Nolad - plaines

Ah mais ?! Cette facilité qu'avait Mellyna de la soulever si aisément était déconcertante. La Dedrane agissait chaque fois de façon si protectrice, si ... maternelle ... que Fanaa avait du mal à lui résister. Elle n'arrivait pas à s'y faire et était surprise à chaque fois. Qu'on agisse aussi gentiment à son égard restait surprenant. Agréablement surprenant.

Ainsi Fanaa se retrouva-t-elle en croupe.

- Je suis désolée. J'ai lâché sa main, je l'ai quittée du regard et elle n'était plus là. Je vous avais dit que je ne la quitterais pas des yeux mais je l'ai perdue. Je suis déolée.

De retour au camp, Fanaa descendit de cheval.

- Ici, je lui tenais la main.

C'était le bord de l'eau.

- Je faisais très attention à ce qu'aucun saurien n'ait l'idée de claquer les mâchoires près d'Adwel. Ensuite nous sommes revenues vers le centre, et j'ai dû estimer -bêtement- qu'il n'y avait plus de danger alors je l'ai lâchée. Et des traces de pas ...

Il n'était pas aisé de la repérer sur ce terrain, surtout lorsqu'on n'en avait pas l'habitude. Est-ce que c'était cela, est-ce que ...

- Nord-Est.

Elle se tourna vers Yamana.

- C'est Nord-Est, c'est cela ? Nord-Est-Est, même. Elle ne va pas vers le bourg et l'auberge, elle trace tout droit vers les marais, elle essaie de rejoindre la forêt par ses propres moyens, n'est-ce pas ?

Fanaa clopina vers sa monture et se hissa en selle.

- Earl, Mellyna, vous ne pouvez pas rester là. La jument de Melly est valide, vous devriez avancer vers l'auberge. Il faut qu'Earl se fasse soigner. Melly, tiens, je te confie la carte. Nous on va chercher Adwel et on vous rejoint. Vous êtes d'accord ? Yamana ? Je suis prête.

La Danseuse donna un petit coup de talons à son cheval qui alla se placer à côté de celui de la Dedrane. Elle ignorait à quel groupe Kyara voudrait se greffer, mais comme elle n'avait pas mis pied à terre, il était probable qu'elle les suive. Ce qui pouvait être utile, même si Adwel était seule et à pied. Fanaa se hissa sur la pointe des pieds sur les étriers pour tenter de distinguer une tâche bleue qui soit la bonne mais soit la mediovienne se camouflait vraiment bien, soit elle était incroyablement rapide.

- Il me semble que toi aussi tu aurais besoin d'un soigneur, grinça Earl. Et là tu vas me dire : "c'est moi qui l'ai quittée des yeux donc je dois la retrouver, c'est mon amie, blablabla"... Tch ! A vue d'oeil, je te donne encore deux heures avant que tu ne tombes dans les choux avec une jolie fièvre à force de t'agiter ainsi. Enfin, ça évitera à quelqu'un de t'assommer pour te forcer à rester tranquille. Comme si le fait qu'on soit d'accord ou pas allait te faire devenir brusquement raisonnable de toute façon.

Il ramassa un des sacs qu'il venait de boucler et le lui envoya entre les bras sans douceur excessive.

- Puisque rien ne se passe jamais normalement, vous aurez sans doute besoin de ça. Et de la carte. J'ai eu le temps de repérer le chemin entre ici et la route, vous, vous allez battre la campagne pour retrouver votre Médiovienne je ne sais où. A moins d'avoir appris le plan par coeur, c'est votre petit groupe qui aura le plus probablement besoin de vérifier son itinéraire.

Il se tourna vers les autres cavalières.

- J'ai rajouté les bouts de corde qui restaient dans le sac, donc quand la demoiselle ne tiendra plus sur son cheval toute seule, vous aurez de quoi l'attacher dessus. En fait vous pourrez aussi ligoter votre Médiovienne sauvage en cas de besoin. Je vais finir par croire que les pâtres fédoriens n'ont pas inventé la technique du lasso pour les moos, mais plutôt pour rattraper leurs femmes... il doit y avoir un truc dans l'air du Nolad qui pousse la gent féminine à filer au galop dans les hautes herbes, je ne vois que ça.

Sur cette déclaration, le Lévitis retourna examiner son cheval. Celui-là aurait aussi besoin d'être retapé, mais au moins il ne s'amusait pas à courir dans tous les sens en aggravant les choses.

