Nolad - plaines

- Si elle a pris son cheval, je suppose qu'il suffirait pour commencer de suivre les empreintes de sabots qui s'éloignent de l'endroit où la bête était attachée, fit remarquer Earl avec un haussement de sourcil.

Il repassa son sabre à sa ceinture.

- Et je n'ai vu ou entendu personne se lever et aller détacher une des montures pendant ma garde. J'aimerais bien savoir à quel moment elle a pu se défiler exactement sans donner l'alerte. C'est quoi, une cambrioleuse, votre Ilymis ?

Mellyna écoutait d'une oreille distraite.
Elle avait ouvert délicatement la pochette, presque religieusement, avant d'en retirer la pierre. Une fois l'objet dans sa paume, la pierre dorée scintilla de reflets multicolores. La dédrane ressentit la douce chaleur de la fois précédente, c'était comme une étreinte, quelque chose de doux, de réconfortant, presque maternel.
La chaleur monta progressivement et l’enveloppa entièrement. En quelques secondes, la dédrane se sentit mieux, bien mieux en fait. Elle ne s'en était pas rendu compte avant cet instant, mais son corps était diminué et son esprit comme brumeux. Elle percevait distinctement le chant de la forêt malgré la distance, si elle avait pu se mirer dans l'eau, elle aurait vu ses yeux briller, leur turquoise s'était ravivé.

*-Pourquoi est-elle partie ? La panique ne fait pas quitter un groupe des heures plus tard quand tout est calme, si ?
-Je n'en sais rien, je ne comprends pas la moitié de vos agissements. Montre-moi la pierre.*

Visiblement le dragonnet s'intéressait à la disparition de Taymir comme de sa dernière bouchée de moo. Eleïr'l descendit le long du bras et vint toucher délicatement le petit objet du museau.

*-Tu le sens aussi ?
-Oui, l'elven te porte en haute estime pour te laisser un objet si puissant.
-J'espère être digne de sa confiance.*

La gardienne titilla la pierre avec son index, une petite chaine dorée était caché derrière. Elle la déroula, la pierre était montée en pendentif !

*-J'ose à peine la porter.
-Tu devrais, elle l'a fait pour toi. Et puis tu ne portes jamais de bijou. Ça changera et te mettra en valeur.
-Tu ne vas pas te mettre à critiquer ma façon de m'habiller toi aussi ?
-Tes vêtements sont plus pratiques mais tu serais plus à ton avantage avec une belle robe et des bijoux.
-Fais attention à ne pas me prendre pour une poupée, petit dragon.
-J'aime les jolies choses c'est tout.*

Si le dragon avait pu, il aurait haussé les épaules.

*-Je suis certain qu'Earl dirait la même chose.
-Je ne pense pas qu'il ait d'avis sur la question et cela ne vous concerne ni l'un ni l'autre.*

Mellyna rendit les armes et passa le bijou par dessus sa tête. Quelques mèches folles s’emmêlèrent dans la chaîne.

-Aïe, zut. Quelqu'un peut m'aider à démêler ce collier ?
Pour ce qui est des gardes, je pense que nous avons tous surveillé les environs et non le camp... Ce qui est logique...

La dédrane ne se sentait pas particulièrement responsable, mais restait préoccupée. Elle aurait été bien plus déstabilisée par une disparition de la danseuse.

Les doigts fins de Fanaa apparurent comme par enchantement pour démêler les cheveux et libérer la chaîne. Ensuite elle fit le tour de la Dedrane pour l'admirer.

- Tu es magnifique !

Elle effleura le joyau et sentit une chaleur bienfaisante.

- C'est un très beau cadeau ... même si ce n'en est pas vraiment un !

La danseuse se mit à jouer nerveusement avec une de ses tresses.

- Mellyna ... dis-moi j'aurais besoin de ... conseils éclairés ... est-ce que ... enfin pas tout de suite bien entendu, il y a beaucoup de choses plus urgentes mais ... je voudrais beaucoup te parler ... plus tard ... tu voudras bien ?

