La Taverne de Veis

Un jeune médiovien tout de bleu vêtu entra dans la taverne. Ses longs cheveux noirs tombaient librement sur ses épaules, quelques mèches encadrant un visage aux traits fins et au teint de lait. Souriant, il arborait un air ravi, tandis que ses grands yeux bleus regardaient dans toutes les directions, comme s'il se trouvait devant le plus merveilleux des spectacles et ne voulait point en perdre une miette. À son côté pendait une besace, ainsi qu'une lyre l'identifiant comme ménestrel.
Après être resté quelques minutes dans l'entrée à contempler la salle, il s'approcha du comptoir.

- Excusez moi, auriez-vous l'amabilité de me servir de quoi manger un peu, et un verre d'eau fraiche s'il vous plait.

À côté de lui, trois piliers de comptoir s'esclaffèrent soudain. Il se tourna vers eux.

- Aurais-je dit quelque chose d'amusant? demanda-t-il, le visage candide

- Pas du tout mon petit gars. répondit l'un

- Bois donc ton verre d'eau, tu dois avoir grand soif. renchérit un autre sur un ton qui aurait été considéré comme insultant par tout autre que le jeune homme.

- Oui, il est vrai que mon voyage a été fort éprouvant, je vous remercie de vous soucier ainsi de ma santé. Je n'aurais pas pensé que les gens puissent être si accueillants sur ces terres.

Les trois hommes furent de nouveaux pris de fou rire. *ils sont tout de même un peu bizarre, je vais m'éloigner un peu*
Le ménestrel saisit le plat et le verre qui venaient juste de lui être servis, paya, avec force remerciements, puis, avisant une table libre, s'empressa de s'y installer pour se restaurer.

Cobalt caressait d'une main Tsuki et de l'autre Lumos. Les deux animaux avaient élu domicile sur ses genoux semblait il. Il en était content. Nul besoin de chercher une conversation intéressante pour les distraire. Il pouvait se contenter de rester plonger dans ses pensées.

* Comment va Saarielle? Elle doit être arrivée au village maintenant. Mais il fait nuit elle pourrait se perdre sur le chemin du retour... non pas elle. mais quand même on ne sait jamais! En plus le patron a dit que la pluie était mauvaise, qu'il ne fallait pas sortir. Pourvu qu'elle reste à l'abri au village! Elle est si effrontée parfois... qu'elle est mignonne.*

Soghann les quitta finalement. Cobalt se sentit soulagé. Non que le grand shalos fut spécialement asympathique, ni même que son métier d'assassin le gêne. Non. C'était le fait de se creuser la tête pour trouver un sujet capable d'intéresser ce grand escogriffe au regard d'acier. Terrible. Il semblait si blasé de tout, comme si rien ne pouvait jamais le surprendre. Il avait l'air de connaître des choses, que Cobalt aurait apprécié partager mais dans ses yeux il lui semblait toujours lire "réfléchis bien avant de me causer tu veux? sinon pfuit!".

Donc il était parti rejoindre à l'entrée son compagnon beau garçon (qui était mi-nu) et une jeune femme qui ne l'était pas moins. Le dédrane rougit. La personne était belle, même lui se l'avouait, et son entrain présent lui rappelait Saarielle. Ah Saarielle...
Reviendrait elle bientôt? Il ne sut ce que Soghann lui dit mais tout gaité disparut de l'attitude de la jeune fille. Elle sembla soudain fragile, perdue.
Cet homme ne savait pas se comporter avec les femmes. Il poussa bientôt les deux jeunots vers l'escalier.

Le clerc ne les suivit pas des yeux. Il échangea de temps en temps des regards avec lennart ... à qui il ne savait pas non plus quoi dire -mais c'était moins gênant dans ce cas là, allez savoir pourquoi- quand le nouvel arrivant attira vraiment son attention.

C'était un médiovien. Courtois, poli, un enchantement pour les oreilles de Cobalt. Oh, certes tous ses compagnons l'avaient été, mais là c'était... plus naturel.

- Lennart, je vous prie de m'excuser mais je vais voir le médiovien là-bas. N'hésitez pas à nous rejoindre si ça vous dit. Ces gens sont très gentils et parlent fort bien.

Indiquant à l'hermine et au chaton de rejoindre ses épaules, il se leva et s'zpprocha du jeune homme vêtu de bleu.

- Bien le bonjour monsieur. Je me nomme Cobalt, clerc dédrane de la tribu Sylvihana. Me ferez vous l'honneur de m'accueillir à votre table?

Un chatouillement à l'oreille le rappela à l'ordre.

