Confins du désert - sanctuaire du Pas du Dragon

Earl dormait, sans nul doute. Le dosage utilisé par Fynarine n'était sûrement pas suffisant pour le plonger dans une inconscience absolue très longtemps, mais il le maintiendrait malgré tout dans le sommeil pendant encore quelques heures.

Des bribes de rêves s'entremêlaient dans la brume des songes.

Il faisait chaud, très chaud...
C'était un véritable feu de forge qui ronflait, projetant des étincelles ardentes qui passaient du blanc au rouge avant de toucher les dalles du sol dans un grésillement.

- Tenez-le.

Il voulait bouger. Il le voulait, mais il ne pouvait pas. Pourquoi est-ce qu'il ne pouvait pas ?

Une main bandée à laquelle il ne restait plus que trois doigts se découpa en ombre sur l'éclat du foyer pour se refermer sur l'extrémité d'une tige de métal. A l'autre bout, le fer chauffé à blanc s'épanouissait en un symbole biscornu.
La marque incandescente traça une courbe lumineuse dans l'obscurité de la pièce.

- Alors... où allons-nous appliquer ceci ? Et si nous procédions à la fédorienne ? Tournez-lui la tête par ici.

L'extrémité brûlante se rapprocha de la joue exposée.

- Ensuite je t'arracherai les dents une par une pour t'apprendre à ne plus mordre.

Une deuxième main se posa sur la tige de fer qui s'abaissa vers le sol.

- Attends... Regarde-le. On pourrait encore en tirer quelque argent.
- Et ça va me rembourser les doigts qu'il a arraché, peut-être ? Je veux au moins le faire souffrir !
- Pour ce qui est de souffrir... Tu sais comment cela se passe, non ? Tu auras ta vengeance, à condition de ne pas l'abîmer irrémédiablement de façon trop visible.
- Très bien. Pas sur le visage alors.

Une lourde semelle de cuir l'écrasa sur le dallage glacé. Le pied semblait vouloir lui faire éclater le crâne comme un fruit trop mûr.

- Je me contenterai de l'épaule.

Et la marque rougeoyante s'abaissa.

Les muscles du Lévitis se tendirent. Un grand frémissement parcourut la cicatrice claire qui s'étalait largement en étoile au dessus de l'omoplate gauche. Mais ce fut une main caressante qui effleura sa peau.

Le fragment de rêve s'effilocha.

Earl dormait, sans nul doute, mais l'empathie n'était pas un don qui cessait complètement de fonctionner juste pour cela. Le Lévitis était passé insensiblement de l'obscurité artificielle et silencieuse du soporifique à un sommeil véritable.

Il avait chaud, très chaud.
Son coeur battait plus fort.

C'était tout bonnement l'excitation de Fanaa qui l'envahissait et faisait remonter des frissons le long de son dos, finissant de dissiper les remugles des souvenirs.

- Gnn...

- Je m'excuse... C'est la fatigue de la route... Merci de nous conduire. Donne moi ton plateau, on te fait faire un détour, il est normal que je le porte. Un sourire. Et ce n'est pas que je te considère comme faible bien entendu.

La troupe étrange suivit le jeune garçon à travers les corridors étouffants de moiteur.
Mellyna aimait bien ce côté là du caractère de Thani. Il était passionné donc prompte à s'emporter mais reconnaissait ses erreurs, l'orgueil ne menait pas sa vie.

*-C'est agréable ce genre de personnalité...
-L'Eyerash te plaît ? Tu vas fonder une famille avec lui ?*

La dédrane étouffa une exclamation de surprise devant la réplique du dragonnet.

