Nolad - plaines

-Là c'est vous qui interprétez mal mes paroles. Fanaa est assez grande pour faire ce qu'elle veut avec qui elle veut et vous aussi, ce ne sont pas mes affaires.
Je dis juste qu'hier soir, volontairement ou non, vous l'avez blessée. Elle était encore bouleversée ce matin.

Mellyna ne le quittait pas des yeux, c'est avec douceur qu'elle conclut :

-Même si vous n'êtes pas le seul à être en tort, vous excuser pour hier serait un bon début je pense.

La chanson et le violon s'accordaient parfaitement aux mouvements du corps élancé de la Chandlune, c'était comme si les trois esprits se rejoignaient et se comprenaient, après tout, chacune des trois demoiselles était amoureuse ...

Les petites fleurs blanches à leurs pieds étaient comme de petites perles végétales. Fanaa s'arrêta de danser sur une gracieuse révérence et se releva doucement. Une des fleurs était devenue rouge. Fanaa souleva ses paupière et croisa le regard de Kyara. Enfin non, ces yeux verts étaient à l'autre personne. Une deuxième fleur se teinta de rouge. L'oeil d'or s'était remis à couler et charque larme de sang colorait les robe blanc pur des fleurettes.

Fanaa était essouflée. Etrange, elle avait toujours eu de l'endurance pourtant. Elle sourit à l'inconnue.

- Merci. C'était vraiment beau.

Ensuite, lentement elle se rapprocha du sol pour s'y asseoir. Elle s'essuya la joue et regarda sa main. Talisham avait dit que quelque chose qui saignait sans s'arrêter ce n'était pas bon. Mais ce saignement là s'arrêtait. Et puis il reprenait. Encore. Sans raison. Ou bien pour une raison inconnue, ce qui ne revenait pas tout à fait au même.

*Ca va bien finir par passer.*

C'était le premier contrecoup qui durait autant. La bonne nouvelle c'est qu'elle n'avait pas vraiment mal. Elle avait juste un peu la tête qui tournait. Relevant les yeux vers la shalos, elle demanda :

- Quel est ton nom ?

Mais derrière les yeux vairon de la musicienne, la présence n'était déjà plus ...

- "Assez grande pour faire ce qu'elle veut" ? Là, c'est vous qui vous voilez la face.

Il ferma les yeux une seconde et secoua la tête, continuant pour lui-même :
- Pourtant je l'ai senti à Ilymir. C'était là, sous mon nez, et moi je n'ai pas cherché à comprendre.

Il reprit plus haut :
- Quand je parle de "mioche", ce n'est pas une métaphore. Physiquement, elle est adulte. Au lit...

Earl haussa les épaules.

- ... en tout cas elle fait comme si. J'ai voulu croire qu'elle était juste un peu dans son monde, pas attardée, simplement déconnectée de la réalité. Ca arrive. Parfois s'enfermer dans sa tête permet de s'abriter de ce qui peut nous arriver. Je le sais très bien. Mais pour elle c'est bien au-delà de tout ça.

Soudain le montant de la porte lui faisait l'effet d'une barre de métal chauffé à blanc. Il se mit à aller et venir dans la chambre.

- Putain, mais quel con !

Il s'arrêta net puis se passa une main dans les cheveux tout en s'exhortant au calme.

- M'excuser ? Soit. Et ensuite ? Si jamais elle s'avise de fondre en larmes et de me re-sauter au cou en parlant à nouveau du grand amour, je fais quoi ? Je la repousse, et la blesse à nouveau, avant de me ré-excuser, etc, etc ? Ou alors je laisse faire et je...

Earl s'interrompit et se plaqua précipitamment une main sur la bouche, les entrailles soulevées par l'horreur. Il se détourna vers la commode et se voûta, les mains posées de chaque côté de la cuvette d'eau réservée aux ablutions matinales.

- Par Ael, je ne sais même pas comment je vais pouvoir continuer à vivre avec l'idée que j'ai pu faire... ça. C'est juste... c'est juste...

