Je ne savais pas.

Fanaa baissa les yeux, fortement ennuyée. Que répliquer à cela ? Rien. Puis elle releva la tête et sourit ( mais pas béatement comme le dit le vilain Sheyn).

- Je sais. Je te ferai un cadeau. J'espère en avoir le temps avant que tu ne disparaisses. Et tu es tenu de venir ici pour voir qui ? Nuada et Nuadi ? Ou alors ton père ?

Dans leur cachette les deux chasseurs dressèrent l'oreille.

- Ils parlent des illahi Nandini !
- Ces sales étrangers ! Oser souiller les noms des êtres sacrés dans leurs sale bouches ! Je les déteste ! fulmina-t-elle.
- Nandi, il y avait quelques étrangers à la fête de l'abondance. Très peu, mais ils étaient là en tant qu'invités. Peut-être ceux-ci y était-ils aussi ?
- Et qu'est-ce que ça change ?
- Que ce ne sont pas des ennemis. Qu'il faut s'en méfier mais ne pas leur cracher dessus comme tu le fais.
- Ecoute tarik, ça ne nous concerne pas, reprenons notre chasse et laissons les se débrouiller, se perdre et se dessécher au soleil.
- Tu es irrécupérable.

Au grand dégoût de Nandini, Tarik se mit debout de façon à se faire voir des deux autres et proposa:

- Heya ! Si vous voulez vous reposer à notre village... il n'est pas sur la route du temple mais est plus proche de nous que lui. A la nuit nous trouverons quelqu'un pour vous reconduire.
- Je te préviens, ce ne sera pas moi ! siffla sa compagne.

Complètement indifférent aux fulminations de la chasseresse, Sheyn émit un reniflement peu enthousiaste.

- J'suis là pour travailler.

On aurait dit que ce mot lui brûlait la bouche autant qu'un plein saladier de piments.

- Je dois faire le tour des villages.

L'air ennuyé par avance, il daigna enfin prêter attention aux deux autres personnes présentes.

- Iehou tera kel'iste, de chte nuu.

Il agita ironiquement son large bracelet de perles de verre et d'ivoire, attribut des eyerashes du désert.

- Pour moi c'est bon, je connais le chemin.

La proposition de Tarik eut cependant le mérite de le faire réfléchir.
Tant qu'il ne se rendait pas au Sanctuaire, ni Nuada ni Nuadi n'étaient censés être au fait de sa présence... et tant qu'il se faisait assez discret, il pourrait peut-être éviter les cultivateurs de rosée. Gagner quelques heures supplémentaires de flemmardise, ce n'était pas pour lui déplaire, même s'il aurait préféré passer ce temps-là ailleurs.

Enchanté par cette ingénieuse astuce et pleinement confiant en sa capacité à se rendre presque invisible au milieu d'une foule de personnes, il ne fit ni une ni deux et prit aussitôt la direction du village sans attendre que les autres se décident, sautant de pierre en pierre avec la légèreté d'une plume de Zehel.
Tiens, en parlant de Zehel...

- Ah, et si vous persistez à courir après lui...

[i]Sans prendre la peine de se détourner, il leva un doigt en l'air, vers le ciel chauffé à blanc.[/ï]

- ... c'est lui qui vous chassera. Et qui vous dévorera.

- Aaaaaaaaah benvenu Eyerash té. Il manen kiou tee. Tu vois nandi, il est de chez nous.

La fille eut un reniflement dédaigneux et ne prit pas même la peine de répondre. De chez eux ? Alors qu'il venait lui-même de dire qu'il n'aimait pas le désert ? Quant à sa mise en garde contre Zehel ... elle n'en avait pas besoin. Elle savait très bien à quoi s'attendre, quels étaient les risques. Il n'empêchait qu'il restait une bien belle prise. Car des prises aujourd'hui, elle n'en avait goutte. Au contraire de Tarik. Ce-dernier sortit plusieurs lien auxquels étaient pendu cinq petits animaux de derrière le rocher où il s'était planqué. La journée avait été bonne pour lui. Nandini fulminait. Le nez haut, elle accéléra le pas et ouvrit ainsi la marche. Enfin sauf pour l'eyerash bizarre mais lui elle avait décidé qu'il ne comptait pas vraiment. Il savait parler.
Derrière elle venait Tarik et enfin Fanaa qui avait renoncé à avancer à la même vitesse que Sheyn, préférant jeter des coups d'oeil partout autour d'elle pour découvrir l'endroit. Durant la traversée du désert elle avait, au final assez pu profité du paysage.

- Comment différencie-t-on les pierres du z... Elle se mordit la langue. Il ne fallait pas parler du ziral, Nuada l'avait dit. Zut.

Fort heureusement, même si c'était un peu triste, personne n'avait fait attention à ce qu'elle disait. C'était comme cheminer seule ... Bon. Elle n'allait pas se plaindre non plus. Elle se baissa pour ramasser ce qui ressemblait à un drôle de caillou et quelques grains de sable puis ils finirent par arriver au village des deux chasseurs. Tarik indiqua les bêtes à Sheyn tandis que Nandini disparaissait dans une des maisons de pierre, laissant Fanaa seule.

Elle resta quelques instants à obeserver, distribua des sourires, puis commença à flâner entre les huttes à la recherche de ... choses à apprendre par exemple. Et de quelqu'un d'accueillant, pour changer.

Le teint de Fanaa avait commencé à dorer avec les jours qu'elle accumulait au désert et cela lui donnait vraiment bonne mine. Ses yeux - bleu très clair - n'en ressortaient que plus, mais elle était loin de la sublime peau caramel de Mellyna et ne pouvait bien entendu pas passer pour une habitante du désert. Non qu'elle le souhaita particulièrement d'ailleurs mais, sans vouloir devenir quelqu'un d'autre, elle souhaitait rencontrer quelqu'un qui ne réagisse pas comme Nandini. Quelqu'un peut-être qui l'invite à prendre le thé et qui lui montre ... quelque chose. Quelqu'un qui lui parle. Fanaa ne rencontra personne qui fit cela. Nul ne fut non plus disons "sec" avec elle, c'était plutôt comme si on ne la voyait pas. Le village était vivant, chacun vaquait à ses occupations et nul ne s'arrêtait pour elle, ce qui la dépitait.
Si elle n'avait pas demandé de guide au temple, c'était pour ne pas déranger une personne dans son travail. Ici, elle avait l'impression que si elle arrêtait n'importe qui, cela les ennuierait et ne les ferait pas bien voir. Donc elle se contentait d'errer et ce n'était pas bien rigolo. Elle soupira avant de reprendre une mine avenante. Une fille triste n'attirerait personne.

