Nolad - plaines

- Elle te rappelle ... D'accord ... Et je suppose que tu es obligée d'y aller ?

Fanaa ne se rappelait que trop de la crise de larmes de la Dedran ainsi que de ses mots ce jour-là. Elle avait peur. Non pire : Mellyna était terrorisée à l'idée de ce qui pourrait se passer avec ses forêt et des sentiments que cela pourrait entraîner par la suite. Alors si elle décidait de faire la route c'était qu'il y avait une raison. Une raison sérieuse.

- Est-ce que tu as un temps limité pour t'y rendre ? Je respecte les secrets, mais je crois que ce genre d'information est importante à partager.

Sa gorge se serra. Elle n'aimait pas mentir et surtout trahir la confiance de l'adorable danseuse. Elle fit "oui" de la tête à la première question.
Non, ce n'était pas le moment de se remettre à pleurer, pas question. Pas alors qu'elle faisait cela pour ne pas inquiéter son amie.

- Il ne faudrait pas trop trainer, mais je n'ai pas de durée déterminée.

Cela en revanche c'était vrai. De combien de temps disposait-elle ? Mieux valait ne pas y penser. Mellyna décida que ce sujet était clos.

-Et donc, tu voulais notre avis sur quel sujet ?

Kyara regardait l'échange entre les deux femmes sans intervenir, de toute façon elle ne savait pas quoi dire... Elle avait retrouvé Fanaa et avait fait une promesse à son Maitre, il y a fort lointain maintenant, mais... Même si la musicienne savait qu'elle ne pourrait jamais la tenir, elle avait décidé qu'elle protégerait la danseuse et qu'elle la ferrait danser !

Elle porta son regard sur le petit dragon, elle l'avait remarqué mais ne c'était pas vraiment attardé dessus jusque là. Elle n'y connaissait pas grand chose... Elle savait juste que les dragons étaient un animal noble, souvent têtu et susceptible... D'un coup, elle pensa que Earl était un dragon... Vu comment il réagissait avec tout le monde... En y regardant bien, il avait aussi le regard du serpent.

On vit Kyara s'agiter tout d'un coup, elle fouilla dans son sac en sortit un morceau de bois (oui oui elle se balade toujours avec un morceau de bois ! ) assez gros pour y sculpter quelque chose, et son couteau. On la vit s'attaquer au bois rapidement, des copeaux volaient presque dans tous les sens tellement la violoniste y allait rapidement. Elle s’arrêta quelques secondes pour souffler les copeaux qui restait accrocher à l'ébauche de sculpture puis ré-attaqua le bois, pendant que les demoiselles finissaient leur discussion, enfin jusqu'à la dernière question de Mellyna, elle sculpta un joli dragon, trait pour trait celui de la dédrane.

- Tient ! J'espère qu'il te plaira, dit la shalos en le mettant sur la table en face du dragonnet

Fanaa prit mentalement note qu'il y avait déjà 3 personnes du groupe à escorter au Ternaël. Elle espérait que cette terre au carctère sacré apporterait à chacun ce qu'il venait y chercher. Mais si les cas d'Adweliwen et de Kyara n'étaient pas affolant -elles avaient envie d'y aller mais cela semblait pour une raison douce qui les excitait ou les apaisait - tandis que Melly, qui avait un lien plus sérieux avec l'a forêt, y allait par obligation.

- Oh ... laisse Melly, ce n'est pas très important.

Elle se troubla.

- Enfin je veux dire ... si, ça l'est ... mais seulement pour moi. Ce n'est pas un cas d'urgence, il vaut mieux attendre. Et s'occuper de vous.

La Danseuse termina son thé. Il était froid.

- Tu as assez mangé ? Je vais voir ce qu'on peut acheter comme provisions et il va falloir repartir. Enfin quand tu te sentiras prête bien sûr. Ooooooooh ! Une sculpture de Monsieur Poussin, tu as vu ? Et ... oh !

Elle se rappela soudain qu'elle portait encore la pierre de soleil alors elle la détacha, seleva, fit le tour de la table et la remit autour du cou de la Dedrane, après quoi elle passa ses bras autour des épaules de son amis et posa le haut de sa tête contre l'arrière du crâne de la Gardienne. La jeune fille faillit dire quelque chose mais finalement garda les lèvres closes.