La shalos secoua la tête. Pourquoi cela arrivait maintenant ? Pourquoi cela ne c'était jamais produit avant ? Parce qu'elle allait vers la forêt ? Les petits fleurs s'agitèrent comme balayé par le vent mais il n'y avait pas de souffle d'air... Elle baissa les bras et alla s'asseoir en tailleur en face de la danseuse

- ça va mieux ? demanda-t-elle en posant le violon sur ses genoux. J'ai l'impression que... Quelqu'un essaie de se faire entendre à travers moi... Mais... Je n'ai pas la moindre idée de qui cela peut être et pourquoi... Mais... j'ai juste cette sensation que... qu'en allant chez les dédranes nous aurons la réponse

Kyara parlait plus ou moins pour elle-même, faisant tout de même partager à Fanaa ce qu'elle pensait, car c'était les deux seuls pour qui "l'esprit", enfin elle ne voyait pas ce que cela pouvait être d'autre, c'était manifesté.

Fanaa pensa "ça n'ira jamais réellement mieux sans lui." mais elle se contenta de hausser les épaules :

- Je ne sais pas trop.

Puis trop heureuse de changer de sujet :

- Il y a quelqu'un d'autre en toi, oui, je l'ai vue. Je ne sais pas qui elle est mais ce qu'elle dégage est doux. Tu as sûrement raison, elle doit avoir un message. Décidément, entre Adwel, Mellyna et toi, ça fait déjà pas mal à compter sur la forêt pour vous apporter ce que vous cherchez. Taymir avait parlé de terre sacrée ... ce doit être vrai ...

La Danseuse fit une grimace. Le temps passait et elles ne partaient toujours pas ... allaient elles seulement retrouver tout le monde ?

La dédrane était un peu perdue. Elle était juste venue s'enquérir de sa décision. Elle ne voulait absolument pas connaitre les détails de leur relation.

Elle ne comprenait pas vraiment ce que le lévitis disait. Il avait l'air d'être arrivé à une conclusion qu'il ne lui plaisait pas. Elle s'approcha et tapota doucement le dos du jeune homme, reprenant d'une voix douce.

-Aller, calmez-vous.
Vous vous excusez, si votre conclusion c'est que vous avez fait une erreur et bien vous lui dites ! Pas de cette façon crue bien entendu.
Vous la repoussez gentiment en lui expliquant que vos sentiments ont changé, voila tout. Pas ce qu'elle devrait faire pour vous plaire ou ce qu'elle devrait être, là elle croira qu'il lui reste une chance de vous reconquérir et essaiera de changer pour vous.
En tant que femme, elle sait bien qu'un homme peut passer une nuit avec elle sans partager de sentiments.
Vous excuser ne réparera pas tout, bien entendu, mais ce sera déjà un progrès. Il faudra lui laisser du temps tout simplement.

Elle laissa s'écouler un petit moment avant de reprendre.

-Les filles attendent en bas, elles vont commencer à s'inquiéter. Vous venez ou pas ?

- Tu as surement raison... Mais... Pourquoi moi ?... Oui c'est un peu idiot comme demande, vu que tu ne dois pas en savoir plus que moi, s'exclama-t-elle en riant, en tout cas elle ne me gène pas... A part au moment où elle se manifeste je n'ai pas l'impression qu'elle est là. Et... Je suis heureuse que tu ais danser pour moi, même si au final quelqu'un d'autre c'est invité à la fête, dit-elle en souriant

La shalos avait l'impression qu'un poids sur ses épaules c'était envolé, pourtant elle n'avait pas remarqué avant qu'elle avait l'impression de porter le monde sur son dos ! Kyara vit la grimace de la danseuse

- Tu t’inquiètes pour ... Earl, elle s’arrêta à temps avant de dire "M Frigide", ou parce que nous ne sommes pas encore parties ? ou les deux peut être.

Earl... Il restait un mystère pour la shalos, bon d'accord elle ne le connaissait pas suffisamment pour bien le connaitre... Mais... Elle ne l'aimait pas et n'arrivait pas à passer par dessus son ressentie, il faut dire qu'elle n'aimait guère les personnes qui était trop... "droite"

- Il faut espérer que tu auras tes réponses au Ringèm ... euh non ... au Ternaël, excuse moi je n'étais pas concentrée ! Je parlais bien de la forêt, je ...

Fanaa tressaillit.

- Earl ? sa voix tremblait.

