Maison de Soghann & Syld

Syld goûta les lèvres de Fanaa et lui sourit de la même façon :

- Bonjour, princesse...

Puis il sentit une pointe métallique qui effleurait une de ses épaules, accrochant au passage le bord de son manteau. Le jeune homme retint son souffle tandis que la froide caresse descendait le long de son flanc et achevait de les découvrir tous deux.

Il laissa ses mains où elles se trouvaient sur le corps chaud et vibrant de Fanaa, poursuivant même ses câlineries avec une précision dépourvue de toute pudeur.

Le Shalos roula à demi sur le dos sans rompre le contact avec la jeune femme puis renversa la tête en arrière au bord du sofa afin de fixer Soghann avec une moue langoureuse.
Dans sa gorge roulaient des rauquements de félin satisfait, et il aurait pu parler de n'importe quoi que cela aurait sonné comme une invite, une tentation.

- Si tu nous empêches de nous couvrir, il va te falloir trouver un autre moyen de nous réchauffer, Soghann...

Syld retourna la tête vers Fanaa, quêtant une approbation avec un sourire profondément sensuel.

- Tu n'es pas d'accord, mon amour ?

- mon...?

Fanaa fixait Syld avec des yeux ronds comme des soucoupes. Elle avait envie de se cacher sous le manteau... mais il n'y avait plus de manteau! La jeune femme se pelotonna contre le chenapan et murmura :

- tout ce que tu veux...

Un frisson lui parcourut le corps. Il faisait quand même trop frais. Quand on n'avait ni chauffage ni vêtement, la meilleure des choses était bien la chaleur humaine. Oui. Tout contre Syld, elle lui embrassa le cou, lui mordilla l'épaule, lui caressa le dos. Cette nuit elle avait découvert comment avoir vraiment chaud. Il suffisait d'être bien accompagnée. Et pour ça, elle l'était! Quand même elle avait encore des scrupules. Un peu. Mais elle avait froid aussi alors le choix fut vite fait. Il n'y avait rien à craindre au fond, et puis quand il lui faisait un tel sourire, elle était incapable de résister!

Etrangement, Soghann était resté immobile à l'invitation de Syld. Fanaa allait pour lui rappeler qu'ils avaient froid et lui demander de venir quand le chenapan perdit son sourire. Après avoir regardé le grand shalos, il prit un air grave, se releva et s'habilla. Sans un mot, sans un geste vers elle, il partit vers la cuisine.
La jeune femme ne l'avait pas quitté des yeux. A son tour elle se redressa, s'assit dans un coin du sofa, remonta ses genoux sous son menton, croisa ses bras autour et se mordit la lèvre, nerveusement. Elle n'allait pas le suivre. Elle sentait que ce n'était pas le moment. Elle leva les yeux sur Soghann, quémandant une explication auprès du grand shalos.
Elle n'avait rien fait de travers cette fois, elle en était quasiment sure. Elle avait dû manquer quelque chose. Les deux compères se comprenaient sans se parler, un message avait dû passer. Encore un secret de shalos.
Soghann n'avait pas bougé.

- Tu vas le voir?

Elle ajouta très vite.

- Je serai sage, je ne bouge pas. Tu peux me faire confiance.

Syld s'était réfugié dans un angle de la pièce, comme pour s'obliger ainsi à faire face, pour s'empêcher lui-même de fuir plus loin.
Il resserra ses bras autour de lui avec un frisson. Il faisait ici beaucoup plus frais que dans le salon. A travers l'étoffe légère, la pierre dans son dos semblait glacée.

Le jeune homme fixait obstinément le sol, et sursauta en entendant le bruit de la broche qui se fichait dans une des tables.
Cela faisait longtemps qu'ils n'avaient pas eu de discussion aussi orageuse que s'annonçait celle-ci...
Il avait l'esprit assez vif pour avoir deviné ce qui avait pu braquer ainsi son compagnon. Mais ses réflexions s'arrêtaient là : il avait soudain le plus grand mal à simplement formuler une pensée cohérente. Il n'était pas encore tout à fait revenu de sa félicité, et cette subite douche froide semblait lui avoir anesthésié le cerveau au lieu de l'éclaircir.

Syld fit de son mieux pour débloquer sa respiration qui semblait s'être coincée quelque part dans sa gorge puis releva le nez. L'expression de Soghann le fit se mordre la lèvre inférieure.

- Je...

Il baissa à nouveau la tête comme un gosse prit en faute.

- Ne me regarde pas comme ça...

Sans même sans apercevoir, il chiffonnait irrémédiablement le tissu de sa tunique préférée.

- Ce n'étaient que des mots... des mots jetés en l'air. Tu me connais, non ? S'il fallait prendre au sérieux toutes les sottises que je dis...

