La Taverne de Veis

Earl consentit à tendre une main gantée de fil blanc du côté de Soghann, tout en lui adressant un regard aigu.

- Mgnnnnh !

Le jeune homme tourna la tête vers l'origine de ce grognement étouffé, et put ainsi réaliser qu'il avait l'autre main toujours plaquée sur le bas du visage de Syld.

- Aaaah !

Earl ne fit qu'un bond jusqu'à l'autre extrémité de la pièce et s'essuya frénétiquement la main dans les rideaux.

- Tu m'as bavé dessus, vermine !
- Tu m'avais logé deux doigts dans la bouche pour me bloquer la langue, tête de noeud ! rétorqua Syld en s'essuyant les lèvres d'un revers de manche.

Les deux hommes entamèrent une nouvelle séance de foudroyage oculaire mutuel, avant de décider de s'ignorer l'un l'autre.
S'adossant contre le montant d'une des fenêtres, Earl tira de sa poche une petite pipe droite au fourneau minuscule qui avait des airs de famille avec celle qu'avait eu le Shalos.

- Une bataille, hein ? marmonna-t-il en tassant du bout du doigt le contenu du fourneau d'où un mince filet de fumée odorante s'éleva aussitôt. Je me pointe encore au plus mauvais moment, j'ai l'impression.

Son sourcil gauche s'abaissa d'un millimètre. Puis deux. Puis trois. Puis il se tourna vers Syld.

- Hey, je peux savoir pourquoi tu me fixes comme ça ? C'est chiant, à la fin !
- Non, rien. C'est juste qu'avant tu avais tendance à allumer tes pipes à coups de boule de feu. En général la pipe n'y survivait pas... les bâtiments alentour non plus, d'ailleurs. C'était ton petit côté Fédorien.
- Mon côté Fédorien, il t'emmerde, et l'autre avec ! Et cesse de me faire ton oeil de chewgal mouillé, t'en auras pas.
- Radin...

Earl pointa un doigt menaçant dans la direction du brigand qui se tassa de quelques centimètres.

- Te fous pas de me gueule ! Je parie que tu t'es encore amoché à coup de drogues improbables ! Alors tu vas me faire le plaisir de fermer ton clapet et d'aller t'allonger tout de suite, parce que sinon je vais m'ENERVER !
- Oui chef, tout de suite, chef.

Et l'assassin d'obtempérer encore plus vite que pour le plus pressant des ordres de la Guilde, sans même s'accorder un coup d'oeil vers le dos de Fanaa qui était toujours assise sur le bord du lit. Earl l'observa quelques instants, les lèvres pincées, puis croisa les bras et s'adressa à Soghann sur un ton sec, autoritaire :

- C'est quoi, cette histoire de bataille ?

D'abord très amusé par les mimiques de Syld et Earl, Soghann se trouva stupéfait par l'autorité avec laquelle ce dernier parvint à mettre son compère au lit.

- Impressionnant. Je devrais essayer, de temps en temps. Il a besoin qu'on lui mette un peu de plomb dans la tête, de temps en temps.

Il parlait pour lui-même, comme si le principal intéressé n'était même pas dans la pièce. Il finit par s'assoir sur son propre lit, non sans récupérer au passage de quoi satisfaire son estomac. Tout en machouillant, il se mit en devoir de répondre à la question d'Earl tout en balançant d'un air nonchalant sa pitance, histoire de donner corps à son exposé.

- Pour la faire court, une bande d'Ilymis se dirige vers ici, et manifestement pas pour boire un coup. Les mercenaires sont sur le branle-bas de combat, et même s'ils assurent pouvoir gérer la situation, ils ne disent pas non à l'aide que les clients peuvent proposer. Les autres sont tenus de rester dans leur chambre.

Coulant un regard vers Syld.

- C'est ton amie Thénaïs qui est chargée d'organiser la défense. Tu devrais la voir en armure, ça vaut le coup d'oeil. Mais elle a l'air de savoir se servir de son épée !