*Je n'ai pas la manière avec les gens. je ne sais pas comment agir, que faire, quoi dire ... et je ne suis pas à l'aise. Si j'attends qu'on me remarque, il ne se passera jamais rien. Je suis trop...* Ce n'était pas facile à avouer. *... insignifiante.* Tout le monde avait envie d'être spécial, Fanaa y compris. Elle n'avait pas envie d'être transparente. Pourtant elle l'était. Et moins elle osait faire, plus elle s'effaçait à son grand damn. Mais comment faire autrement ? Le peu d'assurance qu'elle avait avait disparu avec son elixia.
*Si seulement la Source pouvait se réveiller de nouveau ...* Cette prière ne fut pas entendue. Ca aurait été trop simple. *Comment a dit Earl déjà ? Tu veux tu prends ? Je vais ... essayer. Je n'ai pas grand chose à perdre.*

Fanaa continua de saluer en souriant tous ceux qu'elle croisa. Ils lui rendirent tous son salut, mais elle n'eut pas droit à plus. Puis elle osa jeter des coups d'oeil vers l'intérieur des maisons, par les ouvertures des fenêtres ou des portes, gênée de sa propre audace, de sa curiosité, et c'est ainsi que l'une des maisons attira son attention. Du coin de l'oeil elle vit d'abord des reflets, quelque chose brillait là-dedans ! Elle se rapprocha et passa le nez par la porte. Une chaleur torride l'assaillit. La température et l'odeur qui planait ne laissait pas planer le doute. Il y avait du feu ici ! Mais qui serait assez fou pour faire du feu dans le désert ? Il faisait bien assez chaud comme cela sans avoir besoin d'une cheminée quand même non ? A la limite, la nuit la température chutait, certes, mais là, il était un peu plus de midi et l'air était bien loin de fraîchir. Alors quoi ?

- Heya ! Amila ouki té ?

La voix appartenait à une femme qui s'avança vers Fanaa une sorte de trique à la main. Cette-dernière leva les bras et expliqua bien vite :

- Je suis avec l'eyerash ! Je l'accompagne c'est tout !
- Ahhh. D'accord. La femme semblait soulagée. Elle baissa son bâton. Je me disais c'est bizarre il n'y a jamais eu d'étranger au village avant. Mais si tu es là c'est que tu dis vrai. Personne ne pourrait trouver le village sans un bon guide. Je m'appelle Nettie. Bienvenue.
- Merci beaucoup. Je m'appelle Fanaa. Pourquoi fait-il si chaud ici ? Qu'est-ce qui brûle ?
- Ah mais c'est le four !

*Le four ? Mais c'est évident que je suis bête ! Il faut bien qu'ils puissent cuire leur pain.*

Elle détailla Nettie. Une femme presque grande, pas très épaisse mais qui ne pouvait cacher un bedon tout rond tout rond. Elle semblait attendre un heureux événement et vu la peau tendue de son ventre, il serait pour les jours à venir. Son visage ruisselait de sueur et elle avait caché ses cheveux roux sombre sous un fichu. Son visage exprimait la joie profonde, presque mystique des mères en devenir. Elle reprit la parole en faisant un geste ample.

- Regarde autour de toi !

Ce que Fanaa fit. Et émerveillée elle découvrit al source des scintillements qui l'avaient attirée ici : des colliers et des boucles d'oereilles, décorées de perles de verre coloré, des vases, des plats, des verres, là un service à thé, là des pots, là un bracelet ... Tout était en verre, du verre de différente teinte, de différentes formes, des objets de multiples utilisations, et tout était ciselé, décoré, teinté, avec goût.

- Que c'est joli !! C'est toi qui as fait ça ?
- Et oui ! je suis une artiste du verre. Nettie rit, appréciant le compliment. Le désert est plein de sable, moi, fille du désert je prends le sable et je le change en verre. Je suis contente que tu aimes.
- Oh mais oui c'est vraiment beau ! Mais alors le four ?
- Le soleil est toujours là et il brûle, mais pour transformer le sable, il faut plus que le soleil. Sinon le désert serait différent.
- Je vois. Et ce n'est pas trop dur de faire cela avec le bébé ?
- Le bébé ... Nettie caressa tendrement son ventre. Tout semble aller très bien pour l'instant. je n'ai pas de raison d'arrêter.

A dire vrai, il y avait eu une fausse alerte qui avait empêché nettie d'aller à la fête de l'abondance, à son grand damn. Mais Nandini était restée avec elle et au final il ne s'était rien passé de grave. Le bébé ne s'était pas décroché, contrairement à celui de Raki. Pauvre Raki ...

- Nettie, m'apprendrais tu à faire du verre ? Ou peut-être crains tu que je ne gâche du sable ?
- Il y a bien assez de sable ici, va. D'accord je vais te montrer mais un tout petit objet d'accord ?
- Tout ce que tu veux.

C'est ainsi que Fanaa apprit la technique du verre. Elle créa donc son premier objet. C'était une perle de verre creuse, de la taille d'une noisette et de la couleur rouge-orangée obtenue pour le verre brut. Elle avait hésité à le colorer en bleu avec du pigment mais s'était décidée à le laisser au naturel. Inspirée, elle savait déjà ce qu'elle voulait en faire. Elle demandé à Nettie de lui fournir un lacet de cuir et proposa bien spur de la payer en échange mais la souffleuse de verre refusa.

- Par contre je peux ta laisser surveiller le four juste le temps que je revienne ? Il n'y a presque rien à faire mais le feu ne doit pas baisser. fais attention c'est fatiguant.
- D'accord. Fais moi confiance.

La jeune fille fut alors laissée seule pour veiller sur les braises. La chaleur aux abord du four était insoutenable et étouffante. Comment faisait Nettie pour tenir le coup ? Surtout avec un bébé ? Fanaa était admirative. Car la tête lui tournait déjà. Mais la femme revient relativement vite en apportant du thé. Fanaa sourit, puis sous ses yeux, Nettie eut une grimace de douleur, laissa tomber le plateau du thé pour porter sa main à son ventre, dérapa et dans sa chute elle se cogna la tête contre le four et s'y assomma.

- Nettie ? Nettie ?!

Fanaa ne savait pas quoi faire. agenouillé auprès de la femme enceinte, elle lui secouait l'épaule mais sans réaction de sa part. Que faire pour une femme enceinte ? C'était un cas sérieux ! Peut-être grave ! Nuada l'avait expliqué, il était difficile d'avoir des enfants. la moindre complication pouvait être fatale ! En panique, elle se précipita à l'entrée de la hute et appela de tous ses poumons :

- Sheyyyyyyyyyyyyyyyyyn !!! Sheyyyyyyyyyyyyyyyn !!!

Il était eyerash, il savait soigner, il saurait quoi faire !

- Rgn ?

Il rouvrit un oeil mécontent puis essuya d'un revers de main le petit filet de salive qui luisait à la commissure de ses lèvres.

Sheyn ? Qui...