-Mais c'est important même si ce n'est que pour toi ! Bougonna la dédrane, sans succès, Fanaa était déjà partie sur autre chose.

La pierre lui fit le même effet bénéfique que la dernière fois. En quelques secondes, elle se sentait déjà mieux et la douleur qu'elle ressentait à la poitrine s'apaisa légèrement.

-Merci.

Mellyna porta son regard sur la sculpture de Kyara, le dragonnet l'ignorait superbement et léchait le jus de viande restant dans son assiette.

-Il est magnifique Kyara, tu as un vrai talent. Excuse le, à part la sieste et la nourriture, il n'y a pas grand chose qui l'intéresse.

Elle porta machinalement la main au collier. La pierre irradiait une douce chaleur. Elle retira sa main quand le lézard, qui avait maintenant tout fini, vint s'enrouler autour de son cou pour puiser de lui-même la magie de la pierre. La gardienne regarda par la fenêtre, le soleil avait disparu derrière l'horizon.

-Repartir de nuit ? Soit. Vous avez de quoi éclairer la route pour les chevaux ? Il ne faudrait pas qu'ils se blessent en marchant dans une ornière.
Je viens avec toi Fanaa, j'ai quelques plantes à acheter.

Elle jeta un coup d'oeil à son assiette vide. Le lévitis n'était pas descendu manger, bien entendu.

-En revanche, il faut que je remonte récupérer mes affaires et prévenir Earl. Tu ne veux pas lui parler avant de partir ?

- De la lumière ? Non j'avoue que je n'y ai pas pensé. La nuit dernière était claire, je pense donc que parcourir les plaines, qui sont un endroit à découvert ne devrait pas être difficile pour les montures.

Fanaa saisit une mèche blanche entre deux doigts et joua avec pensivement. Elle savait ce qu'elle souhaitait pour elle-même mais son rêve lui semblait terriblement hors d'atteinte. Et quand bien même, ce rêve n'avait pas priorité sur les urgences de ses amies, ce n'était qu'un rêve après tout. Rien de tangible. Et pourtant ...

- Je vais monter avec toi. Je lui ai dit qu'il devait être sûr de lui si il voulait venir et il a été très bougon en réponse. Il a sauté sur l'occasion pour dire qu'il ne voulait plus venir, je crois que ça l'arrangeait. Mais au cas où il aurait réfléchi entre temps ... sait-on jamais. Après avoir pesé le pour et le contre il aura peut-être pris une décision calmement ?
Kyara, je reviens. Sauf si tu veux venir bien sûr.

La Danseuse emboîta le pas à la Dedrane et, dans les escaliers, elle attrapa un bout de sa chemise d'homme du bout des doigts. Elle baissa les yeux et la voix.

- Si il lui arrive quelque chose, non seulement je me sentirai coupable et serai malheureuse comme les pierres, mais aussi ... il y a toujours la menace Ridelgald. Son espèce de tueur à gages me retrouvera dans tout Adreis pour me trancher la gorge. Il me terrorise. C'est l'autre raison pour laquelle j'hésite à faire venir Earl malgré que j'aie très envie qu'il m'accompagne. J'ai fait confiance à cet homme mais il s'est joué de moi et pour finir il s'est conduit comme une brute. Il est très loyal à Earl et ça s'est bien. Mais ... mais ... enfin à moi il me fait très peur ...

Mellyna s'était saisie d'une petite assiette de légumes et d'un pain tiède qu'elle avait mis de côté pour le lévitis. Elle s'arrêta à temps pour ne rien faire tomber quand elle sentit la danseuse la retenir par la chemise. Elle ne se retourna pas et lui répondit à voix basse, elle aussi :

-Mais Ridelgald n'est pas là. Earl est parti avec toi et l'a laissé au temple. Sauf si tu tues Earl de tes mains je ne pense pas qu'il serait du genre à rejeter sa faute sur les autres, si ?