Elle cacha sa main derrière sa bouche et baissa les yeux.

- Je ne comprends pas pourquoi tout cette colère. Qu'est-ce que ça lui apporte ? La colère épuise et fait mal, elle ne donne aucun calme, aucune joie. Que peut-il bien autant aimer dans la colère ? Je veux dire ... ça ne le rend même pas heureux ...

Elle soupira.

- Excuse moi. Oui je m'inquiète, et pour lui et pour notre retard qui grandit. Mais nous ne saurions plus trop tarder à partir j'espère. Elle sourit à Kyara. La forêt t'appelle après tout.

- La colère est une façon de se protéger pour certains... Je ne connais pas assez le jeune homme pour savoir si c'est cela ou pas...

Kyara ne savait trop que dire, ni quoi faire, elle voyait bien que Fanaa était touché à chaque fois qu'on parlait de lui... D'ailleurs... Pourquoi cette histoire la touchait autant ? ... Les shalos ne s'attachent pas aux gens, c'est chacun pour soit... Pourtant, elle s'était attaché à se bout de femme qui se trouvait en face d'elle, dés qu'elle l'avait vu...

Il avait fallu que les mots sortent presque malgré lui de sa bouche pour qu'il réalise pleinement les conclusions auxquelles ses réflexions l'avaient fait aboutir, ce qu'elles signifiaient, ce qu'elles impliquaient.
Une petite fille. Il avait... couché avec une petite fille.
Non, impossible. Il devait avoir fait erreur, il y avait certainement une autre explication.
Et pourtant...

Earl réprima un violent haut-le-cœur. Sous la main de Mellyna, une sueur glacée détrempait le tissu de la chemise.

Non, pas question de laisser son esprit dérailler. Pas tout de suite. Se calmer. Respirer.

- Je... d'accord.

Mellyna pensait que les excuses seraient "bien". Alors il allait s'excuser.
Et après il...

- D'accord.

Il se redressa et, forçant ses mains à ne pas trembler, acheva de se rendre à peu près présentable. Un coup d'oeil vers le miroir confirma ce qu'il savait déjà : il aurait malgré tout eu l'air moins défait en montant à l'échafaud. On aurait dit que la dernière goutte de sang avait quitté son visage. Sa mine était même meilleure après son saut dans le vide avec l'énommé dans le désert.
Earl se détourna brusquement de son image dans la glace.

- Allons-y.

Mellyna le détailla, il paraissait vraiment malade. Elle ouvrit la marche et ils arrivèrent derrière les jeunes filles qui discutaient.

-Fanaa ? Earl voudrait te parler avant notre départ.

La dédrane osait à peine respirer. Est-ce que la danseuse allait s'enfuir ? Était-ce une mauvaise idée ?
Elle insistait, peut-être bêtement, mais elle sentait qu'ils ne devaient pas se séparer comme cela. Ça leur ferait du mal, oui c'est certain.

- à moi ? demanda Fanaa surprise.