Un léger rire secoua la carcasse du Shalos, tandis qu'il se remémorait les derniers rapports, pour le moins mouvementés, qu'avaient entretenus la mercenaire et le brigand. Tout en devisant, Soghann ne pouvait s'empêcher de remarquer qu'Earl avait nombre de points communs avec lui. Et d'autres où il semblait son exact opposé, notamment au niveau du sang-froid.

- Thénaïs en armure ? J'irais bien voir ça !

Syld esquissa un mouvement pour se redresser, mais se figea net en voyant qu'Earl se trouvait à présent au pied de son lit.

- Non, ne...

Il leva les mains, trop tard pour empêcher les doigts du Levitis de se poser sur sa tempe.

- Si tu n'es même pas fichu de me me bloquer à temps, c'est que ta place est bel et bien dans ce lit, crétin !
- Arrête ! Pas ça !

Un grand frisson parcourut Syld, et le bleu-vert de son oeil se troubla. Ses mains glissèrent de la manche qu'elles avaient saisi pour retomber mollement sur les draps.
Earl se pencha sur le Shalos.

- Faudra qu'on ait une petite discussion, tous les deux, lui murmura-t-il à l'oreille avant de se redresser.

Il considéra Syld avec une expression indéfinissable puis entreprit de se reganter avec des gestes précis.

- Il devrait rester tranquille pendant au moins deux heures. Avec ce client-là, ce n'est même pas la peine de compter sur la demi-journée règlementaire...

Avec un geste nonchalant du bout des doigts, il ajouta :
- Pas d'inquiétude à avoir : en cas de danger immédiat, il se réveillera sans problème.

Sans se soucier des deux paires d'yeux qui pesaient lourdement sur sa personne, le jeune homme secoua vigoureusement son manteau, faisant retomber par terre un énorme tas de poussière. Nul besoin d'être expert en la matière pour se rendre compte qu'il aurait pu racheter la moitié de la taverne rien qu'avec son manteau de voyage.

- Ah, je ne pensais pas que les routes entre Levitas et ici pouvaient être poussiéreuses à ce point...

Sur ce constat désolé, il alla se servir sans vergogne dans le panier de victuailles posé sur la table puis retourna se poster sur l'appui de la fenêtre sur lequel il avait posé sa pipe grésillante. Surprenant le regard de Soghann sur le blason tissé d'argent qui s'étalait sur le revers de son manteau, Earl se fendit d'un féroce sourire de défi.

- Y aurait-il quelque chose qui vous dérange ? Ou alors peut-être est-ce le fait que j'ai cité le nom de Levitas ?

Il tourna à demi la tête du côté du lit de Syld.

- Ce morveux aurait-il fini par cracher le morceau ? Voilà qui métonne...

L'assassin se contenta de lever un sourcil aussi interrogateur que sceptique (oui, on peut mettre beaucoup d'expressions dans un sourcil... si si...) devant les révélations successives que Earl voulait bien faire.

Son tour de passe-passe indubitablement efficace semblait le désigner comme un clerc, et un bon, même... Ce qui était en totale contradiction avec l'arsenal qu'il portait, et le fait qu'il ai, selon Syld, tué beaucoup.

Son manteau démontrait sa richesse -à moins qu'il ne l'ait volé, mais Soghann en doutait- mieux qu'une bourse remplie d'or, et son appartenance à la cité des airs était assez évidente.

Sans se presser, l'assassin termina son repas et le fit passer avec une gorgée de bière. Il parlait de façon détendue, sans la moindre pointe de jalousie ou de tension. A vrai dire, la discussion aurait pu avoir lieu dans un salon de thé, à des milliers de kilomètres de n'importe quelle armée en furie, qu'il n'en aurait été autrement.

- Le morveux n'a rien craché du tout. Il sait se montrer très discret quand il l'estime nécessaire... A vrai dire, j'ignorais jusqu'à ton existence avant aujourd'hui.

