Confins du désert - sanctuaire du Pas du Dragon

Pendant ce temps, Thani et Mellyna continuaient de s'escrimer à soigner le Valaë. L'opération était plus que délicate, plus elle durait et plus les risques d'infection augmentaient. Pourtant, ils ne pouvaient pas bâcler le travail pour le refermer plus vite. Des vaisseaux auraient continués à saigner et il aurait fallu recommencer, ce qui était pire.
Les minutes s'écoulaient interminables, les deux soigneurs étaient en transe toujours soutenus par Eleïr'l qui, lui, pensait à économiser ses forces.

L'esprit du loup n'était plus là que par intermittence mais il s'accrochait. Il fallait quelque chose de plus que de la magie pour le retenir. Mais quoi ? Ce fut une fois de plus le petit animal qui souffla la réponse à la dédrane. La communication se fit en pensée pour ne pas casser la concentration de l'Eyerash.

-Vous avez des souvenirs en commun de la forêt non ?
-Oui, mais les siens sont ceux d'un loup. Les perceptions sont trop différentes.

Parler avec le dragon avait créé une sorte de bulle, elle pouvait y réfléchir en paix tout en continuant ses activités de guérison. Elle continua dans ce cheminement.

-Voyons, les animaux, comment perçoivent-ils la forêt ? Père me l'a dit un jour...

Les souvenirs étaient lointains, brumeux, perdus dans le méandre des années.

-Je sais !

L'exclamation lui avait échappé. Thani leva la tête, elle lui fit un regard d'excuse,il se remit immédiatement à son opération. Les règlements de comptes viendraient plus tard.

C'était encore un secret de la Forêt, Elle lui pardonnerait, c'était pour sauver un de Ses enfants.
La mélodie était aussi vieille que la planète.

Mellyna l'entonna d'abord en murmurant puis prit de l'assurance et le chant emplit la pièce.
Le dragon se tut pour l'écouter, le chant était celui que les arbres murmuraient, que le vent chuchotait, que l'eau bruissait et que tous les enfants de la Forêt humains ou animaux portaient dans leur cœur.
Rares étaient ceux à pouvoir le transcrire en un chant humain. La voix était douce et mélodieuse, d'une pureté qui émouvait l'âme. Le Valaë ne put y rester insensible et son esprit se rapprocha, captivé.
Il gambadait dans la forêt avec une inconnue, elle le suivrait jusqu'au bout mais il devait être fort et lui faire confiance. C'est ce qu'il fit.
Les notes résonnaient sur les parois, cristallines. Des plantes commencèrent à pousser, issues des larmes versées par les occupants de la pièce.
L'atmosphère était calme, sereine, hors du temps.

Il était allé si vite ! Il avait glissé d'un coup et elle n'était même pas tombée. Elle avait sûrement trop parlé. Elle savait pourtant, elle lui avait dit que discuter ne servirait qu'à la rendre triste et à le mettre en colère. Elle l'avait prévenue. Mais il avait parlé alors elle avait répondu et maintenant, encore une fois, ça n'allait pas.

Le point positif et qu'elle était totalement à s'inquiéter de la situation présente et que Khamsin restait en arrière-pensée.

Fanaa avait remonté ses genoux et maintenait ses mains jointes contre sa poitrine. Elle n'osait plus le toucher. La Danseuse était maintenant funambule, en équilibre sur une corde raide et fine. Elle devait faire très attention, à ne pas glisser, à ne pas tomber.

Discuter avec Earl était trop risqué, le moindre mauvais mot pouvait le fâcher encore et encore. Mais ne pas répondre était trop impoli. Et bizarre aussi. De plus, Fanaa n'était vraiment pas une menteuse. Elle avait l'esprit quelque peu perturbé, oui, réagissait de façon qui pouvait peut-être sembler étrange, mais toujours avec sincérité. Mentir n'avait jamais fait partie de ses réflexes car elle n'y avait jamais vu d'utilité quelconque. Et tout simplement car elle n'avait pas appris.

Ses yeux comme deux lacs violets se fixèrent sur les iris d'or qui lui faisaient face. Fanaa ne comprenait pas sa demande ... ou son accusation. Que voulait-il entendre ? Qu'espérait-il ? Elle n'avait jamais su le décoder, cela ne commencerait sûrement pas cette nuit.

- Mais je ne te déteste pas... Qu'avait-elle bien pu faire qui lui laisse penser pareille chose ? Tu sais j'ai un pouvoir ... je ne le maîtrise pas complètement et j'apprends encore à l'apprivoiser mais si j'ai bien compris une chose c'est que je peux l'utiliser plus facilement et plus intensément sur des personnes que j'aime. C'est ainsi que j'ai pu transporter Khamsin et que dans la grotte ... avec toi ... Je n'aurais jamais réussi à enfermer un nomade ou même Monsieur Ridelgald dans une protection d'elixia. Cela ne fonctionne pas comme ça. Et je n'ai pas de raison de te haïr, voyons. D'accord tu cries fort, tu te fâches tout le temps mais ce n'est pas ce qui compte. Tu rends triste Nuada, mais elle te pardonne car elle t'aime. Je te pardonne moi aussi. La rancoeur est laide et ne créerait que plus de tristesse encore. Moi je pense à ça. Et je pense à toi. Je pense que tu caches de la tristesse derrière ton éternelle colère. Et je te souhaite de réussir à accepter quelqu'un qui offre de t'apaiser et te consoler. De l'accepter simplement. Sans te hérisser. Personne ne te veut du mal et personne ne se moquera de toi. Du moins personne ici.