Elle ne tenait pas en place et son regard allait de Mellyna au sol, puis du sol à Mellyna.

- S'il te plait ?

-Merci pour ton aide.

La dédrane bredouilla un "merci" pour le compliment, pas vraiment convaincue. L'apparence avait toujours était un fardeau pour elle. Les gens qui la connaissait de réputation, la reconnaissait immédiatement à cause de ses yeux peu communs chez les dédranes. Leur attitude envers elle changeait du tout au tout et elle n'avait jamais pu se rapprocher d'eux.

-Oui, c'est un prêt très précieux.

Elle observa avec amusement la gène de la jeune fille.

-Mais bien entendu. Quand tu veux, tu sais que tu peux tout me demander.

Mellyna secoua doucement la tête :

-La pister semble compromis.
D'ailleurs pendant que nous réfléchissons, je propose que Fanaa se restaure.

Fanaa ouvrit des yeux immenses.

- Mais ... Melly ! lança-t-elle sur un ton de reproche où pointait aussi la gêne. Enfin Mellyna il faut être sérieux ! Taymir, les chevaux, le camp, tout ça avant le reste !

Zut ! Elle avait pourtant cru y échapper. Elle baissa la voix :

- En plus je n'ai pas faim du tout. Je mangerai plus tard d'accord ? Il faut qu'on se mette à l'ouvrage, Earl va se fâcher sinon tu sais bien ! Et puis en période de crise, il faut occuper tout le monde, ça les calme. Ca aide à avoir les esprits et les idées clairs. J'avalerai quelque chose plus tard, tu veux bien ?

- Même en ne surveillant que les environs, pour manquer un cheval qui s'éloigne vers les environs en question...

Earl fronça d'avantage les sourcils.

- J'ai cru comprendre que cette fille est herboriste ? Et si...

Pris d'un soupçon, il se tourna vers le feu qui s'éteignait doucement en grésillant dans la rosée matinale. En deux enjambées -enfin peut-être trois ou quatre en boitillant bas-, le jeune homme se rapprocha du foyer et se pencha avec un grognement. La brise avait repoussé quelques herbes sèches et brindilles noircies hors des flammes. Earl saisit une de ces plantules puis se redressa.

- Si on jette discrètement les bonnes herbes dans le feu, il est beaucoup plus facile de faire baisser la vigilance d'un veilleur sous le vent. Ah la ribaude... hum, la bourr... petite futée ! Paniquée, je ne sais, mais plus rusée que je ne l'aurais imaginé au premier abord, ça c'est une certitude.

Il jeta les restes du végétal carbonisé au sol.

- En tout cas elle est bien partie volontairement et ne tenait pas à ce qu'on l'en empêche.

*Arg, elle me fait le coup des grands yeux pleins de larmes de petit chaton perdu.*
Mellyna avait failli s'énerver, mais elle ne put se retenir de fondre devant la bouille de Fanaa.
C'est d'une voix douce et maternelle qu'elle insista :

-Juste quelques cuillerées ? Si tu fais un malaise ça n'aidera personne...

Elle aurait bien ajouté qu'elle ressemblait à un oisillon anorexique, mais en y réfléchissant la dédrane se rendit compte que, malgré les quantités ingérées, elle n'était pas beaucoup plus épaisse que la danseuse... Elle se contenta donc de remplir la tasse d'une seule louche, regardant la danseuse avec des yeux suppliants. Elle changea néanmoins de sujet en posant la tasse dans les petites mains.

-Du coup que fait-on ? Fanaa, c'est toi qui la connaissait le mieux et qui guide le groupe tu dois prendre la décision.

Fanaa garda le silence. Elle devait réfléchir. Peser les pour et les contres. Prendre la décision ?

- D'accord Mellyna.

