Confins du désert - sanctuaire du Pas du Dragon

Après une journée passée à reclasser ses notes plus pour s'occuper les mains et l'esprit que par réel besoin, Earl avait pu trouver un sommeil beaucoup plus calme que la nuit précédente. Cela n'avait pas été sans quelques froncements de sourcils à l'intention d'un Ridelgald qui subodorait quelque étrangeté dans ce comportement exagérément studieux pourtant familier à son ex-capitaine.

Peste soit de l'instinct du vétéran !
En dépit de ses airs un peu balourds de brave soldat, quand il s'y mettait, il était excessivement difficile de lui cacher quelque chose.

Les lunes tracèrent lentement leur course sur la voûte étoilée qui pâlit bientôt avec l'approche du jour.

Le tintement insistant des pendeloques de verre suspendues devant une des arcades donnant sur le balcon finit par arracher un grognement au dormeur.
Lui pourtant si matinal rouvrit un oeil vague vers le plafond, se frotta les paupières pour tenter de rendre leur netteté coutumière aux mosaïques de la voûte et esquissa un geste vers les lunettes habituellement posées à portée de main.
Ah, il avait encore dû les utiliser comme marque-page et oublié de les reprendre par la suite.
Avec un soupir, il se laissa retomber sur son coussin et referma les yeux.
Ne restait plus qu'à attendre que ça passe.

La dernière fois qu'il avait tenté de se lever sans y voir clair, il avait failli perdre deux dents dans un coin de porte, et il était à peu près sûr que la servante qui avait assisté à la scène avait passé outre ses menaces pour colporter la mésaventure à l'office... Des gloussements suspects avaient depuis une furieuse tendance à saluer son passage au petit matin, les lendemains de soirées trop tardives ou de journées de travail trop chargées.

Oh ! Il avait bougé ! Oh il avait ouvert les yeux ! Mais Oh ... il ne l'avait pas vue ...

Ne restait plus qu'à aller dormir et à attendre le matin afin qu'il se réveille vraiment. Oui. Oui. Oui ? Vraiment ? Oui oui. Il ne fallait pas le déranger. Il était encore convalescent. Oui mais ... le temps avait paru long jusque là. Alors attendre encore ? Alors qu'il était si près ?
Oui c'était certainement mieux. Pour lui. Parce que le réveiller pour lui dire "Bonjour ! Tu peux te rendormir." C'était moyen et ça le rendrait grognon. Mais en fait ce ne serait pas si grave si il grognait. Ca prouverait juste qu'il était là et bien là.

Bon. Assez de tergiversation. Il était temps d'arrêter de le regarder. Pourtant non, ses yeux ne voulaient pas le quitter, elle buvait, dévorait son image, l'imprimait sur sa rétine, dans son esprit. Il ne faisait semblant de rien, là, il n'endossait ni masque d'agacement hautain ni de costume trop rigide. Il était naturel et cela n'en rendait son portrait que plus émouvant.

*Ah non, je ne vais pas encore me mettre à pleurer quand même. En plus si il l'apprend il pensera qu'il est beau à en pleurer et il prendra la grosse tête. Et si sa tête gonfle il sera disproportionné et moins beau et ... oula faut que je dorme moi.*

Avant de le quitter, elle plaça, avec force précaution la petite rose des sables dans la main du dormeur et chuchota :

- Fais de jolis rêves !

Dans le fauteuil, Fanaa ne bougea pas. Elle ne remarqua pas le réveil d'Earl. Elle était roulée en boule, endormie, aux prises avec un mauvais rêve où des bêtes vaguement humanoïdes avaient un aiguillon à la place de la langue. Et puis l'eau ... l'eau était mauvaise. Elle ne devait pas couler, elle ne devait pas sortir.

Au village de Raki, un sirlek mugit, devint nerveux, tapa du pied, puis se laissa tomber au sol, sa longue langue fouissant, cherchant autour de lui une goutte d'eau. De vraie eau. Son pâtre ne réussit pas à le calmer. Pire, il se prit un mauvais coup de patte écailleuse qui l'envoya s'assommer sur la pierre un peu plus loin. Le sirlek malade lui, se mit sur ses pattes arrières, mugit encore et enfin chut de tout son poids. Il avait cessé de respirer.

Lorsqu'on le dépeça et que l'on découvrit les boursouflures dans ses organes internes, il fut décidé que sa viande ne serait pas mangée.

Ce fut une sage décision.


Le levitis ne fut pas des plus discrets lors de sa sortie ce qui fit ouvrir un oeil à Fanaa. Si il y avait eu une porte, elle aurait sûrement grincé en se refermant pour terminer par un claquement sec. De ceux qui rendent triste. De ceux qui disent "Moi je pars et toi tu restes là." Fort heureusement, il n'y avait rien de plus que des rideaux. Avec un soupir, elle aurait bien dormi un peu plus, la jeune femme se mit debout. Sur le trajet du retour, les spasmes s'étaient réduits à des crampes, ce qui les rendait plus supportables. De plus ils s'espaçaient de plus en plus. Merci Raki.

Pourquoi s'était-il levé sans dire bonjour et était-il parti si vite ? Pourquoi n'avait-il pas prononcé un mot ? Réfléchissons. Earl a une éducation levitis. Donc stricte. Peut-être était-il vraiment énervé par son retard ? Oui peut-être. Mais ... Fanaa devait bien se l'avouer ce n'était pas très crédible. Elle ne s'était pas réellement attendue à ce qu'il l'attende. Elle l'avait souhaité bien sûr. Mais il restait Earl. Elle ne savait toujours pas comment le prendre. Par réflexe elle préférait baisser la voix voire même ne plus rien dire que d'être franche avec lui et de risquer un conflit.

Fanaa se sentit triste. Elle avait un mauvais pressentiment et une boule dans la gorge. Elle avait donc deux choix : rester sagement ici, se rendormir, faire comme si de rien n'était et attendre voir. Ou bien alors le suivre et entendre ... ce qu'il avait à dire.

*Cela ne sera jamais qu'une mauvaise nouvelle de plus...*

Tête basse, la jeune femme se leva et traversa la chambre jusqu'au couloir, puis tourna la tête à droite, à gauche, se demanda où il était parti et eut l'impression de pouvoir encore ressentir la trace de son passage. Ses yeux prirent une teinte dorée et elle avança sur les traces de sa proie aux cheveux blancs.

Pourquoi s'était-il autant couvert ? Il ne faisait pas froid. Et pas encore trop trop chaud. Et puis Fanaa n'aimait pas le manteau qu'il portait. Il n'était même pas à la mode du désert !

Et puis crapahuter comme ça dès le matin ? Il était fou ! Oui d'accord celle qui faisait cette réflexion était aussi celle qui, il y avait quelques jours de cela commençait sa journée en escaladant les statues décorant le toit de l'immense édifice de pierre qui était le temple. Mais ce n'était pas du tout pareil.

Le suivre en terrain relativement plat ne fut pas dur, mais la pente qu'il emprunta failli laisser Fanaa derrière. Escalader ça ? Mais elle n'avait ni griffe ni sabot ! Tout juste une paire de sandales !