Malgré la nouveauté de l'individu, Soghann avait adopté immédiatement le tutoiement. Il détestait le vouvoiement, qu'il n'utilisait en fait que pour aborder les jolies femmes et ses supérieurs hierarchiques. De toute évidence, Earl ne faisait partie d'aucune des deux catégories.

- Et je n'ai absolument rien contre Levitas ou ses habitants. Je n'ai jamais visités la ville, mais ce pourrait être un voyage intéressant. Peut-être les affaires m'y mèneront-elles un jour ou l'autre.

La nature des "affaires" étant évidente, il ne s'apesantit pas là dessus. En même temps, il observait Earl, afin de voir si une quelconque réaction patriotique pointait. Le personnage l'intéressait fortement : il avait éveillé sa curiosité, même s'il mettait un point d'honneur à le cacher.

Fanaa regardait Syld sans le voir. Ses pensées dérivaient et elle n'était pas vraiment là mais un mot la ramena au présent.

Ses yeux allèrent fixer Earl et elle demanda à voix basse.

- Tu étais là? Tu y étais la dernière fois que Syld a été emmené là-bas ?

N'avait il donc rien fait pour l'aider? L'avait il laissé dans cet affreux état? Non. Probablement pas. Earl était un ami bizarre certes. Et sinon un ami, une connaissance avec qui Syld entretenait de bon rapport. Le metis ne l'aurait pas laissé. Du moins elle espéra que ce ne fut pas le cas.

La jeune fille effleura le bras de Syld et se leva pour aller se planter devant Earl. Ses yeux myosotis ne l'avaient pas quitté une seule seconde. Elle se pencha vers lui, tout près, de manière à ce qu'il sente son souffle sur sa joue. Elle murmura à son oreille :

- Tu es venu le prévenir d'un danger?

L'inquiétude commençait à la grignoter de l'intérieur. Syld semblait avoir raison, il ne pouvait jamais rester tranquille très longtemps.

- S'il n'a pas craché le morceau, il a au moins craché les miettes, me semble-t-il, déduisit Earl des questions de Fanaa.

Il s'accorda quelques secondes pour réfléchir puis haussa les épaules.

- Contrairement à un certain abruti notoire, je n'ai rien à cacher sur ma propre personne. Donc oui, j'y étais. Mais il se trouve que je n'ai pu voir à quoi ressemblait cet imbécile que des années plus tard.

Le jeune homme releva une de ses manches pour observer les marques qui encerclaient son poignet.

- Je ne vous conseille pas de visiter les geôles de Levitas, messire l'échalas. C'est une auberge pas chère, certes, mais il y aurait pas mal à redire au niveau du confort.

Il secoua la tête avec un petit ricanement avant de s'intéresser à la fille penchée vers lui.

- Le prévenir d'un danger ? Ca me ferait mal de sauver sa peau, tiens !

Il saisit le menton de Fanaa afin d'apprécier la teinte de ses yeux plus à son aise.

- Intéressant.

Relâchant la jeune femme sans autre commentaire, le Levitis précisa d'un ton sec :
- De toute façon cet idiot est toujours en danger. Il n'a nul besoin des avertissements d'un tiers pour le savoir.

L'assassin émit un petit rire.

- Effectivement, il serait probablement déjà en train de se faire dévorer par les asticots si je n'étais pas là pour veiller sur son petit fessier... Mais bon, c'est ce qu'on appelle le travail en binôme.

Rapide coup d'oeil au poignet marqué de son interlocuteur.

- Quant aux geôles, j'en ai une sainte horreur. S'échapper d'une ville volante ne doit pas être aisé... ajouta-t-il pour lui même.

A propos, puisque tu n'es pas là pour le prévenir ou l'étriper -sans quoi tu l'aura déjà certainement fait-, puis-je savoir quelle est la raison pour laquelle tu cherchais notre ami commun ?