La Danseuse capitula et se mit à manger. Lentement. Avec beaucoup de concentration. Chaque cuillerée lui faisait l'effet d'une dose de plâtre dans son estomac. Estomac qui n'était d'ailleurs pas très content. Elle fit l'effort de terminer la tasse. Sans plaisir. Mais pour la défense de la Dedrane, au moins sa bouillie de céréales était-elle plus légère que le civet. Mais manger ... elle se retint de faire la grimace. La dose était petite, c'était déjà ça, elle pourrait en venir à bout.

- J'ai terminé. Merci Mellyna, c'était très bon. lâcha-t-elle du bout des lèvres.

La jeune femme soupira et leva son visage vers le ciel en se mordant les lèvres. Ca recommençait. Ca recommencerait toujours. Il ne fallait pas s'attacher. Il aurait fallu ne pas s'attacher. Etre comme Earl.
Mais c'était trop tard.

- Ne la cherchons pas. Si elle veut revenir, elle reviendra. Si elle ne se sent plus de venir ... c'est son droit.
Il reste deux chevaux. Je propose que Kyara et Yamana, par exemple, car il me semble que c'est celle qui monte le miex, aillent chercher les autres montures pendant que nous autres irons récupérer ce que nous pouvons dans les restes du camp d'hier. Dès le retour des filles, nous prendrons la route de l'auberge. Nous essaierons d'y trouver un clerc, nous mangerons chaud et nous discuterons de la suite. D'accord ? Allons-y.

Fanaa ramassa son sac et appela Adweliwen. Si Yamana devait partir de son côté, il fallait veiller sur la voleuse en son absence, si courte soit-elle.

- Et bien sûr nous nous retrouverons tous à l'ancien camp, histoire de ne pas avoir à faire deux fois le tour du lac à pied. Donc veillez à ne rien oublier ici.

Earl jeta un dernier regard aux restes des plantules à demie brûlées, une moue mécontente aux lèvres. Il ne savait lors de quelle veille Taymir avait pu décider de filer, mais la simple éventualité d'avoir pu se faire berner ainsi le prenait à rebrousse-poil.

- Oui, manger chaud... et toi aussi ! gronda-t-il en pointant un doigt entre les sourcils de Fanaa.

Là. Il n'y avait pas de raison pour qu'il soit le seul à se faire gaver à chaque repas.
Sur ce, il alla ramasser le peu de couvertures qui traînaient et démonter l'abri de toile. Le tout finit sommairement plié dans les premiers sacs venus.

- Et pourquoi ce serait moi qui devrait être le fâché de service ? Je maîtrise par-fai-te-ment mon impatience...

Yamana resta un moment interdite... Elle était accroupie près du foyer, en pleine réflexion quand Fanaa émis une autre idée...

- Et donc... Je piste ou je ne piste pas? Elle se releva en soupirant Sieur Earl n'a pas tort, je dirais même qu'il a raison. Le foyer comporte des traces de combustible mais aussi d'autre chose.

Elle s'éloigna en regardant le sol

- J'ai entièrement confiance en mes capacités de veille et notre Lévétis de service a assez de bagages militaires pour en connaitre également les forces et les faiblesses. La garde de l'aube n'est pas facile... Elle s'arrêta pour se pencher vers la terre meuble. mais quand elle se termine, la vigilance est encore moindre, surtout lorsqu'on constate qu'une tierce personne est également éveillée. Dame Mellyna préparait le petit déjeuner. Je pense que c'est a ce moment la qu'elle Elle s'était redressée pour faire encore quelques pas vers les chevaux en pointant du doigt le sol comme on suivrait les lignes d'un livre difficile a lire a mis ses herbes dans le feu. Et je pense qu'elle est partie volontairement.

Elle s'arrêta, se baissa un moment avant de se relever et de regarder l'horizon

- Et qu'elle ne veut pas être retrouvée.

Un soupir

- Je ne peux pas faire plus pour notre amie. Les traces montre qu'elle est partie en catimini du campement en prenant soin d'endormir notre vigilance. Elle est montée sur son cheval après avoir retirer la perle de Dame Kyara et a traversé une partie de l'étang pour ne pas laisser de trace. Je suis certaine qu'on retrouverait des traces de l'autre coté là où elles disparaissent ensuite dans la mélasse laissée par les Moos et les prédateurs. Impossible a suivre. C'était prémédité.