*-Ah, ça y est tu n'es plus fâché ?
-...
-Ne le prends pas mal, je suis contente que tu me parles de nouveau.
Pour répondre à ta question : je n'en sais strictement rien, il est beaucoup trop tôt. Il me plaît bien certes mais...
-Mais quoi ? C'est le but de la vie, se reproduire, avoir des petits et les élever.
-Pour les dragons et certains humains peut-être, pour ma part... Je ne sais même pas si je peux avoir des enfants et si j'étais trop vieille ? Ou trop différente ? Et s'ils meurent avant moi ? Et combien de temps vais-je devoir rester dans ce désert qui n'aime pas les étrangers ? Supporteras-tu de partir vers des climats moins chauds ou faudra-t-il attendre la fin de ta croissance ?*

Leur conversation silencieuse fut interrompue par leur arrivée dans la pièce où se trouvaient les Ilahis. Nuada était assise sur un simple banc de bois donnant des directives à une troupe d'hommes musclés. Nuadi venait de quitter son travail finit, sa soeur étant occupée, il se dirigea vers un plateau de fruits pour faire une petite pause. Ils se dirigèrent donc vers lui après avoir remercié l'adolescent.
Masha pétrifiée se cacha derrière Mellyna mais continua à avancer.
Ce fut Thani qui l'aborda en s'inclinant pendant que les filles restaient légèrement en retrait s'inclinant elles aussi :

-Ilahi, je suis navré de vous importuner, j'ai plusieurs nouvelles préoccupantes dont nous aimerions vous faire part. Voulez-vous bien nous accorder un moment ?

Nuadi considéra les arrivants sans rien dire, agitant avec ennui un éventail de plumes aux reflets irisés.

Il portait les vêtements succincts de mise en intérieur, mais son visage restait en partie caché derrière le voile qui retombait du haut de l'espèce de couronne spectaculaire qu'il arborait, à l'image de sa soeur. Le bijoux était fort beau, sans doute, cependant il devait être bien lourd à porter.

D'une main nonchalante, Nuadi préleva un fruit étrangement duveteux et le glissa entre les pans du voile pour le faire éclater entre ses dents.

- Mmh ?

Le jeune homme tourna un regard contrarié vers Nuada. Las ! Elle était loin d'en avoir fini. Et inutile de songer aux Anciens, eux aussi ne cessaient de courir dans tous les sens.

Etouffant un gros soupir, Nuadi se lécha les doigts avant de refermer son éventail d'un coup sec.

- D'accord. Par ici.

Et il préleva de quoi grignoter à son aise avant de faire volte face pour se rendre dans une salle adjacente.
Du pied, il tira à lui un épais coussin de soie rouge et se laissa tomber assis devant une table basse où il entreprit de se gaver à son aise.

- Bon, ch'pache quoi de si catashtrophique ?

Alerte ! Il entrouvrait les lèvres !

*Non tais toi !*

D'une petite poussée elle le rebascula sur le dos et lui vola son souffle pour lui offrir le sien en retour. Maintenant à quatre pattes au-dessus de lui, elle ne se retenait même plus de l'embrasser. Il était si agréable de garder ses lèvres soudées aux siennes, de se détacher puis de revenir, encore et encore, gravant ce contact, cette douceur ferme, la légère gerçure (présente uniquement sur sa lèvre inférieure) dans son esprit.

Sa main gauche libérée s'attacha à faire glisser l'autre manche de chemise. Il était allongé sur le vêtement et l'empêchait donc de le pousser du lit mais ce n'était pas important. A genoux au-dessus de lui, Fanaa se redressa de toute sa hauteur et laissa une voluptueuse ondulation mouvoir son bassin, remonter vers son ventre pour terminer dans ses bras pointés vers le plafond. Volupté. Ah si elle avait pu envoyer cette chaleur, cette passion et cet embrasement loin d'elle et de cette chambre avec juste une danse !

Helas, il en aurait fallu plus que ça. Elle brûlait de l'intérieur, et ses pensées n'étaient pleines que du visage aux yeux d'or, des cheveux de neige où elle avait envie de passer les doigts, de la peau dorée, de ce parfum de sable, de miel et de sueur, de ces lèvres qui lui avaient fait l'offrande d'un sourire. Une fois. Ce souvenir lui fit monter les larmes aux yeux et apaisa son feu intérieur quelques instants.
Ses mains trouvèrent les siennes, les étreignirent puis remontèrent le long des bras nus, du cou, des joues, allèrent se perdre dans les cheveux et tandis qu'elle lui offrait encore un baiser, elle se laissa doucement glisser pour s'allonger sur lui.

Le son de son rire avait été si beau, Fanaa sourit, elle avait tant envie de l'entendre à nouveau !