Certes, la taverne est le genre de lieu où l'on peut faire énormément de rencontres fortuites, mais quelque chose me dit que ce n'est pas le cas.

La jeune fille ne fit aucun commentaire, elle, sur les façons de faire d'Earl. Il y avait plus intéressant. Elle plissa les yeux mais ne recula pas. Toujours sur le ton du murmure elle continua :

- J'ose espérer que tu m'accorderas un entretien... privé. J'ai subitement très envie de faire connaissance avec toi... si tu n'as rien contre les personnes de mon sexe bien sûr...

Elle recula en ondulant, dardant son regard dans celui du levitis, puis une fois assise sur le lit du chenapan, ses yeux se perdirent dans le vague. Elle semblait à l'écoute de voix qu'elle seule pouvait entendre.

Thénaïs, plongée sur ses cartes et plans, ne remarqua même pas l'arrivée de l'Ilymis dans la pagaille ambiante. Pagaille qui commençait néanmoins à se calmer, la plupart des clients remontant dans leur chambre. Un des mercenaires lui signala cependant le nouveau venu, ce à quoi elle répondit d'un ton où pointait un énervement certain :

- Collez lui une épée dans les mains s'il est capable de se battre, ou enfermez le dans une chambre, je m'en contrecarre ! Mais qu'il ne reste pas dans mes jambes, ni sur le pas de la porte ! Nous allons subir un siège, crénom !

La tirade eut l'effet voulu : un soldat se dirigea vers le Troubadour, remarquant qu'il était Ilymis. Cependant, il sembla juger qu'il ne faisait pas partie des attaquants. D'un ton très officiel (il prenait manifestement son rôle à coeur), il lui tint ce discours :

- Monsieur, nous sommes en état d'alerte, une armée se dirigeant par ici. Si vous comptez participer à la défense, vous êtes le bienvenu. Dans le cas contraire, nous vous prions de louer une chambre et d'y rester jusqu'à la fin de la bataille.

L'assassin se redressa en s'appuyant sur ses coudes. Il pointa Fanaa du menton, et averti Earl d'un ton léger :

- Ne fais pas attention à elle. Je crois qu'elle débloque un peu... Mais nous l'avons sur les bras pour un certain temps.

Il se redressa tout à fait, et, avec un sourire malicieux, continua sur un ton mi-amusé, mi-conspirateur :

- D'ailleurs, si tu pouvais aussi lui faire le coup du "bonne nuit", fit-il en imitant le geste d'Earl sur sa propre tempe, ça m'ôterais un poids.

Fanaa eut une expression très bizarre lorsqu'elle regarda Soghann. Elle exprimait à la fois la peine, l'incompréhension, la lassitude et même un peu de colère.

- Pas besoin de ça merci.

Fanaa se leva et alla ouvrir la porte.

Sans regarder Earl :

- Penses y quand même. J'aimerais réellement pouvoir te parler.

Et elle quitta la chambre.

Elle trouverait bien un autre endroit où se planquer. Où elle ne serait dans les pattes de personne...

Soghann poussa un long, très long soupir, et se massa légèrement les sinus en murmurant un "ha, les femmes..."

- Je reviens.

L'assassin sauta lestement du lit, et rattrapa rapidement Fanaa dans le couloir. Il lui posa la main sur l'épaule, la retourna et la plaqua sans douceur -mais sans particulière brutalité non plus- contre le mur. Sa main droite saisi le menton de la jeune femme, l'obligeant à garder la tête droite et à le regarder dans les yeux, ses yeux glacés qui luisaient d'une lueur malsaine.

- Je ne veux pas savoir ce que le Roi te veux, ou te trouve. J'ai pas demandé à t'avoir sur le dos. J'ai pas demandé à devoir veiller sur toi. Mais pour l'instant, on est tous là, et on va le rester. Alors tu va rentrer bien tranquilement dans la chambre et y rester en sécurité, sinon je t'assomme et le résultat sera le même.