Elle tourna la tête vers le couple, battit des paupières, se passa une main dans les cheveux et attendit, nerveuse. Lui parler ? Earl ne voulait jamais lui parler. Sauf pour lui faire des reproches, et encore. Si elle avait de la chance et qu'il était bien disposé, il pouvait lui parler de lui. A la limite. Ah si, il pouvait aussi parler de Ridelgald. Après tout c'était une personne des plus importante pour lui. Il était plutôt grand, physiquement, mais au fond il était resté un petit garçon pour qui Monsieur Ridel faisait office des deux parents. Et il semblait que pour le Levitis les parents étaient plus importants que l'amour. Enfin non, pas l'amour, il n'éprouvait rien de tel mais ... en tout cas, pour lui le passé comptait plus que le futur. Il était coincé, toujours tourné vers l'arrière.
Allez, courage. De toute façon il avait déjà été si dur, pouvait-il l'être plus ? Probablement pas. Alors encore une fois, elle tenta d'ériger des murailles autour de son cœur et se promit de ne pas être touchée par ce qu'il allait dire. De toute façon, il tiendrait probablement un discours dont elle ne saisirait pas le sens, car il signifierait l'inverse de ce qu'il avait déjà dit. Earl tenait des propos contradictoires et Fanaa se demandait parfois si ce n'était pas juste pour la faire tourner en rond et se cogner contre des murs.
Il lui faisait vraiment de la peine, mais elle n'était pas fâchée contre lui. Il ne la voyait pas, il ne l'entendait pas, et rien n'y changeait jamais. Chaque fois qu'elle tentait quelque chose il ne lui répondait que par des mots méchants, une attitude hautaine, voire de l'ignorance. Comme sur la route de Fedoran. Dire que tout semblait aller mieux entre eux dans la Désert, dire qu'elle avait cru qu'ils auraient droit à un peu de paix, à du temps pour être ensemble, pour être heureux, pour être un couple.
Mais non. Non. Lui avait été absent immédiatement. C'était comme si elle n'était pas vraiment là. Sur la route il avait maintenu cette distance, et à l'arrivée aussi. Ainsi que durant cette journée où il avait affiché son désintérêt total. Son ennui. Elle l'ennuyait. Il le montrait à chaque fois. Elle l'ennuyait. Alors il allait faire quelque chose d'horrible. C'était forcé. Il y avait une sensation de déjà-vu. Il s'était lassé. Elle ne le distrayait plus. Alors maintenant, maintenant ...
Une porte qui s'ouvre sur un escalier dont la plus grande partie est noyée dans une obscurité épaisse, liquide. Des relents d'humidité et de fer.
La Chandlune ne pouvait plus bouger. Il s'était lassé. La lassitude menait à la destruction. Il faudrait recommencer. Encore. Se remettre debout. Se reconstruire. Encore. Le cachot. Les chaînes au mur. Elle ignorait si ces images avaient une origine réelle, mais elle lui semblaient -hélas- familières.
Et pourtant elle ne lui en voulait pas. Le pauvre, il n'était même pas heureux. Ridelgald était trop loin pour cela. Il allait crier, puis il partirait retrouver Ridelgald et tout irait bien pour lui. Quant à elle ...

Quel était le nom de la quatrième lune au fait ?

Chose qui paraissait impossible, la pâleur exceptionnelle du Lévitis s'accentua encore lorsqu'il se retrouva face à Fanaa. Pendant une seconde, ce fut lui qui parut sur le point de tourner les talons pour prendre la fuite, mais il resta finalement sur place, les deux pieds comme ancrés dans le sol. La brise fraîche descendue des montagnes lointaines encore couronnées de brume semblait lui tirer des frissons et il avait croisé les bras, frémissant un peu dans sa chemise légère.
Son regard restait fuyant, ses mâchoires aussi serrées que si elles avaient été assemblées par des vis.
Une courte rafale brossa les herbes de la plaine, précipitant une pluie de rosée sur le sol durci.
La gorge sèche, Earl fixa un moment les gouttelettes sombres bues avec avidité par la terre assoiffée.
Et, enfin, il se décida à regarder Fanaa en face. Ses dents se desserrèrent avec un ou deux petits claquements qui ne devaient pas grand chose à la température matinale. Ses ongles s'enfonçaient profondément dans la chair de ses bras au travers de la malheureuse chemise.
Sa voix, en revanche, fut presque aussi assurée qu'à l'ordinaire. Juste un peu plus basse, un peu plus voilée.

- Je suis...

Une hésitation.
Son ton s'abaissa encore.
A moins d'y regarder de près, il aurait pu passer jusque là pour simplement rigide et contraint, comme traîné là à contre-coeur par Mellyna, mais cette hésitation sonna comme une fêlure bien nette. Le regard d'or vacilla avant de s'abaisser vers le sol. Earl baissa la tête comme si un collier de fer trop lourd le forçait à ployer. Il semblait presque attendre qu'un coup s'abatte sur sa nuque.

- ... désolé.

Fanaa regarda Earl sans comprendre avant de jeter un oeil à Mellyna puis de revenir au Levitis. Il s'était encore passé quelque chose entre ces deux-là. L'attitude du jeune homme était très bizarre, vraiment pas naturelle. La jeune fille ne savait pas ce que Mellyna cherchait à faire à chaque fois, mais elle se demandait si la Gardienne ne faisait pas empirer les choses. Car après le "c'est tout" de conclusion du Levitis la veille que pouvait-il y avoir à rajouter ?
Rien.