De son corps, de sa tendresse et d'un désir brûlant, elle l'enveloppait tout entier.

Un mouvement ?

Il se réveillait ? Que faire ? Ne pas bouger et faire mine de ne pas être là en espérant passer inaperçue ? Se laisser tomber discrètement du lit, ramper jusqu'au fauteuil et se remettre à l'ouvrage en espérant qu'il soit assez flou au réveil pour ne rien remarquer ? Bon. Plutôt que de chercher des solutions plus saugrenues les uns de les autres, autant aller dans l'ordre et commencer par vérifier si oui ou non il avait repris conscience, d'accord ? D'accord.

La tête qui s'était nichée aux creux de l'épaule se redressa, les coulées de nuit chatouillant l'épiderme au passage, le cou s'allongea et les yeux violets s'en allèrent observer, une fois encore, le visage adoré. Deux perles dorées se montraient dans leurs écrins de duvet blanc.

Fanaa fondit en les voyant. Il avait les yeux ouverts ! Il était réveillé ! Il était là ! Il était là ... Par quelle question commencer ? Lui demander comment il se sentait ? Si il avait bien dormi ? Si il avait besoin de quelque chose ?

Les doigts fins se glissèrent dans la chevelure de neige et il eut droit à un sourire radieux.

- Bonjour ...

Elle tendit son cou encore plus pour l'embrasser sur le front, fit courir son doigt sur la ligne de son nez, jusqu'à la pointe, descendit, traça le contour de la lèvre inférieure, puis enfouit son visage dans son cou où elle déposa une myriade de petits baisers passionnés et joyeux.

*Tu es là, tu es là, tu es là !*

Le Lévitis avait habituellement le réveil prompt mais les effets du soporifique ne se dissipaient pas aussi vite qu'un sommeil naturel. Il cilla pour tenter de refaire le point.

Il se réveillait.
Le grand jour entrait par toutes les ouvertures sur l'extérieur.
Il y avait déjà là une sévère contradiction.

Par Ael, qu'est-ce qui se passait ?

- Qu'e... pass...

Earl leva une main vers ses lèvres encore engourdies avec une grimace. Il avait l'impression d'avoir une liasse de parchemins dans la bouche à la place de la langue.
Ca y est, tout lui revenait.
Ce n'était pas juste un rêve, finalement.

La paume plaquée sur le bas de son visage, le souffle court, il se redressa sur un coude.
Mais qu'est-ce qui lui avait pris ?

Heureusement que Mellyna savait contrôler ses émotions. Ce jeune homme si important, si bien habillé, parler de cette façon, avec ces manières, elle avait failli en rire. Le coin de ses lèvres ne s'étaient même pas soulevés, la question était trop grave pour prendre le risque de vexer Nuadi et de choquer tous les gens qui étaient dans la pièce.

Thani toujours aussi cérémonial, s'était assis à son tour, imité par les femmes. Il était celui qui connaissaient le mieux la façon de s'adresser à des êtres sacrés de la troupe et avait pris la direction des opérations. Il inspira une grande bouffée d'air surchauffé et commença son compte rendu.

-Pour faire bref nous rencontrons deux problèmes qui pourraient bien être liés. La logique sous-jacente m'échappe quelque peu, bref, passons.
Premièrement, depuis trois jours, de nombreux eyerash rapportent la découverte d'animaux morts, ils sont pourtant ni malades, ni vieux. En les dépeçant, nous notons toujours les mêmes lésions. Les organes sont comme pourris, des bulles inquiétantes tapissent les muscles. Nous en avons bien entendu interdit la consommation. Le mode de contamination est encore inconnu mais ne ressemble pas à une maladie. Nous sommes inquiets sur le fait que, si la cause demeurait cachée, nous perdions plus de bêtes, voir des hommes.

*Ah, tiens je n'étais pas au courant de cela... Thani a bien fait de nous accompagner...*

Mellyna se reconcentra sur la conversation car l'homme enchaînait ses propos.