Tu pourra "parler" avec Earl tout ton saoûl si il en as envie, j'en ai rien à cirer. J'irais me battre, pendant ce temps. Mais en agissant inconsidérément, tu nous mets, Syld et moi, en danger. S'il t'arrive quelque chose, aucun de nous ne reverra jamais Shalanos, mets toi ça dans le crâne.

Le Shalos lâcha la jeune femme, et lui indiqua d'un signe de tête la porte entrouverte de leur chambre. Quelques clients les regardaient d'un oeil intrigué, mais le regard que leur renvoyait l'assassin les décourageait immédiatement de vouloir savoir ce qu'il se passait.

Earl allait répondre à Soghann lorsque Fanaa parla. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que la proposition de la demoiselle ne le laissa pas indifférent : le jeune homme vira à l'écarlate et ses omoplates heurtèrent brusquement la fenêtre dans son dos.

- M-mais qu-qu'est-ce qu...

Si la fenêtre avait été ouverte, il n'aurait de toute évidence fait ni une ni deux, et aurait sauté dehors. Pourtant le jeune homme avait un physique suffisamment agréable pour être pourchassé par une armée d'amazones levitis dès qu'il avait le malheur de mettre un quart d'orteil dehors, les demoiselles de la cité aérienne fussent-elles réputées froides comme le vent du nord. Il aurait donc dû avoir l'habitude de ce genre de chose, mais apparemment ce n'était pas encore le cas.

Earl mit dix bonnes minutes à se débarrasser de son bégaiement et à retrouver son teint habituel. Heureusement que Soghann et Fanaa avaient quitté la pièce, lui permettant de se redonner une contenance.

Les doigts gantés du jeune homme se levèrent pour déserrer son col, puis se mirent à pianoter nerveusement sur le rebord de la fenêtre. Il était temps que les deux autres aillent faire un tour : il commençait à être excédé par toutes ces questions.

Histoire de reprendre un semblant de contrôle sur la situation, Earl retraversa la chambre sous prétexte de jeter un oeil à Syld. Il allait s'en détourner, lorsqu'un pressentiment le poussa à le regarder de plus près.

- Syld ? Ohé !

La petite gifle appliquée sur la joue du Shalos le laissa sans réaction. Son pouls était devenu presque imperceptible.
Le brigand n'avait pas fait que s'endormir, il était carrément inconscient.

- Hé, attends, attends, attends ! Genre, comme si j'avais pu me planter à ce point en te mettant hors service ! Déconne pas, merde !

Fanaa serra les poings et se mordit la lèvre jusqu'au sang, tentant de se contenir, mais elle craqua :

- Mais enfin qu'est-ce que tu as depuis quelques temps? J'ai compris tu sais je ne suis pas stupide! J'ai compris que Syld est à toi et à toi seul. Mais j'ai abandonné Soghann! J'ai abandonné! je ne cherche pas à en faire mien. Je suis là, c'est tout. Je suis là, pour rester pas trop loin de lui. Mais je ne chercher pas à ce qu'il m'appartienne moi!
Jamais je ne vous mettrai en danger en le voulant. Tu devrais le savoir, pourtant. Vous êtes tout pour moi, plus importants que ma vie elle-même! Même toi Soghann, toujours toi!
Je n'ai rien dit, je n'ai pas lâché le morceau chez le Pianiste. J'ai résisté en pensant à vous car je ne veux pas vous faire du tort! Mais tu ne me fais toujours pas confiance. J'étais une sorte de jouet à tes yeux. Mais tu as fini de jouer et pourtant tu ne peux pas me jeter. je suis désolée que cela tourne comme ça pour toi.
Désolée vraiment.

Baissant les yeux, elle passa sous le bras du grand shalos, réintégra la chambre et alla s'asseoir à la tête de lit, face à l'angle que formait les murs du coin de la pièce.
Elle ferma les yeux et se prit la tête dans les mains.