Fanaa gigota mal à l'aise. Il devait être tellement gêné dans cette position ! Elle eut de la peine pour lui et envie de prendre sa défense.

- Ce n'est rien. dit-elle d'une petite voix douce.

Il fallait le rassurer.

- J'ai l'habitude qu'on ne soit pas gentil avec moi. Ce n'est pas important. continua-t-elle sur le même ton.

Bien sûr que si c'était important. Mais il fallait lui dire que ce n'était pas de sa faute à lui.

- Pourquoi aurais-tu été différent des autres après tout ?

Ce n'était vraiment pas normal qu'il baisse la tête devant elle. Ca allait sûrement le mettre encore plus en colère.

"L'habitude" ? "Pas important" ?
Les tentatives de Fanaa pour le déculpabiliser lui tirèrent un tressaillement et il serra à nouveau les dents sans relever la tête, comme si chaque phrase était un coup de fouet.
La dernière remarque ne lui rendit pas sa combativité mais lui fit décrisper les doigts de ses manches de chemise qui commençaient à crier grâce.

- Les... autres...

Il se plaqua brusquement une main sur le bas du visage et parvint de justesse à bafouiller un "excusez-moi" étranglé avant de se précipiter vers les buissons les plus proches, des buissons qui, à force de recevoir des contenus d'estomac, allaient soient bien engraisser, soit finir par crever sur pied.

Fanaa pâlit en le voyant faire. Elle voulut rester sur place -après tout il était inutile de s'approcher de quelqu'un qui ne vous supporte pas, ça ne l'en met que plus mal à l'aise, mais au second bruit de rendu, elle ne put résister et se leva pour le rejoindre. Elle posa ses mains sur son dos et commença à frotter doucement pour le calmer.

- Earl, tu es malade. Ecoute j'ai bien compris le message, je t'ai fait assez perdre ton temps et tu me détestes. Tu n'as pas à être désolé ou quoi que ce soit pour ça. Tu vois bien que j'ai arrêté d'insister. Je m'en vais, je te laisse en paix et toi tu t'occupes de toi d'accord ? Il faut vraiment que tu te fasses guérir sérieusement. Tu ne dois pas rester ainsi.

Etant donné que les deux personnes atteintes de maux d'estomac étaient du genre à ne pas beaucoup manger, les pauvres buissons recevaient plus de bille qu'autre chose et cela n'était pas agréable pour eux. Entre ça et les hommes qui venaient y pisser sous le ciel étoilé la nuit, les pauvres végétaux n'étaient vraiment pas gâtés.

- Arrête... de... raconter... des conneries !

Il avait rendu tout ce qu'il pouvait rendre mais la houle douloureuse de son estomac ne se calmait pas. Les larmes aux yeux, il se laissa dégringoler à genoux dans la poussière, une main griffant la terre friable et l'autre enfoncée en poing sous les côtes.
"Les autres".
Par Ael, combien avaient...
Le simple fait de se poser la question déclencha un nouveau spasme. Ses efforts pour retrouver son calme semblaient bien dérisoires par rapport à l'horreur qui lui tordait les entrailles. Il avait l'impression que l'intégralité de ses organes bataillait pour ressortir en passant par son œsophage brûlé par la bile, et d'une certaine façon il aurait presque espéré que ce soit vrai.

Kyara se leva et alla vers Mellyna :

- Il s'est passé quoi là-haut ? demanda-t-elle en montrant l'auberge du menton.

Fanaa rompit le contact, baissa la tête et recula d'un pas.

- Excuse-moi. Mais je ne suis pas du genre à dire des -elle hésita- bêtises. Je ne suis pas une menteuse et ce que je dis je le pense. Et là je m'inquiète pour toi. Mais d'accord, je ne dis plus rien.

Elle dut laisser passer quoi, deux secondes ? Puis elle reprit, mains jointes en se haussant sur la pointe des pieds :

- Tu veux que j'aille chercher quelqu'un ? Ou un thé ? Ou quelque chose qui te calme ?