-Deuxièmement, et là aussi plusieurs villages sont touchés, on note une disparition de jeunes filles, et de jeunes filles uniquement. En regroupant tous les villages on arrive à peu près à une douzaine. Plus de la moitié ont disparu plusieurs jours et sont revenues, le tiers seulement n'a jamais reparu. Ce n'est pas énorme, je vous l'accorde mais dans notre désert l'évènement est exceptionnel...
Enfin nous avons Masha, ici présente, qui soutient avoir eu une sorte de blanc dans les jours qui précèdent et suivent la fête de l'abondance. Elle affirme aussi, de ce qu'elle se rappelle, avoir vu des mages dans le désert qui retiendraient ces jeunes filles.
Mellyna dit voir sur sa nuque une trace de piqûre, elle avait des manifestations de quelqu'un qui aurait été empoisonnée ou droguée.
Son lézard a suivi l'odeur laissée par la blessure. Il a rencontré une bestiole, de la taille d'un cheval, couverte d'écaille, n'ayant pas l'air herbivore, inconnue et agressive.

Mellyna sourit, la pique de Thani avait fait mouche et Eleïr'l était reparti dans sa bouderie. L'appeler "lézard" n'était pas la bonne tactique pour s'en faire un allier.

-Voila, je crois que j'ai fais le tour... Ce qui m'inquiète c'est que le conseil des anciens ne passe sous silence ces évènements et décide d'attendre et de voir... C'est pour ça que je voulais vous en parler personnellement. La conduite à tenir m'échappe quelque peu...

- Tch ! Le peuple du désert s'est bien relâché s'il faut attendre "à peu près une douzaine" de disparitions pour que quelqu'un se décide à trouver le fait inquiétant. Le moindre jeune manquant devrait faire l'objet de recherches.

Visiblement mécontent, Nuadi rejeta le fruit orangé qu'il avait à la main sur la table. Puis il secoua la tête, faisant tinter les chainettes et les breloques de sa couronne.

- Je suppose que cela ne s'est pas produit au moment de la fête et de ses préparatifs par hasard. Bon...

Il prit une inspiration.

- Zidayah !
- Rah, je déteste qu'on m'appelle par ce nom !

Sheyn émergea de derrière une colonne, l'air aussi sauvage qu'à son habitude. Il semblait tout sauf à l'aise entre quatre murs et les pieds sur un sol dallé désespérant d'horizontalité.

- Donc, des animaux morts, et tu ne trouves pas ça assez intéressant pour le signaler ?
- Oh... je n'étais pas au cour...
- Zida...
- Oui, bon. Je le savais. Mais même des abrutis finis auraient appelé à l'aide au bout d'un moment... je n'allais pas me fatiguer pour rien.

Avec un magnifique sans-gêne, l'eyerash s'empara du fruit abandonné et le croqua avec la voracité d'un torà face à un gigot saignant.
Nuadi croisa les bras.

- Laisse-moi deviner... tu as aussi senti qu'il y avait des mages dans la région.
- Evidemment !
- Désespérant.
- Mmh, de toute manière s'ils s'amusent un peu trop à jouer avec de l'elixia, nous savons ce qui va se produire. D'ici quelques jours, il n'y aura plus de quoi s'inquiéter.
- Ce serait aussi bien de retrouver ceux qu'ils ont pu enlever avant, justement...
- Ah... ma foi, c'est bien possible.

Assez peu préoccupé par la gravité de l'histoire, Sheyn renifla du côté du "lézard" et éternua. Les doigts de Nuadi pianotèrent sur la table à plateau émaillé puis il se retourna vers Thani.

- La conduite à tenir me semble plutôt évidente. Et soit les conseils de village sont devenus trop frileux pour oser prendre une décision commune -pour autant qu'on leur ai fourni tous les éléments du problème-, soit... soit la moitié des membres a encore le cerveau embrumé par la boisson de l'Abondance.

Le jeune homme claqua des doigts avec impatience.

- Un groupe de personnes un peu dégourdies devrait quand même pouvoir remonter la piste, débusquer ces "mages" ou qui que cela puisse être, et comprendre ce qui se trame. Sans parler de récupérer ceux qu'ils pourraient retenir de force, si tout cela est bien vrai. Ah...

Il lâcha un gros soupir et se passa une main lasse sur la figure.