- Shua... l'ombre de la lune rouge... elle s'étend. Elle s'approche. La couleur... quelle est la couleur? Ca brûle.

De fait, en elle se mettait à bouillir la source d'énergie, qui, entravée par le sceau du Roi Sentence, protestait en augmentant sa température.
La fièvre était imminente.

Son regard traversa la pièce… tout le monde semblait surexcité, pour ne pas dire que c’était un peu le bordel. Après quelques secondes à suivre un débat houleux entre quelques personnes il fut interrompu par une voix venant d’une des tables du fond :

« - Collez lui une épée dans les mains s'il est capable de se battre, ou enfermez le dans une chambre, je m'en contrecarre ! Mais qu'il ne reste pas dans mes jambes, ni sur le pas de la porte ! Nous allons subir un siège, crénom ! »

« - Et moi Sire, pour vous servir… »

S’attendant à ce qu’on lui souhaite gentiment la bienvenue, il resta quelques secondes sur place, puis, voyant que rien ne venait, il ferma alors délicatement la porte et prit soin de mettre le battant.

Un siège… Héhéhé… Déjà, une nouvelle aventure était en train de germer dans son esprit et il s’en réjouissait.

Alors, il vit un soldat se diriger vers lui. Il lui débita les banalités habituelles en de pareilles circonstances, ce à quoi il répondit :

« - Mais voyons soldat, une bataille, c’est ce qu’il y a de plus exaltant en Adréïs. Puis apparemment, vu la bande de bras cassés dans cette auberge, je pense qu’une arme de plus ne fera pas de mal. Dites-moi soldat… C’est ma mégère du fond qui est sensé coordonner l’attaque ? Parce que j’ai pas envie de dire qu’elle a pas la tête de l’emploi, mais un peu quand même…

Mais bon, je pense que vous avez un homme, un vrai qui doit diriger dans l’ombre. Pas vous mon brave, ne vous emportez pas. Je vois bien que vous avez bien plus de muscles sur les bras que dans la tête.

Mouais… On ne vous a pas autorisé à me répondre ou quoi ? Un peu limité, mais à quoi devais-je donc m’attendre en questionnant un soldat…

Sire marcha donc en direction du centre de l’auberge. Là il se planta puis, d’une voix forte interrogea l’assemblée réunie :

«- Bonjour soldats et mes hommages Mes Demoiselles.
Apparemment un siège se prépare. Je dois vous avouer que je viens un peu à l’improviste et si une de ces gentes Dames voulait bien m’en dire un peu plus sur la tournure des événements à venir, soyez assuré que je me ferais un plaisir de participer à la défense de cette masure. »

Au moins ses mots avaient réussi à provoquer une bonne chose : un peu plus de calme dans la pièce.

Fanaa commençait à se sentir bizarre, nauséeuse. Il semblait y avoir quelque chose dans son ventre qui ne passait pas. C'était désagréable, il fallait qu'elle s'en débarrasse si elle ne voulait pas s'étouffer.

Cela lui donnait le tournis et elle percevait ce qui se passait autour d'elle de façon bizarre. Earl légèrement paniqué, ou ennuyé plutôt. Soghann froid, sombre et "impérial". Syld... absent? Non, plutôt...

Fanaa tourna légèrement la tête vers le lit voisin. Sa vue se brouillait et elle ressentait une douloureuse pression derrière ses globes oculaires. Elle tendit un bras et tourna sa paume ouverte vers le shalos inconscient.

De son autre bras, elle prit appui contre le mur, bouche ouverte, elle haletait.

Ses yeux foncèrent.

*Je... te protège de... son influence...
un mur... un mur autour de toi...
je te... protège de son... influence
une barrière, un brise-lame
je te pro...tège...*

Se concentrer cette énergie. Pour ne pas qu'elle la rende malade, il fallait l'utiliser. C'est ainsi que Fanaa façonna un bouclier pour Syld, qu'elle cacha le chenapan derrière un mur invisible qui arrêtait les énergies magiques. Toutes les énergies magiques. Formant autour du lit de Syld comme un petit abri, une boîte, tout à fait à sa taille.