*Un, deux, trois...*
La question de Kyara reconnecta la Dédrane avec le monde qui l'entourait.
Quand avait-elle perdu le fil de la conversation ? Fanaa n'était plus devant elle, ni Earl. Il avait recommencé à avoir des hauts le coeur.
*Quatre ?*
Elle se tourna vers la shalos, les yeux un peu vagues.

-Rien de particulier. Il m'a demandé comment arranger les choses avec Fanaa. J'ai suggéré que des excuses seraient un bon début. Il a eu l'air de se souvenir de quelque chose de gênant et depuis il n'a pas l'air dans son assiette.

Elle observa les deux jeunes gens.

-Comme d'habitude, j'ai tapé à côté... Le constat était amer et plein de regrets.

*Cinq, siiiiix. *
Le septième battement tardait à venir. Le rythme n'était plus régulier depuis qu'elle avait descendu les marches.
Mellyna eut un éblouissement, heureusement le "boum, boum" attendu finit par arriver. Pourtant, la crise ne passait pas.
Elle se décida à les interrompre.

-Navrée mais il faut partir, enfin je dois partir. Maintenant.
Je suis désolée d'avoir mit mon nez dans vos affaires, je pensais vraiment pouvoir vous aider. Fit-elle en regardant Fanaa et Earl.
Vraiment désolée.

La gardienne était pâle, ses yeux ternes, elle s’essoufflait rien qu'en parlant. Fanaa avait déjà préparé les montures. Mellyna s'approcha de sa jument et se mit en selle. Elle se retint de glisser, de justesse.

Earl se contenta de secouer la tête.
Reprenant son souffle, il se redressa juste assez pour s'asseoir sur ses talons. A chaque inspiration, sa gorge brûlante produisait comme un bruit de clapet mal refermé. Il toussa encore une ou deux fois puis s'essuya le coin de la bouche d'un revers de main poussiéreuse.

- Il est temps que vous y alliez.

Si Mellyna pressait le mouvement, c'est que la situation se faisait beaucoup plus urgente que prévu.
Avaient-elles au moins acheté des provisions, des couvertures pour remplacer celles perdues, des bâches pour isoler aussi bien les personnes que les denrées et les herbes médicinales fragiles des averses impromptues et de l'humidité qui se ferait omniprésente dans les marais ? Il fallait juste l'espérer.
Il ajouta plus bas, trop bas pour que ses paroles parviennent jusqu'aux oreilles de la Dédrane :
- Elle ne va pas bien, elle non plus. Essayez au moins de ne pas ajouter à son fardeau. Et ne tardez pas en route.

Elle en aurait pleuré. Les dernières paroles d'Earl étaient donc destinées à Mellyna. Il se préoccupait d'elle. Donc magré son discours de la veille il y avait bien quelque chose. Earl et Mellyna. Mellyna et Earl. Il n'y avait rien à faire. Elle ne pouvait pas lutter.

Fanaa hocha la tête.

- Surtout, fais très attention à toi.

Elle leva la main mais alors qu'elle allait lui toucher l'épaule, elle serra le poing très fort, se mordit la lèvre inférieure jusqu'au sang et fit demi-tour d'un coup.

Sans un mot, elle enfourcha sa monture, vérifia que ses compagnes faisaient de même, puis le petit groupe de filles prit le trot et l'auberge disparut bientôt derrière elles.

Kyara suivit donc les filles, sans jeter un regard en arrière, mais même si elle ne l'aimait pas vraiment , elle s'inquiétait tout de même de le laisser seul comme ça, mais Fanaa l'inquiétait tout autant, quand à Mellyna, elle ne la connaissant que depuis peu, mais vu sa réaction il y avait un gros soucis

- Hum... Au faite ! On repasse par l'autre auberge pour récupérer des provisions et peut être d'autres trucs nécessaires au reste du voyage ? Je ne sais pas trop ce qui a été perdu avec l'attaque prés de la rivière.

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Shadow souffla en voyant où il avait atterri, il pouvait se montrer heureux, au moins il ne s"était pas prit un mur ou pire ! Il regarda autour de lui. Bon au moins il était prêt d'une auberge, peut être que...