Fanaa se pencha un tout petit peu et posa doucement le bout de ses doigts sur le plexus d'Earl. L'endroit au-dessous duquel se trouvait son coeur.

- Je peux te promettre que je ne te déteste pas ...

- Pas de raison de me haïr ?

La surprise le fit se redresser à demi sur un coude. Puis, secouant la tête, il se laissa retomber contre les minces oreillers.

- Fanaa, soyons clairs.

La voix d'Earl restait réduite à un quasi murmure, mais restait nette et d'un calme parfait, ni froide ni détachée, juste tranquille.

- J'ai payé un gamin pour qu'il aille planter une dague dans le coeur de celui qui était mon seul, mon meilleur ami. Tout cela pour un père adoptif qui parvient à peine à faire semblant de me supporter et pour une soeur que je n'ai pas connue et qui m'est par conséquent parfaitement indifférente.

Pour quiconque connaissant le Lévitis d'assez près, cet état des choses net et sans fioritures aurait été plus que révélateur : Earl n'accordait pas le titre d'"ami" à n'importe qui. Et les raisons d'une telle trahison n'auraient jamais pu se réduire à quelque chose d'aussi léger, même si cela avait pu paraître plus que convainquant vu du coeur des événements.
Sans prendre garde à ces détails, Earl lâcha un soupir. Ses longs cils clairs s'abaissèrent, jetant une ombre sur ses joues.

- Cela serait donc plus simple tant pour toi que pour moi si tu me détestais, vraiment...

Fanaa fut secouée d'un frisson et sur la poitrine du Levitis, sa main se serra un un petit poing nerveux. Elle cilla.

- Tu parles de Syld.

Elle aurait voulu qu'il n'y fasse pas allusion. Elle aurait voulu ne pas prononcer son nom. Le temps avait beau passer elle ne l'oubliait pas. De nouvelles crampes dans son ventre la torturèrent un peu. Elle se concentrait sur le passé, son regard se fit vague, elle tentait de se remémorer les choses. Elle avait l'image de Syld, à terre, baignant dans tant de sang ...

- Le monde en rouge.

Saut en arrière, il venait d'arriver sur l'échafaudage, les vêtements vieux et dégoûtants qu'il portait laissaient voir des traces de coups et d'autres marques laissées par ses geôliers sadiques et pervers. Il avait vécu l'enfer pour une fausse accusation puis le gamin l'avait poignardé, Syld était tombé, les pavés avaient rougi et la suite ... la suite ... ce qui s'était passé après était dans des brumes rouge dans dans la mémoire de Fanaa.

- Syld est tombé, je n'ai pas pu m'occuper décemment de son corps ensuite ... ensuite j'ai vu mes esprits ... et une nuit j'ai eu très peur ... et puis il y a toi dans un lit d'hôpital. Aussi pâle que Syld. J'ai cru que tu allais mourir. J'ai eu très peur pour toi. Ensuite je suis partie et maintenant je suis là.

Ses larme s'étaient mises à couler en silence.

- Tu dis que tu as payé pour que l'enfant le poignarde.

Oui ... cela lui revenait maintenant. Earl était là. Il avait le regard dur. Il avait dit des choses méchantes. Et Fanaa s'était enfermée dans une bulle avec Syld. Pour le protéger.

Elle fixa les lignes de peu plus claire sous l'oeil d'Earl.

- C'est moi qui t'ai fait cela.

Elle se pencha et son visage fut très près du sien. Ses cheveux noirs les enfermaient tous deux dans une bulle d'obscurité. Sa voix baissa. Son regard était triste.

- Je t'ai haï ce jour-là. Tu m'avais trompée. Tu m'as utilisée pour parvenir à tes fins. Tu m'as utilisée pour tuer Syld. Je me souviens maintenant.

Des gouttes tièdes et salées tombèrent sur les joues dorées. Il faisait sombre dans la cage des cheveux mais les yeux de Fanaa brillaient et leur lueur se reflétait dans les iris dorée qui leur faisaient face. Les bras de Fanaa frissonnèrent.

- Je t'ai haï ce jour-là et ensuite je me suis perdue. J'éprouve des sentiments. Tout le temps. Des forts. Je suis sensible, émotive et un rien me bouleverse. Syld t'aime. Tu es si important pour lui, tu es une partie de lui. J'ignore ce que lui penserait de ce qui s'est passé. Mais il t'aime. Et si cela ne suffisait pas Nuada t'aime. Je ne ferai pas de chagrin à Nuada en te haïssant. La haine ne mène qu'au malheur. Je ne veux pas en créer plus qu'il n'y en a déjà.

Elle entoura les épaules d'Earl de ses bras et ferma les yeux.

- Où que Syld soit maintenant, il me dit "Hey Fanaa. Y a 2 ou 3 trucs chez toi qui m'ont un peu refroidi. Mais au fond t'es pas une méchante fille. Tu vois Earl ? Earl il est tout ça pour moi. Alors tu es mignonne, moi je ne peux pas m'occuper de ce crétin râleur à lunettes avec son euh ... balai ... bref. Je suis trop loin pour ça. Alors je compte sur toi." Alors tu vois, je ne peux pas te détester. Et je ne le veux pas. Ce ne serait bon pour personne.