Fanaa serra les dents et baissa les yeux. Elle ne se sentait pas capable de lui répondre. Ce n'était pas qu'il ait raison ou qu'il ait tort, non, c'était juste que se disputer ... encore ... non. Elle ne voulait pas. Elle pressa les flancs de ta monture et repartit vers Mellyna.

- S'il te plait Melly, garde la carte. J'ai commencé à la redessiner sur mon carnet et je l'ai bien mémorisée. Je ne veux pas que vous vous perdiez, garde la. On revient le plus vite possible et je ferai attention.

Elle se mordilla les lèvres.

- Merci pour Earl. Ca me rassure que tu sois là. Bon. Rejoignez l'auberge au plus vite, tu as besoin de repos toi aussi. Il faut te ménager.

La Danseuse hésita puis se pencha pour déposer un doux baiser sur le front de la Dedrane.

- Je sais que tu penses que ma perception de toi est un peu ... exagérée. Mais pour moi tu es quelqu'un de spécial. De vraiment spécial. Alors fais attention. Je me dépêche.

Elle lui sourit et rejoignit les deux autres cavalières.

- On y va ?

Kyara regarda tout se petit monde

- Pas besoin de carte, on pourra vous retrouver grâce aux perles, et je sèmerais des fils d'ombres s'il le faut pour revenir ici et repartir ensuite dans la bonne direction ! Et puis on a Yamana ! Donc allons à la poursuite de la maman bleu !! s'exclama la shalos prête à partir

-Très bien je garderai la carte alors.

La dédrane hésita, revint à la hauteur de la danseuse et défit son collier.

-Je suis de l'avis d'Earl : tu devrais te faire soigner, ce n'est pas raisonnable. Les filles peuvent retrouver ton amie sans toi. Ça ne signifiera pas pour autant que tu ne tiens pas à elle.

Elle soupira, détaillant la pierre qui se trouvait au creux de sa main :

-Néanmoins en tant qu'amie, je ne peux que te suivre dans tes choix, la décision te revient.

Mellyna prit doucement la main de la danseuse et y déposa le médaillon.

-Tu en auras plus besoin que moi dans les heures à venir.
Elle murmura pour Fanaa seule : Te brusquer, c'est sa façon à lui de te montrer qu'il s'inquiète pour toi... Essaie d'être prudente, je le veillerai pour toi.
Puis plus fort aux cavalières :
Bonne route mesdemoiselles et puisse la Mère veiller sur vous !

Après un mouvement de la main, elle partit rejoindre le lévitis. Sa gorge s'était un peu serrée, elle avait l'impression de faire une bêtise en laissant partir Fanaa dans cet état.


-Elle n'est pas si tête de linotte... Je dirais qu'elle met trop d'enthousiasme et de coeur dans ce qu'elle fait. Vous n'étiez pas comme cela à son âge ?

Mellyna secoua tristement la tête, ses anglaises s'éparpillant au gré de ses mouvements.

-Le plus triste, c'est que notre expérience ne sert à rien. Les enfants doivent faire leurs propres erreurs pour apprendre et grandir.
Bref, vous faut-il des soins à l'un ou à l'autre avant de reprendre la route ?

- A son âge ? Son âge physique, vous voulez dire ?

Earl eut un rire un peu amer.

- Les rejetons des grandes familles de Lévitas se destinant à l'armée et un tant soit peu doués peuvent passer officier actif à partir de seize ans. Ceux qui ne retournent pas dans les jupes de leur mère à l'issue de leur premier commandement n'ont que peu d'occasions pour se montrer enthousiastes, et d'ailleurs ce n'est pas ce qu'on leur demande.

Il serra les dents.

- L'ennui, c'est que cette "enfant"-là a une furieuse tendance à toujours commettre les mêmes erreurs. Sinon je n'aurais pas à m'énerver en quasi permanence. J'ai dit que j'essayerais de me montrer plus souple, mais ce serait plus simple si elle n'en faisait pas qu'à sa tête quoi qu'on puisse lui dire.

Avec un soupir, il assura les sacs les plus légers qui leur restaient sur le dos de son cheval. L'animal prit soudain un air piteux et fit mine de boitiller sur place. Earl lui décocha une tape sur le chanfrein.

- N'en rajoute pas, toi.

Dépité, le paresseux entreprit subrepticement de dévorer une longueur supplémentaire d'ourlet au manteau de son maître.