Mellyna sourit presque victorieuse, avec Earl pour l'aider peut-être que Fanaa se montrerait raisonnable.
Elle nettoya et rangea les affaires de cuisine, éteignit le feu et entreprit de charger les chevaux.

-C'est sûr que râler n'est pas dans vos habitudes... Fit-elle avec un sourire ironique au jeune homme.

Juste un ou deux sacs légers sur la monture du lévitis, le pauvre était blessé, il fallait le ménager. Un peu plus sur sa jument, mais pas trop, pour qu'elle puisse porter Earl aussi.
La dédrane chargea le reste sur son propre dos de manière à ce que Fanaa et Adwel n'aient rien de lourd à porter.

-Vous avez besoin d'un coup de main pour monter à cheval ou ça ira ?

Elle aurait bien porté le lévitis sur le cheval directement, cependant son orgueil pourrait en souffrir. Aussi, dans le doute, elle préféra s'abstenir et demander l'avis de l'intéressé.

- A cheval ?

Earl jeta un coup d'oeil à sa botte qui s'esclaffait par toutes ses coutures mais qui lui semblait malgré tout de plus en plus serrée.

- Ah, oui.

Ce serait certes plus pratique pour faire le tour du lac, et puisque les autres chevaux avaient fui dans la même direction...

Le Lévitis jeta un coup d'oeil alentour puis conduisit la jument au pied de ce qui ressemblait à une ancienne termitière. Il parvint à se rétablir en prenant appui sur le dos de la bête et à s'installer sans trop de mal, avant qu'elle ait pu avoir l'idée de faire le moindre écart. Etre grand avait parfois ses avantages et il avait l'habitude de montures beaucoup plus hautes de garrot.

- Je pense que ça ira.

- Euh ...

Fanaa observa le Levitis puis secoua la tête sans faire de commentaire.

- Bon. Yamana, Kyara, vous partirez de l'ancien camp pour aller rechercher les fuyards à sabots. Adwel, tu viens ? Oh Melly ?

La Danseuse trottina jusqu'à la Dedrane et lui chipa les sacs qu'elle avait décidé de porter.

- Tut tut, on ne râle pas. J'ai mangé, je porte. De plus, je devine que tu vas marcher à côté d'Earl pour la rattraper au cas où il tomberait donc il vaut mieux que tu aies les mains libres ! Allez, en route !

Kyara reprit les sacs qui se trouvaient sur le dos du cheval blessé et la petite troupe se dirigea vers l'ancien camps. Un carnage, voilà ce que c'était. Il restait 5 carcasses de moos plus qu'à moitié dévorées ... tout comme le malheureux Grisou d'ailleurs.

Et il n'y avait pas de Talisham réapparu par enchantement. Fanaa baissa les épaules, puis se secoua.

- Allez. Yamana, Kyara, bonne chance, nous comptons sur vous.

La Garde du corps avait sa monture tandis que la Shalos héritait de la jument de Mellyna une fois qu'Earl eut mis pied à terre. Fanaa prit la bride de l'étalon blessé et alla l'attacher à l'écart de la zone et hors du vent, de façon à ce que le pauvre n'ait pas droit aux odeurs de mort. De retour, elle repéra immédiatement Adweliwen -il ne fallait pas la quitter des yeux- et la rejoignit. Honnêtement, elle doutait qu'il reste quoi que ce soit de récupérable mais pourquoi pas ? Le regard rivé au sol, elle commença à chercher.

L'ancien camp était un carnage, la terre était battue, les hautes herbes piétinées, bref ... c'était ce à quoi Fanaa s'était attendue et, comme prévu, elle ne trouva rien de récupérable. Rien du tout. C'était à prévoir. Elle persévéra pourtant, au cas où. Mais rien.