HRP : non pas un cercueil ><

Hakuren releva a peine le regard de ses carnets... Elle ne fit qu'observer l'illymis, lever les yeux au plafond et retourner a ses écrits.

- Ces illymis... murmura-t-elle.

- Héla !

Earl retira ses mains juste à temps et recula à distance prudente.

- Ah, oui, intéressant, en effet, marmonna-t-il sans déserrer les mâchoires.

Renonçant temporairement à comprendre le pourquoi du comment, le jeune homme alla vivement ouvrir une des croisées et se pencha au dehors. Une rafale de vent lui renvoya les cheveux à la figure.
Le Levitis réprima une petite grimace. Il n'aimait pas du tout ce que ce vent semblait porter.

- Bon...

Il grimpa sur l'appui et, leste comme un acrobate de métier, gagna les toits. Il avait à peine disparu depuis quelques secondes qu'un gros sac de cuir passa par la fenêtre et s'écrasa avec bruit dans la chambre. Le bagage devait bien peser autant qu'un moo crevé.
Earl ne tarda pas à suivre le même chemin.

Après avoir vivement refermé la fenêtre, le jeune homme se mit en devoir de raccrocher à sa place tout l'attirail d'armes diverses et variées qui gisait toujours en tas dans son coin.

- Est-ce que la situation serait plus grave que ce que je pensais ? Ah, c'est bien ma veine...

Le discours de Fanaa laissa l'assassin dubitatif. Comment pouvait-elle encore penser en ces termes ? Tout cela n'avait absolument plus rien à voir avec Syld. En revanche, elle n'avait pas tort sur le second point. Shalanos était ainsi faites : des relations courtes, sans signification, des jeux. Rien de plus. Parce que quand on savait pouvoir faire confiance à quelqu'un, c'était au point de lui confier sa propre vie. Et il n'y avait que Syld pour entrer dans cette catégorie.

Car la vie d'assassin était trop dangereuse pour se permettre d'autres attaches.

Avec un soupir, l'assassin rentra dans la chambre. Il s'immobilisa, intrigué par ce qu'il se passait chez Fanaa. De peur d'interrompre sa transe -ce qui pouvait être dangereux pour tout le monde-, il resta immobile, la laissant faire jusqu'à ce que tout revienne à la normale.

Il promena ensuite son regard sur la pièce et particulièrement sur Syld, cherchant à savoir ce qu'il s'était passé. Sa sensibilité à l'Elixia était faible, car il n'était point sorcier : mais il sentait tout de même certaines choses, et l'aura que dégageait par instants Fanaa aurait pu être sentie même pas un guerrier.

L'incident terminé, il ferma la prote tandis qu'Earl executait son petit numéro d'acrobate.

- Effectivement, je doute que quitter ces lieux en ce moment soit une bonne idée.

Appuyé sur la porte, il continuait à observer l'homme, non sans remarquer son charme. Même si ses préoccupations étaient actuellement à des années lumière du sexe.

Effectivement, le soldat qui avait souhaité la bienvenue à ce timbré d'Ilymis avait plus de muscles que de cerveaux. Mais ça tombait bien, il savait mieux se servir des premier que du second. Il resta donc quelque peu interloqué par la réplique et l'attitude du dénommé Sire, et se contenta de le fixer d'un air quelque peu hagard.

Fallait pas trop en demander à un cerveau qui avait prit autant de coups, après une vie de guerre.

Mais Thénaïs, elle, n'avait pas ce genre de problème. Elle leva les yeux pour toiser l'Ilymis déclamant comme au milieu d'un théâtre, et se passa une main sur le visage. D'un air fatigué, elle lanca :

- Qu'on m'amène ce guignol...