- Rien qui ne puisse attendre quelques heures. D'ici là, nous devrions avoir trouvé une quelconque bicoque en bord de route.

-Ah, je suppose que non alors... Pour ma part, j'avais aussi quelques responsabilités à cet âge, pas aussi ardues que les vôtres, je le conçois aisément. Cependant, la plupart de mes amies de 16 ans étaient comme elle.

Mellyna, prise de pitié, câlina un peu l'étalon et lui gratta le derrière de l'oreille.

-J'espère que cette habitude lui passera. Fit-elle pensive. Elle vérifia que les harnachements étaient bien fixés ainsi que les sacs.
Je vous laisse monter la jument, je vous suivrai à pied. Vous voulez la carte ?

- Inutile. Le trajet n'a rien de compliqué, si ce n'est un passage un peu marécageux à contourner à mi-parcours. La pluie de cette nuit n'avait rien de terrible mais elle aura probablement suffi à ré-ennoyer les zones basses indiquées sur la carte. Il faudra faire le tour par le sud si on veut éviter qu'un autre cheval se casse une patte dans un trou d'eau dissimulé sous les herbes flottantes.

Earl récupéra son manteau d'entre les dents de son cheval puis se hissa sur la jument. La manœuvre fut cette fois-ci un peu moins élégante. A l'issue de cette matinée presque aussi agitée que la nuit qui avait précédé, le Lévitis commençait à trahir un peu de fatigue.
L'étalon ainsi délaissé applatit les oreilles, puis décida d'aller fourrer ses naseaux sous le bras de celle qui avait l'intelligence de le câliner. Avec un "honhonhon" de satisfaction, il se mit à suçoter un bout de la tunique de Mellyna.

- J'aimerais bien savoir d'où lui vient cette manie, grommela Earl, un peu inquiet à l'idée que le vêtement cède.

Après un dernier coup d'oeil dans la direction prise par le reste du groupe, il mit la jument au pas. La situation -lui à cheval et Mellyna à pied- l'embarrassait un peu, mais monter à deux sur la jument n'aurait fait que l'épuiser pour rien : l'étalon boiteux n'aurait pas permis de progresser plus rapidement. Ravalant sa gêne, Earl resserra encore un peu les rênes.

Le paysage du Nolad était assez monotone : des touffes d'herbes hautes qui moutonnaient sur des kilomètres et des kilomètres, d'un vert pâle tirant sur le jaune là où la terre se trouvait presque réduite à l'état de poussière, plus sombres le long du lacis discret des ruisselets qui suintaient à peine hors du sol durci. De loin en loin, des arbres tordus par les vents trahissaient la présence de cours d'eau plus pérennes. Des rongeurs dorés détalaient sous les sabots des chevaux et sous l'oeil aigu d'un rapace porté par la brise bien au dessus de leurs têtes.

Earl finit par briser le silence :
- Pourquoi ne pas être restée avec lui ? Vous sembliez plutôt... hum... bien assortis.

Une fois au campement, elle n’eut pas besoin de faire la moral. Ce n'était pas son rôle de toute façon. Elle n'avait même pas commenté ce que Fanaa lui avait avoué. Elle descendit de son cheval pour contrôler ce qu'observait la danseuse.

- Oui, c'est bien cela... Et je ne suis pas certaine que ce soit sa volonté propre qui la fait aller par la...

Elle se tourna vers Kyara après être remontée sur le dos nu de son étalon

- Auriez-vous par hasard placé une de vos perles étrange sur Adwel?

Elle se doutait de la réponse a venir. La garde du corps attendit que la danseuse se mette en route. La plaine était assez grande pour que les cavalières restent en botte à botte.

- non malheureusement, mais je peux peut être trouver son ombre... Je dis bien peut être car ce n'est pas facile de trouver un ombre en particulier dans des endroits ombragés ou caché par le soleil. Mais on va essayer ! Par contre il faudra me surveiller car je vais devoir rester concentré quelques minutes, et je risque de ne pas garder mon équilibre sur mon cheval. Même s'il a le dos assez large pour être bien installer comme il faut même sans selle !