Quant à ses vêtements, elle aimait s'habiller comme au Ringèm d'un bandeau cachant sa poitrine et d'une jupe pas très longue ouverte sur les côtés. Cela laissait plus d'amplitude de mouvement et n'étouffait pas. Par contre aux heures chaudes, une grande robe était rajoutée bien sûr. Elle n'était pas inconsciente non plus.
Ses cheveux étaient coiffés en deux nattes épaisses et sombres qu'elle triturait présentement avec nervosité.

*Bon allez. Si je ne me dépêche pas je vais le perdre.*

La côte fut escaladée plus facilement que prévu et elle le trouva la haut, lui tournant le dos. Le vent se levait. Qu'est-ce qu'il attendait ? Est-ce qu'il souhaitait que toutes les gorges alentour résonnent de ses braillements de colère ? Il provoquerait sûrement des éboulements.

En fait ça n'avait peut-être pas de rapport ? Peut-être faisait-il tout autre chose ? Peut-être ne l'avait-il même pas attendue, ni remarqué son absence ? Elle s'assit au sol en tailleur. Après tout il avait laissé la petite rose des sables derrière lui. C'était une façon de refuser le cadeau. Oui. Et refuser un cadeau c'était refuser la personne qui l'avait fait. En même temps une rose des sables ? Dans un désert ? Autant cueillir un brin d'herbe dans un pré et l'offrir. Ce genre de présent n'avait pas assez de valeur. Il ne fallait pas oublier qu'Earl était le fils, même adoptif, d'un puissant seigneur (et sale bonhomme) de levitas. Il devait être habitué à plus de faste. Peut-être devrait-elle se mettre en quête d'un présent à sa mesure ? Ah mais sauf qu'elle ne pourrait pas le payer. Du moins pas en argent. Bien. Elle allait réfléchir à tout ça. Seulement si elle trouvait quelque chose à lui offrir qui valait beaucoup, il aurait l'impression qu'elle voulait acheter sa gentillesse non ? Ah quel casse-tête !

De dépit elle se tapa sur le front. Bon sens bon sens bon sens bon sang !!

- Si tu pouvais juste... arrêter de réfléchir. J'essaye de me concentrer et c'est comme si j'avais un essaim d'abeilles à me bourdonner aux oreilles.

Absorbé dans ses pensées ou non, une fois dehors, Earl avait bien fini par comprendre qu'il n'était pas tout à fait seul.
Il ne dit rien pour renvoyer Fanaa, mais ne se détourna pas pour la regarder non plus. Il n'en était pas responsable et chacun d'eux était libre de sa personne et de ses actes, après tout.

Continuant à fixer le soleil levant, il remonta l'écharpe sur son nez, avant de laisser retomber ses mains. Il desserra lentement les doigts, offrant ses paumes à la brise tenace qui faisait crisser de courtes vagues de sable sur la pierre.
Le souffle déjà chaud parut se suspendre un instant, puis les grains de sable obliquèrent, suivant un léger courant d'air qui filait à ras de sol. On aurait dit qu'une main invisible traçait un cercle dans la poussière. Les particules de sable accélérèrent, sautillant, décollant par à-coups du sol de pierre.
Un sifflement se fit entendre, avec une force croissante... jusqu'à ce qu'il y ait comme un sursaut, un hoquet. Un fragment aigu soulevé par ce souffle étrange jailli brusquement, avec la force d'une flèche décochée par un arc.

Earl n'eut que le temps de lever le bras pour protéger son visage, et le projectile laissa une longue éraflure sur la manche épaisse de son manteau.

- Sacré nom de...

Le Lévitis pinça les lèvres. La dernière chose à faire était de céder à la frustration.
Il devait rester calme. Contrôler le flux. Avec le sable et la poussière en suspension, il pouvait voir sans trop de mal ce qu'il faisait, les erreurs qu'il pouvait commettre.

Le vent ne cessait de se renforcer. Les débris de pierraille cliquetaient sur le cuir des bottes comme les pattes d'une multitude d'insectes. Il n'aurait pas fait bon se trouver jambes nues, à moins de vouloir se faire écorcher les tibias.

Reprenant une inspiration, il recommença la manœuvre.
Les rafales se calmèrent à nouveau, le souffle fantomatique traça son cercle autour du jeune homme qui fit un geste lent de la main, comme pour pousser plus vite la poussière tournoyante. Dans un même mouvement, il leva le bras, serra le poing au dessus de sa tête.
Le halo aux reflets de cuivre piquetés d'or pour les rayons rasant du soleil s'immobilisa une fraction de seconde.
Un filet de sueur s'écoula sur la tempe du Lévitis qui fixait le soleil presque avec colère.
Il ramena avec lenteur son poing en arrière, avant de brusquement projeter la main en avant, paume ouverte, comme pour ouvrir à la volée une porte inexistante.

Dans un silence presque surnaturel, un remous, une vague énorme souleva des colonnes de poussière. Ce silence étrange fut aussitôt brisé par les grincements, les cliquetis, les crissements du sable repoussé avec violence. Un claquement sourd résonna dans les gorges alentour, et un roc erratique aux airs de créatures antédiluvienne se constella d'un réseau de fissures profondes, comme si une masse énorme l'avait percuté de plein fouet.

Earl se détourna pour ne pas prendre le retour de souffle chargé de poussière en pleine figure.
La mine mécontente, il considéra sa main vide comme s'il avait pu trouver des réponses dans les lignes de sa paume.

- Tch ! C'est plus difficile à contrôler que je ne pensais !

Elle se raidit lorsqu'il parla. Arrêter de réfléchir ? Sheyn trouvait pourtant qu'elle n'utilisait pas assez sa tête. Oui mais Sheyn était vilain. Et pourquoi par réflexe commençait-elle par obéir à Earl avant de se poser des questions ? Il n'avait même pas dit bonjour ! Non. Chut. Il veut du calme. Il veut que je n'existe pas. Silence.

Silence ...

Observation ...

Il râlait.

Normal.

- Mais qu'est-ce que tu es en train de faire au juste ? demanda-t-elle en penchant la tête de côté. Ce n'est pas dangereux au moins ?

Ne pas se poser les autres questions.

- Sheyn m'avait fait une démonstration de son pouvoir la première fois. Est-ce une attitude typiquement masculine ?

- Finalement, j'ai changé d'avis. Tu ferais mieux de réfléchir un bon coup.

Earl se décida enfin à regarder Fanaa, et ses yeux d'or avaient un éclat encore plus flamboyant qu'à l'accoutumée.
D'un geste brusque, il montra la large zone exempte de sable, là où la roche vive prenait une teinte sanglante, comme décapée de frais. Son mouvement rageur déclencha une nouvelle vague de poussière à laquelle il ne prit pas garde.

- Est-ce que ça te paraît normal, ça ? De la part d'un foutu clerc ?

Il crispa le poing et serra les dents sur un de ses doigts, dans un effort pour contrôler le sang qui bouillonnait de fureur dans ses veines.