- Désolé... je suis accompagné de Tsuki, hermine de ma tribu et de Lumos, chaton de son état. Nous accepterez vous tous trois?

Si cela eut été possible, le sourire du ménestrel se serait encore élargi.

- Oh, comme ils sont mignons! Mais bien sûr sire Cobalt, c'est moi qui suis honoré par une telle attention, prenez place tous les trois!

Il attendit que le dédrane se soit assis avant de poursuivre.

- Et ne m'appelez pas monsieur, s'il vous plait, je suis encore bien jeune. Je me nomme Lingwiloke, mais vous pouvez l'abréger en Ling, c'est plus facile à dire et à retenir. Mais où donc mes parents avaient la tête en m'affublant d'un tel nom? Figurez-vous que cela signifie "dragon des eaux". Je suppose qu'ils espéraient me voir embrasser une carrière de combattant. Mais j'avais nettement plus de prédispositions pour le métier de ménestrel, ils s'en sont d'ailleurs vite rendu compte.
Oh, excusez-moi, je bavarde, je bavarde et je ne m'occupe pas de vous!

Il leva la main et pris une voix de stentor

- S'il vous plait mademoiselle!

La serveuse s'approcha

- Merci de votre attention, veuillez s'il vous agrée servir à mes nouveaux amis ce qu'ils voudront. Je ne désire pas que sire Cobalt, si gentil d'être venu me tenir compagnie et si patient avec ma langue trop bien pendue, ne se déshydrate. C'est bien ce qui peut arriver de pire. Et ces jolis petits animaux... il y aurait bien un peu de viande rouge coupée en petits morceaux pour eux aux cuisines? Et peut-être de l'eau ou du lait? Et pour moi, un grand verre d'eau fraiche.

Dès que Cobalt eut passé commande, Lingwiloke planta ses larges yeux bleus dans les siens

- Bien, bien, bien, à votre tour maintenant. Parlez-moi de vous. Et de la tribu Sylvihana, si vous le voulez bien. J'ai passé tant de temps cloitré à étudier... Il est temps que je découvre le monde.

Enchanté par l'accueil du Médiovien, Cobalt s'installa. Il commanda un verre d'eau fraîche pour accompagner son nouveau compagnon.

- Ainsi je vous nommerai Ling "Eau". Vous avez gardé la partie la plus douce de votre nom. Ceci dit, l'eau peut être douce mais pleine de surprises!
Au fait, pour commence je propose de se tutoyer. Pourquoi garder trop de distance entre nous?

Sylvihana est une des plus grandes tribus dédrane. J'aimerais dire que c'est la plus grande mais je ne serais pas objectif. Seulement c'est la mienne alors pour moi c'est la meilleure. En tout cas nous étions sur le front durant la guerre contre valnor. Et nous y retournerons autant de fois qu'il le faudra pour que cette vermine soit expulsée!
Dans ma tribu, le courage est très important. La confiance aussi. nous sommes très liés et pouvons compter les uns sur les autres.

Sans compter que Sylvihana est l'écrin du joyau le plus précieux... elle s'appelle Saarielle et c'est la meilleure des chasseresses. Et la plus belle. La plus courageuse. Mais pas la plus sage!

Il rit de bon coeur.

- ceci dit je n'ai parfois rien à lui envier sur ce dernier point. Mais toi, qu'as tu appris en restant enfermé. ce n'est pas très sain tu sais. la vie au grand air c'est mieux. Et que ses tu des dédranes? Il ne faudrait pas que je t'embrouille au lieu de t'éclairer.

Sans regarder Fanaa, Soghann laissa un sourire flotter sur ses lèvres. Sans paraître s'adresser à quelqu'un de particulier, il fit :

Je sais bien que je n'ai pas besoin de surveiller quoi que ce soit lorsque Syld est dans les parages... Particulièrement s'il s'agit d'une jolie femme. Il est bien plus doué que moi pour s'occuper de leur cas, d'ailleurs.

Il saisi le panier, alla s'assoir sur le bord du lit, se pencha sur son butin, y prit la bière encore intacte et la déboucha d'un geste expert, quasi-automatique. Puis un coutelas apparut dans sa main, sorti apparemment de nulle part, et il imita Syld en embrochant avec précision sa part, qu'il se mit à dévorer consciencieusement, arrosant de bière de temps en temps. L'assassin prenait de toute évidence tout le temps nécessaire à une bonne digestion, appréciant visiblement le repas et le silence consécutif à sa propre mastication.