Il entra rapidement dedans mais ne la vit pas à l'intérieur, il posa donc la question, et la serveuse lui répondit qu'elle avait vu quelqu'un correspondant à la description de Kyara mais qu'ils étaient partie la veille, mais elle supposait qu'ils repasseraient peut être par là. Shadow se maudit en se disant qu'il aurait du partir hier ! Mais il ne pouvait pas savoir qu'il avait une journée de retard ! Il commanda un petit déjeuner en demandant s'il pouvait être servi dehors pour ne pas rater la shalos, au cas où ils auraient l'idée de repasser par ici mais sans s’arrêter à l'auberge.
Il ressortie donc et s'assit sur un banc de pierre en face de la bâtisse. Quelques minutes plus tard, la serveuse vint lui apporter son repas, il la remercia et commença à manger tout en "priant" qu'il ne soit vraiment pas arriver trop tard !

Fanaa acquiesça.

- Oui Kyara. C'est là-bas que nous ferons nos emplettes, les prix sont plus intéressants. Personnellement je n'ai pas beaucoup d'argent ...

Une chose était sûre, elle allait finir de vider sa bourses dans quelques instants. Et ensuite elle serait comme elle avait toujours été : sans un sou. Mais elle avait survécu ainsi pendant des années, au final les choses reprenaient leur place. Ou quelque chose comme ça.
Elles avaient bien poussé les chevaux et elles atteignirent la petite auberge en à peu près une heure. La Danseuse mit pied à terre.

- On fait une pause rapide le temps d'acheter ce qu'il faut et de boire si vous avez soif mais on repart aussitôt d'accord ?

*J'espère qu'ils nous auront attendues !*

Il y avait un homme sur un banc. Un homme sombre dont le visage changea en apercevant les arrivantes. Il se mit debout et s'avança nonchalamment vers le groupe de filles. Fanaa se raidit, que voulait cet inconnu ?

Toujours à genoux dans la poussière, Earl exhala un long soupir. A présent il était seul.
Un rafale lui flagella les joues et il frissona, glacé.

La petite serveuse parut étonnée de le voir aussi négligé lorsqu'il rentra sans avoir pris la peine de s'épousseter un peu. Un peu inquiète, aussi : le jeune homme n'avait vraiment pas l'air bien.

- J'aurais encore besoin de quoi écrire.

Elle reposa son balais pour aller lui ouvrir l'armoire. Pendant un moment, la jeune fille parut sur le point d'exprimer sa curiosité mais finit par refermer la bouche, le rouge aux joues. Le Lévitis s'éloignait déjà, non sans avoir prélevé un verre de tisane sur un plateau. Il semblait tellement en avoir besoin qu'elle ne songea même pas à protester.

Avec le plus grand calme, Earl s'installa à nouveau à la table sous la fenêtre de sa chambre et rédigea plusieurs lettres avec constance. Il les scella sans les relire, ne laissant qu'un feuillet en l'état sur la pile.

Le soleil s'élevait, la brise venue des montagnes s'essoufflait déjà. Les japements ténus des géomys sortis à la fraîche se taisaient peu à peu.

Earl resta un moment assis, à jouer pensivement avec la branche qu'il avait prélevée au vieil if tordu qui poussait près de la porte de l'auberge.

Il connaissait les lois écrites de Lévitas et s'était toujours efforcé de les respecter. Oh, certes, il lui était arrivé de prendre quelques libertés avec, mais uniquement pour servir des objectifs importants. Les lois morales étaient laissées à l'appréciation de chacun. Ses pairs le considéraient comme "collet-monté" sur ce point. En vérité ce n'était pas tout à fait exact. Cependant il y avait des actes qu'il ne pouvait tolérer.
Dire qu'il avait songé à dépoussiérer et étoffer les vieux textes de lois de Lévitas, tandis qu'il caressait ses projets d'accession au titre de chancelier ! Un rire douloureux secoua ses épaules.

Du bout du doigt, il écuma les aiguilles sombres qui flottaient à la surface de la tisane fumante.
Les zoris qui lui restaient étincelaient, répandus sur la table à côté des lettres. Un dédommagement amplement suffisant. De toute manière quelqu'un se serait sans doute servi.
L'amertume du liquide lui arracha un frisson mais il vida consciencieusement le verre jusqu'à la dernière goutte. Et, le regard perdu entre les lézardes du plafond assombri par la fumée de dizaines de chandelles, Earl attendit.