- Tu crois que j'ai fait ça pour tes beaux yeux, peut-être ?

Une exclamation hautaine lui échappa.

- Que j'ai cherché à t'impressionner ? Comme si je t'avais invitée à venir !

Il commençait à perdre toute retenue.
Il n'avait pas réussi à bien cerner ses nouvelles limites, la tension qu'il pouvait supporter en une fois. Dérouté par l'intensité de l'elixia dès qu'il lui avait d'avantage lâché la bride, il avait été plus loin que prévu. Chacun de ses muscles tremblait et son bras droit restait raide et douloureux. Le sang lui battait aux tempes. C'était comme tenter de retenir un couvercle sur une marmite sous pression.

- Ne tse'erra fôh... Ah ! Oui, c'est dangereux, et c'est bien pour ça que je me couvre comme un imbécile et que je m'éreinte bêtement à grimper jusqu'ici, là où personne n'est censé se trouver à cette heure-ci !

Le tissu pesant lui manteau et sa chemise lui collaient entre les omoplates. Earl se sentait blêmir à vue d'oeil. C'était presque comme à la taverne. Le bouillonnement refusait de se calmer. Pire encore, il semblait vouloir s'intensifier.
Lui qui avait voulu y aller progressivement... Comment aurait-il pu prévoir que la manipulation de ce genre la plus simple ferait sauter autant de barrières, et avec une telle furie ? Restreindre ça n'avait strictement rien à voir avec ce qu'il faisait presque sans y penser lorsqu'il agissait en tant que soigneur.

Le Lévitis tourna brusquement les talons et commença à s'éloigner sans un regard en arrière, se faisant violence pour ne pas courir.
Laisser sortir ?
Ou retenir ?
Retenir, oui, mais comment ? C'était différent, complètement différent !
Et il devait se décider rapidement. Face à pareille contrainte, il n'allait pas pouvoir tenir très longtemps sans dommages.

""C'est fini maintenant"... Ah oui, tu parles !"

Fanaa se fâcha aussi sec et s'en trouva elle-même surprise :

- Mais je n'ai rien dit de tel enfin ! Pourquoi est-ce que tu m'attaques comme ça ?!

Mais Earl ne lui prêtait aucune attention. Il s'était déjà détourné et s'éloignait à grands pas. Oh mais si il croyait qu'elle allait lâcher le morceau facilement et disparaître gentiment ! Elle sauta sur ses pied et le poursuivit.

- Excuse moi d'avoir crié. Mais je voudrais discuter, comprendre ! Tu sais si tu m'en parlais on pourrait peut-être trouver une solution ensemble ?! Si ça se trouve je peux t'aider !

Enfin autant qu'on pouvait aider sans elixia. Enfin avec une elixia fluctuante. Car elle était bien de retour mais pareille à une marée. Seulement dans la situation présente, il valait mieux un peu que pas du tout. Un peu, ça laissait de l'espoir, une possibilité, une ouverture. Ca laissait une chance.

- Je peux t'enfermer dans une bulle d'elixia pour que tu ne craignes rien ? Ou alors peut-être créer une sorte de réservoir pour contenir le trop plein d'énergie ?

Fanaa réfléchissait à toute vitesse. Ses propositions, elle ne pouvait être sure d'être en mesure de les assurer. Oh mais ... il y avait plus simple !

- Je peux prendre ton trop plein d'elixia ! Si je peux en donner je peux aussi en absorber ! Je te promets que je peux le faire !

Elle le pouvait. Absorber l'elixia ne demandait pas une maîtrise pleine et entière de sa propre énergie. Non. Il suffisait d'être là et de laisser couler, prendre et de guider le flux. Se faire léfère et transparente. Se placer entre Earl et la destination finale. Faire le lien, le catalyseur.
Pour cela elle devait se calquer sur lui. Accélérant sa foulée, elle attrapa la main du levitis. La première pulsation lui fit l'effet d'une décharge et faillit la décrocher. Ressentir. Analyser. Adopter la fluctuation. S'accorder. Ses iris étaient identiques à celles d'Earl. Elle ne voyait plus très bien le paysage, par contre elle distinguait les courants d'énergie et c'était la tempête dans la poitrine du clerc!

- Vas-y lâche toi lâche prise arrête de lutter, je vois ta limite !

Et si il hésitait ? Peut-être alors tenterait-elle de la lui prendre ? Mais le processus serait plus risqué.

Discuter ?
Quand bien même il l'aurait voulu, cela aurait été difficile.

Le contact de Fanaa lui fit l'effet d'une brûlure et un grand tressaillement le secoua. Renonçant au moins à retenir ce qui ne demandait qu'à sortir physiquement, Earl se plia en deux et rendit le peu de bile que contenait son estomac vide. Sa main libre sur les genoux, il fit de son mieux pour retrouver son souffle.

- D'a... ccord. Mais...

Il recracha ce qui lui restait dans la gorge sans se redresser.

- Arrête-toi... juste avant. Il faudra bien que je finisse par y arriver tout seul, alors...

Earl qui accepte de l'aide ? Evénement incroyable s'il en était ! Mais il n'y avait pas de temps à perdre en surprise. Il était complètement en sur-régime !

- Ne fais pas de manière !

Avant qu'il ait pu ne serait-ce que se demander de quoi elle parlait, elle s'agenouilla face à lui, lâcha sa main pour saisir son visage, le redressa et ils se retrouvèrent bouche contre bouche. Acidité et amertume perdirent toute force quand l'énergie déferla tel un raz-de-marée d'une violence impossible à ignorer. Earl devait contenir tout ça ? Il était fou ! Enfermez une énorme masse dans une boîte pas assez grande pour la contenir et ça peut tourner à la catastrophe !

Ne pas penser. Faire le vide. Etre transparente. Se contenter de ressentir.

L'elixia brute de Fanaa était une cascade de lumière. Celle qu'elle soutirait à Earl pour le soulager était une tornade, un ouragan, du vent, du vent à n'en plus finir ! ce vent quittait Earl pour traverser la Chandlune dont la longue chevelure s'éleva et commença à s'allonger. C'est qu'il y en avait beaucoup à contenir puis à guider. Vraiment beaucoup. Les marques de Fanaa, ses ailes, conduits élixiens, se déployèrent. Elle ressentait le vent si fort qu'un peu plus et il aurait pu les emporter. Mais elle ne la laissait pas faire et buvait, aspirait, se laissait traverser.

Il avait parlé de limite. Lorsqu'elle sut que la dose d'elixia qui restait était sans danger, elle se détacha et lui lâcha la main. dès la rupture du contact elle se sentit s'élever quelques centimètres au-dessus du sol, transportée, puis les ailes se délitèrent en particules minuscules qui rejoignirent le ciel, bientôt suivies de l'énergie qui était restée dans les longues boucles noires. Celles-ci retombèrent de part et d'autre de son visage, de ses épaules, coulant le long de son dos jusqu'au sol tandis qu'elle y reprenait pied, gardant ses yeux rivées sur Earl, prête à intervenir au moindre signe.