Syld était géné, horriblement géné, Soghann le voyait. C'est sur un ton relativement mordant qu'il répondit :

- Nom d'un zori, regarde toi, Syld ! On dirait une pucelle qui vient de rencontrer un homme pour la première fois !

Il décroisa les bras, posant les mains à plat sur la table de travail derrière lui.

- Des mots en l'air, des sottises... Tu t'es entendu ? Le ton sur lequel tu as prononcé ces foutus mots ?

Dans un brusque éclat de colère, l'assassin se retourna, et, sans cesser de parler, reprit la broche d'un coup sec.

- Je t'en ficherais, moi, des *CHTOC* sottises !

Soghann s'approcha à grand pas de son compagnon, qui se recroquevillait dans un coin. Il posa l'ustensile en travers de la gorge de Syld, et leva le bras, forçant le Shalos à lever la tête. Son ton était toujours agressif, mais le volume de sa voix avait baissé pour devenir presque un chuchotement.

- Tu sais pertinemment que les sentiments sont un luxe que nous ne POUVONS PAS nous offrir. Quels qu'ils soient.

La broche bougea, et la pointe vint caresser la cicatrice toute neuve de Syld, en suivant lentement le fil. Soghann laissa échapper un profond soupir, avant de conclure, sur un ton redevenu beaucoup plus doux, tendre même :

- J'aimerais ne pas avoir à te le rappeler sans cesse...

Syld se laissa faire, levant juste le menton sans se soustraire réellement au contact menaçant de Soghann.
L'eau bleu-vert de son regard se ternit, comme une mare à la surface de laquelle l'hiver jette un voile de givre.

- Parce que nous sommes des assassins, nous ne pouvons pas nous autoriser à être humains... c'est ça ?

Il l'avait souvent entendue, cette phrase. Mais c'était la première fois qu'elle lui faisait aussi mal.

Le jeune homme baissa les paupières et laissa filtrer un soupir.

- Pourtant c'était bien, pendant un moment... se comporter normalement. Je ne pensais pas pouvoir être atteint sous cet angle-là. Je n'ai rien vu venir, et... et...

Il secoua lentement la tête puis posa une main sur le poignet de Soghann avec un sourire mal assuré.

- Je suis vraiment désolé de te causer autant de soucis. Je vais juste te laisser... t'occuper de Fanaa. Il vaut mieux que je ne m'en approche plus autant.

Un long frisson le secoua.
Sa voix se réduisit à un murmure.

- Je crois que je vais aller me rhabiller...

La colère était passée, et c'était la tendresse qui marquait maintenant les traits de Soghann. La tendresse, et la tristesse, aussi. Sans quitter Syld -qu'ils bloquait dans le coin- du regard, il tandis le bras pour poser la broche sur la table. Il prit ensuite le visage de son compagnon au creux de ses mains, et lui murmura :

- Tu ne peux pas t'attacher, tu le sais... La moitié des femmes de Shalanos vont essayer de tuer Fanaa, autrement.

Un léger sourire vint glisser sur les lèvres de Soghann, soulignant le ton humoristique de la phrase. Il cherchait visiblement à détendre l'atmosphère.... L'assassin n'aimait pas se mettre en colère, et, par dessus tout, il n'aimait pas l'être contre Syld.

- Ne m'en veux pas...

Ne résistant pas plus longtemps, le Shalos se pencha et se mit à embrasser son compagnon, avec une tendresse telle qu'elle valait tous les mots du monde.

Depuis un jour ou deux, c'est vrai que Syld avait plus de mal à conserver son calme. Il enchaînait les petites gaffes, les maladresses... ce qui ne lui ressemblait guère.
A présent, il savait pourquoi...

L'étreinte de Soghann après ces quelques instants de tension acheva de lui couper les jambes et il passa un bras autour du cou du grand Shalos, tant pour apprécier au mieux son contact que pour ne pas dégringoler au pied du mur comme une mauviette.
Mais s'il avait cherché à garder une mine digne, c'était loupé : le jeune homme souriait entre les baisers, sans pouvoir empêcher une larme de glisser sur sa joue en irritant sa cicatrice au passage.

- T'en vouloir ? Comment le pourrais-je ?

Les poivrots mal informés avaient raison de l'appeler "fillette" : il y avait des moments où il ne valait pas mieux en dépit de ses qualités d'assassin. Oh, et puis qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire ? Ce n'est pas comme s'il avait eu quequ'un à tuer dans la minute suivante !

- Si je venais à t'en vouloir, je me sentirais vraiment seul...

Lorsque les mains de Soghann se firent plus hardies, Syld finit d'oublier la conversation peu agréable qui les avait menés là.