Sur ce, Kyara mit Etoile dans l'axe qu'avait indiqué Fanaa quelques minutes plus tôt, le mis au pas et se concentra, ses yeux devinrent noir, pourtant ils n'étaient pas simplement noir, on avait l'impression que quelque chose se mouvait dedans, des ombres...
Elle laissa les ombres porter son regard au plus loin qu'il le pouvait. La shalos voyait en négatif, les ombres devinrent "lumière" et le clair devint ombre. Pourtant elle n'arrivait pas à trouver la médiovienne...
Elle secoua la tête, ses yeux redevinrent vairons

- Elle est déjà trop loin ou son ombre se mélange à d'autres et je n'arrive pas à la localiser. Si vous voulez je recommencerais quand on se sera un peu plus éloigner du camp. Yamana n'hésite à me demander de sonder plus loin si tu vois un changement de direction dans les traces que Adweliwen aura laisser !

- Merci Kyara.

Fanaa était un petit peu déçue que cela n'ait rien donné. En voyant les yeux de la shalos s'assombrir elle avait espéré ...

- Allez hue mon beau ! Il faut retrouver Adwel !

Elle mit sa monture au trot et avança en regardant de tout côté. Adwel n'était pas elle-même, cela se voyait, mais d'après Yamana il se pouvait qu'elle soit guidée par ... quelqu'un d'autre. Est-ce qu'on aurait pris possession du corps de la voleuse ? Mais pourquoi ? Sentant son pouls s'accélérer, Fanaa essaya de se raisonner. Elle se poserait ce genre de questions plus tard. Elle devait se concentrer sur la situation présente.
L'une de ses mains lâcha les rennes pour monter effleurer le collier de Talisham puis se poser sur la pierre de soleil. Une chaleur apaisante l'envahit et elle se sentit plus en confiance.
Cette pierre, Adwel s'en était approchée, elle en avait "libéré" la Harpe Sacrée. Se pouvait-il ... ?

*Tu connais Adwel. Tu ne voudrais pas m'aider à la retrouver ?*

La pierre se mit à briller en réponse à la demande et créa un rayon de faible lueur à la portée courte. Fanaa n'avait pas prononcé la bonne incantation, pourtant l'artefact avait compris et lui montrait tant bien que mal la direction qu'avait prise la voleuse.
Elle se tourna vers ses compagnes.

- La pierre ! Je crois qu'elle peut nous guider vers Adwel ! Vite vite !

Elle fit accélérer sa monture.

*Merci petite pierre, continue de me montrer le chemin s'il te plait !*

Mellyna dégagea délicatement sa tunique en prenant garde à ne pas la déchirer.

-Il a du être sevré trop tôt, pauvre petit poulain.

Elle rangea la carte et suivit Earl sur sa jument, tout en gardant une main sur l'encolure de l'étalon pour le rassurer.
La pierre lui manquait déjà, la fatigue et le brouillard n'avaient mis que quelques minutes à revenir. Elle ressentait presque un manque, il faudrait qu'elle fasse attention la prochaine fois à ne pas se sevrer trop brutalement de sa magie, surtout s'ils se trouvaient plus au Nord.
La dédrane suivit automatiquement le lévitis sans vraiment faire attention à la direction prise.
La question du jeune homme la tira de sa rêverie. Elle fut un peu embarrassée, parler des sentiments et des relations des autres ne lui posait pas de problèmes. C'était différent quand il s'agissait de ses histoires à elle. Elle fixa son regard turquoise sur l'horizon.

-Il y a plusieurs raisons... La principale est que le désert ne me convient pas. C'est beaucoup trop éloigné de ce que j'ai connu jusqu'à maintenant. Y séjourner est possible, y vivre aurait été très difficile. De plus, j'y aurais peut-être perdu mes pouvoirs, avec le poussin à "nourrir" je ne pouvais pas prendre ce risque.
Elle réfléchit un instant.
J'aime beaucoup Thani, mais ce qu'il veut vraiment c'est une famille. Je ne suis pas sûre de pouvoir lui en donner une.
A cet instant les yeux et la voix de la dédrane s'étaient teintés de tristesse, comme si un nuage venait d'apparaitre au-dessus de sa tête.
Il vaut mieux qu'il trouve une compagne plus jeune, plus normale, qui pourra lui en donner.
Selon lui, la raison est que je n'ai pas encore fait le deuil de Lor. Je ne dis pas qu'il a tord : c'est possible, mais je ne l'ai pas ressenti ainsi.
Quand Talisham et Aryllë sont venus pour Fanaa, j'en ai profité pour fuir avant que tout cela ne devienne un problème. C'était lâche et mesquin, Thani a eu l'air de comprendre malgré tout.