Earl restait immobile, les yeux clos. Puis il prit une profonde inspiration, comme s'il sortait la tête de l'eau.

Le rugissement de tempête s'était mué en un faible bourdonnement. Le silence n'était pas revenu, mais tout semblait stable malgré tout.

Le Lévitis fit mine de se redresser, vacilla un peu, et finit par s'asseoir lourdement sur le sol. Il était ankylosé de partout. Il se sentait à peu près comme on devait se sentir suite à une semaine de voyage à l'arrière d'une charrette avec les planches pour seul lit et les cahots du chemin pour seule berceuse. Chaque fibre de son réseau elixien interne le tiraillait. Depuis les "modifications" d'Ilymir et les changements récents, il n'avait encore jamais laissé circuler d'énergie de façon réellement libre. Face à la rudesse de ce baptême plus précipité que prévu, son organisme protestait avec vigueur.

- Sans rire...

Il repoussa les quelques mèches trempées de sueur qui tombaient devant ses yeux.

- Est-ce qu'une... je ne sais pas, moi, une poignée de main ne suffirait pas ? A force, les assauts buccaux, c'est... hum.

Earl soupira et desserra l'écharpe qui semblait avoir décidé de l'étrangler.

- Enfin, pour une fois que ce n'est pas un... crétin qui s'amuse à me pomper l'air... et le reste... enfin l'elixia...

- Pour recevoir autant d'énergie en un temps si court, les mains ne suffisent pas. Le contact peau contre peau est utile pour un ... comment dire ... un soulagement prolongé. Si le débit avait été plus mesuré j'aurais pu te tenir la main pendant des heures. Mais là c'était une situation d'urgence. L'elixia se trouve à l'intérieur de toi, tu es d'accord. Elle devait donc me traverser, soit passer à l'intérieur de moi. En connectant nos bouches, on connecte nos intérieurs plus directement qu'avec nos peaux.

Si le flux d'elixia l'avait boostée, à l'inverse d'Earl d'ailleurs, ses récriminations lui firent ressentir comme une lassitude. Ses yeux redevinrent violets le temps qu'elle fasse apparaître son sabre et tranche dans les cheveux qui avaient trop poussé, puis hésitèrent entre le bleu et le vert et mêlèrent les deux teintes.

- Rassure toi je n'y ai pris aucun plaisir et je n'avais aucune idée déplacée en tête. Ca ne ressemble en rien à un baiser ce qu'on vient de faire. C'est du sérieux. Alors je sais bien que tu n'as besoin de personne et que tu te débrouilles très bien tout seul. Mais pour tes prochains essais, si tu veux, par sécurité que je sois là pour parer, tu pourras compter sur ma présence. Et je limiterai au maximum mes "assauts buccaux", selon tes désirs. Je peux bien faire ça pour toi. Car quoi que tu penses et quoi que tu fasses, je te suis fidèle et tu peux me faire confiance. Tant que ce sera dans mes capacités je ne te ferai pas défaut. Voilà.

Elle s'assit au sol en lui tournant le dos et posa ses coudes sur ses genoux.

- Tu restes quand même un petit idiot prétentieux et fatiguant. Et tu as un gros problème. Et si jamais tu compte me balancer que ton gros problème c'est moi et bien sache qu'alors tu en as deux. Et je fais évidemment référence à l'autre.

Elle était fâchée. Fâchée, agacée et peinée. De plus, sur la fin de sa tirade elle ressentit de la culpabilité de lui dire ça alors qu'il était fatigué. Ce n'était pas loyal.

- Je te demande pardon, je suis un peu énervée.

Elle serra les dents. Elle se sentait coupable, mais pas apaisée. Vivement que le sang lunaire se termine, il avait comme effet de la rendre très irritable semblait-il. Ca ne lui plaisait pas trop.

- Tu as un don certain pour parler beaucoup et interpréter à peu près tout ce qu'il ne faut pas au premier degré.

Le ton un peu las du Lévitis s'était brusquement refroidi jusqu'à atteindre un niveau polaire, ou peu s'en faut.

- En fait, ton principal défaut, c'est quand tu essayes de deviner ce que les autres pensent, que ce soit moi ou...

Il se releva et considéra son attitude boudeuse. On aurait vraiment dit une enfant. Il secoua la tête avec humeur.

- Je n'allais pas te qualifier de "problème".

Sans un mot de plus, il reprit la direction du temple.

Avait-il perdu tout sens du commun pour entamer une relation suivie avec... une gamine ? Car c'était bien ça, quoi qu'en disent les apparences. Ah, il n'était bien qu'un homme, pour avoir cédé aux charmes d'un joli corps. Pourtant il l'avait déjà côtoyée, il aurait dû comprendre.
Cela lui servirait de leçon. Ce n'était pas de sitôt qu'il se laisserait aller à écouter son instinct au lieu de réfléchir !

Qu'il parte ! Qu'il parte et puis voilà ! C'était très bien comme ça !

Sauf que c'était faux. Elle ne l'avait pas suivi dans le but de le laisser s'éloigner encore, de le faire fuir.
Et si elle restait là, si elle laissait tout tomber plutôt que de s'attacher un peu plus et de se poser des dizaines de questions ? Ce serait simple. Il serait dans son coin, elle dans le sien. Comme il en avait été si longtemps. Ce serait simple. Ce serait peut-être la bonne solution.
Mais il avait été gentil ... et dans cette chambre elle avait été plus heureuse que jamais même si la nuit avait été quelque peu faussée par son attitude si inattendue. Mais la nuit suivante, il n'y avait eu ni charme ni artifice. Et c'était bon ...

Ensuite, ensuite elle était partie trop loin trop longtemps. Peut-être que ça avait cassé ce début de rythme. Le fait qu'elle doive rester plus que prévu au village était probablement tombé au mauvais moment. Alors autant tout laisser tomber.

A l'idée de rompre le lien avec lui, le désert lui parut bien plus infini et l'air plus brûlant. C'était étourdissant. C'était effrayant aussi. Si elle se trouvait au Ringèm, s'offrirait-elle en sacrifice à un monstre aussi facilement ? Sans se défendre ? Juste parce qu'il était bien plus grand, plus costaud et mieux armé qu'elle ? Certes non. On ne se rendait pas sans combattre. Elle ne laisserait pas tomber "juste comme ça".

Fanaa se leva et courut pour le rattraper.

- Très bien. D'accord, merci de cette remarque, j'en prends note. A mon tour maintenant. Ton gros problème est que tu ne sais pas accepter quelqu'un. Je veux dire, c'est ce que tu fais à chaque fois ! Tu trouves des côtés qui te déplaisent chez cette personne alors bim tu te refermes comme une boîte et la laissant à l'extérieur. Sans chercher plus loin. Au premier écart hop c'est fichu. C'est comme un tableau dont tu n'aimerais pas la petite touche de couleur orange par là, donc tu le balances aux ordures. Seulement il faut regarder le tableau dans son ensemble, peut-être n'aimes tu pas spécialement le orange mais est-ce que ce n'est pas cette touche de couleur qui renforce tous les tons de bleu autour ? Regarde le tableau dans son ensemble, c'est un tout, un équilibre. Tu ne dois pas voir une personne comme quelque chose que tu peux ouvrir vider de tout ce que tu n'aimes pas pour n'y laisser que ce qui te plaît. Faire cela serait dangereux. Les premiers temps tu serais peut-être content de toi, d'avoir réussi à créer la personne idéale, mais tu te lasserais, car cette personne n'aurait plus d'âme. En plus tu dénigres sa possibilité d'évoluer.