Le jeune homme n'y tint pas très longtemps et finit par repousser son compagnon, mais sans lâcher les pans de la longue robe de chambre noire qu'il portait. Soghann se retrouva plaqué sur une des tables de la cuisine avant même d'avoir pu dire "ouf", et tout ce qui était auparavant sur le plateau dégringola par terre face à pareille impétuosité.

Syld avait réussi à bloquer les mains du grand Shalos de chaque côté de sa tête. Un genou sur la table, arc-bouté au-dessus de l'assassin, le jeune homme avait soudain la respiration courte. Le même feu vert qui scintille parfois dans les prunelles d'un fauve affamé s'était allumé dans son regard.
D'un mouvement de tête, il tira sur l'extrémité de la ceinture de soie qu'il avait saisie entre ses dents.
Et, dans un chuintement discret, la robe de chambre de Soghann s'ouvrit complètement.

- Oh, toi, toi... tu as le chic pour me rendre complètement fou...

Syld s'empara des lèvres de son compagnon avec une fougue un peu fiévreuse.

Heureusement que la table était solide...

Cette pensée aussi subite qu'inattendue fit pouffer le jeune homme tandis qu'il mordillait (enfin, si on pouvait encore appeler ça "mordiller") le cou de Soghann. Puis il se redressa en souplesse. Il en avait profité pour entortiller la ceinture de soie autour des poignets de son compère et n'eut qu'à tirer sur les extrémités pour que Soghann se retrouve avec les poings liés au-dessus de la tête.
Gardant le bout du ruban dans la main gauche, Syld se pencha afin de se saisir d'un couteau de cuisine qui traînait. Délibérément, il effleura la clavicule de son compagnon de la pointe. Une petite goutte de sang perla sur la peau blanche, une seule goutte qui resta accrochée à l'acier bien affûté. Syld passa délicatement la lame sur sa langue, avant de faire tournoyer le manche entre ses doigts. Ses muscles se tendirent brusquement et *tchak*, le couteau se planta dans la table, bloquant du même coup la ceinture de soie.

- Je crois...

Enfin libre de ses mouvements, Syld suivit du bout des doigts la longue cicatrice sur le torse de son compère. Une de ses mains glissa le long des abdominaux, puis encore un peu plus bas.

- ... je crois que tu vas devoir te retrouver une ceinture.

Le sourire d'excuse du jeune homme avait plus l'air gourmand que confus. Il passa une main derrière la nuque de Soghann afin de l'embrasser plus à son aise après avoir fait sauter une partie des fines attaches qui fermaient le haut de sa tunique. Le tissu, bien que léger, lui collait déjà à la peau. C'était comme si on avait allumé une fournaise dans cette pièce qui semblait tout à l'heure si froide...

Syld se colla contre le torse de son compagnon tout en tortillant l'extrémité de la ceinture clouée à la table autour de son index avec un sourire évocateur.

- Tu es tout à moi...

La table tremblait et grinçait telle la coque d'une barque assiégée par l'océan face à la démonstration de passion plutôt houleuse des deux assassins.
C'était presque un affrontement, une lutte où ils se repoussaient et s'attiraient tour à tour.

Renversé sous Soghann, Syld ne savait plus où donner de la tête : il haletait des mots sans suite et ses mains parcouraient fiévreusement le corps de son compagnon comme si elles avaient voulu l'apprendre par coeur.
Leurs souffles se fondaient l'un dans l'autre... leurs cheveux, la sueur sur leur peau brûlante, leurs corps tout entiers se mêlaient étroitement.

Les doigts de Syld se crispèrent sur l'étoffe soyeuse de la robe de chambre qui traînait en boule au bord de la table et sa gorge laissa échapper un long gémissement.

"Pas tout de suite... encore un peu..."

Mais, cette fois-ci, il fut incapable de se contenir. Tout son être réclamait le plaisir avec une avidité sans complexe qui ne souffrait aucune entrave.
Le jeune homme finit par céder et se laissa aller avec un râle étouffé. Ses omoplates un instant décollées du plateau de bois vernis heurtèrent à nouveau la surface de la table. A travers les mèches sombres qui se collaient à son visage, l'eau bleu-vert de son regard se troubla un instant.
Un sourire languissant apparut sur ses lèvres balbutiantes.

- Soghann...

Le Soghann en question prenait un malin plaisir à faire durer celui de Syld, tout en maintenant le sien à la limite de l'explosion. Jouer à l'équilibriste était l'un de ses passe-temps favoris, et il y excellait.... A la grande joie de tous ceux, hommes ou femmes, qui étaient passés entre ses bras. Si elles ou ils le laissaient mener la danse, ils pouvaient être assurés de parvenir à un plaisir mutuel et prolongé.