Un frémissement parcourut les épaules d'Earl, puis le frémissement se changea en un rire étouffé un peu nerveux.

- Oh, Ael, Ael, tu entends ça ? Les fous sont sages, et celui qu'on croyait sage se révèle être le plus fou de tous.

Du pouce, il essuya les traces brillantes des larmes sur le joues de Fanaa.

- Et je t'ai encore fait pleurer.

A bien y réfléchir, la drogue de l'abondance était la plus dangereuse qu'il lui ai été donné d'expérimenter. Elle semblait pouvoir jeter bas les barrières les plus puissantes, et déliait la langue bien mieux que le plus virulent des sérums de vérité. S'il ne s'arrêtait pas tout de suite, il allait se retrouver sur une route périlleuse. Il fallait éviter ça. Il fallait...

De ses doigts si raides sous leurs couches de bandelettes, il attrapa le menton de Fanaa et la regarda bien en face. Il se rapprocha un peu pour déposer un baiser sur les lèvres un peu tremblantes. Ce ne fut qu'un effleurement.

- Je crois que je comprends ce qu'il a vu... même si lui ne s'est sûrement même pas donné la peine d'y réfléchir.

Earl fit glisser ses jambes au bord du lit et frissonna lorsque ses pieds se posèrent sur le dallage. Il esquissa un mouvement pour se lever.

- Tu devrais dormir, maintenant.

... et oublier cette conversation. Cela vaudrait certainement mieux. Pour nous deux, et pour d'autres aussi.

Parce qu'il comptait quitter la chambre dans son état ? Et il pensait réellement que Fanaa allait le laisser partir sans rien dire et risquer de se faire gronder par Nuada le lendemain ? Mais jamais de la vie. Non non non.

- Je ne suis pas fatiguée.

Elle avait le coeur qui battait fort car, si elle était venue sans arrière pensée à la base, elle se rendait maintenant compte à quelle point cette nuit spéciale pouvait être précieuse si elle trouvait comment s'y prendre.
Ce n'était pas quelque chose qui se demandait et encore moins quelque chose que l'on prenait. Mais l'occasion était là. Il valait mieux tenter de la saisir.

- Demain tout sera revenu à la normale, sauf que tu seras plus gentil avec Nuada et que tu tireras les oreilles de Nuadi. Il en a besoin.

Elle posa ses mains sur les épaules d'Earl et le repoussa doucement en arrière pour le rallonger sur le lit. C'était quelque chose qui ne se demandait pas. Si elle lui expliquait, elle risquait juste de se faire rire au nez ou abandonnée là. Elle défit le noeud qui attachait son cours bustier derrière sa nuque et fit passer l'étoffe au-dessus de sa tête.

- Tu l'aimes peut-être tant que tu crains de le trahir en faisant cela, mais ce n'est pas le cas. Je ne te ferai pas de mal je te le promets.

Elle l'embrassa sur les épaules et dans le cou, sur les paupières. Peut-être éviterait-elle de l'embrasser sur la bouche pour éviter qu'il culpabilise. Sa poitrine ronde et douce était contre le torse du levitis. Autour de sa taille s'étendait encore la jupe de voilages rouges qui la faisait ressembler à une fleur.

Elle avait besoin qu'il s'ouvre et qu'il accepte. Elle le laisserait mener la danse si il faisait mine de le vouloir, il était du genre à vouloir mener et contrôler. Elle l'aiderait très discrètement, pour ne pas qu'il se sente diminué par ses blessures. Elle serait tendresse, patience et chaleur humaine.
Et lui sans le savoir il l'aiderait. Il effacerait le souvenir de Gavriel cette nuit-là. Sa dernière nuit avec un homme. Elle avait eu très peur, il lui avait fait mal ... alors qu'elle lui faisait confiance. Ce souvenir plus l'affreuse cicatrice sur son pubis, souvenir de la secte, si elle ne pouvait pas se faire un nouveau souvenir qui effacerait les autres, elle risquait de ne vraiment plus jamais avoir envie de ressortir du Ringèm. Et elle ferait des cauchemars. Et Svaär pourrait alors l'atteindre. Et c'était un moment qu'elle ne pouvait partager qu'avec un homme qui comptait pour elle et en qui elle avait confiance. Un inconnu, même gentil, même un des nomades, ça n'aurait pas été possible. Il n'y avait qu'Earl, elle le réalisait maintenant. Il n'y avait qu'Earl qui pouvait l'aider.

Mais si il partait ...

- Fanaa, non...

Pourquoi n'avait-il pas repoussé ce fichu bol peinturluré ? Pourquoi est-ce qu'il ne s'était pas au moins arrangé pour trouver un endroit où personne ne viendrait le chercher ?

Earl considérait généralement les "jeux de chambre" avec un intérêt assez détaché. Il n'avait rien contre les plaisirs de la chair, simplement... il se refusait toujours à perdre totalement le contrôle, ne serait-ce que pour un moment. Sans doute n'était-il pas un mauvais amant, mais il semblait toujours un peu froid, comme s'il songeait à autre chose. Il limitait ses coucheries à de rares et brèves aventures, s'arrangeant pour choisir des femmes qu'il ne recroiserait probablement jamais. Il avait bien assez à penser comme cela pour ne pas avoir à gérer des "complications féminines" par dessus le marché.
L'instinct ardent du désert grondait dans ses veines, mais il avait toujours réussi à le faire taire.