- Pourquoi est-ce qu'on vient nous consulter pour des questions dont la réponse crève les yeux ? Nous ne sommes pas là pour décider, nous sommes là pour guider, avertir... Prévoir quand et où se produira la prochaine tempête de sable, ça, c'est le pouvoir et le devoir des Ilahi. Tout bonnement parce que ce n'est pas quelque chose que quelqu'un d'autre peut faire. Mais les ennuis causés par d'autres hommes, franchement, nous ne devrions pas avoir à dire comment y remédier.
- A plus forte raison quand les coupables laissent autant de traces, approuva platement Sheyn.
- Hum... Ah oui, Zidayah fera bien sûr partie de la petite expédition qui ne manquera pas d'être envoyée. Je vous laisse vous occuper du reste de l'organisation. Libre à vous de vous reposer ou non sur les conseils pour ce faire. Ce sera tout.
- Eh mais non ! Je-j'ai des tas de trucs à faire dans les grottes après cet orage moi ! protesta Sheyn avec vigueur, fort contrarié à l'idée de devoir faire une bonne action supplémentaire.
- Heureux que tu t'en souviennes, mais j'ai dit. Allez, hors d'ici, cette discussion m'a é-pui-sé...

- Earl ...

Non. Attention aux émotions. Il ne fallait pas l'inquiéter. Alors pas de compassion. Il avait sa propre inquiétude, elle n'avait pas à y ajouter la sienne. Au contraire il fallait le rassurer. Il n'avait pas besoin qu'on l'affole plus. Fanaa se glissa derrière Earl, une jambe de chaque côté et le dos nu appuyé contre son buste, enroula un bras autour de son ventre et l'autre autour de ses épaules.

Respirer lentement et le serrer contre elle. Voilà. Et ... Fanaa rougit et remercia le ciel de ne pas être née garçon.
Par les lunes, être une femme mettait dans des conditions franchement embarrassantes !

Trop saisi pour protester, Earl se laissa étreindre sans réagir.

Qu'est-ce qui lui était passé par la tête ?

Il avait...
... il avait tenté de se suicider.
Comme ça, sans réfléchir, sur une saute d'humeur.

Bon, ce n'était pas une tentative sérieuse dans le sens où il l'avait faite devant témoin. Pas une tentative sérieuse physiquement parlant, non, mais pour ce qui était du suicide de son orgueil, de la destruction de toute l'estime qu'on pouvait éventuellement lui porter, ça...
Là c'était à coup sûr un succès.

Comment pouvait-on se montrer aussi stupide ?
Comment lui pouvait-il se montrer aussi stupide ?

Où était sa volonté, sa force de caractère ?
Où était...

Le Lévitis laissa retomber sa main sur le matelas. Il dut se forcer pour desserrer les dents et articuler avec lenteur :
- Ne parlons pas de ce qui s'est passé, tu veux ? En fait il ne s'est rien produit, rien du tout.

Parler ? Si il savait ... parler était le cadet des soucis de Fanaa à ce moment. Elle avait chaud et honte. Honte parce que le volcan intérieur s'était réveillé et qu'elle ne s'était jamais sentie si ... Ooooooooh ... Fanaa le serra plus fort et cacha son visage brûlant dans les cheveux blancs.

- Si il pouvait se passer quelque chose là ... ça m'arrangerait ...

La sensation était si forte que c'en était douloureux. Sa poitrine était gonflée à faire mal et son ventre durci. C'était une multitude de sensations corporelles qu'elle avait déjà connues mais jamais de façon aussi forte. Ce n'était plus une simple envie ou du désir, c'était devenu un besoin, le besoin qu'il la soulage, qu'il la libère de ... de cela.

Fanaa se mordit la lèvre et sa main descendit, glissa entre la ceinture et la peau gorgée de soleil ...

La jeune femme avait des étoiles devant les yeux. Elle perdait pied c'était très perturbant. Elle avait pu se retenir -avec beaucoup d'efforts- parce qu'il était inconscient et qu'elle s'en serait voulu à mort de profiter de lui. Mais maintenant qu'il était éveillé, elle avait du mal à résister, beaucoup trop de mal ! Même en sachant que ce n'était pas le moment. Comment raisonner quand les pensée s'affolent et deviennent rouge passion ? Quand les sensations prennent le pas sur tout le reste ?