Son regard se fit dur et acéré :

-J'espère pour lui que la dernière fois était un accident, parce que s'il recommence, il aura à faire à moi.
Même si je comprends qu'il t'impressionne, tu ne devrais pas le laisser perturber ta relation avec Earl. Demande à Earl de lui donner des consignes et il devrait te ficher la paix, non ?

Fanaa ne précisa pas que c'était un accident, ni le fait qu'Earl n'y avait rien trouvé à redire, ni avant, ni après. Que ce soit Sabu ou Ridelgald, ou n'importe qui, pour Earl elle passait toujours après. Toujours.

*Arrête de penser à ça, tu vas te décourager.*

- Je ne suis pas sure qu'Earl soit quelqu'un à qui on demande des choses mais je ne demande qu'à me tromper.

Elle se gratta la nuque puis sourit, il fallait se reprendre.

*Pense à Nereyn.*

Se mettant à sautiller, la Danseuse dépassa la Dedrane pour aller toquer à la porte puis l'ouvrit et entra sans attendre d'y être invitée.

- Earl, Mellyna t'a apporté à manger ! lança-t-elle gaiement.

- Il me semblait avoir dit que je n'avais pas faim, rétorqua l'occupant des lieux d'un ton rogue.

Il considéra avec dépit la lettre qu'il avait raturée, surpris par cette irruption, puis froissa le feuillet avant de se tourner vers la porte.

- Quoi encore ?

Fanaa eut une moue et se retint de soupirer.

- Oh non ... tu es encore de mauvais poil ...

La jeune fille se rapprocha, les mains dans le dos. Elle se rapprocha garda tout de même une distance de sécurité.

- A moins qu'on n'invente l'expression de "mauvaise écaille" juste pour toi ? Il me semble avoir compris que pour Mellyna ce n'est pas une histoire de faim mais de besoins physiologiques. Pour tenir le coup, tu dois manger, c'est aussi simple que ça. Je suis sure que ton incessante colère doit brûler beaucoup de ton énergie !

Elle l'observait, le caressait du regard, le dévorait des yeux. Elle l'apprenait par coeur. La tension générale de tous ses muscles, la crispation de sa mâchoire, la légère pâleur de son teint due à cet énervement ... même la couleur de ses écailles en pâtissaient, se matifiant et ressemblant plus à du métal qu'à .... ben ... qu'à des écailles en fait.

- Très bien, alors remplaçons le "je n'ai pas faim" par "je n'ai ni l'envie ni les capacités d'avaler quoi que ce soit pour le moment, merci". Sans doute que quelque chose m'est resté en travers de la gorge.

Earl fixa Fanaa avec froideur.

- Et on se demande bien pourquoi.

Il se retourna vers la table et fit glisser une nouvelle feuille devant lui.

- Je peux savoir ce que tu me veux, à défaut d'avoir la paix ? En moins de dix mots, de préférence. Je crains de ne pas avoir suffisamment de patience pour en endurer d'avantage.

Fanaa sourit, le coeur battant à tout rompre.

- A dire vrai ce que je voudrais c'est t'épouser et avoir le bonheur de vivre à tes côtés mais c'est un peu tôt pour te demander une chose pareille. Alors je me contente de te demander si tu as pris une décision ... hum ... calme pour ce que je t'ai demandé ? Mais je devine que c'est un peu tôt puisque tu bous de colère et de rancoeur ...

Elle secoua la tête, un peu triste, mais ne voulut pas se laisser décourager. Franchissant les quelques pas qui les séparaient encore, elle posa une main légère sur son épaule.

- Arrête ... s'il te plait ...

- Tu ne m'as rien demandé. La seule question que tu m'aies posée concernait ma cheville. Je suis parfaitement en mesure de te répéter ton fatras de paroles au mot près, si tu n'es pas convaincue.

Le jeune homme repoussa la main posée sur son épaule sans lui accorder un regard.

- Mais toi tu as largement dépassé les dix mots accordés.

Mellyna s'était faite toute petite dans un coin pour les laisser parler en paix. Mais comme cela était reparti pour dégénérer, elle se décida à intervenir. Elle s'approcha d'eux, posa la petite assiette de légumes et s'assit sur un coin du bureau.