Ah, oui, c'était le nom qu'il avait donné à la fille, là. De toute façon, qui d'autre aurait eu la fantaisie de l'appeler d'une façon aussi...
Il se gratta l'oreille avec un soupir.
...
Bon, autant y aller avant qu'elle ne rameute l'intégralité du village.

Le garçon se laissa glisser au sol et remonta sans s'affoler outre mesure en direction du cri. Des têtes curieuses ou inquiètes se montraient aux fenêtres où dans l'encadrement des portes.

- Quoi ? grogna-t-il dès qu'il eut rejoint cette fille décidément excessivement envahissante.

Un coup d'oeil jeté à l'intérieur lui fournit la réponse mieux qu'elle n'aurait pu le faire.

- Tsé !

Il alla passer un doigt le long de l'arrête des briques qui formaient l'angle du four avant de se retourner vers la femme allongée au sol. Les yeux bruns vrillèrent un regard peu aimable vers Fanaa.

- Tu n'es même pas fichue de savoir quoi faire sans elixia ?

Sheyn ne paniquait pas, lui, mais ne semblait pas d'avantage décidé à faire un geste de plus pour aider. Avec nonchalance, il se mit à suçoter le doigt rougi avec lequel il avait effleuré les briques.

- Je ne m'occupe pas des humains. Donc ? Maintenant tu fais quoi ?

- Sans elixia ?

Fanaa cligna des yeux. Lui avait-elle parlé de ça ? Il ne lui semblait pas. Non vraiment ca aurait été douteux, elle ne lui faisait pas assez confiance. Et puis la tout de suite ça n'était pas ce qui comptait.

- Avec ou sans qu'est-ce que ça change ?! Je ne sais PAS soigner moi ! Et le four est chaud ! Et elle a un bébé ! Mais fais quelque chose !

Sur le sol, Nettie cilla et ouvrit les yeux.

- Ké ? Pourquoi ça crie comme ça ?
- Nettie ? ne bougepas. Tu es tombée, tu as un bébé je vais chercher quelqu'un ?

La femme ne l'écouta pas et se redressa un position assise. De sa main elle effleura l'endroit de son crâne qui avait cogné et grimaça.

- Bébé ? Je sais bien que j'ai un bébé. Il ne se fait pas oublier un seul instant. Aide moi à me relever. C'est qu'il n'est plus une plume celui-là.
- Mais non !

Fanaa leva les deux bras et fit un pas en arrière. Et si elle faisait une bêtise ? Si en l'aidant elle faisait mal au bébé ? Si ...

- Sheyn ! l'apostropha-t-elle d'une façon qui répétait "fais quelque chose!"

Une tête apparut à la porte. Un visage aux sourcils froncés qui écarta sans ménagement l'eyerash de la porte. Sans même un regard pour Fanaa, Nandini aida Nettie à se remettre debout et l'éventa de sa main.

- Viens sors un peu. Il fera toujours moins chaud dehors qu'ici. Le bébé va bien ? Il ne faudrait pas que comme Raki tu ...
- On va le savoir très vite Nandi. Il bouge beaucoup là je ... oh ... on dirait qu'il arrive !

La chasseuse serra les poings, crispa sa mâchoire, puis décida d'oublier cette histoire d'étranger. Il fallait mener Nettie en un lieu plus approprié. L'adolescente sortit donc pour accompagner la femme.

Fanaa serrait ses mains si fort que ses jointures blanchissaient.

- Elle va avoir un enfant. Il faut qu'il aille bien, il faut qu'il naisse en bonne santé. Sheyn, dis quelque chose, tu ne connais pas une prière, une bénédiction ? C'est important. Nuada l'a dit. Il faut que le bébé aille bien. Tu ne veux pas aller les aider ? Tu sais surement quoi faire toi, ça leur portera chance !

Sans s'offusquer de se faire bousculer ainsi par la petite chasseresse, Sheyn laissa échapper une exclamation de mépris à l'intention de Fanaa :

- Un enfant d'humain se développe en neuf cycles, et tu t'imagines que la chance ou une prière à la dernière minute y changera quelque chose ?

C'était sans doute trop tôt.
Vu l'avancement des choses, il n'avait pu être conçu que lors de l'avant-dernière fête de l'abondance. Une bonne période.
C'était trop tôt, oui, mais il n'y avait vraisemblablement rien de catastrophique à craindre en dehors des complications ordinaires.

- Si tout doit bien se passer, l'autre fille saura s'en occuper. Si ça doit mal se passer, ce n'est pas un soigneur pour animaux qui servira à grand chose. Mais qu'est-ce que tu crois ? Que les femmes ont attendu ta venue ou la mienne pour savoir mettre leurs enfants au monde ?

Sheyn haussa les épaules et tourna les talons. Déjà qu'il n'aimait pas avoir un toit au dessus de la tête et des murs autour de lui, rester auprès d'un feu grondant, c'était...

- Peuh, un deux-pattes de plus sur Adreis !

- Et comment est-ce que je le saurais moi ? Si on ne me l'explique pas je ne peux pas le deviner ! Alors quoi, tu es venu au monde en ayant déjà toutes les connaissances ? Bien à toi ! Mais ce n'est pas le cas de tout le monde mais pourquoi êtes vous à ce point ... hermétiques ?! Zut à la fin !

Après lui avoir crié dessus du pas de la porte et n'attendant aucune réponse de la part de ce garçon qui n'avait rien à faire de rien, elle se laissa tomber au sol dans la hutte et entoura ses genoux de ses bras.

*Ils sont tous fermés. Bon sang tout n'est pas si évident ! Et puis pour des gens qui croient en des Etres Sacrés, les prières ont forcément un pour voir, une force, quelque chose. Ma suggestion n'était pas au hasard, mais il dit que je suis stupide. Il est ... il est ... insupportable !*

Elle ressentit une nouvelle crampe au ventre. La colère ?

- Ce n'est pas une question de connaissances, mais de bon sens. Et ça, oui, on l'a ou on l'a pas. Si tu ne parviens pas à utiliser ta tête correctement dès le départ, à quoi bon essayer de t'apprendre quelque chose ?

Fulminant après tous ces stupides oisillons sans ailes qui s'imaginaient pouvoir sauter du haut de leur nid comme si voler tombait sous le sens, Sheyn refit volte-face et s'éloigna à grands pas.

Stupide, stupide, stupide !
Tête creuse !

Avec un grondement qui roulait sourdement dans sa gorge, il gagna les falaises qui dominaient le village. Là haut, un nouveau rauquement l'accueillit, mais il provenait d'une gueule autrement plus formidable.

- Hoy, Rayah.

Il s'assit en tailleur sur la pierre brûlante et le grand fauve s'étendit voluptueusement sur cette couche ardente.

- Tu as encore semé ton frère quelque part ? Ou alors il est juste resté à roupiller dans un coin en attendant qu'une bonne âme lui apporte son repas ?