Il était sur le point de commettre une erreur.

D'un mouvement assez brusque, il renversa Fanaa en arrière et le cadre de bois délicat du lit émit un craquement de protestation. Le malheureux meuble n'était certes prévu pour ce genre de fantaisie.
Avec ce qui ressemblait fort à un grondement étouffé par l'épaisseur des boucles noires, Earl plongea le visage dans le cou de la jeune femme. On aurait presque pu croire qu'il voulait la dévorer, de la gorge à la poitrine.
Une de ses mains glissa le long de la hanche de Fanaa. Le geste manquait d'assurance. Au travers des bandages, il avait quelques difficultés à savoir ce qu'il faisait. Ses doigts glissèrent entre les pans de la jupe et il lui fit replier une jambe pour sentir la pression ferme et satinée de la cuisse contre son flanc.

Puis, avec un gémissement douloureux, il rompit tout contact et se rejeta contre le pied de lit. Le souffle court, le Lévitis renversa la tête en arrière. Des rigoles de sueurs lui brûlaient les yeux, le forçant à baisser les paupières.

- Stop. Ce n'est pas moi. Ce n'est pas moi, ce n'est pas moi...

Il ne cessait de le répéter à mi-voix, comme s'il tentait de se convaincre lui-même.
Au prix d'un bel effort, il parvint à calmer sa respiration puis, sans rouvrir les yeux :
- Tu devrais... tu devrais partir. Tu ne me dois rien. Alors tu n'as pas à te sentir obligée de me... tenir compagnie.

Earl avait été plus brusque qu'elle ne l'aurait cru pour un convalescent. Mais chacun avait sa façon de procéder. Il l'attira à lui avec une passion brutale pour, l'instant d'après, la rejeter et s'en éloigner le plus possible. L'inertie de Fanaa, qui se laissait faire pour mieux suivre le mouvement la renversa en arrière où elle se cogna la tête sur le montant du lit.

- Aïe!

Elle donna un coup de point sur la tête de lit et se refit mal, puis elle se mit debout sur le lit, tremblante de colère. De colère contre elle-même. Elle le regarda, eut envie de crier qu'il ne l'avait pas obligée. Mais pourquoi lui hurlerait-elle après ? Il n'avait rien fait de mal lui. C'était elle qui avait mal agi. Elle était stupide.

- Tu ne m'as pas obligée.

Elle alla pour descendre mais se prit les pieds dans sa longue jupe et dégringola au sol. Dire qu'elle était sensée être danseuse, elle était la honte des danseuses oui !

- Aïe, mais zut !

Elle ferma les yeux très fort à s'en faire mal puis se donna une giffle retentissante.

- Je suis désolée, j'ai tout gâché. Tu ne m'as pas obligé. Pourquoi l'aurais tu fait ? Je ne te plais même pas. Tu ne m'as pas obligée et personne ne m'obligera. C'est moi. C'est moi qui avais choisi. Sans penser à toi. C'est moche. J'ai voulu t'utiliser, je pensais que chacun de nous pourrait y trouver quelque chose. Tu as été gentil et moi ... j'ai voulu profiter de la situation. Je te demande pardon.

Sa joue la brûlait, c'était toujours le feu dans son ventre et dans son esprit, la détresse. En faisant ce qu'il avait fait, Gavriel l'avait souillée. Certes, son corps était loin d'être vierge, surtout après deux année à Fedoran. Mais son esprit ... elle faisait confiance. Pas à tout le monde et pas à n'importe qui. Elle avait fait confiance à Gavriel. Il était son frère et il s'était occupé d'elle après la mort de Syld. Lui et d'autres bien sûr mais lui avait décidé de prendre soin d'elle alors qu'ils ne se connaissaient même pas. C'était généreux. Mais fermer la porte à clé et lui mettre la main sur la bouche, ça ne l'était pas. Qui pouvait "passer" après celà ? Personne. C'était trop ... bizarre. Dégoûtant. Pauvre Earl si il savait à quoi il venait d'échapper ... il avait dû le sentir inconsciemment pour réagir de cette façon.

Elle avait caché son visage dans l'étoffe de sa jupe. Elle ne pleurait pas. Elle avait honte. Douloureusement honte. Elle pensait à la grossière cicatrice en forme de "H" sur son bas-ventre. Le signe de sa disgrâce.

Pauvre Earl.

Les bruits de heurts successifs parvinrent à faire rouvrir les yeux à Earl. Un rien abasourdi, il regarda Fanaa couronner cette série malheureuse d'une gifle qui claqua haut et clair. Il cilla puis leva une main dans un réflexe pour se forcer au silence... mais il n'y tint plus et éclata de rire. Il avait un rire un peu grave, chaud, terriblement masculin.

- Oh, heu...

Le Lévitis fit un effort monumental pour tenter de réfréner cette hilarité avant qu'elle ne puisse être mal interprétée.

- Je ne me moque pas de toi, c'est juste...

Il essuya les larmes de joie qui perlaient au coin de ses yeux, prit une inspiration, puis se laissa finalement retomber en travers du lit pour rire à son aise.

- C-c'est juste que... ç-ça a fait "bing, poc, svlam, clac"... D-désolé, je me sens comme on doit se sentir après juste quelques verres... sauf que jusqu'ici j'ai toujours eu tendance à passer directement de "normal" à... heu... je ne sais pas quoi. Ah... aha... pfui...