Son repas fini, Soghann essuya son coutelas sur le tissu qui couvrait le panier, poussa un soupir de contentement et s'étira, faisant immanquablement penser à un chat repus. Sans plus de commentaire, il s'allongea sur un des côtés du lit, croisa les mains sous sa nuque, et glissa avec délectation dans le sommeil. Même si, pour beaucoup, le sommeil de Soghann s'apparentait davantage à une profonde somnolence qu'à autre chose.

Lingwiloke écoutait Cobalt avec attention, prenant mentalement des notes. Ses yeux s'allumèrent lorsque le dédrane parla de Saarielle. Manifestement, elle ne laissait pas l'homme indifférent. L'amour fait chanter les coeurs, et cette musique est d'une beauté incomparable. Captivé, il du faire un effort pour remettre ses pensées en route lorsque Cobalt l'interrogea.

- Et bien sire... hem, pardon, l'habitude. Et bien Cobalt, les études pour devenir ménestrel sont longues, il y a tant de choses à apprendre. Avant d'aller découvrir le monde, il faut être en mesure d'y gagner sa vie. Ce que je sais des dédranes heu... ce qui est écrit dans les livres. Et un certain nombre de chants traditionnels récupérés par d'autres musiciens itinérants. En fait on ne nous enseigne pas grand chose sur les moeurs, les coutumes des autres peuples. Juste la musique. Pour que nous puissions aller vers les autres sans à priori parait-il. Sauf que souvent c'est extrêmement gênant, parce qu'on ne sait pas comment les gens vont réagir lorsque l'on s'adresse à eux, et ça augmente le risque de faire des gaffes.
En tout cas, je suis rudement content de t'avoir rencontré! Dis-moi, il y a des légendes là d'où tu viens? j'adore les légendes, elles font souvent des chansons formidables!

Syld se pencha un peu sur Fanaa.

- "La prochaine fois" ? Dois-je comprendre que tu as souvent l'intention de me dépouiller de mon or pour t'en servir de parure de bain avant de venir te sécher dans ma chambre ?

Lui appuyé sur les coudes, le menton contre la poitrine, et elle la tête renversée en arrière contre le bord du lit... il aurait suffit d'un dérapage de coude tout à fait accidentel pour que le jeune homme goûte aux lèvres de la belle en guise de dessert.
En fait, il avait l'air d'en avoir très envie...

Le sursaut du matelas lorsque Soghann y cala sa grande carcasse l'arracha au spectacle fascinant de cette bouche entrouverte sur un souffle insensible.

- Allons bon...

Syld crapahuta sur la couverture froissée jusqu'à pouvoir regarder Soghann sous le nez.

- Il dort pour de bon, l'animal !

Peu convaincu par son propre constat, il saisit une des longues mèches de son comparse et, s'en servant comme d'un plumeau, se mit à lui chatouiller les narines.

- Houhouuu ?

- Oh oui! Mon père est troubadour lui aussi, mais sa spécialité ce sont les contes et légendes. J'ai toujours adoré cela. Il y en a une qui me vient à l'esprit. Bon normalement il la chante mais je ne m'y risquerai pas. D'habitude ma mère porte le refrain de sa propre voix, et c'est magique... bon là ça ne rendra pas pareil alors essaie d'imaginer, d'accord?

on raconte l'histoire d'une fille belle et fière
d'un chevalier sans terre qui l'emmena
il l'enlève tout au bord, au bord de la terre
à la frontière du nord, elle le suivra

sans faire un bruit la neige tombera et j'attends
que la nuit la ronde des âmes me ramène à toi

toi ma belle, si tu renonces à la mer
je serai ton trésor, ton père ton roi
jamais ne serai tienne
jamais ne serai toute à toi
trois heures avant le jour je m'enfuirai

sans faire un bruit la neige tombera et j'attends
que la nuit la ronde des âmes me ramène à toi
et quand sans faire un bruit la neige doucement s'en ira
c'est la nuit la ronde des âmes te ramènera

Trois heures avant le jour
elle se fond dans l'hiver
en un renard de neige
elle se changea

sans faire un bruit la neige tombera et j'attends
que la nuit la ronde des âmes me ramène à toi
et quand sans faire un bruit la neige doucement s'en ira
c'est la nuit la ronde des âmes te ramènera

sans faire un bruit la nuit j'attends,
sans faire un bruit bien loin d'ici j'attends...

Finalement, il l'avait chantée quand même. Par habitude. Même s'il ne ferait pas chanteur comme profession, sa voix profonde, chaude et douce correspondait très bien à la chanson. S'il n'avait pas une voix des plus exceptionnelle, au moins avait il l'oreille musicale.

Il attendit un peu puis, souriant à son nouvel ami:

- Alors, qu'en penses tu? Je pourrai t'enconter d'autres bien sûr. Et si celle ci n'est pas à ton goût, dis moi quel genre te plairait.