Dépitée et ayant l'impression d'avoir perdu du temps, Fanaa secoua la tête et leva les yeux. Quatre chevaux et deux cavalières arrivaient. Les silhouettes étaient encore petites, mais elles grossissaient déjà.

- Regarde Adwel, Yamana est de retour !

Elle tourna la tête et ne trouva personne à côté d'elle.

- Adwel ?

Son coeur s'arrêta. Pas de chevelure bleue à l'horizon. Elle jeta des coups d'oeil partout. Rien. La Danseuse avait une boule dans la gorge qui bloqua sa voix. Elle avait perdu Adwel. Elle l'avait perdue et ... qu'allait-elle dire à Yamana ? Et au père d'Adwel ? Elle devait surveiller la voleuse durant l'absence de sa garde du corps, elle s'y était engagée et ...

- Adwel ! Couina-t-elle. Earl, Mellyna, vous avez vu Adwel ?

Elle paniquait. Comment avait-elle pu ? Oh non ! Là-bas ! Du bleu ? Une chevelure ? Peut-être. Elle devait aller vérifier. Fanaa commença à courir ... pour s'arrêter en grimaçant de douleur après quelques pas. Elle ne pouvait pas courir. Zut !
Bon. Fanaa attrapa son sac, l'ouvrit, y chercha quelque chose qu'elle mit dans sa bouche puis se releva et repartit à grands pas, le plus rapidement possible, à la limite de la course.

- Adwel, attends !

Elle était si loin, comment avait-elle pu avancer aussi loin en si peu de temps ?

Earl laissa retomber les quelques pages déchirées et piétinées qui seules demeuraient des livres achetés à Fédoran. Evidemment, il ne faisait pas allusion à une demi-douzaine de manuscrits indigestes lorsqu'il avait parlé d'objets utiles, mais n'empêche...
Une moue dépitée aux lèvres, il se retourna à l'appel de Fanaa.

- Qui ? Oh...

Ah oui, la Médiovienne qui ne semblait pas tout à fait équilibrée.
Le Lévitis regarda Fanaa détaler en courant sur quelques mètres avant de marmonner :
- Par Ael, est-ce donc une habitude féminine que de se défiler ainsi sans rien rien à personne ? Ca fait deux en moins d'une heure, là...

Mellyna cherchait si de la nourriture avait pu survivre en tombant dans des buissons. Rien, il ne restait rien ni de comestible, ni de réutilisable.
Elle leva le nez à la question de la danseuse, n'eut que le temps de la voir partir en boitillant.

-Elle n'est pas raisonnable, murmura-t-elle.

La dédrane se tourna vers Earl, haussant les épaules d'incompréhension et d'impuissance :

-Si vous pouviez prévenir les deux cavalières qui approchent. Elles retrouveront Adweliwen bien avant nous. Je vais essayer d'empêcher Fanaa de se blesser d'avantage.

Elle laissa ses affaires sur place et courut à la suite de la jeune fille. Elle la rejoignit rapidement et posa une main ferme sur son épaule, l'obligeant à ralentir la cadence :

-On se calme ! Partir à sa poursuite à l'aveuglette ne sert à rien, à part à aggraver ta blessure. Yamana et Kyara vont très vite apprendre la nouvelle et la trouver. A cheval, elles auront vite fait de rattraper Adweliwen. Ne te fait pas tant de soucis, elle est partie il y a quelques minutes à peine.
Qu'est-ce qui leur prend à tes amies ?

Earl se contenta d'acquiescer. Décidément ils l'avaient échappée belle : se risquer dans des zones hostiles avec une compagnie de donzelles de cet acabit aurait été un suicide pur et simple. Il commençait d'ailleurs à se dire qu'en mettre une ou deux hors d'état de "voyager" où que ce soit pendant quelques semaines serait une sage décision, pour leur bien comme pour celui des malheureux qui risqueraient de se laisser entraîner.
Réfléchissant à une méthode n'impliquant pas trop de risques de décès, le Lévitis s'avança à la rencontre des deux cavalières pour prendre les rênes des montures fugueuses.