Je sais que j'ignore beaucoup de chose mais il y a aussi des choses que je sais. Je sais que j'ai des défauts mais j'ai aussi des qualités. Et je peux m'améliorer. Pas seulement pour toi d'ailleurs. Pour devenir une bonne personne tout court. Je prends en compte tes remarques. Parce que ton avis compte. Pas seulement parce que tu es très intelligent, mais parce que ça vient de toi. Oui tu as raison mon esprit tourne vite, trop vite et j'interprète les choses. Mais pourquoi est-ce que je fais ça ? Parce que mon esprit n'a pas beaucoup plus que tes silences pour se nourrir alors qu'il souhaiterait tes paroles. Mais parler avec toi c'est trop souvent un conflit. Et ça ne mène à rien puisqu'après je n'ose plus te parler.

Par exemple à l'instant, j'ai crié je t'ai lancé des mots pas très gentils je l'avoue. Et j'étais mal alors je t'ai tourné le dos, comme pour clore la discussion. Et toi qu'as tu fait ? Tu m'as balancé le même genre de chose puis tu es parti bouder. Comme le fait Nuadi. Enfin peut-être que les garçons boudent souvent. Enfin bref ça c'est typiquement un conflit. Un conflit qui pourrait ne jamais être résolu. Tu restes en colère, moi aussi, la terre s'ouvre on reste chacun de notre côté et voilà. Mais on n'est pas obligé de faire ça. Je reviens vers toi pour réparer les dégâts. Enfin j'essaye. Je glisse mes doigts entre ton coffre et ton couvercle en espérant que tu ne me les pinceras pas.
Attends, attends.

Fanaa prit une grande inspiration.

- Earl Nereyn Pendergast Adennon - tu noteras que j'ai tout retenu - je t'accepte tel que tu es et je te prends en entier. Même si tu cries, même si tu boudes, même si tu te fâches, même si tu te fermes, même si tu bous à l'intérieur. Tu es trop souvent en colère et c'est dommage.Mais cela fait partie de toi, du tout qui es toi. De plus tu fais des efforts. Je le sais bien. Je trouve cela adorable et je suis sure que tes autres proches sont eux aussi touchés par cela. Tu es plutôt grand, tu es très intelligent, tu as ,je pense, un savoir énorme. Tu es trop rigide, tu as du mal à te laisser aller. Tu as été ou es clerc, mais pas seulement. Tu es "le changeant" et c'est pour cela je crois qu'il y a ce phénomène d'elixia. Il y a peut-être un rapport avec ton changement. Tu as du dragon en toi, les dragons volent, d'où cette elixia à caractère venteux. Ce n'est pas une observation basée sur tout un tas de connaissance, c'est juste du ressenti et d'interprétation.
Tu sais j'aime quand on s'embrasse et quand on fait l'amour tous les deux. Mais je voulais quelque chose de plus. Je ne te connais pas et c'est un manque. Alors je voudrais discuter mais ça ne se passe pas souvent très bien. Comme si tu me jugeais chaque fois que j'ouvre la bouche et que ton verdict était chaque fois le même : "pas assez bien pour moi". Remarque, tu as le droit de le penser bien sûr, mais je trouve que tu ne me laisses pas assez d'espace et de chance pour te montrer mes bons côtés.
Voilà comment je pense. Voici un petit peu de moi. Je veux bien croire que je ne m'y prends pas de la meilleure façon avec toi mais c'est que je ne sais pas comment faire pour ne pas te braquer. Je suis désolée.

Secouant doucement la tête, Fanaa ouvrit ses paumes en signe de reddition. Elle avait trop parlé encore. Mais quand ele était lancée elle disait tout ce qui lui passait par la tête, tout ce qu'elle pensait. Oh mais ! Il lui avait reproché de beaucoup trop parler ! Et voilà qu'elle recommençait ! Oui mais parler, discuter, échanger, c'était important, non ?

Elle n'avait pas complètement tort.
Et elle touchait même parfaitement juste pour sa tendance à vouloir façonner son entourage à son idée. Cela lui était d'ailleurs revenu dans la figure à Ilymir.

Earl passa nerveusement une main dans ses cheveux qui, par bonheur, avaient bien repoussé.
Ce rappel involontaire de ce qu'il avait pu faire et dire à Syld sous le coup de la fatigue et de la colère n'était pas fait pour alléger son humeur.

- Je ne note rien du tout. Altheraan. C'est Earl Pendergast Altheraan Adennon. Et pour information, la manipulation de l'elixia sous forme de vent est assez répandue parmi les mages d'origine lévitis. Rien à voir avec un... dragon.

Rien qu'à sa façon de prononcer le mot et à la moue qui abaissait le coin de ses lèvres, il n'avait guère l'air convaincu de l'existence physique de pareille créature. Et encore moins "en lui", écailles ou pas.

Earl avait un caractère trop droit, trop rigide pour que sa colère se calme rapidement. Et un rien pouvait raviver son humeur orageuse.

Sans risquer d'avantage de commentaires, il entreprit donc de redescendre l'étroite corniche vers la vallée. De toute façon il lui tardait de pouvoir se débarrasser de son manteau et d'aller au moins se rincer la bouche. Un méchant arrière-goût amer et acide lui collait au fond de la gorge, sans compter qu'il devait avoir une haleine à faire tomber les mouches en plein vol.

La Danseuse baissa le nez.

- Oui mais je n'ai jamais réussi à le prononcer celui-là.

Elle n'ajouta rien. Il n'y avait plus rien à dire après tout. Le levitis s'était renfermé dans son mutisme et elle n'avait aucune idée de quoi prononcer pour détendre l'atmosphère. Alors elle le suivit en silence, un pas après l'autre. A cause de sa bile, le souffle d'Earl avait mauvais goût et rappelait le souffre. Pourtant Fanaa n'avait eu aucun mouvement de recul au moment de la connexion, elle avait fait comme si de rien n'était. Parce que l'urgence n'était pas dans la mise du jeune homme mais bien dans son état.

Ils arrivèrent en vue du temple, le moment était venu de vaquer chacun à ses occupations.

- Passe une bonne journée Earl.

Se forçant à fuir son regard, elle rejoignit le dortoir et Khamsin. Celui-ci leva le museau.

*Fanaa !*

Elle l'entendait de nouveau, preuve que son elixia était instable mais vraiment de retour quand même.

- Et oui mon chéri je suis là. Et je vais enfin m'occuper de ta fourrure, tu dois mourir de chaud comme ça !