Soghann n'avait pas trinqué finalement. Il s'était baffré et saoulé seul dans son coin avant de s'étendre pour roupiller. Sans un seul regard pour fanaa. Il devait être vraiment crevé.

C'est alors que Syld se mit à lui chatouiller les narines. Et Soghann à grogner. La jeune fille se mit sur les genoux et souffla à Syld:

- Mais arrête tu vas le réveiller! Je parie que quand il ne dort pas assez il est grognon en plus.

Elle posa un genou sur le lit et agrippa l'épaule de Syld pour le repousser gentiment. Et elle tomba avec lui. Tomber est un grand mot. Disons juste qu'elle atterrit contre lui à l'autre bout du lit. Alors son cœur s'accéléra. Torse nu, il était tout chaud, le contact avec sa peau était agréable et rassurant. Elle se pressa contre lui, passant ses bras autour de son cou mais... était-ce ses mains qu'elle avait senties? Son corps se mit à trembler sans qu'elle puisse l'en empêcher. Elle se remit sur le dos, rompant ainsi tout contact.
Sa respiration était saccadée. Elle serra ses mains l'une dans l'autre pour arrêter leur tremblement. Elle perçut un mouvement du coin de l'oeil. Allait il partir?

Soudainement elle attrapa d'une main la main de Syld et de l'autre un pan de la veste de Soghann. Elle les serrait convulsivement en se concentrant pour se calmer. Elle observait les reflets du feu s'amuser au plafond. Il ne faisait pas totalement noir. Et il faisait bon. Et ils l'avaient retrouvée. Du moins le croyait elle.

Elle était si tendue qu'elle sentait les noeuds de tension musculaire fleurir un peu partout dans son dos.

La douleur mise à part, elle se sentait mieux. Ou en tout cas elle se forçait à le penser. Avec effort, elle réussit à décrisper ses mains. Soghann n'avait probablement rien remarqué mais le pauvre Syld, assurément. Elle voulut s'excuser mais une boule dans sa gorge empêchait sa voix de sortir.

Elle n'osait regarder l'un ou l'autre. Elle avait honte de se laisser aller ainsi. Plaquant ses deux mains sur sa bouche, elle tourna les yeux vers Syld finalement, espérant qu'il lirait dans ses yeux des excuses sincères. Mais qu'il ne verrait pas l'effroi qui se tapissait au fond.

Le ménestrel battit des mains
- C'est très bien, parfait, vraiment! Tout m'intéresse tu sais, et si d'autres te viennent à l'esprit, n'importe quand, n'hésite pas une seconde avant de m'en faire part!

Soudain, il fut pris par un long baillement. On pouvait voir à sa tête que lui-même en était surpris.

- Oh, je suis désolé! Rassure-toi, tu n'es pas ennuyeux du tout! C'est qu'il se fait tard, et j'ai marché toute la journée. Je pense que je ne vais pas tarder à demander une chambre. Mais je ne voudrais pas t'abandonner comme ça. Tu m'as offert une légende, à mon tour de t'offrir une chanson.

Lingwiloke fit un clin d'oeil au dédrane, se saisit de sa lyre, puis commença à jouer une mélodie très douce. Il était presque possible en tendant l'oreille et en fermant les yeux de distinguer derrière la musique le bruit de vagues léchant doucement une plage de sable fin. Puis, tout naturellement, sa voix cristalline vint se poser sur les notes



Les dernières notes restèrent quelques instants suspendues, puis ce fut le silence. Complètement absorbé par la musique, il n'avait pas remarqué que le brouhaha de la taverne s'était interrompu tandis que les clients l'écoutaient. Son visage s'empourpra. Gêné de s'être ainsi donné en spectacle sans le vouloir, et craignant d'avoir en chantant sans y avoir été invité enfreint une règle inconnue de lui, il se tourna vers Cobalt et lui demanda dans un souffle:

- J'ai fait une bêtise?

- Pffff...

Syld se passa une main dans les cheveux.
Cette succession de chaud-froid lui remuait les sangs et mettait ses nerfs pourtant solides à rude épreuve.
Ca plus son début de rhume le rendait un peu fiévreux.

La gent féminine resterait à jamais un mystère insondable, même pour lui qui avait l'air d'un initié très éclairé en la matière.

Il avait jeté les jambes par-dessus le bord du lit avec dans l'idée d'aller prendre le frais à la fenêtre. Mais la poigne de Fanaa l'avait stoppé net.
Encore un peu et elle lui aurait broyé les doigts comme une meule de moulin les grains de blé...