Non, non il ne s'était rien passé. Jusqu'à maintenant.

*Libère moi ou je ne sais pas trouve quelque chose pour arrêter tout ça ... mords moi ?!*

- "Quelque chose" ?

Earl eut à peine le temps de ce demander ce qu'elle entendait pas là qu'une main hardie glissait sous sa ceinture.

- Mais... Fanaa ?

Ah bon sang, il n'avait pas eu le temps de se reprendre. Les sensations se télescopaient, sans qu'il parvienne à déterminer si elles venaient de lui ou non. Il sentait la poitrine qui se soulevait, s'écrasait presque contre son dos, le souffle qui lui brûlait le cou...

- Att... ahgn...

Il faillit se remordre la langue, mais cette fois sans que ce soit intentionnel.

C'était à n'y rien comprendre.
Quel était le lien entre la Fanaa-au-lit, celle qui savait précisément ce qu'elle désirait, celle qui savait interpréter un souffle, un frémissement, et la Fanaa "normale", qui usait de plus de mots que de bon sens et qui s'ingéniait à systématiquement appuyer là où ça faisait mal sans rien perdre de ses grands yeux innocents ?

La petite main se frayait un passage.
S'il voulait stopper tout, c'était le moment.

Earl tourna donc la tête... et, avant d'avoir pu saisir exactement la teneur des signaux envoyés à son cerveau, se retrouva en train d'embrasser Fanaa avec impétuosité, le cou presque douloureux, un bras levé pour l'attraper par la nuque et l'attirer à portée de lèvres. Son autre main avait semble-t-il décidé toute seule d'aller elle aussi se fourrer dans son pantalon pour aller trouver les doigts de Fanaa et s'y mêler, les guider.

Il glissa une main sous sa gorge pour l'obliger à se détacher, sans quoi les choses auraient connu une fin un peu rapide. La démone semblait vouloir littéralement le dévorer, résistant à toute tentative pour l'écarter.

- Shhh... et arrête de penser "oiseau", c'est juste... perturbant.

Il ne savait même pas pourquoi il avait dit ça.
Le Lévitis se mordit un doigt pour réprimer un rire. Il se pencha pour lui chuchoter à l'oreille :
- Retourne-toi et appuie-toi à la tête de lit.

Avec douceur, il fit descendre une de ses mains le long d'un bras de Fanaa, le soulevant et le guidant non plus vers lui-même mais vers le rebord délicatement ourlé sculpté dans un bois aux reflets de pourpre. Le menton appuyé dans le creux de l'épaule de la jeune fille, il s'amusa à disposer chacun des petits doigts aux ongles rosés, un par un.
Tandis qu'il apposait un long baiser dans son cou, il fit glisser une main entre les cuisses satinées jusque sur le ventre houleux. Un index taquin alla dessiner de petits cercles autour du nombril, avant de redescendre en ligne droite, mais avec une légèreté et une lenteur exaspérantes.

Le Lévitis riait tout bas de l'impétuosité inattendue de Fanaa. Elle vibrait comme une corde trop tendue.

Le doigt se décida enfin à aller jouer là où il était attendu, titillant, chatouillant les chairs fragiles.
La bouche occupée à agacer le lobe d'une oreille se retira. Un souffle courut le long du flanc de Fanaa avant de s'arrêter sur l'arrondi d'une fesse. Les lèvres se posèrent sur la peau et les dents s'amusèrent à mordiller la chair ferme.
Earl descendit ainsi et fit mine de s'égarer le long d'une cuisse qu'il abandonna presque aussitôt, se contentant d'en flatter l'intérieur d'un revers de main léger.
La langue fraîchement réparée vint se joindre aux jeux des doigts habiles, prenant de plus en plus d'assurance.

Ah, oui, Fynarine avait bien travaillé.

Un craquement un peu plus accusé du lit interrompit brièvement la délicieuse séance de torture qu'Earl s'ingéniait à prolonger en dépit des mouvements de plus en plus houleux du bassin de Fanaa.

Khamsin avait bien fait de changer d'endroit.