- Earl, je vais devoir accompagner les filles en Ternael. J'ai des affaires, euh, imprévues qui m'y appellent.
Ce que Fanaa veut dire c'est qu'elle aimerait bien que vous nous accompagniez là-bas. Elle a juste peur qu'il vous arrive quelque chose de plus grave en chemin.

Elle chercha le regard danseuse guettant son assentiment et l'assurant de son soutien avant de revenir au lévitis.

- Je suis désolée de ne pas vous accompagner si vous décidez de repartir au temple. Je vous prie de croire que je n'ai pas vraiment le choix...

Fanaa cilla et baissa les yeux. Soudainement, elle se sentait un peu mal à l'aise.

- C'est tout à fait ça. J'ai essayé de te le dire ... mais je ne suis pas douée lorsqu'il s'agit de me faire entendre de toi ...

Earl acquiesça simplement lorsque Mellyna lui fit part de ses projets. Mais le reste lui tira une moue.

- Si c'est ce que désirait Fanaa, Fanaa a en effet de très sérieux problèmes pour s'exprimer.

Il se décida à relever les yeux vers l'intéressée.

- Vois-tu, cela me semblait évident, mais depuis le début, d'un point de vue strictement personnel, je n'en ai rien à carrer de l'objectif final de cette expédition. Ma raison de venir, c'était toi, point à la ligne. Et, pardon de devoir le rappeler, mais j'ai suffisamment d'expérience pour avoir mesuré les risques depuis le début. En passant, nul besoin de se mettre volontairement dans une situation dangereuse pour rencontrer une fin brutale. Camper dans des plaines relativement sûres comparées au reste d'Adreis peut tout à fait suffire.

Il haussa les épaules.

- Peut-être que l'accident de la nuit dernière fut une révélation à ce sujet pour toi, mais pas pour moi. Alors quoi ? Explique-moi ton raisonnement. Puisque je n'avais aucune traître raison de changer d'avis, dis-moi comment je suis censé interpréter un "tu peux faire demi-tour si tu veux", de la part de quelqu'un qui jusqu'ici s'est raccroché à ma personne comme un naufragé s'agrippe à un bout de planche ?

Son coeur manqua un battement.

- C'est vrai ? demanda-t-elle en ouvrant de grands yeux. C'est vraiment vrai ? Pour moi ?

Elle cacha sa bouche derrière ses deux mains sans cesser de le fixer d'un regard incrédule et fit un pas en arrière, puis en avant. Il avait dit que c'était pour elle, il l'avait dit ! Il l'avait dit, hein ?

*Pour moi. D'accord il le dit au passé mais ça veut dire qu'il a fait quelque chose pour moi ! Pour moi ! Earl a fait quelque chose pour moi !*

Se sentant bizarre, trop sensible aux émotions intenses, Fanaa s'assit au sol puis releva la tête.

- Je ne voulais pas être égoïste.

*Essaie d'être claire, essaie de faire comprendre ta logique, fais un effort !*

- Moi ce que je voulais c'était te garder pas trop loin et avoir la compagnie de Mellyna aussi. Mais tu ne peux pas avoir oublié sa détresse. Elle n'avait pas envie de venir et si elle l'a fait c'est pour te suivre toi. Alors j'étais déjà un peu inquiète à son sujet mais avec ce qui s'est passé la nuit dernière j'ai eu l'impression qu'il ne pourrait se passer que des malheurs et je voulais limiter le nombre de personnes qui prendrait des risques. A commencer par Mellyna qui était terrorisée à l'idée de rentrer, et puis toi parce que j'aimerais qu'il ne t'arrive rien. Or, Mellyna étant là pour toi, si je te décidais à faire demi-tour, il me semblait évident qu'elle te suivrait et que je ferais d'une pierre deux coups. Et puis aussi ...

Elle baissa le nez.