- Fanaa... tu trembles. Viens...

Il finit de se lever puis l'attira vers la cheminée.
Aucun doute que si la jeune femme avait eu froid, elle aurait immédiatement été mieux devant l'âtre. Mais Fanaa ne grelottait pas à cause du froid et Syld le sentait très bien.
En bon assassin, il avait un sens inné pour décrypter le moindre geste, le moindre changement dans la respiration d'une cible, le plus petit détail pouvant indiquer l'échec d'une approche discrète et la nécessité de frapper sur le champ. Cette faculté restait utile même quand il ne s'agissait pas de meurtre.


- Fanaa, répéta-til dans un murmure en la prenant par les épaules. Si tu me disais ce qui t'effraie à ce point ?

Le pari était risqué : cette question étaient bien faite pour braquer complètement la demoiselle.
Mais c'était ça où bien il s'emparait de sa bouche frémissante, qu'elle soit d'accord ou pas.
Galanterie, quand tu nous tiens...

Son regard tomba sur les mains qu'il avait posées sur les frêles épaules de la jeune femme.
Stupeur.

" Je tremble aussi ?"

Il secoua légèrement la tête. Cela ne lui arrivait jamais...

" J'ai vraiment pris froid. Ca doit être ça."

La jeune femme se laissa mener auprès du feu par Syld. A vrai dire, elle n’avait ni la force ni l’envie de lutter. C’est alors qu’il lui posa la question.

Fanaa resta interdite un moment, plongeant son regard dans le sien. Toute trace friponne avait disparu de son visage, remplacée par un air grave. Syld était différent ainsi, ne se ressemblant plus vraiment. Ce qui lui donnait un certain charme. Soghann était sûrement le seul à pouvoir le voir de cette façon d’habitude.

- Ce qui m’effraie ? souffla-t-elle. Elle voulait gagner du temps. Réfléchir. Sans paniquer.

Pour qu’il comprenne c’était si facile. Il suffisait qu’elle repousse sa lourde chevelure, baisse son manteau et lui montre son dos. Elle commença à ramener ses cheveux sur son épaule mais arrêta son geste. Et après ? Quelle serait sa réaction ? Elle ne voulait pas de pitié. Et elle craignait de perdre toute considération auprès du chenapan et du grand shalos endormi. Elle secoua la tête.
Il aurait été plus facile de glisser ça un jour entre deux chopes, comme si de rien n’était. Ils en auraient souri ensemble car après tout c’était le passé. Mais ici, avec eux dans la pièce, le regard de Syld presque triste, elle s’effondrerait sûrement en larmes. Pour une histoire qui, si l’on y réfléchissait, n’en valait pas tant la peine.

Elle réalisa que les mains de Syld tremblaient aussi. Elle se rappela son rhume. Le pauvre. Sa respiration à elle était de nouveau calme mais son cœur restait douloureux, Fanaa avait l’impression qu’il ne battait plus. Et Syld attendait.
Fanaa passa doucement ses bras autour de lui et posa sa tête sur sa clavicule, ses cheveux bruns doux comme de la soie lui caressant le torse. Elle tenta maladroitement un :

- Mais rien c’est…

Sa voix trop basse manquait de crédibilité. Elle cherchait un mensonge rapide. Vite !

- c’est juste que je ne veux pas risquer de peiner ta belle serveuse.

Elle le serra plus fort. Près du feu il y avait la chaleur et la lumière. C’était plus facile.

- Tu as froid…

Elle lui souffla de l’air chaud sur les pectoraux et les épaules puis recula d’un pas.

- Merci beaucoup. Avec mes bêtises je t’empêche de dormir, je suis désolée. Lui dit elle sans le quitter des yeux.

Fanaa était mal à l’aise et regrettait l’ambiance bon enfant du début de soirée.
Une chose était sure, elle ne replongerait pas de sitôt dans le sommeil. Autant sortir.

Elle rompit le contact visuel.

- Nos vêtements sont secs je crois. Je vais faire un tour en bas. C’est mieux. Vous serez tranquilles. Tu… tu peux te retourner une minute s’il te plait ?

- Une bêtise dis tu? Mais par Gaïa ta voix et ta chansons sont des joyaux scintillants! C'est un don!

Cobalt avait du mal à retenir son enthousiasme. Il avait été littéralement soufflé et enchanté par Ling. La chanson lui avait donné des frisons et ses yeux étaient humides.