Mellyna finit par retourner à l'observation du chemin et des nombreux terriers qui le jalonnait. Elle garda un oeil sur le jeune homme, guettant sa réaction. Elle craignait qu'il ne la juge mièvre et pleutre.

Earl hocha la tête.

- Peut-être désirait-il une famille mais il voulait que ce soit vous qui essayiez de la lui donner. Dans le désert, les enfants sont le plus grand des trésors, cependant il est de plus en plus fréquent que les couples ne puissent concevoir du tout. Même en choisissant une compagne plus jeune et bien portante, il n'y a rien de certain. Les habitants du désert ont une conception très... hem... libre des relations charnelles. Si un homme demande à une femme de partager sa vie, c'est bien qu'il désire cette femme-là pour elle-même, au delà de toutes les autres, pas pour une passade de quelques nuits ou pour une perspective incertaine d'enfants.

Il reporta son attention sur le sentier tortueux.

- Ceci étant, je peux comprendre que vous répugniez à vivre longtemps dans un endroit si différent de ce que vous connaissez bien. Les partisans de l'amour avec un grand A pousseraient de hauts cris en entendant ça, mais je pense qu'on peut aimer un endroit et ce qu'il peut représenter autant qu'une personne. Certes, ce genre d'affection est à sens unique mais... s'il subsiste sans rien pour l'alimenter, c'est qu'il est réellement puissant, non ? J'ai cru comprendre que ce que vous ressentez envers la forêt du Ternaël est un peu... compliqué, mais il est aussi vrai que rien n'en est plus éloigné que les hauts plateaux du désert rouge.

Derrière eux, l'étalon trébucha contre une touffe d'herbes sêches.
A présent le soleil brillant haut dans le ciel. La chaleur elle-même n'avait rien d'insupportable avec la brise légère qui faisait onduler les plaines, mais les rayons de l'astre du jour n'en étaient pas moins cuisants et l'ombre rare. Earl releva le capuchon de son manteau et fronça le nez en secouant ses doigts plein de bave de cheval.

- Avec leurs fêtes et leurs coutumes, les gens du désert ont pu vous paraître joyeux, insouciants. Mais lorsqu'il s'agit de demander à quelqu'un de partager son existence...

Le jeune homme eut une moue.

- Au fond ils sont aussi rudes et patients que les rocs au milieu desquels ils vivent. Ils n'agissent pas à la légère pour les questions d'importance. Si je devais les comparer à quelque chose, je dirais qu'ils ressemblent furieusement à des huîtres. Durs comme de la pierre au dehors sous leur couche de goémon coloré, mais vulnérables lorsque d'aventure ils s'entrouvrent un peu. Je ne doute pas que Thani ait compris vos motifs, cependant j'ai bien peur qu'il n'ait été profondément blessé malgré tout.

Mellyna savait tout cela, elle le savait et elle était partie quand même. Pourquoi ?

- Je le crains aussi. Je ne suis peut-être tout simplement pas prête à être enfermée de nouveau. Que ce soit dans un lieu ou dans une relation... Je sais combien Thani était sincère et je regrette de lui avoir fait du mal. Ce n'était pas le moment voila tout.
Les gens du désert m'ont paru, au contraire, très stricts et renfermés. Pourtant ils ont de l'amour à revendre. Le pays façonne les gens autant qu'ils le transforment, voire même plus.
Je ne pouvais pas lui demander de quitter son désert, pas au stade de notre relation. Alors j'ai préféré le blesser. J'aurais peut-être du lui laisser le choix...

Toute cette histoire commençait à lui donner la migraine, ou était-ce le soleil ? Elle se rendit alors compte qu'elle n'avait pas couvert sa tête ni noué ses cheveux. Elle fit une rapide tresse de sa tignasse qu'elle enroula sur son crâne. Un foulard tiré de son sac lui permit d'attacher le tout.

-Bah de toute façon, c'est trop tard.

- Trop tard ?

Earl eut un petit sourire.

- Comme je l'ai dit, ils sont aussi patients que des rocs. Je ne sais en quels termes vous vous êtes quittés, mais si vous n'avez pas employé des termes tout à fait définitifs, je parierais cher qu'il attendra. Il m'a semblé être le genre d'individu capable d'attendre des années s'il le faut.

Il se redressa légèrement et plissa les yeux.

- Ah, voici la route.