Haletant, il détourna les yeux du plafond pour dévisager Fanaa. Il secoua lentement la tête sur les minces draps froissés.

- Je suis méchant, je te fais pleurer, je suis gentil -enfin, juste un moment, selon toi-, et tu as envie de pleurer. Viens là.

Sans changer de position il tendit une main dans le vide, à peu près dans la direction où devait se trouver la jeune femme. Il faisait à présent très sombre, hors des plages de lumière pâle projetées par les lunes et les étoiles sur le dallage.

- Après tout qu'importe si je ne me sens pas vraiment moi-même cette nuit. Earl Adennon est officiellement mort et enterré. Du moins il le devrait.

Fanaa dressa une oreille plus que surprise lorsqu'un son des plus inattendus résonna dans la chambre. Earl ... riait ! Cela coupa net ses réflexions emplies de regret. Elle retint son souffle pour voir si un tel instant pouvait durer, si il n'était pas accidentel, si Earl n'était pas en train de s'étouffer peut-être ? Mais non.

Même sa voix, lorsqu'il parla, avait un timbre joyeux que Fanaa ne lui avait jamais entendu ! Sa joie était franche, directe, simple, communicative.

Elle ne songea pas un instant qu'il ait pu se moquer d'elle, mais comme elle s'était plutôt attendue à ce que l'atmosphère soit totalement brisée ... alors qu'au final elle s'était d'un seul coup réchauffée, adoucie, comme par magie ... Fanaa n'osa pas bouger de peur de gâcher l'instant. Et lorsqu'il l'appela, elle regarda la main tendue, sentit ses yeux la picoter et fut rassurée qu'il ne puisse la distinguer dans le noir. Elle saisit la main et se glissa sur le lit pour se pelotonner tout contre le levitis. Dans ses bras.
Ses joues étaient toutes roses, elle était bien et en effet, Earl Adennon n'était pas là, oh non. Elle était avec quelqu'un d'autre. Avec Nereyn ? Et Nereyn ... était touchant et chaleureux. Et simple. Elle mit sa main à son oreille pour lui chuchoter :

- En fait je suis une petite fontaine, c'est mon secret. Maintenant tu sais pourquoi j'ai toute cette eau dans les yeux! Mais je ne pleure plus, là. Tout va bien !

Toute tension était retombée. Il avait suffit de l'hilarité d'Earl et même Fanaa n'arrivait plus à s'inquiéter, à se prendre la tête, à réfléchir trop. Le rire avait un pouvoir. Nereyn avait un pouvoir.

Elle moucheta son visage de petits bisoux.

- Tu es beau. Tu es si beau quand tu ris. Ris encore !

Elle se demanda si il était chatouilleux, lui titilla les côtes pour voir, eut peur de lui faire mal, posa sa main sur la joue d'Earl, échangea un regard avec lui, puis lui offrit un baiser. Un vrai. Qui mêlait les souffles. Qui transmit à Earl une vague d'elixia brute et "lumineuse". Le courant n'était ni aussi bouillonnant ni aussi sauvage que lorsque c'était Syld qui le recevait, mais il était assez présent pour ne pas passer inaperçu pour un mage, un clerc, ou quiconque avait l'habitude de manier l'elixia. Fanaa était une fontaine de larmes autant que d'énergie magique.
Elle se sentait bien, elle était à l'abri dans des bras au teint doré, lors d'une nuit d'équilibre naturel parfait.

c'était doux, c'était bon, elle donnait, elle offrait, et cela lui faisait du bien. De plus elle recevait en retour et ça ... cela c'était bouleversant.

- Holà...

Earl avait bien senti la vague d'elixia. Et, l'espace d'une seconde, il avait compris ce qui avait "rechargé" ainsi l'énergie vitale de Syld lors du périple à Faélanir.

Du coin de l'oeil, il vit comme une étincelle bleuâtre moucheter l'obscurité au bout de ses doigts meurtris.

Puis il perçut autre chose, de plus inattendu et très légèrement embarrassant. Ah, pas étonnant que ce fichu suceur d'elixia de Syld apprécie autant de lui sauter dessus... Foutu dépravé...

- Hum, Fanaa ? J'ai bien peur que... ahem... qu'il y ait eu un... effet secondaire.

Lui aussi était soudain heureux qu'il fasse aussi sombre. Cela lui évitait d'offrir aux regards un radieux teint couleur pivoine. Il avait peut-être décidé de lâcher la bride à son côté fédorien, mais sa réserve typiquement lévitis en prenait beaucoup pour son grade.

- Un effet secondaire...

Sa voix se réduisit à un murmure encore à demi rieur et penaud. Bon sang, c'était juste de l'elixia ! Il avait vraiment été clerc ou quoi ?

- ... localisé au-dessous de la ceinture.

La forêt ! Le forêt de Terna ! Les grands arbres qui transformaient le ciel en petites tâches d'azur là-haut entre les feuillages, les touffes d'herbes, la mousse, les odeurs ... Il était de retour chez lui ! Fou de joie, Khamsin bondit comme une flèche de fourrure dorée entre les arbres, puis revint, repartit, revint encore et se roula sur le dos, se tortillant dans tous les sens. Ah que c'était bon ! Qu'il était bon d'être de retour dans sa forêt !