Sans attendre de réponse, ou peut-être parce qu'il n'en attendait pas, Sheyn tourna la tête dans la direction du sanctuaire. Il renifla à petits coup la brise si chaude qu'elle en était presque étouffante.

- Nouvelles odeurs. Et une qui...

- Ouh ...

Cette crampe était sévère. Peut-être Fanaa était-elle trop nerveuse ? La jeune fille se concentra pour prendre de longues respirations. En général ça pouvait suffire à chasser la douleur. Inspirer, expirer, inspirer, expirer. Son regard se porta sur le service à thé en verre soufflé, d'une délicate nuance bleu-vert un peu plus sombre que l'iris de Syld et ... ressentit un spasme dans son bas-ventre. D'accord. Cette crampe était tenace. En plus dans cette atmosphére confinée et brûlante, ça n'aidait pas à se détendre. Quoi que, en y réfléchissant, il ne faisait plus si chaud. Le four était-il en train de s'éteindre ? Et d'ailleurs, si Nettie ne pouvait pas assurer son poste, il valait mieux que le feu se consume et que les braises arrêtent de brûler, non ? Il n'y avait eu aucune consigne et Fanaa ne savait que faire. Du bon sens du bons sens, mais comment être sure de prendre la bonne décision ? Après tout peut-être que quelqu'un allait venir ici prendre la relève de la souffleuse de verre ? Peut-être. Mais dans le doute, mieux valait limiter les risques. Si le four chauffait trop, si le feu en sortait, il brûlerait la maison et détruirait tous les jolis objets, de plus comme l'eau était rare ils n'en avaient surement pas à profusion destinée à éteindre un possible incendie. C'était décidé, Fanaa allait baisser le feu.

*Sheyn trouverait-il que c'était du bon sens ? J'espère que oui.*

Elle se mit debout et avança vers le four, qui ressemblait à un énorme poêle d'un bon mètre de circonférence et trouva que l'air tiédissait. Les braises étaient peut-être réellement en train de s'éteindre ? Ce serait plus simple, ainsi elle n'aurait pas à chercher comment procéder. Une flèche de douleur la transperça au niveau de sa cicatrice et la plia en deux.

*Mais qu'est-ce que c'est ? J'ai pourtant mangé ce matin, je vois pas ce qui pourrait ...*

Un nouveau spasme la mit à genoux, les deux bras crispés contre son ventre. Le four n'avait pas baissé d'intensité mais Fanaa avait de plus en plus froid. C'était bizarre, elle savait que ce n'était pas logique, que dans un désert en pleine journée il ne faisait pas froid. Pourtant elle commençait à avoir la chair de poule. Elle eut presque envie de toucher la paroi du four pour retrouver un peu de chaleur mais heureusement elle n'en fit rien. Elle essayait de raisonner, de garder l'esprit clair, de savoir ce qui lui arrivait et comment réagir. De comprendre. Et de ne pas s'affoler pour rien. Ca allait sûrement passer. Ca allait être rapide. Il le fallait.

Depuis combien de temps est-ce qu'il n'avait pas senti une odeur semblable ?

Les yeux à demi-fermés, Sheyn dodelina de la tête.

Mmh, que faire ?

Il n'était là que par obligation. Il n'avait pas besoin de chercher à se mêler d'histoires d'humains. De toute façon, plus on se frottait à eux, et plus on était sûr d'y laisser des plumes.

D'un autre côté, il s'ennuyait.
Le désert était ennuyeux.
Et l'ouvrage qui lui incombait ne pouvait se faire que lentement, petit à petit.

Juste observer, alors ?
Observer était une occupation comme une autre, cela pourrait toujours lui passer le temps.

- Enfin, espérons que ce sera plus intéressant. Encore que j'en doute...

Dans la hutte voisine, le travail de Nettie avait commencé. Autour d'elle se tenait Nandini qui lui épongeait le front tandi que cinq femmes du village apportaient des linges propres et aidaient La parturiente à maintenir sa position accroupie, lui massaient le ventre et lui préparaient des infusions d'herbes calmantes. Elles étaient prêtes à recevoir l'enfant. Tarik se trouvait à l'entrée, attendant qu'on l'appelle. L'accouchement était affaire de femme mais parfois on pouvait faire appelle à un homme, selon les besoins du moment. C'est lui qui avait passé la fête de l'abondance précédente avec Nettie. Il se rappelait. Elle ne dansait pas très bien et il s'en était moqué. Mais malgré sa maladresse, elle était heureuse de bouger avec les autres et son visage ne prenait pas ombrage de ses moqueries à lui. Nettie était simple et franche, on avait dit d'elle qu'elle état un peu bête mais c'est juste qu'elle ne s’embarrassait pas de trop de questions ou de jugements inutiles. Elle gardait dans son esprit sa capacité d'art du verre, le bébé à venir, le désert, et même un petit peu Tarik.

Entre deux contractions, elle songea à son four et au bel objet qu'elle créerait pour fêter la venue au monde du bébé. Il était en avance mais il fallait qu'il soit solide. Il le fallait. Et elle lui apprendrait à souffler le verre et plus tard il serait encore meilleur qu'elle. Nandini lui parlait. Nandi si dure, si pleine de rancoeur. Nettie aimait bien Nandi. Même si l'adolescente était pleine de préjugés, mais ce n'était pas sa faute, sa grand mère lui en avait mis plein la tête. Nandi ... Nandi craquait pour le beau Tarik, de 10 and son aîné et il y avait de quoi. Tarik était bel homme et en plus un excellent chasseur. Il ne rentrait jamais sans prise. Nettie le savait mais lorsqu'il s'était approché d'elle à la fête, elle l'avait laissé faire, s'attendant à une moquerie de plus. Mais en fait de moquerie, il avait passé ses bras autour d'elle, puis plus tard l'avait éloignée du reste du monde. Et même si elle aimait nandi comme une petite soeur, Nettie s'était laissé mener. Car Tarik était beau, et elle avait aimé avoir l'honneur d'attirer son attention. Et puis il était trop vieux pour Nandi, n'est-ce pas ? Non. Ca c'était faux. Mais il ne voiyait pas nandi comme une femme donc il ne remaqua pas combien il augmenta sa colère. Mais Nandi n'en voulut pas à Nettie. Trois jours plus tôt pour la dernière fête de l'abondance, sur le chemin du temple, Nettie avait eu des contractions et avait dû rentrer au village. la Fête était extrêmement important mais un enfant à venir passait avant tout. Tristement elle avait dû faire demi-tour et Nandin l'avait accompagnée, soutenue.
Tarik, lui était tout de même allé à la fête et il avait probablement enlacé une autre fille.
C'était normal. Il avait fait un bébé à Nettie mais ne l'avait pas épousée. Il restait donc libre de faire d'autres enfants à d'autres femmes. C'était normal.