Elle refit apparaître son sabre et s'occupa de couper court les poils touffus du Valaë.

- Vivement que tu puisses de lever et venir te balader avec moi.
*Oh oui ! Oh oui Fanaa ! Une promenade!*
- Bientôt mon loup, bientôt.

Khamsin se laissait papouiller et raser avec délice mais il sentait que quelque chose n'allait pas.

*Tu es triste Fanaa ?*
- Un peu. Mais ce n'est pas important. Allez je fais l'autre côté.
*Mais tu es triste.*
- Ce n'est rien. C'est la vie tu sais.
*Qui te fait du chagrin ?*
- Oh. Et bien je suppose qu'on doit sûrement pouvoir dire que c'est moi-même quelque part. Mais tu vois je ne pleure pas, alors tout va bien.
*Ou alors c'est plus profond.*

La Danseuse ne répondit pas. Elle en avait eu le pressentiment ès l'éveil mais ne s'était juste pas attendue à ce que ça se passe ainsi. Bon qu'allait-elle faire après avoir toiletté Khamsin ? Rester enfermée ne lui disait rien. Probablement retournerait-elle voir Raki. Mais cette fois, demanderait-elle sa route à un guide ou non ? Et puis il faudrait qu'elle remercie Nuadi qui lui avait gentiment envoyé Sheitan, c'était la moindre des choses.

- Hey.

Earl se détourna du ciel qu'il observait avec attention pour se retourner vers Nuadi.
Le garçon avait la tête de quelqu'un qui s'ennuie à mourir. Il traîna des pieds jusqu'à la grande fenêtre qui déversait un flot de lumière dans le corridor puis jeta lui aussi un coup d'oeil vers la voûte d'un bleu un peu trouble au dessus du sommet des falaises alentour.

- Je suppose que tu l'as remarqué aussi ?
- A l'instant. J'y ai pensé en voyant l'allure du lever du soleil, mais cela aurait pu juste passer.

Le menton dans les mains, coudes sur le rebord de pierre lisse, Nuadi lâcha un gros soupir.

- Mmh ? Nous on l'a juste senti, mais toi tu as réussi à lire ça juste dans le ciel ?

Earl haussa les épaules, faisant crisser le tissu lavé de frais de sa tunique.

- J'ai passé plusieurs années à Lévitas, et aussi pas mal de temps sur des navires. Ici c'est un peu particulier, mais il n'empêche que déchiffrer les changements de temps est devenu une seconde nature. La manière dont les nuages s'accumulent ne trompe pas. Cela devrait se déclencher en fin d'après-midi, dès que la chaleur va commencer à diminuer.

Son interlocuteur se gratta pensivement l'oreille tout en considérant avec perplexité les quelques traînées de nuage inoffensives qui voguaient avec lenteur sur l'azur. Les nuages étaient rares au-dessus des étendues désertiques, mais ceux-ci ne semblaient rien avoir de particulier.

- Hmm. Les vieux ont fait tout un foin quand nous le leur avons annoncé ce matin. Comme à chaque fois, ils sont plus paniqués que contents.
- Paniqués ?
- Ah, c'est vrai. Tu n'en as encore jamais vu ici.
- Non...

Earl baissa les yeux, se désintéressant du ciel paisible pour étudier avec attention la configuration de la vallée. Son regard se promena lentement des falaises abruptes au lit de la rivière asséchée qui s'enfonçait dans les gorges encaissées.

- ... mais je crois que j'imagine un peu à quoi ça doit ressembler. Ca ira pour les villages qui sont au milieu des défilés ? Le niveau doit monter d'une façon...
- Difficile de prévoir. Par sécurité les habitants se réfugient toujours dans les hauteurs des villages. Le plus compliqué est de prévenir à temps tous les bergers et les chasseurs qui s'éloignent parfois beaucoup. Quand on se rend compte du danger par soi-même depuis le fond des gorges, il est souvent un peu tard.

Il y avait du mouvement en haut des falaises. Quelques personnes allaient et venaient à l'extrême bord du vide, apparaissant et disparaissant comme s'ils s'agenouillaient hors de vue. Le Lévitis indiqua les petites silhouettes d'un signe du menton.

- Que font-ils ?
- Oh, ils ouvrent l'entrée de plusieurs conduits naturels qui parcourent les plateaux. Cela permettra de remplir un certain nombre de réservoirs qui restent à sec le reste du temps. Il y aura à peu près autant de sable et de débris que d'eau, mais d'ici quelques jours, elle sera sinon potable pour les humains, du moins utilisable pour abreuver les bêtes, les plantes... et pour se laver, aussi.
- Voilà quelque chose qui ne fera de mal à personne, en effet, approuva Earl en s'autorisant un sourire.

Il avait du mal à déterminer la force que pouvait avoir un orage dans le désert, mais toujours est-il que la vitesse à laquelle les nuages encore translucides et filandreux se rassemblaient laissait présager un épisode plutôt violent...

- Fanaa ! Ah tu étais là ? Mais c'est fou on ne te voit plus ! Et tu ne dors même plus ici, où passes tu tes nuits dis moi ?
- Fynarine ! C'est vrai que ça fait quelques temps. Mais je bouge, je visite, rester enfermée ce n'est pas drôle. Es tu sortie du temple ?
- N... non pas vraiment. C'est que je ne connais pas trop le coin et ...
- Justement je voudrais retourner au village où j'étais hier. ca te dit de m'accompagner ?
- Et bien je ne sais pas trop ...
- Mais viens donc, ça te changera les idées.
- Mais est-ce que ... Fynarine rougit ... est-ce que nous pourrions proposer à Ridelgald aussi ?
- Monsieur Ridel ?

Fynarine hocha la tête et Fanaa se mordit la lèvre. Monsieur Ridel n'était pas méchant, la preuve il s'était inquiété pour Khamsin. Mais il restait dangereux. Il était un soldat, il était plus fidèle à Earl qu'à n'importe qui d'autre, et puis ils n'avaient jamais eu l'occasion de parler. Fanaa ne pouvait que rester méfiante à son égard. Elle lui faisait pleine confiance pour s'occuper du Levitis et le suivre, le suivre jusqu'au bout. La possibilité que Monsieur Ridel renifle qu'elle ... enfin qu'elle et Earl ... enfin ça l'ennuyait. Elle avait fait de son mieux pour rester discrète, pour que nul ne sache. C'était trop tôt. Ce qui s'était confirmé ce matin. Ne plus y penser.

- Ecoute Fynarine, je ne pense pas qu'il faille embêter Monsieur Ridel. Je vais y aller et ainsi vous pourrez être en tête à tête si vous le souhaitez c'est mieux.
- Oh ne ... ne dis pas ça ... Ridelgald est ... il a d'excellentes manières.
- je n'en doute pas. Salue le de ma part hein ! Bon, je pars.
- Mais c'est dangereux peut-être, le désert tu ne le connais pas tu pourrais te perdre !
- Mais non regarde j'ai retrouvé ma route ! Bon avec un peu d'aide mais ...