- A votre place je resterais en selle, conseilla-t-il à Yamana. Votre... heu... protégée a semble-t-il décidé de faire comme la moitié du groupe ou de ses chevaux, c'est-à-dire se sauver sans prévenir.

D'un signe de tête, il indiqua la direction vers laquelle Fanaa s'était précipitée, sans trop savoir si elle avait vraiment aperçu la Médiovienne.

- Apparemment elle serait partie quelque part par là.

De toute façon, du haut de son cheval elle avait certainement une meilleure vue des environs.

- Je me demande si des laisses et des colliers étaient prévus dans les bagages...

- Je n'ai pas mal. s'obstina Fanaa.

Elle ne se dégagea pas de Mellyna, au contraire elle posa sa main sur celle de son amie pour l'entrâiner avec elle. Il ne fallait pas perdre de temps. Les hautes herbes moutonnaient, de temps en temps elle voyait encore la chevelure bleue, parfois elle disparaissait et la Danseuse se demandait si c'était effectivement Adweliwen qu'elle suivait ainsi et non une sorte de mirage ou un moo albinos, qui pouvait savoir ? Dans tous les cas, la toison bleu accélérait le pas et la distance entre elle et Fanaa allait s'agrandissant.

- Mellyna, Taymir et Adwel sont deux cas bien différents. Il y a des cycles dans les histoires, ça tourne et ça recommence. Taymir et Talisham sont apparus au Ringèm, ils sont restés un peu en ma compagnie, m'ont adé à leur façon puis ont disparu. Aujourd'hui ça recommence, même si pour Talisham c'est ... différent.

Elle n'avait pas réussi à dire "définitif".

- Les yeux bleus et la tresse blonde de Taymir réapparaîtront lorsqu'elle en aura décidé ainsi. Je ne peux pas la forcer à rester avec moi. Nous avons chacune notre vie, notre destin. Elle reviendra si elle le souhaite.

La Danseuse accéléra le pas. Elle ne mentait pas lorsqu'elle affirmait ne pas avoir mal car elle gardait une petite feuille lympha sous la langue. Un anti-douleur puissant. Par contre, le risque que sa suture saute était réel. Fanaa n'était pas chirurgien, elle avait déjà eu assez de chance de réussir à se recoudre seule sans perdre connaissance et de manière plutôt propre. Cela ne signifiait pas que les points ne pouvaient pas lâcher, malgré le fait qu'elle ait serré son bandage au maximum (presque un garrot).

Fanaa serra la main de la Dedrane.

- Adweliwen c'est autre chose. Elle a été ma petite maman oiseau bleu. Sans elle, je ne serais pas là aujourd'hui. Il y a eu une nuit d'obscurité et de sang, j'ai bien failli mourir. J'allais rejoindre Syld, j'étais prête ... mais Adwel a empêché cela. Et si lors de cette nuit, ainsi que je l'ai appris il y a peu, c'est Earl qui m'a soignée de façon à ce que je ne meure pas, c'est bien Adwel qui est venue me chercher au fin fond de ce cauchemar pour me mener auprès d'Earl. Et même après, alors que je n'étais pas moi-même, un peu comme l'est Adwel en ce moment, elle s'est occupée de moi. Sans elle je ne serais pas là aujourd'hui. Elle est une véritable amie, comme toi. Je suis sure que tu comprends. Alors je ne peux pas la laisser. Pas tant qu'elle n'est pas en sécurité. On ne sait jamais ce qui pourrait arriver, elle ne semble pas capable de se défendre, je ne peux pas la laisser, tu comprends ?
La roue tourne, les cycles recommencent et les rôles sont inversés. Elle a été là pour moi, je veux l'être pour elle.

Il n'y avait plus de bleu. Tant pis. Fanaa continuait tout de même son chemin. Il y avait des cycles, l'histoire de répétait. Mellyna elle-même faisait probablement partie de l'un d'eux.