- Toi et elle ... j'ai cru qu'il y avait quelque chose et que tu venais pour Mellyna. Alors j'ai pensé que plutôt que de lutter égoïstement, il aurait été mieux pour vous que je bénisse votre union. Car ce qui compte c'est le bonheur, quel qu'il soit. Votre bonheur. Je n'aurais jamais osé t'en parler directement parce que ... et j'ai ... mal ... visiblement ... interprété les choses. Ca m'a fait peur, j'étais jalouse et j'ai voulu résister, réagir au mieux. J'ai voulu vous laisser vous aimer éloignés du danger vers lequel je me dirige.
C'est cela mon raisonnement.
Le "tu peux faire demi-tour" c'était pour "tu peux partir avec Mellyna, je ne m'y opposerai pas. Je comprends." Voilà.

Elle baissa la voix pour répéter :

- Voilà.

- En résumé, tu as encore beaucoup trop réfléchi en te basant sur de vagues impressions. Qu'une parfaite inconnue puisse mal interpréter une situation, soit, mais toi tu es censée me connaître et connaître dame Mellyna un minimum. Tu cogites toujours en circuit fermé, tu laisses courir ton imagination, mais tu devrais vraiment essayer d'intégrer ton expérience dans tout ça, pas juste tes sentiments présents.

Le Lévitis considéra Mellyna de haut en bas, le regard aussi neutre que s'il procédait à un examen médical.

- Certes, Dame Mellyna est une personne extrêmement séduisante, intelligente, avec un fort caractère, et je trouve sa compagnie et sa discussion plus qu'agréables. Je n'ai également aucun doute sur ses capacités à combler un partenaire charnel. Hum. Ceci étant, elle ne m'a jamais laissé entendre qu'elle éprouvait une quelconque attirance d'ordre intime pour ma personne, par conséquent...

Sans se départir de sa froideur presque clinique, il fixa à nouveau Fanaa. Sa voix baissa cependant d'un ton, se teintant de lassitude.

- La vérité, c'est que tu ne fais pas confiance aux autres. Tu ne les considères pas pleinement responsables de leurs décisions, tu ne les imagines pas en mesure de se débrouiller par eux-mêmes face au danger... Résultat, tu essayes de prendre des décisions à leur place, tu t'enfuis, tu les repousses soit-disant pour les protéger. Mais enfin Fanaa, tu ne te rends pas compte que c'est toi qui te montre généralement la plus immature, la moins expérimentée, la plus incertaine de tous ? Je ne dis pas que cela ne part pas d'un bon sentiment, mais comment espères-tu donc fonctionner réellement avec d'autres personnes de cette façon ?

Peu expérimentée, ça c'était certain, incertaine ... aussi mais pour comprendre qu'elle était immature, Fanaa aurait dû saisir la notion de maturité or, celle-ci restait toujours aussi abstraite dans son esprit. Seulement Earl ne criait pas. Donc il était gentil. Par conséquent elle aurait acquiescé à tout ce qu'il disait, lui eut-il ordonné de se jeter la fenêtre. Il était gentil, ou du moins c'était ce qui s'en rapprochait le plus. Il touchait là à son gros point faible. Il était gentil et elle se sentait comme une fleur minuscule auquel un Dieu accorderait un regard après l'avoir piétinée. Et elle se sentait redevable de tant de bonté. Et elle avait envie de le remercier. Autant d'ailleurs qu'elle avait envie de disparaître sous terre, se sentant indigne d'une telle attention. Lorsqu'il était comme ça elle était prêt à tout accepter et elle avait honte d'avoir douté, d'exister, même. Il avait raison. Elle était immature et tout le reste. Il savait voir ces choses-là. Il était très intelligent. Il avait raison. Elle ne pouvait faire autrement que de l'accepter, d'être d'accord avec lui.

- Et c'est fatiguant pour toi.

Oui voilà. Elle était une épine dans le pied divin, honte sur elle qui le retardait sur son chemin, sur son destin. Elle si petite, si misérable, si transparente avait réussi à ralentir l'Homme aux écailles d'argent alors qu'il avait tant à faire.

- Je suis désolée. Tu as fait des efforts pour moi alors que tu as tant d'autres choses à penser, des choses plus grandes, plus importantes.