Les contractions se rapprochèrent. Les femmes entonnèrent un chant.


Un chant qu'entendit Fanaa dans son esprit de plus en plus brumeux. En plus du mal au ventre, sa tête se faisait lourde, comme trop-pleine. Elle avait de plus en plus froid. Malgré le four elle se mit à grelotter. Ses yeux avaient pris une teinte vert émeraude et son regard était fiévreux. Elle transpirait et essayait de garder la tête hors de l'eau, de rester consciente. Elle se donna des coups de poings sur le ventre. Si seulement la douleur pouvait se taire, ou si Fanaa pouvait s'arracher ce qui la provoquait !

*Il faut que je m'endorme et je ne sentirai plus rien. Dormir, dormir. Ou penser à autre chose. Dormir, dormir. Ouh ...*

Elle serra les dents et gémit.

*Je dois être forte. Forte. Me relever. Me débrouiller toute seule. Ca doit être ça le bon sens. Ignorer la douleur, igno ...*

Un nouveau spasme, comme une contraction, plus violent la secoua tout entière et elle se roula en boule sur le sol. Elle ferma les yeux. Tout son corps était crispé, tendu, elle haletait, cherchait sa respiration. Elle ne voulait pas être malade ! Non ! Sa cicatrice, c'était presque au niveau de sa cicatrice. Est-ce que celle-ci allait se rouvrir ? Earl avait vu la cicatrice et il n'avait rien dit. Il ne l'avait pas trouvé laide. Il avait été gentil.

- Nereyn ...

Ne penser à rien. A rien. Impossible, la douleur prenait de plus en plus de place de son esprit. Elle provenait du fond d'elle-même, elle la déchirait. Son corps réagissait en chauffant de plus en plus. La jeune fille prostrée transpirait et pleurait tandis qu'elle claquait des dents. Une nouvelle vague de douleur lui fit perdre connaissance. C'était sûrement mieux comme ça. Elle voulait que quelqu'un lui tienne la main, elle voulait être soutenue mais il n'y avait personne. Et c'était mieux. Même si c'était plus triste. Si seulement Earl était là. Peut-être qu'il se mettrait en colère, mais au moins il serait présent. Elle entendrait une voix connue à laquelle elle pourrait se raccrocher, qui la rassurerait ... pas comme la nuit de sa cicatrice. Il y avait fait noir et froid, la peur et la douleurs l'avaient enfermée dans une épaisse obscurité. Elle avait pensé à Syld, elle l'avait appelé et il n'était pas venu. Alors elle avait lâché prise pour le rejoindre et il l'avait refusée. *Syld je ne veux pas que tu sois mort!* Il l'était pourtant. Earl avait ruiné l'infime soupçon d'espoir qu'il restait à Fanaa. Il n'y avait pas eu et n'y aurait pas de miracle pour son ange aux ailes écarlates. Pour son chenapan au regard charmeur. Pour ce vaurien qui lui avait sauvé la vie et offert sa tendresse, sa chaleur. Celui aussi qui n'était pas intervenu lorsque Gavriel ... Tout se mélangeait dans sa tête. Elle était sur la plage, il la faisait danser au coucher du soleil et puis une lame pénétrait dans son ventre comme dans une motte de beurre. On l'ouvrait et on la vidait. Oh si seulement ... si seulement ... Des yeux d'or. Des cheveux blancs. Une voix qui lui interdit de couper les cheveux blancs. Fanaa pleura plus fort. Que ça s'arrête ... pitié ... Les écailles d'argent. Une tête de dragon aux yeux dorés qui lui donnait un coup de museau. Elle s'accrocha à lui. *Tu es gentil.* Une femme aux yeux pers et aux cheveux blancs. Son visage habituellement marmoréen sourit doucement. Elle a baissé son bouclier. Elle parle à Fanaa. *Je te considère comme une amie. Alors promets moi que tu reviendras.* *Je te le promets Ael. Je t'en fais le serment. Je retournerai auprès de toi. Mon esprit ne connaîtra pas le repos tans que je n'aurai pas tenu parole.* *Je te remercie mon amie* Tout s'efface, devient rouge, puis s'assombrit, tout comme le ciel au-dessus du désert. le soleil disparait tout à fait et le vagissement d'un nouveau-né, suivi de près par des clameurs de joie. Il est un peu petit mais bien formé et de plus la mère va bien. Ce sera une belle nuit.
Fanaa veut appeler Earl mais s'en empêche. Il ne faut pas le déranger. Et appeler à l'aide au moindre souci, voilà qui la fera passer pour une femelle fragile et inutile. Un poids. déjà qu'elle ne possède pas l'instruction nécessaire pour intéresser le Levitis ... Quand tout ira mieux elle le rejoindra. Elle lui a dit "à ce soir" alors il l'attendra. Il l'attendra, hein ? Mais si elle est en retard ? Que va-t-il penser ? Qu'elle n'a aucune parole. Non ! Elle n'est pas une menteuse. Seulement elle ne peut plus bouger. Le bas de son corps est aussi rigide que de la pierre. Son intérieur bouge dans tous les sens, elle ne comprend pas les sensations qui l'assaillent. Rien n'est normal.
Earl, en réparant le courant d'elixia détourné puis en la déflorant a entamé un processus particulier. Fanaa change. La nature essaie de reprendre ses droits, son cycle, mais le corps a tellement été manipulé que le chemin à parcourir est douloureux. Le flux force le passage et creuse, la souffrance est nécessaire, mais difficilement supportable. C'est le trou noir.

- Mon capitaine ?

Earl repoussa la main qui lui secouait l'épaule avec insistance et grogna :
- Ridel, combien de fois est-ce que je t'ai dit...

Avec un soupir, il renonça à terminer sa phrase et rouvrit les yeux. La luminosité prenait des teintes d'or et de feu. On était au crépuscule.
Il ne pensait pas avoir dormi si longtemps.

- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Oh heu... A vrai dire je... nous nous inquiétions un peu de ne pas vous voir au moins au dîner, alors...

Earl se passa une main sur les paupières. Ses yeux le brûlaient et une migraine lancinante lui comprimait le cerveau.
Ridelgald le regarda un moment avant d'oser :
- Vous avez l'air fatigué.
- Non non, je dormais par pur plaisir, rétorqua son interlocuteur avec aigreur avant de se reprendre : Désolé. Oui, je suis un peu... fatigué.
- Ah. En fait je me demandais si...

Le soldat hésita, avant de poursuivre avec toute la délicatesse nécessaire pour un tel sujet :
- ... si la demoiselle était avec vous.
- Demoiselle ?
- Hum... Fanaa.

On aurait juré que les cheveux s'étaient dressés sur la nuque du Lévitis qui répliqua derechef :
- Tu as des yeux, non ? Si tu ne vois personne, c'est qu'il n'y a personne ! Tu veux peut-être vérifier sous les draps, histoire d'en avoir le coeur net ?