- Un ravissement. Du pur bonheur! Un jour il faudra que je te présente mon père. Il va t'adorer! Incroyable!
Bon je sais que je dois te laisser te reposer mais promets moi que demain tu m'en chanteras une autre! j'en serais si heureux!
Oh comment te remercier? Je sais. Pour cette nuit je t'offre la chambre. Ne refuse pas je te prie, tu me peinerait. Et une pine après la joie que tu viens de m'offrir n'en serait que plus dure à supporter.
Ne bouge pas, je vais chercher ta clé pour la chambre. je reviens tout de suite!

Un petit garnement vint tirer la veste du Dédrane:

Dites, monsieur, c'est quoi une pine plus dure à supporter?

Avec un soupir mi-résigné, mi-agacé, Syld pivota sur ses talons.
Les bras croisés et le nez en l'air, il s'adressa à une poutre qui ne lui avait certes rien demandé :
- Bien bien, fais comme tu veux...

Réflexion faite, la logique féminine lui échappait complètement.

"Celui qui parviendra à écrire un ouvrage expliquant comment fonctionne l'esprit des femmes se fera un paquet de zoris !"

Il renifla avec humeur tout en fixant une latte de plancher d'un air peu amène.

Les froissements et glissements de tissus qu'il percevait dans son dos lui titillaient l'imagination, au point qu'il commença à souhaiter que Fanaa se dépêche de nouer le dernier lacet, de lisser le dernier pli, de... bref, de finir son rhabillage.

- Tu peux laisser mon manteau sur le fauteuil ? Merci...

Le Shalos continua de foudroyer du regard l'innocente latte de plancher jusqu'à ce que le bruit de la porte vienne l'assurer du départ de la jeune femme.

- Et bordeeeeel !

Syld avait converti le juron en un borborygme par quelque prodigieux effort de volonté, mais l'idée était là.

Il flanqua un coup de pied vengeur dans le fauteuil. Sauf que le fauteuil était un bon vieux fauteuil, en bon bois bien lourd et bien massif...
L'impassible pièce de mobilier ne broncha donc pas, et ce fut son agresseur qui dut sautiller à cloche-pied jusqu'à la moitié de lit encore libre.

Le jeune homme s'affala sur le matelas puis, les yeux clos, appuya son poing fermé contre son front comme si ce geste avait pu enfoncer plus profondément de bonnes résolutions dans les méandres de sa tête de linotte.

- Ne... pas... me... mêler... des... affaires... des... autres...

Spoiler:

Cobalt baissa les yeux vers le gamin, revenant au monde réel.

- comment? Oh je voulais dire "peine".

Se tournant vers Ling.

- Tu vois? Tu m'as troublé! Bon je reviens. ne bouge pas.

Il se dirigea vers le comptoir et demanda une chambre pour Ling et renouvela celle de Saarielle. Au cas où elle arriverait.

Il revint vers le Médiovien et lui tendit la clé.

- Voilà. Il ne me reste plus qu'à te souhaiter une excellente nuit. Grâce à toi en tout cas, la mienne sera des plus douces. A demain!

Ayant revêtu sa courte tunique et chaussé ses hautes bottes souples, Fanaa laissa le manteau sur place à la demande de Syld. A regret. Mais pas à cause du froid.
Elle sortit de la chambre et se dirigea vers les escaliers. Elle rata une marche en descendant et dut s'accrocher à la rampe pour se remettre d'applomb.
Une fois dans la grande salle, elle remarqua 2 ou 3 personnes déjà apperçues, leur lança des regards mais n'alla pas les saluer.

Elle cherchait une place discrète. En regardant bien, elle vit un banc placé tout près d'une fenêtre. C'était parfait.
Fanaa s'installa dos à la salle posa croisa ses bras sur le rebord de la fenêtre et y posa sa tête. La vitre était humide et fraîche et la pluie tapait dessus. Il faisait si sombre et mauvais que pas une étoile ne brillait.
Elle soupira.

- Demain sera un autre jour. Dites moi que je pourrai revenir...

Le médiovien ne savait plus ou se mettre. De légèrement rouge, son visage devint cramoisi tandis que Cobalt ne tarissait pas d'éloges. Il profita du passage du jeune homme au comptoir pour se reprendre un peu, afin d'être au moins en mesure de parler sans bafouiller, ce qui aurait été un comble pour un ménestrel. Lorsque le Dédrane revint, Ling saisit délicatement la clé qu'il lui tendait.

- Merci, merci beaucoup. En fait, c'est la première fois que je chante pour quelqu'un en dehors de l'école et... je suis heureux que cela t'ait plu, vraiment heureux.

Son sourire fleurit de nouveau, plus radieux que jamais.