Le Lévitis fit vivement glisser une jambe au bord du lit pour poser un pied sur le sol. En revanche, il n'eut pas le temps de prévoir le recul assez brusque de Fanaa lorsque le fragile sommier de natte céda à une des extrémités. Il se retrouva donc... eh bien, soudain à demi-étouffé, le visage plaqué contre une zone éminemment brûlante.

Il ne fallut qu'une seconde pour qu'il puisse reprendre son souffle, les deux mains plaisamment posées sur les fesses de la jeune fille. La situation avait un côté si comique qu'il se mit à en rire aux larmes.

- Plus de lit ! Par Ael, j'ai cru mourir là !

Riant toujours, il enleva Fanaa par la taille et alla la plaquer tout debout contre une des colonnes de la pièce. Maintenant ses poignets au dessus de sa tête d'une main, Earl la fixa un moment, tout sourire. Les yeux d'or flamboyaient.

- Où en étions-nous ?

Il prit tout son temps pour se laisser glisser à genoux. De la paume, il flatta une des jambes de Fanaa avant de la lui faire replier, appuyant la cuisse sur son épaule.
Quelle tension il y avait dans l'unique jambe sur laquelle la demoiselle tâchait de se tenir en équilibre !
Le Lévitis ne s'amusait que d'avantage à la faire craquer, reprenant là où le petit "incident-mobilier" les avait interrompus.

- Pitié ...

Rien ne l'arrêtait lui, rien du tout ! Il ne s'était pas formalisé un seul instant de leur chute. Elle aurait dû marquer la fin de cette folie non ? Quoique Fanaa ne l'eut pas souhaité. Elle attendait ardemment qu'il soulage enfin sa fièvre plutôt que de faire monter la température, toujours plus. Il trouvait de nouveaux endroits, de nouvelles idées ... il la battait sur son propre terrain. C'était elle qui aurait dû lui faire crier grâce, c'était elle qui aurait dû le mener à la limite de la rupture ! Pas lui ! Il ne respectait pas les règles. C'était perturbant et elle en perdit ses moyens.

La jambe sur laquelle elle se tenait sur la demi-pointe de pied flageola violemment.

- Je ... t'en prie ...

Son corps ne lui obéissait plus mais répondait tout entier aux sollicitations toujours plus poussées du Levitis. Lui, poussait le jeu à son paroxysme, est-ce qu'il voulait voir jusqu'où elle pouvait tenir, est-ce qu'il voulait tester si il était effectivement possible de mourir de plaisir ? Son intérieur était du magma en fusion et, concentrée à l'entrée de sa fleur, cette boule incandescente lui faisait presque mal. Il lui semblait qu'elle allait perdre l'esprit, complètement et irrémédiablement si il ne se décidait pas à la libérer enfin.

Elle voulut lui agripper l'épaule pour le relever mais sa poigne n'avait plus aucune force. Le peu qui lui restait se battait pour ne pas que son dernier appui ne lâche.

- Viens ... le supplia-t-elle.

- Si tu insistes...

Sans se presser, Earl se releva. Ses doigts prolongèrent quelques instants leurs caresses, avant de glisser le long des hanches puis à l'arrière des cuisses.
Elle était si légère qu'il n'eut aucun mal à la soulever complètement. Il la gardait collée contre son ventre, juste un peu trop haut.
Sa bouche alla déposer un baiser à l'angle de la mâchoire, incitant Fanaa à renverser la tête autant que le pilier dans son dos le lui permettait.

Les mains du Lévitis se décalèrent d'avantage vers les genoux, laissant toute latitude à Fanaa de bouger le bassin comme elle l'entendait sans cesser de la porter.

- Eh bien...

Les lèvres remontèrent vers une oreille tandis qu'il l'abaissait juste assez pour quelle puisse sentir l'intensité de son désir.

- ... à présent c'est à toi de décider de la suite...

Leurs corps en sueur glissaient, comme s'ils cherchaient à échapper aux étreintes, aux caresses, et pourtant...

Est-ce que ce fut volontaire ou non ? Les mains qui soutenaient Fanaa dérapèrent légèrement le long de ses cuisses et elle retomba ventre à ventre avec Earl, profondément, complètement. En réponse à la secousse et à l'union encore plus étroite de leurs chairs, Le Lévitis lâcha une exclamation sourde.