Selon les rapports des éclaireurs, la situation se révélait plus préoccupante qu'il n'y paraissait. Quaterbeck l'avait laissé en charge, certainement pour se préparer lui-même au combat... Il restait l'un de leurs meilleurs atouts pendant une bataille, mais tout de même, de là à la laisser gérer tout ce bordel ! Si en plus des clients semaient la pagaille, elle ne s'en sortirait jamais !

Le soldat réagit enfin, et amena le ménestrel vers la table occupée par Thénaïs. Elle le toisa d'un air dubitatif, puis fit d'un ton peu amène :

- Une importante armée se dirige par ici, composée en grande partie d'Ilymis. Ils seront là d'ici peu, et leurs intentions sont agressives. Quelle aide pouvez vous fournir ?

Dide fut réveillé en sursaut par un bruit horrible, une mélodie déchirée, une plainte effrayante. Il se redressa d’un bond, se retenant de crier de douleur face à cette intolérable suite de son. Il plaqua ses mains sur ses oreilles sans que ca n’eu aucun effet sur l’ampleur de la mélodie. Il regarda autour de lui, personne, à part Hydra toujours endormie paisiblement. Si elle n’était réveillée par cette abominable musique des enfers, c’est qu’elle ne pouvait entendre, et si elle ne pouvait l’entendre c’est que seule l’empathie musicale de Dide le mettait au supplice. Qui pouvait ressentir une telle chose ? Il ne pouvait rester au lit, c’était trop insupportable, il devait allait voir.

Tout en se levant, Dide tenta de distinguer les différentes émotions qui composaient cette harmonie, une panique évidente dans le rythme saccadé, de l’harmonie contraire montrant un déchirement, mais surtout une puissance énorme atrocement enrayé.

Quand il ouvrit la porte et arriva dans le couloir, la mélodie pris de l’ampleur. Il s’approcha de la chambre voisine, la porte était ouvert. Tout en s’appuyant au montant, il repéra la femme qui émettait ses irritantes émotions avec tant de vigueur. Elle était en plein exécution d’un acte magique que Dide ne connaissait pas, mais le plus étrange était que l’Elixia émanait d’elle directement. Les notions et les sens qu’il avait développés dans ce domaine lui criait que c’était impossible. Une autre preuve que ce qu’il voyait était un non sens était que la plupart de l’Elixia, que cette fille produisait, était annihilé dés leur conception. Invraisemblable, impossible, idiot. Pourquoi cette fille criait si fort si son énergie était utilisée pour alimenter le néant ?

- Que fait-elle ? Dites lui d’arrêter !

Sentant une résistance dans son dos, Soghann se pousa pour laisser la porte s'ouvrir. Il ne fut guère étonné par l'irruption de l'intrus : fatalement, un tel barouf magique allait attirer quelqu'un. Il était campé devant le médiovien, les bras croisés, le dominant de toute sa hauteur. Ce qui ne semblait pas l'impressioner outre mesure : il avait l'air d'être beaucoup plus sensible à ce que faisait Fanaa. Mais à tout hasard, il bloquait le passage, et pouvait intercepter très rapidement l'homme s'il décidait de se ruer sur leur protégée.

- Ce qu'elle fait, je n'en sais rien. Quant à l'arrêter, je n'essayerais pas, et je te déconseille de le faire. Quelque chose me dit que ça serait beaucoup plus dangereux que ce qu'elle fait actuellement.

La menace sous-jacente était difficile à cerner : impossible de savoir si l'assassin parlait de ce qu'il ferait lui-même ou du retour de force probable qu'entraînerait une interruption du flux magique. Il jeta un coup d'oeil par dessus son épaule, et continua sur un ton qui se voulait moins agressif.

- De toute façon, elle a l'air d'avoir fini...

Effectivement, il sentait l'aura de Fanaa s'atténuer.

**... du moins, je l'espère.** ajouta-t-il mentalement.

Dans un coin de sa tête, il se promit de développer sa sensibilité aux flux d'elixia : bien aiguisé, ce pouvait être un outil formidable...