Ce vieux fouineur !

- Oh... C'est juste qu'elle n'est pas venue non plus et...
- Elle est partie visiter un des villages. Sans doute aura-t-elle décidé d'y passer la nuit ; les bêtes sortent à la fraîche, ce n'est pas prudent de se promener dans les gorges après le coucher du soleil.
- Ah ! Dans ce cas je vais pouvoir rassurer qui de droit.

Earl se disposa à se rendormir, mais son ancien second semblait ne pas en avoir fini.

- Par contre, vous, vous pourriez vous joindre au repas...
- Je n'ai pas faim.
- Mon capitaine, vous devriez...

A nouveau furieux, Earl s'assit brusquement sur le lit.

- Je t'ai dit que...

Un haut-le-coeur le força à s'interrompre et il n'eut que le temps de se saisir de la première cuvette à portée de main.

- Capitaine ? Il y a un problème ?

Earl repoussa sans brusquerie la main que le soldat avait posée sur son front, craignant un nouvel accès de fièvre. Il secoua la tête, sans relever le nez du récipient.

- Ca... ça va. Je me suis un peu exercé aujourd'hui, et j'ai dû en faire trop.
- Alors vous contrôlez à nouveau votre elixia ? C'est une excellente nouvelle !

Earl s'essuya lentement les lèvres et approuva d'un murmure :
- Une excellente nouvelle, oui.
- Donnez. Je vais vider ça. Et rendormez-vous, j'irai vous excuser auprès des Ilulus.
- Ilahi...

Avec un vague sourire, le Lévitis s'étendit à nouveau et referma les yeux.
C'est vrai, où était encore fourrée Fanaa ? Le village n'était sûrement pas si grand. Il fallait bien moins d'une journée pour en faire le tour. Peut-être avait-elle finalement réussi à dégeler les habitants et s'était-elle fait inviter à manger.
Il eut à peine le temps de réfléchir à la question qu'il se rendormait d'un sommeil lourd.
De toute façon elle serait de retour demain...

- Nereyn ...

C'est le son de sa propre voix qui tira Fanaa de son sommeil. Elle était recouverte de plusieurs couches de couvertures. Tiens ? Les gens du désert avaient l'utilité de ce genre de chose ? Ah mais oui, les nuits pouvaient être fraîches ici.

- Tu es réveillée ? demanda une voix.
- Nereyn ?

Non. Ce n'était pas le timbre d'Earl. La voix même rauque, gardait une nuance féminine. mais c'était une voix abîmée, comme d'avoir trop pleuré. Fanaa tourna la tête et sa nuque toute raidie la lança. Elle grimaça.

- Va doucement. Tu as passé une mauvaise nuit. Ca se passe toujours comme ça pour toi ?

De quoi parlait la femme ? Et où était elle ? Fanaa la vit se rapprocher et s'accroupir pour se mettre à son niveau. Elle avait les cheveux très courts. Visiblement la femme attendait une réponse. Mais de quoi parlait-elle ?

- Comment ?
- Ton sang de lune.

Du sang ! Du sang ? Sa plaie, elle s'était rouverte c'était ça ? Pas étonnant alors que tout son bas ventre semble affreusement durci et fourmillant.

- Je suis blessée ?
- Mais non voyons. Ton sang de lune, de femme.

Comme Fanaa ne réagissait pas, la femme lui montra un tissu tâché de noir.

- Cela. Ton sang.

Son sang était noir ? C'était vraiment du sang ça ?

- Il est trop sombre ?!
- Ca c'est sûr. Mais peut-être que tu n'as pas assez bu ces derniers jours ? En tout cas si ça te met chaque fois dans cet état, tu dois détester ce moment. Ma pauvre.
- Je ne sais pas ...
- Tu ne sais pas quoi ?
- ... rien.
- Tu n'as pas l'air beaucoup mieux que cette nuit. Fais voir ton front ... oulala. Tu es beaucoup trop chaude. Tu veux sûrement dormir un peu plus ?

Fanaa ferma les yeux et ce fut le trou noir. Lorsqu'elle se souleva les paupières pour la seconde fois, l'air ambiant s'était réchauffé et la lumière du jour était plus franche. La femme s'appricha et lui tendit un verre de thé tiédi. Fanaa la remercia et but. Elle se redressa et avait mal à chaque muscle. Quant à son ventre, il lui semblait que des mains invisible tiraillaient sur son intérieur et serraient, pressaient pour en faire sortir tout ce qu'elles pouvaient en tirer.

- Ca me fait encore mal ...
- Ah ça ma pauvre tu vas en avoir pour 5 ou 6 jours c'est sûr.
- Tout ça ?
- Oui bien sûr. Comme d'habitude. Tu sais bien.
- Non je ... Fanaa baissa les yeux. Je ne sais pas.
- Tu ne sais pas ?

La voix de la femme se fit inquiète. Peut-être sa blessée délirait-elle encore ? Ou peut-être n'avait-elle pas l'esprit clair.

- Non. C'est ... la première fois ...

- Ô Ilah...
- Laissez-moi deviner : aucun habitant du sanctuaire ne manque à l'appel depuis hier matin.
- En effet, Sacré.

Nuadi se retourna vers sa soeur et lâcha un soupir tandis que le serviteur se retirait.

- Comme tu le soupçonnais, elle a dû partir toute seule. A moins qu'elle ait demandé à un des nomades qui n'ont pas encore quitté la vallée depuis la fête, mais...

Nuada secoua la tête.

- Cela m'étonnerait. Appelle Sheitan.
- Tsssk. Tu te préoccupes beaucoup trop de cette fille. Nous devons nous soucier d'un peuple, pas d'un individu... et encore moins s'il ne fait même pas partie du peuple en question.
- Mais !

Depuis qu'elle était enceinte, Nuada avait appris à faire usage d'une nouvelle arme redoutable entre toutes : les-grands-yeux-suppliants-avant-la-crise-de-nerfs. Quand elle commençait à prendre cet air là, mieux valait céder à ses caprices au plus vite.
Nuadi leva les mains, signifiant sa reddition.

- Ca va, ça va. Je vais tâcher de réveiller ce paresseux du fond du trou où il doit se cacher. Il ira renifler les pistes du côté des villages les plus proches et nous verrons ce qu'il en est... Mais je persiste à dire que tu te laisses trop distraire. Nous avons un devoir précis et...
- ... et c'est toi qui dis ça. Eh bien !
- Roh, ça va...

- La première fois ? Tu es sure de ça ?

La question était stupide. La fille allongée là savait mieux que quiconque où elle en était dans ses cycles de femme. Mais tout de même, c'était fort surprenant. Fanaa hocha la tête pour confirmer ce qu'elle venait de dire. La femme s'assit alors et la regarda droit dans les yeux. Des yeux étranges qui passaient de vert à bleu en passant par le violet et l'or sans jamais s'arrêter sur une teinte définie.