Moins qu'une route, c'était un ruban de terre qui semblait avoir été damé par des milliers de moos. On n'apercevait nul voyageur, mais la timidité des herbes rampantes à reprendre leurs droits au bord du chemin témoignait d'un usage fréquent.

- Bien... La carte n'indiquait aucun village. La question est donc de savoir dans quelle direction chercher une éventuelle auberge.

Il jeta successivement un regard vers la portion de route qui devait retourner vers Fédoran, puis dans l'autre sens. D'un côté comme de l'autre, on distinguait des formes plus hautes que le moutonnement des herbes, mais avec la distance et les ondulations de l'atmosphère surchauffée, il aurait pu aussi bien s'agir de nouveaux bouquets d'arbres.

Mellyna baissa le nez comme prise en faute et avoua d'une voix penaude :

-Je n'ai peut-être pas été assez définitive, en effet.

Fanaa avait raison avec ses histoires de cycles, elle en avait recréé un : comme elle avait attendu Lor, Thani l'attendrait, sauf qu'elle n'avait pas promis de revenir.

-Zut, bête eyerash sentimental et têtu.

La dédrane suivit le regard du lévitis, le chemin enfin en vue, il fallait choisir dans quel sens l'arpenter. De sa hauteur, elle ne distinguait pas grand chose du paysage.

-Plus nous nous rapprocherons de Fedoran, plus nous aurons de chances de tomber sur un guérisseur et une auberge. Vous aurez aussi plus de probabilités de pouvoir envoyer un courrier à votre ami. Qu'en pensez-vous ?

Le jeune homme connaissait mieux la région qu'elle, il avait mené l'expédition jusqu'ici, elle trouva donc logique de lui laisser prendre la décision.

Earl la fixa un instant, les sourcils levés, avant de laisser fuser un petit rire.

- Ah, mes excuses. Pour tout dire je m'attendais presque à vous entendre recommander l'autre direction, avec pour argument choc "parce que je ne veux pas retourner vers Fédoran".

Il se passa une main dans les cheveux par dessous la capuche qui lui semblait un peu étouffante.

- J'ai un peu l'impression d'être entouré d'un harem de Fanaas depuis cette nuit, alors...

Il se pencha un peu pour masser sa jambe douloureuse.

- Voyons... les auberges sont généralement situées aux croisées de voies fréquentées, ou bien à environ une journée de route les unes des autres, en se basant sur l'allure lente d'un chariot de marchandises.

Se réinstallant le plus confortablement qu'il pouvait, le Lévitis se mit à réfléchir les yeux mi-clos.

- Il y a bien la voie des cols qui doit recouper celle-ci, mais cela doit se trouver à une bonne vingtaine de kilomètres. Cependant, si j'estime correctement la distance par cette route jusqu'à Fédoran et son état général, il y a de grandes chances qu'un relai soit sis non loin. Cela fait des années que je n'ai pas pris les chemins des plaines donc je vais juste me ranger à votre suggestion. S'il y a un établissement dans cette direction, nous devrions bientôt pouvoir l'apercevoir.

Répondant à son claquement de langue, la jument se remit au pas.

-Ravie d'être remontée dans votre estime. Fit-elle sarcastique.

Le voyant masser sa jambe, Mellyna passa d'un léger agacement à l'inquiétude.

-Vous voulez des herbes à mâcher pour la douleur ?

La dédrane suivit sans difficulté le rythme de la jument. Au bout d'une heure de "marche", ils finirent par croiser un convoi de marchands. Enfin, convoi était un bien grand mot pour décrire trois hommes, leurs bêtes et un charriot. Au vu de l'humeur chatouilleuse du lévitis, elle prit les devant et les aborda.

-Bonjour messires, mon ami et moi cherchons un relai. Y a-t-il quelque chose de proche dans cette direction ?

Les fédoriens considérèrent avec amusement cette jolie fille cheminant à pied et le jeune homme à cheval. Le plus jeune prit la parole :


-Il y en a un à quelques minutes de marche, moins d'une heure. L'établissement est bien fréquenté et propre. Je ne pense pas que votre commerce y soit admis. Railla-t-il avec un clin d'oeil salace à l'intention du lévitis.

La gardienne pâlit sous l'insulte et posa par réflexe la main sur son pommeau d'épée. Avant qu'elle ait pu répliquer, le vieillard, a qui le mouvement n'avait pas échappé, avait donné un cou retentissant sur la tête du cadet.