Il y avait quelqu'un? Quelqu'un ? Oh oui ! Quelqu'un qui avait les cheveux comme ceux de Fanaa mais le parfum et l'odeur de la forêt. Khamsin bondit vers la femme aux cheveux noirs qui chantaient les secrets des arbres et du vent.

Le gros louloup se mit sur ses pattes arrière et gigota des pattes avant.

*Qui es tu ? Qui es tu dis ?*

Il prit appui sur elle et la déséquilibra. Ce n'était pas méchant, il était juste plus costaud qu'elle.

*je t'ai eue !!!* lança-t-il tout heureux.

Il n'était pas très sauvage pour un loup. Il était peut-être une honte pour les loups avec ses manière de grand chiot. Mais il était tellement sympathique !

Mellyna ne put qu'éclater de rire devant ce Valaë au comportement si surprenant. Elle ne s'était pas attendu à une réaction aussi amicale, surtout de la part d'un animal blessé. Tant mieux, cela lui ferait gagner du temps dans la guérison si le loup avait un bon état d'esprit.
Eleïr'l, s'était joint au rêve, mais en sécurité en haut d'un arbre, et manifestait sa désapprobation par des sifflements.

-Si tu pouvais te relever, tu m'écrases...
Fit-elle toujours secouée par une crise de fou rire. Elle se releva tant bien que mal, reprit son souffle avant de continuer.
Je m'appelle Mellyna. Tu as un nom ?

Le vent continuait de souffler dans le bon sens, on pouvait apercevoir les nuages de la douleur à l'horizon mais pour l'instant le chant de la dédrane les maintenait loin de la scène.

Le Valaë léchouilla le visage de Mellyna puis s'assit sur son derrière.

*Je m'appelle Khamsin.*

L'instant d'après il bondissait en rond autour de la dédrane, se mettait sur ses pattes postérieures et lui faisait la fête.

*Tu es belle Mellyna, tu es belle comme la forêt ! Et tu as le parfum de la gentillesse, comme l'humaine que l'on m'a donnée.*

Il leva la tête à la recherche des sifflements et, repérant l'arbre qui les produisait, il se détourna de la dédrane pour tenter d'escalader le tronc en sautant.

*Un écailleux ! Je vais te l'attraper Mellyna, on pourra jouer avec ! Viens par là toi ! Viens écailleux, voyons si tu cous vite!*

Il n'y avait rien de méchant dans ses paroles. Khamsin était juste un jeune loup tout fou qui avait très envie de jouer avec sa nouvelle amie.

Fanaa s'immobilisa, inquiéte.

- Un souci ?

Est-ce qu'elle avait fait dégonfler l'oiseau par inadvertance ? Est-ce qu'elle lui avait fait mal ? Est-ce que ...

- Fais voir ? Et mais ... mais wahou ! Oh - Depuis le début de la nuit elle avait envie de lui demander comment il préférait qu'il l'appelait mais n'avait toujours pas osé. Elle avait chaque fois envie de dire Earl car ne réussissait pas à l'appeler Nereyn. Elle n'osait pas en fait. - Mais qu'est-ce que ça fait plaisir de te voir comme ça !

Les yeux de Fanaa pétillaient. C'était vraiment très bon signe pour lui niveau santé ! Il allait donc mieux ! Elle serra Earl dans ses bras.

- Je suis si contente pour toi !

Puis en se reculant elle ajouta en souriant :

- Et je dois dire que pour moi c'est un sacré compliment ! Je suis honorée de tant d'attention, merci !

Fanaa hésita mais décida de lui laisser son pantalon pour le moment. Ce serait plus amusant de le faire patienter un peu. Se réinstallant à califourchon sur son bassin, elle se colla à lui, du pubis à la poitrine puis l'embrassa de nouveau et commença d'onduler des hanches.

- Humpf, c'est si inattendu que cela de ma part ?

Un tout petit froncement de sourcil bien lévitis. Eh quoi, on aurait dit la réaction d'une mère face à son rejeton venant d'articuler son premier "areuh" victorieux ! Il n'avait quand même pas l'air froid à ce point, si ?

Earl se garda bien d'avouer que les charmes de la belle n'avaient pas encore eu le temps de faire effet et n'y étaient sans doute pas pour grand chose. Il fit mine de toussoter pour dissimuler son trouble. Toussotement factice qui manqua le faire s'étrangler pour de bon quand Fanaa décida de poursuivre son manège.

Il n'avait guère l'habitude de se faire mener par la bride, mais de légers élancements dans les bras semblaient vouloir lui signaler que ses muscles fragilisés par le changement refuseraient de supporter tout effort un peu trop brusque.
Le Lévitis reposa donc sagement les mains.
Fulminer ou ne pas tenir compte des avertissements qui secouaient ses nerfs engourdis n'arrangerait rien.
Ah, mais il détestait rester inactif !

Se mordant légèrement la langue pour ne pas risquer une grimace mal maîtrisée, il passa un bras possessif autour de la taille de la jeune femme pour la plaquer d'avantage contre lui. Il reprit sa bouche en un baiser un rien dominateur qui faisait très "mon capitaine". Un petit sourire restait malgré tout accroché au coin de ses lèvres.

- Prends garde à ne pas me taquiner trop longtemps... Tu devrais savoir que je peux mordre.

- Oh ... oui bien sûr, excuse moi.