La Danseuse enfila la grande robe manteau et sortit du temple. Alors, guide ou pas guide ? Kraa eut pu retrouver la route mais Fanaa préférait qu'il se repose ce jour. Donc guide ? La jeune femme rechignait à déranger quelqu'un ... Mais par acquis de conscience elle se dit qu'elle demanderait une fois, à une seule personne. Et si jamais ladite personne ne pouvait pas, elle n'insisterait pas et prendrait la route seule.

Par chance, le hasard fit bien les choses car elle tomba sur un garçon envoyé en messager vers le village de Raki. Ce-dernier voyageait sur une curieuse monture assez haute et biscornue et accepta de l'escorter.

- Par contre attention, on y va pas pour s'amuser. Je donne mon message et je reviens.
- Bien sûr, je ferai vite. Merci de m'emmener !

Le gars faisait avancer sa bête avec une badine et des drôles de cris. Une chose était sure, faire le trajet ainsi était plus rapide qu'à pieds.

Dans le désert, quelqu'un vit passer Fanaa et fut déçu qu'elle ne se soit pas déplacée seule. Ce quelqu'un avait été témoin de la curieuse scène de passage d'elixia sur le plateau ...

Lorsqu'elle traversa le village, elle eut droit à des saluts et même quelques mots de bienvenue. Nettie apparut à sa porte, son enfant accroché à son dos par un long tissu coloré et fit de grand signes du bras.

- Fanaa Cara ! Contente de te voir ! Viens dire bonjour à ma petite Saelle ! Raki m'a dit pour ta demande et je lui ai donné la perle. J'espère que tu aimeras.
- Comme elle est mignonne ! Et merci beaucoup. Mais tu travailles déjà ? Si tôt après Saelle ?
- Bien sûr ma jolie. Sinon qui le fera ? Allez va vite la voir, elle t'a fait quelque chose de très beau !

Et en effet, le résultat était idéal. Presque exactement ce qu'elle avait demandé. Fanaa remercia Raki chaleureusement et la félicita.
- Tu me diras si il lui a plu, d'accord ?
- Oh mais je ... Raki je crois que je ne lui offrirai pas.
- Mais pourquoi cela ? Qu'est-ce qui a changé ?
- On s'est disputés. Fanaa soupira. On n'est pas fait pour être ensemble.
- Ha. Et comment peux tu dire ça ?
- ca fait quatre jours et je n'arrive pas à ne pas le fâcher.
- Et donc tu t'es sauvée ici.
- Je ne me suis pas sauvée, Raki.
- Ah oui ? Il est venu avec toi ?
- Non ...
- Donc tu t'es disputée avec lui et au lieu d'essayer de réparer les choses tu as fui.
- Mais non ! J'ai essayé mais quand je parle je ne répare rien du tout, je crois que je ne fais qu'abîmer plus.
- Alors ne parle pas et agis ?
- Tu veux dire, que je me glisse dans son lit ? C'est vrai que c'est le seul moment où on ne se fâche pas mais ... j'aurais voulu autre chose, pour changer. Ce n'était peut-être pas le bon souhait.
- Ecoute ma petite, dans la vie on se bat pour ce qu'on veut, si on le veut vraiment. T'a-t-il dit clairement qu'il ne voulait plus de toi ?
- N... non ?
- Alors ça te laisse une ouverture. Prends ton cadeau, offre lui comme tu voulais le faire et vois. Ou fais ce que tu veux mais fais quelque chose. Ne baisse pas les bras si vite. Les histoires ne sont jamais simples et immuables comme la pierre. Elles bougent, elles évoluent, elles dessinent la suite. Dessine ton histoire ! Et ne m'embête plus avec cela. Tu es devenue une femme, les femmes sont attirées par les hommes. c'est la nature. Il est un homme, tu es une femme alors fonce. Et si ce n'est pas lui, alors c'en sera un autre.
- Mais non, je ne veux pas !
- Dans la vie, on n'a pas toujours ce qu'on veut.

A ce moment, un voisin passa la tête par la porte.

- Il va y avoir une tempête, tout le monde se rassemble en haut, à l'abri. prépare toi Raki.
- Merci Aleb. Allez Cara, va-t-en vite, ça peut être dangereux.
- d'accord. je vais retrouver mon guide.
- Tu parles de Sraal ? demanda l'homme. Mais il est déjà reparti ! Il n'avait pas le temps de rester il voulait rentrer au temple !
- Mais ... mais et moi ?
- peut-être ne t'a-t-il pas trouvée Cara ? Nous avons beaucoup parlé tu sais. Reste avec nous alors. Tu seras à l'abri.
- Je ne sais pas. Les tempêtes de sable sont dangereuses mais j'ai envie de rentrer.
- Qui te parle de sable ? C'est de l'eau qui va tomber du ciel déchiré. L'eau, la vie, mais d'une telle violence que ça risque de faire très mal !

La Danseuse s'était arrêtée dur le mot "eau" et n'avait pas fait attention à la suite. De l'eau ! De l'eau !

- Raison de plus pour rentrer ! De l'eau Raki tu te rends compte ?
- M'as tu écoutée ?

La réponse était non. Fanaa était déjà ailleurs. De l'eau, de l'eau ! Elle fit un signe aux habitants qu'elle quittait et s'élança dans la gorge. De l'eau, de l'eau !

- Aleb va la chercher.
- Raki, laisse la aller. Peut-être sera-t-elle assez rapide. Allez viens, monte avec moi.

Earl assista au départ de Fanaa depuis sa fenêtre, et n'y prêta qu'une vague attention. Elle était accompagnée, donc sans doute prévenue de l'arrivée de l'orage. Inutile de s'inquiéter à son sujet.

A mesure que le temps passait, les allées et venues se faisaient plus nombreuses. De larges toiles huilées étaient déployées en larges entonnoirs, des gouttières de peau déroulées sous des étais de bois serpentaient le long des falaises. La plupart de ces fragiles dispositifs seraient probablement emportés par l'orage, quel que soit le soin avec lequel ils avaient été fixés. Mais ceux qui résisteraient permettraient peut-être de recueillir d'avantage d'eau dans les réservoirs de cuir, de bois ou de pierre, avant que le précieux liquide n'aille se perdre dans le sable. Chaque goutte gagnée saurait trouver son utilité par la suite.

Les enclos temporaires élevés pour parquer les bêtes dans la vallée avaient été pour la plupart démontés. Quelques bouviers armés de bâtons poussaient leurs bêtes vers des recoins plus abrités, des passes rocheuses au goulot étroit faciles à fermer avec de gros blocs et des cordes qui risquaient moins de céder, que ce soit sous l'effet des éléments en furie ou d'une crise de panique des animaux.

Des serviteurs s'affairaient sur les balcons et les galeries ouvertes, nettoyant le sable qui bouchait les évacuations ménagées de loin en loin au pied des parapets.

Tout ceci se faisait sans précipitation. Tout était bien réglé, chacun savait ce qu'il avait à faire.

Earl allait quitter son poste d'observation lorsqu'il aperçut la monture du guide de Fanaa. Le messager revenait seul. Elle était donc restée dans un des villages ?