Il assura d'avantage sa prise à une main, laissant les jambes de la jeune femme se resserrer autour de sa taille, et, de l'autre, chercha le soutien du pilier de pierre. Les muscles de ses bras et de ses épaules commençaient à trembler tant de fatigue que par l'imminence du plaisir.

La bouche ouverte pour trouver son souffle, Earl appuya le front contre la clavicule de Fanaa et balbutia dans un halètement :
- Vas-y...

Plus de tricherie, plus de détour, il était maintenant temps d'aller au bout, ensemble, au plus près du ciel ...

*Dis mon nom ...*

La danse sensuelle, les emportait dans un tourbillon de folie.

*Dis mon nom trois fois, quand le temps s'arrêtera ...*

Son corps se tendit tout entier, et sous son crâne il y eut une explosion, les couleurs se mêlèrent aux sons, aux parfums, aux saveurs, le monde était sens-dessus-dessous, mais Earl était là, et elle retomba comme une poupée de chiffon, vidée de tout, apaisée enfin, toute molle, toute souple entre ses doigts, entre ses bras.

Elle n'avait pas reposé le pied au sol, ses jambes ne l'auraient pas portée. Ses bras autour des épaules dorées luisantes de transpiration, elle l'embrassa encore, en paix, heureuse, enfin.

La respiration encore courte, Earl s'appuya d'une épaule à la colonne de pierre rouge. S'il n'avait pas relâché Fanaa, c'était essentiellement parce que ses bras étaient trop fatigués pour bouger.

Dommage, il n'y avait plus de lit pour aller s'allonger et laisser les choses se remettre tranquillement en place...

Finalement le Lévitis se retourna et se laissa glisser assis au pied du pilier impassible, Fanaa toujours installée sur lui.
Passée la chaleur de l'excitation, sa langue le lançait un peu. De fait, cela n'avait rien eu d'une rééducation progressive.

- Je crois...

Il repoussa les mèches qui lui collaient sur le front.

- ... qu'il est possible de prendre un bain. Avec l'orage, les réservoirs qui alimentent les salles des vapeurs sont sans doute tous en train de déborder encore en ce moment. Cette eau sera perdue si on ne l'utilise pas, alors... Par contre elle sera froide...

Thani s'inclina une nouvelle fois.

-C'est tout ce que nous voulions, maintenant que vous avez reconnu le problème, les conseils ne pourront plus ignorer mes mises en garde. Vous savez comme ils sont frileux dès qu'il est question d'Elixia... Nous allons enfin pouvoir agir malgré la tempête. Merci de votre sagesse Ilahi.

Thani se releva prestement et fit signe aux filles de l'accompagner hors de la pièce. Mellyna se releva en dernière, elle observait Zidayat qui semblait trouver son dragon fort intéressant. Eleïr'l s'était mis à le sentir à son tour mais cela ne paraissait pas provoquer d'éternuement chez lui... Il revint prestement s'enrouler autour du coup de la dédrane.
L'eyerash avait des manières étranges mais si Nuadi l'avait présenté comme un allier il faudra le traiter avec respect. Elle tendit la main vers lui.

-Je m'appelle Mellyna, enchantée de te connaitre. Tu arriveras à suivre la piste de ces bestioles malgré la pluie ?

Si c'était le cas il serait un allier de poids, son dragonnet n'ayant pas retrouvé de piste pour le moment.

Khamsin fouina un peu partout et finit par arriver au petit salon. Il trotta vers Mellyna et lui fourra son museau dans la main.

*Mellyna, mellyna, mellyna!*

Il tourna autour de la Dedrane, puis autour de Thani pour le saluer et alla renifler Sheyn. Celui-là, il le connaissait. Et il ne portait plus l'odeur dégoûtante de la bave de caïmodile. Il sentait la terre et le sable.

Masha, rassénérée par la réaction positive de Nuadi caressa la tête du loup.

- Tu es rigolo, toi, d'où viens tu ?

Pour toute réponse, elle eut droit à un coup de museau sur la joue, ce qui la fit rire.