Zut! Elle pensait tellement au côté amusant, qu'elle en oubliait que le premier concerné était en attente de quelque chose maintenant qu'elle avait lancé la machine. L'affaire n'était pas un jeu. Enfin pas seulement. Elle tendit le bras et à tâtons défit le lien du pantalon puis le fit glisser de la main et enfin des pieds tandis qu'Earl se contorsionnait pour lui faciliter la tâche. Elle eut envie de rire, elle avait envie de s'amuser de la situation, de ne pas se prendre au sérieux ... mais il en fallait tout de même un peu. Surtout qu'il faisait cela pour elle alors c'était bien la moindre des choses que de le mener à y trouver son compte. Il la maintenait d'un bras contre lui et, sans lui échapper, elle se glissa à son côté et laissa descendre sa main vers l'oiseau gonflé d'énergie qui ne demandait qu'à décoller. Du bout des doigts d'abord elle l'effleura, dessus, dessous, au bout, puis en douceur elle l'enveloppa de sa main. Elle resta un demi-instant sans bouger, pour qu'il sache qu'elle était une amie, puis sur un rythme d'abord lent elle commença de lui montrer comment s'envoler, puis elle accéléra, doucement, en crescendo, en resserrant légèrement sa pression sur la base pour ensuite remonter...

Plus haut, Fanaa ne restait pas inactive avec son autre main qui se perdait dans les cheveux blancs et sa bouche qui s'en allait mordiller le lobe de l'oreille du levitis. Aux aguets, elle restait à l'écoute du rythme de la respiration et du coeur du clerc pour intensifier ses mouvements au moment opportun et définir ce qui lui ferai le meilleur effet.

Les lèvres entrouvertes sur un halètement brûlant, les yeux clos, Earl posa sa main libre au creux de la taille de Fanaa et la fit glisser vers la hanche. Un bref spasme incontrôlé crispa douloureusement ses doigts qui glissèrent maladroitement sur le côté.
Les cils pâles se relevèrent et une lueur de colère traversa les yeux d'or.

Comme si de rien n'était, Earl ramena sa main vers le visage de Fanaa niché contre son cou. Il écarta les mèches brunes qui retombaient sur ses joues puis examina la petite bosse qui s'était formée en arrière de la tempe, un peu au dessus de l'oreille. Finalement, le bois du lit n'était pas si fragile...

- Dommage... avant j'aurais pu arranger ça.

Le Lévitis laissa retomber les boucles noires et sa main au bord de la couche. Avec un soupir, il se laissa aller contre les minces oreillers chamarrés. Les muscles de ses épaules consentirent enfin à se détendre. La joue contre la taie de soie brillante, il referma les yeux puis son souffle se suspendit quelques délicieux instants. L'ex-clerc avala sa salive avant de laisser échapper un gémissement rauque.
De fait, Fanaa savait comment s'y prendre.
A tâtons, la main restée posée aux creux des reins de la jeune femme flatta l'arrondi d'une fesse avant d'effleurer l'intérieur d'une cuisse, se faisant aussi légère que possible pour atténuer le frottement un peu rugueux des bandages. Ah, aux démons ce fameux "changement" ou quoi que ce soit ! Que n'avait-il pu conserver ne serait-ce qu'un semblant de sens du toucher pour quelques heures de plus !

Sans qu'il y prenne garde, chaque geste supplémentaire et chaque constat de son handicap imprévu venait perturber sa respiration.
Il avait l'impression d'avoir des fers invisibles serrés à chaque poignet, des fers qui pesaient lourd et qui engourdissaient ses doigts, et il avait de plus en plus de mal à supporter ça...
Ah, ce n'était pas le meilleur moment pour songer à ce genre de chose.

Tâchant de retrouver un souffle régulier et de se concentrer sur les sensations qu'il avait au lieu de celles qu'il n'avait pas, il tourna d'avantage la tête et mordit dans le tissu des oreillers. Un mince filet de sueur glissa sur son torse, sans que la fièvre ou la chaleur ambiante y soit pour quelque chose.

- Ah...

Fanaa appréciait qu'il tente de participer, même si elle le sentait peu assuré. C'était encore une gentillesse de sa part. Le contact des bandages était certes étrange, mais pas vraiment douloureux, et elle le plaignit de ne pouvoir rien sentir au bout des doigts. Cela diminuait sûrement son plaisir et expliquai pourquoi il plaçait tout de même quelques mots. Entre deux soupirs, il trouvait le temps de penser à autre chose, il s'ennuyait. Oulala ça n'allait pas du tout, il n'était plus question de le frustrer mais bien d'assurer pour qu'il ne regrette rien. Comment l'empêcher de laisser vagabonder son esprit, comment être sure d'accaparer toute son attention ? Il était temps de passer à la vitesse supérieure.

Elle lâcha son oreille pour prendre de nouveau ses lèvres et demander, en haletant :

- Tout ... va bien ... Nereyn ? Tu es ... sûr ? Tu me dirais ... hein ? Tu peux tout me dire ...

Elle partagea encore un souffle avec lui puis entreprit de le parcourir à reculons et de le couvrir de tendresse en descendant plus bas, plus bas, encore plus bas et de se mettre à réchauffer l'oiseau avec beaucoup plus d'intensité qu'elle ne l'avait fait jusque là, l'aidant à grimper de plus en plus haut ...

Earl parvint à souffler d'une voix rauque :

- Ca va...

Arrêter de penser était un exercice plus compliqué que prévu. Même après avoir essayé de s'embrumer l'esprit autant que possible, il continuait à...
Ah, rah, suffit !