-Veuillez l'excuser madame, il est bête mais ce n'est pas un mauvais bougre. L'auberge la plus proche est bien dans cette direction.

Mellyna se détendit et réussit à sourire à l'ancien.

-Il n'y a pas de mal messire. Merci pour vos indications.

Elle ne jeta pas un regard au reste de la troupe et reprit son chemin en direction de Fédoran.

Earl avait été trop surpris par l'allusion pour en saisir immédiatement la portée. En vérité il ne lui serait jamais venu pareille idée en regardant Mellyna. Mais il n'était plus vraiment Fédorien d'habitudes et de pensées, contrairement aux voyageurs qu'ils pouvaient croiser.
Les sourcils froncés, il se détourna brièvement pour jeter un coup d'oeil au groupe qui poursuivait paisiblement son chemin.

- J'en étais venu à oublier qu'une bonne partie des Fédoriens a tendance à parler avant de réfléchir... Je suppose que nous avons tout bien considéré eu de la chance : la plupart agit avant de parler. Ou plutôt ce sont eux ont eu de la chance de ne pas faire partie de cette catégorie.

Le jeune homme soupira à l'idée que l'un d'eux aurait pu se permettre un geste déplacé...
Et se rappela incidemment qu'il avait lui aussi eu les mains baladeuse, même si cela avait été accidentel. Embarrassé, il tira d'avantage sur sa capuche.

- "Bien fréquenté" peut vouloir dire beaucoup de choses dans le coin. Vous devriez garder votre arme bien en évidence, au cas où. Enfin, essayons de ne tuer personne.

Une toiture aux lignes rigides finit par apparaître aux milieu des vagues chuchotantes des herbes ployées par la brise. A mesure qu'ils approchaient, ils purent apprécier les dimensions imposantes de l'établissement. L'auberge devait avoir les murs assez épais pour soutenir un siège, et ce n'était peut-être pas tout à fait superflu dans cette région parcourue par des hordes de pillards hardis.
Les chevaux accélérèrent le pas d'eux-même, les naseaux emplis par l'odeur de l'écurie. L'étalon boiteux en oublia sa mine piteuse pour redresser la tête bien haut. Si leurs maîtres avaient voulu passer outre sans s'arrêter, ils auraient eu bien du mal. Encore un peu et les bêtes auraient été s'installer d'elles-mêmes dans les premières stalles libres.

La jument trop impatiente donna à peine le temps à son cavalier de se laisser glisser au sol devant le perron.

- Si seulement leurs matelas étaient aussi épais que les murs, ce serait parfait.

La dédrane était perplexe :

-Mais comment faut-il s'habiller ici pour avoir la paix ?
J'essaierai de me contrôler. Avec les mots c'est facile, mais s'il y a contact physique : mon corps réagit tout seul, c'est plus compliqué. Enfin, je vais me concentrer.

Elle fit pivoter sa ceinture pour que le fourreau soit bien visible quel que soit l'angle de vue. Sauf si les messieurs s'arrêtaient au niveau du visage, et il y avait peu de chance connaissant les fédoriens, ils ne pourraient rater les armes.

Mellyna sourit au lévitis en prenant les rênes des chevaux :

-Ça à l'air prometteur. Je vais m'assurer que nos amis soient bien installés, nourris et pansés. Je vous laisse vous occuper de la chambre et du guérisseur ? Attendez-moi en bas, je vous aiderai dans les escaliers, ce serait trop bête d'aggraver votre entorse.

- Là c'était moins un problème vestimentaire qu'une situation prêtant à confusion, je pense...

Après tout les Fédoriens avaient tendance à respecter d'avantage une femme habillée de façon pratique, bien plus qu'une donzelle en jupons.
Earl donna une petite tape amicale à son cheval puis passa le seuil en s'efforçant de ne pas trop traîner de la patte lui aussi.

Un gamin ébouriffé avec une tige de seigle sauvage coincée entre les dents jaillit hors des écuries à l'approche de Mellyna. Le petit palefrenier avait visiblement été arraché à une sieste dans le foin par le bruit des sabots, et la jument tendit le museau pour tenter d'attraper les brins de paille piqués dans sa tignasse.