- Mais quel âge as-tu ?

Fanaa garda le silence. La femme attendit un peu puis répéta sa question. Les yeux de Fanaa se mirent à briller. Les larmes se préparaient.

- Je ne sais pas...
- Oh mais ne pleure pas ! Ne pleure pas Cara. Ce n'est pas important.
- Snif. Cara ??
- En te déplaçant j'ai vu tes ailes. Elles sont très jolies. Alors Cara je me suis dit que ça t'allait bien. Moi c'est Rakiline, mais tout le monde m'appelle Raki.
- D'accord Raki.
- Allez essuie tes yeux. Aujourd'hui est un grand jour pour toi : tu as eu ton premier sang, la nature t'accepte donc dans le cercle des femmes ! Tu es une femme Cara !

Fanaa garda le silence. Elle était une femme. De son sexe elle n'avait jamais douté mais le sang elle ne l'avait jamais versé alors elle se sentait bizarre. Pas foncièrement différente, à part qu'elle se sentait patraque et raide de partout. Et puis fatiguée aussi. Mais sinon elle ne se sentait ni plus grande, ni plus belle ni plus intelligente. Même pas plus puissante. Parfois elle sentait son elixia et d'autres fois non. C'était perturbant. Mais elle se força à sourire à Raki. Même, elle demanda :

- Et Nettie a eu son bébé ? Il va bien ?

Le regard de Raki se voilà. Sa propre douleur restait trop proche, trop présente, même en ayant conscience qu'il lui fallait passer à autre chose. Son timbre se fit plus doux lorsqu'elle répondit :

- Oui Cara. Elles vont bien toutes les deux.

La femme baissa la tête et garda le silence quelques instants. Fanaa n'osa la déranger et se recoucha. Ensuite Raki regarda Fanaa et lui caressa doucement la tête.

- Moi aussi j'ai perdu quelqu'un. Tu veux que nous fassions brûler quelques herbes pour mon bébé et Nereyn ?

Ca lui fit comme une décharge électrique et la panique s'empara d'elle sans attendre. Les larmes inondèrent ses joues.

- Nereyn ? Qu'est-ce qu'il a ? Qu'est-ce qui lui est arrivé ?

D'un coup de pied elle repoussa les couvertures et se mit de côté pour se relever. Raki ne comprenait pas sa réaction. Elle l'attrapa aux épaules et la força à se recoucher. Et elle avait plus de force que ne pouvait le laisser penser sa carrure.

- Laisse moi Raki ! Nereyn ! J'aurais dû rentrer hier ! J'aurais dû ... Oh non ... Comment l'as tu su ? Dis moi ... dis moi ...
- Mais Cara, c'est toi qui l'as dit. Tu as beaucoup parlé dans ton sommeil? Tu l'as appelé, et tu as répété que tu ne voulais pas ce qui était arrivé. Que tu ne voulais pas qu'il soit mort. Alors ... il ne l'est pas ?
- Non ... Non ce n'est pas Nereyn qui est mort. C'est Syld ...

Fanaa se cacha le visage et ses sanglots se firent plus nombreux. Raki alla chercher deux poignées d'herbes sèches. Des herbes très spéciales et les embrasa. le parfum qui se dégageait des herbes sèches était entêtant et s'élevait en volutes bleutés.

- Tiens Cara. Prends ça. Le brasae est l'herbe que l'on brûle pour envoyer des messages à ceux qui nous ont quittés. Il saura que tu penses encore à lui. Tu pourras lui dire ce que tu veux.
- Oui... Merci Raki ...

Fanaa se saisit d'une poignée d'herbes, ferma les yeux et visualisa le visage défunt. Elle le connaissait par coeur, elle aurait encore été capable de le représenter sur papier ou sur pierre. Elle le serait peut-être toujours.

*Je suis désolée Syld. Je suis vraiment désolée mon ange. J'espère que tu me pardonneras.*

Ce qu'elle faisait là, avec Raki, était le plus proche d'une cérémonie funéraire. Ce qu'elle n'avait jamais pu faire. Et ce que -au fond- elle n'avait jamais voulu faire. Parce que c'était accepter l'inacceptable, réaliser l'irréalisable, se faire à l'idée qu'il n'y aurait pas de miracle. Elle restèrent longtemps, se soutenant dans leur charin respectif, presque en transe. Et puis Fanaa demanda à partir.

- Maintenant ? Tu es sure Cara ? Tu vas pouvoir marcher ?
- Peut-être moins vite que d'habitude. Mais ce que j'ai n'est pas une maladie, je n'ai donc pas à rester couchée.
- Crois moi, il y a des filles qui sont incapables de se lever pendant leurs périodes. J'espère que ce ne sera pas ton cas.
- Moi aussi Raki, c'est sûr. Je me sens toute mal fichue.
- Peut-être que ça t'a rendue malade parce que c'était ton premier sang. Et que les prochaines fois se passeront mieux ? Je te le souhaite.

Fanaa se redressa et eut le tournis. Elle porta la main à son front ... que même elle trouva chaud !

- Mais Nereyn m'attend je dois rentrer. Je ne sais même pas ce que je vais pouvoir lui dire.
- Ne t'inquiète pas pour ça. C'est un homme. Si il n'est pas idiot il doit savoir que ça arrive à toutes les femmes. Et puis c'est ton premier sang, ça ne durera pas aussi longtemps que les suivants. Au fait, où veux tu rentrer ?
- Au temple.
- Le temple ? Le Temple des Ilahi ?
- Oui c'est cela.
- Alors attends ce soir. Tu sais tu vas te fatiguer très vite. Et je refuse que tu sois dehors aux heures les plus chaudes. Il faudra attendre la fin de la journée.
- Mais Raki ...
- Pas de mais. Et n'espère même pas te sauver. Je vais rester là. Tu feras mieux de dormir encore un peu.

La jeune femme obtempéra. Elle ne voulait pas mettre Raki en colère. Et puis ça lui laissait un peu plus de temps pour trouver une excuse à donner à Earl. De plus, elle se sentait vaguement mieux que la veille mais de là à dire en forme ... il y avait un ravin. Fanaa se mit donc à somnoler.

Le grand fauve bondissait de rocher en rocher, très à son aise dans son épaisse fourrure flamboyante. La piste était plutôt simple à suivre, même si le parfum de deux bêtes-debout du désert était venu perturber et atténuer les autres odeurs. Si simple, d'ailleurs, que le gros matou commença à folâtrer en route, furetant entre les pierres, dérapant avec bonheur dans la poussière pour courser quelques petits lézard en panique.