Le Lévitis se mordit la lèvre inférieure pour étouffer un rauquement de plaisir peu discret. Se redressant sur les coudes, il regarda Fanaa s'installer. Entre les cils de neige, une lueur fauve et affamée scintillait. Les muscles de son dos se tendirent, roulant sous le lacis des cicatrices et des pansements assombris par la sueur.

- Gnn... ah... aha...

Earl se passa un bout de langue sur les lèvres, la tête renversée en arrière. Les bras sur lesquels il s'appuyaient commençaient à trembler. Alors, d'une détente vigoureuse, il finit de se redresser, assis sur le lit, les longues jambes de la danseuse resserrées autour des hanches. Il la fit se cambrer en arrière, appréciant la courbe soyeuse d'un sein du bout la langue. Faisant sauter une ou deux breloques dorées sur le dallage, la jupe se détacha de la taille de Fanaa et disparut, jetée dans un coin d'obscurité par une main peut-être imprécise mais non moins impatiente.

Pouf ! Le dragon avait disparu dans l'instant quand le loup avait décidé de le prendre en chasse. Le caractère fougueux du chiot ne lui convenait décidément pas.
Mellyna s'en accommodait très bien, Eleïr'l n'était pas obligé de le supporter. Et c'était quoi ces manières, il n'avait pas à toucher son âme sœur, même en rêve ! Quand il ferait cinq mètres et serait plus costaud, aucun mâle ne lui arriverait à la cheville et il serait le seul à pouvoir la toucher ! La colère l'avait déconcentré et il s'était exclu du songe qu'ils partageaient tous les trois.

-Tu l'as vexé, le ton de Mellyna était empreint d'amour maternel, ce n'est pas un écailleux, ni un jouet, c'est un dragon. Ils sont pétris d'orgueil, encore plus que les mâles humains. Il n'est pas méchant, c'est son caractère...
Mais nous pouvons jouer tous les deux si tu veux.

Elle se releva d'un bon, et se mit à courir entre les arbres. Elle vérifia que le Valaë la suivait et accéléra le pas. Le vent emportait ses cheveux en de longue vagues noires, les branches ne la touchait même pas. Elle eut la sensation de voler.
Le chant les enveloppait, ils couraient en rythme avec la musique, parfait. Elle avait son nom, visiblement il lui faisait confiance et la suivait. Elle accéléra leur course, la guérison suivait. Mellyna ne pouvait expliquer ni le comment, ni le pourquoi mais cela fonctionnait, elle le sentait dans son propre corps.
La dédrane en était peut-être trop consciente, cela lui rappela un mauvais souvenir, elle l'effaça d'un revers de main, ce n'était pas le moment de ressasser le passé.

Le loup avait de la fièvre, elle le guida à l'endroit où les eaux calmes du lac Fanheir les attendaient. Mellyna ne s'arrêta pas, elle profita de son élan pour sauter d'un abord rocheux en un plongeon parfait dans la fraicheur liquide. La surface du lac se troubla à peine, elle refit surface et fit signe à Khamsin pour qu'il la rejoigne. Cela ferait descendre la température.

Tout heureux, Khamsin avait suivi Mellyna. Il l'aimait déjà ! tant pis si le dragon ne voulait pas jouer. Bon c'était dommage, ça aurait été bien d'avoir un copain. Lyrev se moquait de lui plus qu'autre chose, Kraa parlait peu, et Syrven était trop sérieux. Seul Talisham était chouette ! Mais il n'était pas revenu depuis longtemps et il manquait à Khamsin.

Il courut avec la dédrane mais la forêt lui sembla étrange. Lorsqu'elle plongea dans l'eau, lui s'arrêta, huma l'air et tendit l'oreille. Il n'entendit personne. Aucune bête, aucun oiseau, ni valaë, ni deux-pattes. Personne.

Alors il s'assit, leva le museau et hurla un coup, puis s'allongea, le museau entre les pattes et les oreilles baissées. Il avait l'air tout triste.

*Mellyna, j'ai fermé les yeux pour toujours c'est ça ? Et tu es un ange qui m'accompagne à la dernière lumière ?*

Il gémit tristement.

*Ces nuages ne sont pas rassurants.*

Mellyna revint en nageant vers lui. Elle sortit de l'eau dégoulinante et vint passer ses bras autour de la fourrure chaude.

-Ne t'inquiètes pas tu n'es pas mort et je suis loin d'être un ange.
Tu es gravement blessé, Thani et moi sommes en train de te soigner au moment où je te parle.
J'ai créé ce lieu pour empêcher ton esprit de partir loin de ton corps et de se perdre. La Forêt est un souvenir que nous avons en commun c'est pour cela que j'utilise le chant. Mais je n'ai pas assez de pouvoir alors il n'est pas parfait.

Elle lui sourit tristement, les regrets pouvaient se lire dans ses grands yeux turquoises.

-Je fais de mon mieux tu sais... Et Thani aussi... Même Eleïr'l nous assiste.
Je ne peux pas te promettre de te sauver mais je ferai tout pour.
Je voudrais faire baisser ta fièvre, peux-tu entrer dans l'eau ?

La dédrane vit le loup emplit d'inquiétude regarder une nouvelle fois les nuages.

-Je les tiendrais éloignés de toi, il faut que tu me fasses confiance pour que la magie reste puissante sinon je consommerais trop d'énergie et ne pourrais pas te garder longtemps ici.