A l'intérieur, le propriétaire de l'établissement était tout aussi échevelé, mais cela n'avait rien à voir avec un somme écourté. Un torchon à la main, il fixait avec anxiété la lame qui venait perturber l'agencement bien net de son comptoir. Un homme émacié assis par terre, au pied du comptoir en question, tourna la tête pour considérer le sabre planté à quelques millimètres de son oreille droite.
Earl se pencha vers lui, la main tendue. Tout tremblant, l'homme laissa retomber les zoris étincelants dans la paume de leur légitime propriétaire.
Le Lévitis réintégra les pièces dans sa ceinture, n'en laissant que quelques unes devant l'aubergiste. Le voleur en profita pour s'esquiver à quatre pattes avant de filer par la porte restée ouverte.

- A votre place j'essayerai de le rattraper, suggéra Earl en rengainant. D'après le bruit de ferraille qu'il fait, d'autres de vos clients ne vont pas tarder à venir vous voir.

L'aubergiste parut brusquement se réveiller et ne fit qu'un bond jusqu'au seuil d'une pièce annexe. Un grand type aux allures de mercenaire ne tarda pas à en sortir, de la mousse de bière encore accrochée à la lèvre supérieure et au bout du nez qu'il avait fort long. Le garde fonça à son tour dehors, trébuchant contre la rapière qu'il n'avait pas fini de sangler à sa taille.
Finalement l'endroit devait être assez calme si le surveillant des lieux pouvait se relâcher à ce point.

Essoufflé, le propriétaire glissa à nouveau sa bedaine bien ronde derrière le comptoir et déposa une clef sur la surface bien cirée, tout en se confondant en excuses et courbettes, le front moite.

- Voilà... messire. Navré pour cet incident, vraiment, je vous assure...

Mellyna retint les chevaux en riant :

-Tout doux vous ! Il y aura à manger dans quelques minutes promis.

Au gamin :

-Il y a de la place dans l'écurie pour ces deux là ? Il me faudrait de quoi soigner celui-ci aussi. Fit-elle en désignant l'étalon.

Elle considéra la jeunesse du garçon et son air endormi, faillit proposer son aide. Se rétracta au dernier moment en se disant que son jeune orgueil masculin le prendrait mal.

-S'ils sont bien traités tu auras un supplément bien entendu, elle porta la main à sa bourse et en sortit une belle pièce, qu'elle lui lança avec un clin d’œil. Je reviens vérifier tout ça dans une heure.

Sur ces mots, elle passa les longes au palefrenier et partit en direction de l'auberge à proprement parlée.
Elle s'arrêta sur le seuil, saisie d'une légère appréhension.

*Allons ne fait pas ta jouvencelle.*

La dédrane poussa un soupir, carra les épaules, redressa la tête, vérifia que le sabre était bien en évidence et entra. Elle salua le patron et parcourut la salle du regard pour trouver Earl.

Malgré la capuche, les vêtements permirent à la dédrane de repérer rapidement le lévitis. Elle vint s'installer à côté de lui et profita du spectacle comique en commandant un verre de jus de fruits à l'aimable serveuse. Une fois le verre vidé, elle rompit le silence :

-Finalement vous avez pu obtenir une chambre ? Il y a un guérisseur dans les environs ?

Les odeurs de cuisine ne manquèrent pas de faire gargouiller son estomac.

-Hum, je crois que sans la pierre je vais devoir reprendre mon régime... Fit-elle gênée en posant une main sur son ventre plat.

Earl agita le doigt qu'il avait passé dans l'anneau de la clef de chambre.

- Vu que j'ignore si le reste du groupe va revenir d'ici cette nuit et quels seront leurs projets, je n'en ai prise qu'une. Mais les chambres risquent d'être toutes occupées d'ici la fin d'après-midi, en dépit de leur prix...

Garde et voleur étant passés hors de vue, il se détourna des fenêtres largement ouvertes et indiqua du menton la petite serveuse au visage constellé de taches de son.

- Il se trouve que la demoiselle, en plus d'être la fille du propriétaire, se prévaut de quelques compétences de clerc. L'aubergiste me l'enverra dès que les affamés de la salle se calmeront.

Puis il fit mine de se gratter l'oreille comme s'il n'avait pas entendu le grondement féroce émit par l'estomac d'une Dédrane.

- Puisqu'ils ont l'air tout disposés à s'empiffrer en bons Fédoriens jusqu'à ce que mort s'ensuive ou que le cellier soit vide, nous pourrions commander un petit quelque chose ? La collation de ce matin était tout à fait revigorante mais remonte déjà à loin. Et vous avez pas mal marché, aussi.