- Bien sûr que j'en chanterai une autre. Et même beaucoup d'autres, n'est-ce pas mon métier? Il fit un clin d'oeil
Ce fut une joie de te rencontrer, que la nuit te garde Cobalt.

Il effectua une profonde révérence, avant de s'engager dans l'escalier avec un dernier geste de la main.

Après être entré dans la chambre et avoir refermé la porte derrière lui, il poussa un long soupir de soulagement. Cette première journée dans le vaste monde s'était beaucoup mieux déroulée qu'il ne l'avait imaginé. Il posa ses affaires sur une étagère, se déshabilla rapidement et se glissa dans le lit. À sa grande surprise, la fatigue qui avait manqué de le terrasser décidait maintenant de lui refuser le sommeil.
*C'est bien ma veine. Quand je pense que je suis en théorie capable d'endormir par mes chants des créatures malfaisantes... et que je ne peux même pas me jouer une berceuse. Bon, et bien autant mettre ce temps d'éveil supplémentaire à profit*
Il se releva, et alla fouiller dans sa besace. Il en sortit cinq balles colorées, avec lesquelles il se mit à jongler. D'abord des deux mains, puis avec une seule.
*Plus difficile maintenant*
Fredonnant un air guilleret, il lança les cinq balles en l'air, joignit les mains et baissa légèrement la tête, de façon à faire un cercle avec ses bras, son dos et ses épaules, sur lequel les balles retombèrent. Il ondula alors légèrement, et elles roulèrent le long de la piste ainsi formée par son corps, lentement d'abord, puis de plus en plus vite. Il resta dans cette position quelques minutes. Enfin, il fit un mouvement des épaules, et les balles s'envolèrent de nouveau. Il se mit bien droit, en rattrapa deux dans chaque main, et la dernière se posa sur sa tête.
Il salua ensuite un public imaginaire, puis rangea les balles avant de retourner sous les draps. Comme toujours, l'exercice l'avait détendu, et Ling n'eut cette fois aucun problème pour s'endormir.

Bien qu'il n'ait pas ouvert les yeux, un léger sourire vint se poser sur le visage serein de l'assassin. Sur un ton sarcastique, un petit commentaire s'échappa d'entre ses lèvres finement dessinées :

Ce n'est pas faute de te le répéter...

Tu compte faire quelque chose pour te rattraper, à part frapper le mobilier qui ne t'as rien fait ? Je ne m'y connais pas en psychologie féminine, mais m'est avis que tu risque d'empirer les choses en montrant trop de sollicitude... Elle n'a pas encore assez confiance en toi, on dirait.

Puis, comme pour lui même, un ton plus bas :

Curieusement, il ne suffit pas de voir les gens nus et de courir main dans la main sous la pluie pour devenir intimes...

- Tu parles... Oh, et puis continue à dormir, tiens, au lieu de me rebattre les oreilles !

La moue grincheuse, Syld croisa les bras derrière sa nuque.

- Et m'exploser les orteils contre le mobilier fait partie de mes passe-temps préférés, je te signale. Aucun rapport.

Après un moment de silence, le jeune homme rouvrit un oeil un peu vague sur le plafond.

- Si je compte faire quelque chose ?

Il renversa un peu plus la tête en arrière pour réfléchir à son aise.

- Non.

Il ouvrit la bouche, hésita, puis choisit de se taire.

Une bourrasque secoua la fenêtre.

Les doigts du Shalos pianotaient sur sa nuque, remplaçant le crépitement de la pluie qui avait cessé.
Une fièvre légère lui battait les tempes avec insistance.
Tout un orchestre de tambours qui s'ingéniait à l'empêcher de trouver le sommeil...

Il lâcha un nouveau soupir agacé :
- Bon, je crois que je n'arriverai pas à dormir en étant sobre...

Soghann fit un geste vague de la main.

C'est ça, va te soûler.

Il remit sa main sous sa nuque et s'apprêta à s'endormir pour de bon. Mais, après quelques instants de réflexion, il se redressa et fit :

Bon, tout compte fait, je vais t'accompagner. Je n'ai pas envie que tu te refasses voler ta bourse... Autant en boire le contenu, avant qu'il ne finisse dans la poche de la première fille de joie venue.

Il se pencha donc pour attraper la bourse lancée un peu plus tôt sur le couvre-lit, et la soupesa d'un air connaisseur.

Moui, elle t'a laissé suffisamment pour passer une bonne partie de la nuit à boire. Même à deux...

D'un geste tout à fait naturel et sans la moindre gène, il glissa la dite bourse à l'intérieur de sa veste, et se leva, revigoré. Même s'il n'avait pas réellement dormi, rester allongé quelques minutes lui avait fait du bien, il s'était reposé.