Ainsi Soghann explosa-t-il juste à la suite de Syld, laissant libre cours à son plaisir qui raidit son corps entier, le vidant de ses forces et envoyant son esprit bien loin de là.

Avec un dernier râle, le shalos se laissa tomber aux côté de son compagnon, le même sourire ornant ses lèvres rougies.

- Oui....

Syld leva une main qui semblait bien lourde tant l'effort pour la bouger était grand.
Les dernières heures l'avaient complètement épuisé...
Il posa le bout des doigts sur ces lèvres gonflées de baisers qui souriaient dans le vague.

- Tu as encore réussi à me faire craquer le premier, hein...

Le jeune homme tira frileusement sa tunique sur ses épaules avant de reposer la joue sur la table. La main qui avait effleuré la bouche de Soghann glissa le long de son cou puis s'échoua sur le torse.
Le regard de Syld se perdit, errant sur les boiseries des murs sans les voir.
Lentement, il s'étira, fit jouer ses muscles alanguis. Il écoutait les battements de son coeur qui reprenaient leur rythme naturel et se laissait bercer par sa propre respiration qui se calmait peu à peu. Ses cheveux lui retombaient dans l'oeil, rendus collants par la sueur. Encore un peu et il se serait endormi...

Le claquement de la porte d'entrée lui parvint en dépit de son état un peu vaporeux.
Le jeune homme se redressa sur un coude.

- Fanaa ?

La maison restait silencieuse.
Ce n'était pas le bruit d'une porte qui se referme derrière un arrivant, mais plutôt celui d'une porte qui se referme après un départ hâtif.

Fanaa sortait ? Mais...

Syld secoua la tête en se massant machinalement l'épaule droite où persistait une raideur peu naturelle depuis l'incident avec le leuhi. Sa lucidité tardait à lui revenir.

"Depuis un moment, j'ai vraiment l'impression d'être à côté de la plaque, moi...."

Les mains de soghann vinrent se croiser derrière sa nuque, préservant l'arrière de son crâne de la dureté de la table. Il exhala un soupir de contentement assorti d'une petit sourire satisfait, qui s'élargit lorsque Syld parla. La main de son compagnon passa sur ses lèvres puis s'égara sur son torse, déclenchant un nouveau soupir.

Ils entendirent la porte claquer. De toute évidence, Fanaa sortait...

- Elle doit être partie chercher le petit-déjeuner...

Son estomac choisi de se manifester à cet instant, appuyant ses dires d'un grognement du plus bel effet.

- Il commence à se faire faim... Et, l'effort, ça creuse, hmmm ?

Sans parler davantage, Soghann resta allongé sur la table, le temps de permettre à son corps de rétablir une connection normal dans tous ses nerfs, enflammés par le plaisir. Il somnola ainsi quelques temps, avant qu'ils n'entendent Fanaa revenir, et se mettre à chantonner dans le salon...

- Hmm... M'est avis qu'elle s'est baladée dans les quartiers chauds, vu les paroles... Enfin, elle a l'air encore entière.

D'un mouvement, il se redressa et glissa de la table, afin de se retrouver debout. Il tendit le bras pour ramasser sa robe de chambre, l'enfila avec un frou-frou de soie, et laissa glisser sa main sur une zone de l'anatomie de Syld qu'il savait chatouilleuse.

- Tu viens ?

Syld s'agita un peu au contact de Soghann et le sourire malicieux qui lui était coutumier refit son apparition, plus lumineux que jamais.

- J'arrive !

Il finit de mettre sa tunique, et secoua la tête avec un soupir fataliste en considérant la longue déchirure qui élargissait le col plus que nécessaire. Les attaches qui fermaient le vêtement avaient décidément un peu trop tardé à se défaire...

Le jeune homme sauta au bas de la table tout en arrangeant un peu les dégâts avec l'habileté conférée par l'habitude. Il épousseta ses manches puis rattrapa son compagnon devant la porte.
Une fois la tête passée par l'embrasure, il put constater qu'en effet, Fanaa semblait avoir été faire quelques courses.

- Re-bonjour, princesse !

Syld allait se contenter d'un sourire avenant - il avait toujours en tête l'avertissement de Soghann -, cependant un détail le fit s'approcher un peu plus près. Il prit doucement le menton de la jeune femme et lui fit tourner la tête.

- Tu as une belle bosse sur la tempe.

Allons bon, Sogh avait encore vu juste quand aux endroits peu sûrs vers lesquels l'avait menée sa promenade...

- Où est-ce que tu as été te fourrer pour écoper de ça, dis ?