En dépit de ces tours et détours, il arriva bientôt en vue du village.
L'odeur de sa soeur lui parvenait faiblement depuis l'autre côté des falaises, mais il ne fit rien pour la rejoindre ; depuis que Nuada attendait un petit, Rayah se montrait particulièrement irritable. Elle avait tendance à oublier de rentrer les griffes quand elle donnait un coup de patte. La jalousie, sans doute...

Le félin toussa et recracha un morceau d'os de rongeur.

Les deux-pattes avaient tendance à être excessivement nerveux lorsqu'ils voyaient approcher une grosse bête. Et avec l'arrivée progressive des ombres du soir, leurs yeux avaient tendance à les tromper.
Peu désireux de prendre une flèche dans l'arrière-train en guise de bienvenue, Sheitan s'approcha au plus près et se mit à sauter de toit en toit. Les constructions de pierre étaient solides. Finalement il s'arrêta.
Là, l'odeur était plus forte.
Son imposant derrière bien calé au bord du toit-terrasse, les griffes plantées en crampons, il laissa descendre une grosse tête moustachue et poussiéreuse au niveau d'une des fenêtres afin de jeter un oeil circonspect à l'intérieur.

- Araou ?

Fanaa avait passé la journée couchée. Raki avait posé sur son ventre une pierre chauffée au soleil. La chaleur avait un effet décongestionnant qui diminuait la souffrance. La plupart du temps, Fanaa se laissait dériver dans un état proche de l'inconscience , juste pour oublier la sensation de douleur persistante, mais durant ses périodes d'éveil elle discutait avec Raki. Raki qui lui enseigna ce que toute femme devait connaître à propos de ce mystérieux sang lunaire. - Ces menstrues étaient un phénomène méconnaissait totalement. Bien sûr au délices, les courtisanes étaient elles aussi concernées. Mais du point de vue de Fanaa, ce n'était que quelques jours durant lesquels elles ne travaillaient pas. Des jours de repos en quelques sortes, auxquels elles avaient droit tous les mois. c'était tout ce qu'elle en savait. Il fallait l'admettre, c'était léger. - Fanaa apprit aussi que Raki était orfèvre. Elle avait un talent certain pour créer de jolis bijoux. Et la femme lui expliqua que si elle avait les cheveux si courts, c'est qu'elle les avait coupés après la naissance de son enfant mort-né. C'était un signe de chagrin et de deuil. De toute la journée, fanaa ne vit que Raki. Aucun voisin ne passa les voir. Fanaa se demanda si c'était une espèce de punition à cause de la perte de l'enfant mais n'osa le demander directement à l'intéressée.


L'appel du grand fauve la tira d'une de ses phases de somnolence et le reconnaitre illumina son visage chiffonné.

- Sheytan ! Mon chéri ! Mon graou d'amour ! Viens, viens ! Oui viens là !

Voilà enfin une raison de se réjouir ! La jeune femme se redressa et tendit le bras pour le gratouiller sur le ventre. Raki avait sursauté devant l'intrusion mais en entendant le nom invoqué par Fanaa, elle avait mieux regardé et reconnu le grand fauve sacré. Ainsi Cara connaissait Sheytan ? Elle devait être une amie de Nuadi alors. Raki se félicita d'avoir pris soin de l'étrangère, la venue du fauve en sa demeure était de bon augure. Ses voisins ne pourraient continuer de l'ignorer, persuadés qu'avoir perdu son bébé faisait d'elle une femme aigri souhaitant le malheur des autres mères. Elle ne resterait plus à l'écart très longtemps.

- Raki, je vois que mon guide est là. Je vais pouvoir rentrer.
- Ton guide ? Mais tu es sûre de vouloir repartir ce soir ? Les bêtes dangereuses sortent à la tombée de la nuit, c'est dangereux.
- Mais avec Sheytan je ne crains rien !
- Et le chemin est long, même sans soleil. Tu es sure que tu tiendras la distance dans ton état ?
- Il n'y a qu'un moyen de le savoir !
- Cara je suis sérieuse.

Fanaa rit. Enfin. Ce fut un petit rire, mais un rire sincère et joyeux.

- Moi aussi je suis sérieuse Raki. Je te remercie infiniment, mais il est temps que je parte. J'avais rendez vous avec quelqu'un hier soir et je n'ai pas pu être là. Si je ne me dépêche pas, je peux le perdre. Je dois rentrer, c'est important.
- Ah ces hommes ... Bien alors vas y. mais fais attention je t'aurai prévenue. Je peux te trouver une monture peut-être ?
- Non non. Normalement ça irait mais là je craindrais trop de tomber. Je t'assure ça va aller.

Fanaa était tout excitée. Elle s'extirpa du couchage, renfila la longue robe-manteau qu'elle avait à l'arrivée, chaussa ses chaussures et sentit un spasme. Ca ne s'arrêtait donc jamais ? résistant au réflexe de se plier en deux, elle se figea et fit comme si de rien n'était. Elle voulait rentrer sans plus attendre. Raki fir mine de ne rien remarqué et lui mit quelque chose dans la main.

- Tiens, tu allais oublier ça.
- Oh ! C'est le caillou que j'ai trouvé en venant.
- mais ce n'est pas un caillou voyons. Attends, regarde.

La femme souffla sur ce qui semblait une petite pierre, chassant ainsi un surplus de sable et dévoilant de petits motifs en relief.

- C'est une rose des sables.
- Ah tiens, oui. Maintenant que tu le dis je vois les pétales. Merci beaucoup. Je dois vraiment y aller. Alors merci Raki, merci beaucoup. Si tu n'avais pas été là ...
- Et bien quelqu'un d'autre t'aurait aidée. Notre peuple peut paraître fermé aux étrangers, mais nul n'est mauvais parmi nous. C'est pour se protéger, c'est tout. Allez file ma jolie, file !
- Hihi oui j'y vais tout de suite je ... euh ... Raki mes ... enfin ma poitrine elle est ... enfin plus ...

Là, ce fut Raki qui rit franchement.

- Chez certaines femmes, le sang de lune fait gonfler les seins. Mais bien entendu dans cette période, impossible de s'en servir. Ah la nature est mal faite. Allez ouste ! Dehors !

Fanaa serra la main de son hôtesse, puis se décida pour un bisou sur chaque joue avant d'indiquer la sortie à Sheitan. Elle était prête à le suivre. Lorsqu'ils traversèrent le village pour sortir, elle eut juré qu'il y avait plus de sourires et de saluts qu'à son arrivée.
Elle fit quelques pas hors du village et appela Sheyn. Elle n'avait aucune idée d'où il était, ignorait si il l'entendrait mais même si ils s'étaient disputés, il était plus poli de l'informer qu'elle quittait les lieux. Libre à lui ensuite de la suivre.

- Attends juste un peu Sheytan. Si il n'arrive pas bientôt, on rentre tous les deux. Promis.