La cavalière Dedrane observa Earl arriver a son niveau. Dès qu'elle entendit son information, elle regardait au loin en jurant dans une langue inconnue. Elle voyait Dame Fanaa et Dame Mellyna sur la route... Mais la route de quoi? Il n'y avait rien... Sauf peut-être...

- Merci Sieur Earl Soupira-t-elle Je vais aller chercher nos pisteuses qui semblent se diriger vers autre chose que notre jument bleue...

Et elle mis l'étalon au galop, rejoignant souplement les deux femmes. Elle se mit au trot puis au pas rapide afin de ne pas les effrayer. Elle s'arrêta ensuite devant elles pour leur couper la route.

- Où allez-vous comme ça? Regardez le sol. fit-elle dans un ton du pédagogue agacé Voyez-vous des traces de pas? Vous poursuivez un Moo qui semble avoir trouvé a son gout une étoffe azure. Et puis vous vous dirigez vers le Sud Est... Et... Vous êtes blessée Fanaa! Ce n'est pas en crapahutant a l'aveugle qu'on y arrivera. Retournons d'abord au dernier endroit où vous l'avez vue. Nous aurons certainement plus d'indice et je suis sûre qu'avec un peu de recul et de réflexion, vous parviendrez même a développer des compétences en pistage assez correctes pour ne pas confondre un Moo avec une Médiovienne.

Agacée... elle était agacée.... La garde du corps allait-elle encore faillir? Dans ce cas... elle ne mettrait plus les pieds a Médievir. Elle resterait dans la Forêt... Elle... Secoua la tête et proposa a Fanaa de venir en croupe.

Mellyna s'était laissée surprendre par la force que la danseuse pouvait développer pour l’entrainer à sa suite. Ce laps de temps avait, fort heureusement, suffit à sa compatriote pour les rejoindre.

-Yamana ! Par la mère, merci !

Son intervention sensée tombait à pic. La gardienne souleva Fanaa, sans lui laisser le temps de répliquer, et elle se retrouva sur le cheval en un rien de temps. La dédrane flatta l'encolure du cheval et s'adressa à la garde du corps avec un sourire chaleureux.


-Allez-y avec Kyara, je resterais au "camp" avec Earl et les bagages.

Mellyna reprit le chemin inverse à un rythme bien plus lent. Cela lui laissa du temps pour digérer la panique de Fanaa. Elle n'était pas fâchée, juste un peu désappointée. Son explication n'expliquait rien du comportement de ses amies. Il faudrait vraiment qu'elle lui parle, les compétences d'un chef de file n'incluait pas de faire n'importe quoi sous le coup de la panique. Tous ces évènements étaient visiblement de trop pour la petite tête brune. Peut-être en parler calmement lui permettrait de remettre de l'ordre dans ses priorités. De toute manière, la danseuse ne l'écouterait pas avant d'avoir retrouvé Adweliwen.
C'est en poussant un nouveau soupir qu'elle rejoignit le lévitis.

Ayant fini d'attacher les chevaux à côté de son étalon qui parut ravi de retrouver de la compagnie, Earl se retourna et considéra Mellyna .

- Je suppose que je dois faire à peu près la même tête à chaque fois que je tente d'expliquer ce qu'est le bon sens à une certaine linotte. Si vous comptez vous y mettre aussi, j'espère que vous avez de la patience à revendre.

Il déposa les bagages auprès d'un arbre déraciné par les moos puis s'assit lourdement sur le tronc. Étendant sa jambe douloureuse avec une grimace mal réprimée, il entreprit de trier et répartir le peu qui leur restait entre les différents sacs encore en état.

- Vu la propension générale à la fuite, mieux vaut éviter de confier tous les remèdes ou toutes les couvertures à une seule personne, je pense. A ce rythme, atteindre une auberge prendra plutôt des jours que des heures... si jamais on en prend la direction. Pour le moment ça semble mal parti.