Aujourd'hui, enfin, il reconnaissait qu'elle existait. Il ne lui donnait pas tout à fait le droit de continuer, pas plus qu'il ne la félicitait pour quoi que ce fut -c'était plutôt le contraire- mais il lui adressait la parole comme à une véritable personne. Fanaa n'était pas une menteuse, elle disait toujours ce qu'elle pensait et avait du mal à masquer ses émotions. L'adoration qui émanait d'elle à ce moment était impossible à camoufler.

- Je ne voulais pas te déranger. Je te prie de m'excuser. Je comprends.

Elle aurait voulu dire "je ne le ferai plus" mais, étrangement, ces mots avaient du mal à franchir ses lèvres. Il avait raison, elle avait tort, et pourtant il ne hurlait pas. Un petit détail la chiffonnait pourtant et elle osa demander d'une voix hésitante :

- Mais ... on peut faire confiance aux gens et s'inquiéter tout de même pour eux, non ? Moi c'est ainsi que je le ressens ...

*Malheureuse, comment oses-tu mettre en doute la parole du soleil vivant ?*

Il était éblouissant, ce n'était pas ses yeux, ni ses écailles mais son aura générale. Cette force grondante et dévastatrice qu'il gardait enchaînée, qu'il se gardait de libérer sur elle. Il faisait un effort, un immense effort pour elle. Il était gentil. Il ne criait pas.

Earl cilla. La façon dont Fanaa le fixait à présent le mettait vraiment mal à l'aise.

- Je... Bien entendu. Il n'y a rien de mal à s'inquiéter, mais le problème c'est quand on se laisse entièrement guider par cette inquiétude et qu'on commet des actes inconsidérés en son nom.

Il s'était attendu à des yeux larmoyants, à une fuite par la porte ou par la fenêtre, à un torrent de paroles, mais ça...

- Enfin, puisque tu t'inquiètes tant pour les autres, tu devrais concevoir ce que peut ressentir quelqu'un qui s'inquiète pour toi en te voyant t'éclipser sans un mot pour foncer dans les ennuis. A chaque fois que tu t'imagines prendre un poids sur tes épaules, tu peux déstabiliser ceux que tu crois ainsi protéger. J'ai très bien compris que tu veux être plus forte, mais je crois que tu n'as pas saisi qu'il y a différentes façon d'être forte. Tu ne dois pas essayer de copier les personnes qui te semblent plus autoritaires, plus intelligentes, plus courageuses, ou que sais-je. C'est comme... comme tenter de mettre leurs habits. La taille, la couleur, la coupe... ce n'est pas parce qu'ils font jolis sur une autre personne qu'ils te conviendront. A chaque fois que je te parle durement, j'essaye de te faire prendre conscience de cela. Il faut que tu prennes conscience de tes faiblesses, peut-être pour tenter de les corriger, mais surtout pour savoir quand tu dois demander de l'aide. Personne ne sait tout faire. Je ne sais pas tout faire, Mellyna ne sait pas tout faire. Il n'y a aucune honte à l'exprimer tout haut, mais le taire ou faire comme si de rien n'était peut être plus dangereux qu'une horde de monstres. Tu peux t'asseoir sur une chaise même si elle est bancale. Mais si un des pieds était en fait fendu sous sa couche de vernis, ou s'il se détache sans prévenir, tu tombes par terre. C'est aussi simple que ça.

Oui, il se sentait fatigué, usé, presque.

- Est-ce que tu comprends ce que j'essaye de dire ? Et ne me réponds pas "oui" juste pour me faire plaisir, car c'est précisément ce contre quoi je tente de te mettre en garde...

Mellyna ne bougea pas, osant à peine respirer. Si cela avait été dans ses compétences elle se serait évanoui dans l'air pour les laisser discuter. Hélas, elle était là et bien là.
Elle fit de son mieux pour ne pas rougir sous le regard et les commentaires du lévitis, examinant les détails du plancher pour ne pas croiser ses yeux.

*Ne pas inquiéter Fanaa, ne pas inquiéter Fanaa.*

Cependant la conclusion lui plut, elle acquiesça de la tête et se retint de prendre la danseuse dans ses bras en chantant un "je te l'avais dit". Cela n'aiderait pas le lévitis à la considérer comme une femme mature.
La conversation prenait enfin une tournure raisonnable, à part peut-être du côté de Fanaa qui se dévalorisait beaucoup trop.
La dédrane tiqua devant le passage "savoir demander de l'aide". Il était bien pour Fanaa celui-là ?