Il arrivait d'ailleurs à rester en forme plusieurs jours d'affilée en accumulant les petits repos volés aux instants de calme comme ceux-là. C'était une faculté très pratique dans une chasse, que Syld ne partageait malheureusement pas. Lui avait besoin de dormir profondément, et de nombreuses heures sans interruption, pour se reposer réellement. Mais, après tout, la fatigue ne faisait qu'exacerber son caractère déjà particulièrement expansif.

De sa démarche souple, il rejoignit la porte, l'ouvrit, et se retourna pour toiser Syld, toujours sur le lit.

Bon, tu compte passer la nuit dans cette chambre, ou bien... ?

- Ou bien j'arrive, j'arrive...

Ce fut d'un air tout à fait lugubre que Syld s'arracha au lit et remit ses bottes. Trop flemmard pour resserrer les lacets de sa chemise enfin sèche, il la laissa flotter au vent puis contourna Soghann comme un somnambule, lui laissant le soin de refermer la porte si ça lui chantait.

Il y avait peu de choses capables de rendre l'assassin boute-en-train grincheux. Mais l'insomnie due à un taux de cogitation anormale en était une.

Les cheveux devant l'oeil, le jeune Shalos faillit louper la moitié des marches et ce fut sans doute grâce à quelque intervention divine qu'il se retrouva indemne sur le plancher des moos.
Si Syld n'avait pas eu l'assassinat pour vocation, il eut fait un excellent prêcheur : sa survie impliquait un nombre de miracles suffisamment grandiose pour remplir des temples entiers d'ex-incrédules...

Une fois que ses pieds eurent eu l'amabilité de le conduire jusqu'au comptoir, le jeune homme se laissa tomber sur le premier tabouret venu.
Il s'accouda entre deux bouteilles vides et bâilla largement.

- Trop crevé pour arriver à fermer l'oeil... si c'est pas un comble, ça !

Soghann s'effaça légèrement pour laisser passer l'assassin grincheux. Il connaissait cet état et ce à quoi il était dû, comme il connaissait par cœur toutes les attitudes et humeurs de son compère. Ce qui le rendait capable de décrypter une bonne partie de ce qu'il s'était passé rien qu'en le regardant. Il ferma donc la porte derrière eux, puis le suivit dans l'escalier. Il ne s'inquiéta pas le moins du monde en le voyant dévaler plus que descendre les marches, en ratant la moitié au passage. Il savait que l'assassin ne se ferait pas mal. Le damné sacripant aurait pu être funambule.

Sans un mot, il prit le tabouret proche de celui de Syld, et s'y assit. Plissant les yeux pour s'habituer à la différence de lumière entre la chambre de et la grande salle, il laissa son regard parcourir les différentes tables, vérifiant les gens présents. Cobalt n'avait pas bougé, le troubadour au chaton avec lui, Fanaa s'était isolée, apparemment désireuse de rester seule. Bien, qu'elle réfléchisse. Sans doute Syld irait il la trouver quand il serait suffisamment imbibé.

un certain nombre de consommateurs étaient déjà montés à leur chambre, ou rentrés chez eux. Ceux qui restaient, pour la plupart, étaient des piliers de comptoir, le genre de gens qui restaient toute la nuit et revenaient immanquablement le lendemain, jusqu'à avoir bu tout leur salaire du mois.

Rassuré, son attention revint finalement au tavernier, qui s'approchait d'eux. Soghann sorti quelques pièces qu'il aligna sur le comptoir, poussa la première du doigt, et commanda :

Deux cocktails brise-crâne. Mon ami a besoin d'une anesthésie locale au niveau du lobe frontal.

A peine arrivé, déjà vidé.
Syld reposa son verre et poussa deux pièces supplémentaires en avant.

- La même chose, mais en double !

Le coude posé sur le comptoir avait glissé de quelques millimètres, mais le jeune homme pianotait toujours sur le plateau de bois imbibé de liquides divers répandus par des mains plus incertaines que les siennes.
Il allait de toute évidence falloir sérieusement éclaircir le rang de zoris pour que sa crise de mauvaise humeur passe.

- Je dirais que c'est le cerveau tout entier qu'il faudrait temporairement mettre hors d'usage, précisa-t-il. Autant ne pas faire les choses à moitié.

Il glissa soudain un regard en coin à Soghann avec un début de sourire malicieux, l'un des nouveaux verres suspendu à mi-parcours entre le comptoir et son gosier.

- Au dernier qui reste sur son siège ? Il me semble que j'ai une revanche à prendre par rapport à notre dernière grande beuverie à Shalanos...