*Tu n'as rien dit à personne, n'est-ce pas ?*

Aucune réponse ne lui parvint, soit la dragonnet dormait, soit il faisait semblant pour ne pas avoir à lui répondre. Il ne pouvait pas lui mentir en communiquant par la pensée.

- Mais j'aimerais bien te faire plaisir, moi ! Enfin je comprends. Je comprends ce que tu me dis. Oui mais ... mais ...

Elle se mordilla la lèvre inférieure et se racla la gorge.

- Si jamais personne ne peut m'aider ? Ne serait-il pas mieux alors de faire comme si de rien n'était et avancer sans risquer d’entacher le moral des autres plutôt que de les inquiéter pour rien ? Peser sur les autres c'est mal. Je te pèse à toi et ce n'est pas bien. Alors dans certains cas, le silence et la discrétion ne vaudraient-ils pas mieux que d'embêter ses amis pour rien ?

- Fanaa, le simple fait de "disparaître" sans rien dire entache déjà le moral des autres. Ce n'est pas comme si tu étais invisible et que personne ne se rendait compte de rien, lâcha Earl dans un soupir.

Il se massa la racine du nez tout en s'appuyant lourdement sur l'accoudoir du fauteuil.

- Si tu laissais aux autres d'avantage de chances de t'aider, certains se sentiraient très certainement moins stupides et inutiles. Je te l'ai dit, tu te laisses un peu trop guider par ton ressenti personnel. Tu peux être persuadée que "personne ne peut t'aider", et te tromper du tout au tout. Evidemment, si tu n'en pipes mot à quiconque, là, c'est sûr que nul n'y pourra rien.

Le jeune homme fit un geste vague de la main.

- Niveau discrétion, excuse-moi, mais tu es aussi discrète qu'un Phéléant dans une boutique de porcelaine. Tu n'as pas remarqué qu'il y a très souvent quelqu'un qui te court après dans l'espoir de te rattraper, de te consoler ou de te crier dessus ?

- Je ne suis pas ... invisible ? Je ne suis pas invisible.

Attention. Marcher sur des oeufs.

- Mais si tu dis la vérité et que je ne suis pas invisible ... alors ...

Fanaa croisa son regard mais on eut dit qu'elle se préparait à recevoir un mauvais coup.

- Pourquoi est-ce que tu n'as rien dit pour Ridelgald ?

Elle prenait de gros risque, car si elle avait bien un rival, c'était le soldat. Earl tenait énormément à lui et nul doute qu'il le protègerait, lui. Seulement sa question était légitime. La Danseuse voulut tout de même s'expliquer.

- Passe encore pour Sabu parce que tu m'as expliqué qu'il était plus ... bon peut-être pas plus important mais prioritaire. Mais Monsieur Ridel ?

Non. C'était une question stupide et tout ce que ça allait faire c'était de le remettre en fureur. Elle se sentit triste et baissa les yeux.

- Oublie ça. Je suis désolée. Ca n'efface pas tout ce que j'ai raté, hélas, mais je suis désolée. C'est vrai. Je voudrais faire les choses bien mais tu es là, je sens ton jugement implacable peser sur mes épaules et je stresse et je panique et je finis par faire le pire choix. Je ne te vaux pas. Je voudrais que tu sois content de moi, fier, même. Mais je ne te vaux pas.

Le soleil peut-il regarder une fleur, la voir vraiment et en être fier ? Le soleil est tellement immense et la fleur si minuscule ... les deux sont simplement incomparables. La jeune fille se pencha en avant, tendit le bras et effleura le bas du pantalon du Levitis, puis le dessus de sa botte et enfin se toucha le front. Un salut empli de révérence.

Elle échangea un regard avec Mellyna afin d'essayer de deviner si elle agissait bien, et où elle devait s'arrêter. Si seulement la télépathie avait fonctionné entre elles ! Fanaa aurait bien eu besoin des conseils d'une vraie femme.