Les doigts gantés pianotèrent sur l'appui de la fenêtre. Puis, avec une exclamation contenue, le Lévitis s'éloigna à grands pas, traversant le couloir et descendant les marches à la rencontre du garçon occupé à attacher sa monture à un anneau de fer.

- C'est bien toi qui as accompagné une fille à un des villages des falaises ?
- Eha. Je suppose qu'elle aura décidé de rester là-bas.
- Je ne sais pas pourquoi, mais cet espoir me paraît hautement optimiste, marmonna Earl plus pour lui même que pour le messager. Quel village ?
- Celui des trois pics.
- Je vois. Dominé par trois grands pitons rocheux, vers le nord-est ?
- C'est bien ça.

Un grondement encore sourd roula sur la surface des plateaux. Au-dessus, le ciel avait pris une teinte un peu laiteuse qui virait progressivement au gris. Les nuages d'orage restaient encore hors de vue, mais il avait peut-être déjà commencé à pleuvoir sur l'extrême sud des reliefs. Il ne restait pas beaucoup de temps.

- Je peux emprunter cette monture ?
- Mais... pour aller où ? Il n'est plus temps de...

Le Lévitis attrapa les guides et tira la bête soudain un peu nerveuse derrière lui, sans plus écouter les protestations du garçon. Il n'était pas familier avec les orages du désert, mais il avait pu saisir sans trop de mal ce qui pouvait se produire. Ce n'était pas le moment de rester à argumenter.

La monture geignit, fit quelques écarts, puis se décida enfin à obéir à ce nouveau cavalier un peu trop rude à son goût.

Les grandes pattes se fendaient en longues foulées qui soulevaient la poussière. L'animal de plus en plus anxieux ne ménageait pas ses efforts et il n'y avait guère besoin de le stimuler pour aller plus vite. Lui aussi n'avait qu'une envie : se mettre à l'abri hors des ravines aux parois verticales si hautes qu'elle semblaient se rejoindre au-dessus de leurs têtes, ne laissant apercevoir qu'un mince ruban de ciel de plus en plus sombre.

- Mais où est-elle fourrée ? Il y a autant de chances qu'elle soit restée à ce village que...

- De l'eau de l'eau de l'eau ! C'est ce qu'il y a de plus beau ! chantonnait Fanaa en gambadant dans le défilé.

La température était descendue et le ciel s'était assombri. Loin de l'inquiéter, ce changement de temps l'excitait. De l'eau enfin ! Le ciel allait se déchirer et des trombes d'eau en tomber pour arroser le désert rouge. Puis le lendemain, après la pluie, le désert fleurirait, il serait une immense oasis !

- Un paradis ! Comme le Ringèm avant le mur !

Elle tournoya sur elle-même, joyeuse. Faisant passer par dessus sa tête la robe qui devait la protéger du soleil -inutile maintenant puisque le soleil laissait sa place - et l'attacha du mieux qu'elle le put autour de sa taille avant de bondir à l'escalade de la paroi, puis de redescendre plus loin et de sauter, de pirouetter en direction d'où elle pensait être situé le Temple.

- C'est de bon augure pour le petit de Nuada ! Tout un désert en fleur, ce sera beau beau beau !


De la même couleur que les rochers, quelqu'un suivait la progression de Fanaa. Elle était repartie seule, ce qui la laissait facile à attraper. Le Maître serait content, il préférait les étrangères car elles n'avait pas les problèmes elixiens comme les gens du désert. Sur le plateau, lorsqu'elle avait manipulé l'elixia du vent, il ne s'était rien passé de notable.
Par contre, le temps couvert n'était pas pour rattraper la créature qui n'aimait pas l'eau du ciel. Cette eau démangeait et brûlait, elle était devenue gênante, presque dangereuse. Et elle allait bientôt tomber. Alors si elle attrapait l'étrangère maintenant, aurait-elle le temps de la ramener avant l'orage ? Non. Seul, l'être pouvait rentrer à temps à l'abri. Mais un chargement le ralentirait.
Et puis elle n'arrêtait pas de bouger ! Pourquoi ne se contentait-elle pas de marcher droit comme tout le monde ? Au moins elle laisserait la possibilité à l'être d'arriver dans son dos et de la piquer. Tandis que là, à ne pas savoir où elle allait poser son prochain pas ... il était dur de prendre une décision.

- Je ferai un bouquet que j'offrirai à Nuada ! Et j'en cueillerai aussi pour Nettie et Raki ! Oh mais si ça se trouve, on n'aura pas le droit de les cueillir ? Oui c'est vrai, les fleurs du désert doivent être fragiles et précieuses ...

Tandis qu'elle était dans ses pensées, elle avait ralenti et ne vit pas l'ombre se faufiler derrière elle et calquer son pas sur le sien.

- Mais ce n'est pas grave, ce sera beau et c'est ce qui compte ! S'exclama Fanaa en bondissant sans crier gare.

L'aiguillon rata sa cible.

Le vent forcit et Fanaa leva le nez. Le ciel était devenu noir et des lueurs indiquaient des débuts d'éclairs. Elle devait se dépêcher, à quelle distance se trouvait le Temple ? Fanaa se mit à courir.

La bête du rocher calcula que même toute seule, elle n'aurait pas le temps de rentrer à temps. Alors autant prendre le risque d'attraper celle-là. Elle trouverait bien une cachette où attendre en sécurité en évitant l'eau.
Elle bondit à la suite de la Danseuse, visa, et entendit du bruit. Quelqu'un arrivait ? Ah non pas déjà !

La Danseuse entendit elle aussi. Sraal revenait-il la chercher ? Ou y avait-il un autre message à transmettre ? Elle pencha la tête sur le côté et tendit l'oreille, au moment précis où la bête réessayait de la piquer. Fanaa sentit un souffle près de sa joue et se retourna.

Qu'est-ce que c'est ?

La bête, écailleuse, ressemblant vaguement à un très grand lézard se tenant sur de pattes déplia sa collerette et se prépara à ...

- Cracher ?

Venin !

Fanaa se jeta au sol et l'autre la rata encore.

- Mais il va pleuvoir, je n'ai pas le temps moi, je veux rentrer ! Tu ne devrais pas te mettre à l'abri aussi ?

*Voilà que je parlement avec une bête maintenant. Mon sabre. Vite vite vite ! C'est pas le moment d'avoir une panne d'elixia bon sang !*

Ah enfin ! Ses sabres à la garde décorée de pompons rouges apparurent dans ses mains.

- Je ne suis pas bonne à manger, en plus là je n'ai pas trop de temps à perdre alors s'il te plait va-t-en !


Manger ? Mais la bête ne mangeait pas les étrangères. Elle les rapportait au Maître. Avec des filles du pays aussi bien sûr. Si elle la mangeait, elle serait malade. La bête ouvrit une gueule pleine de dents qui semblaient plutôt confirmer la théorie de Fanaa, puis elle aperçut quelque chose au fond de sa gorge et eut le réflexe d'utiliser ses lames en protection. L'aiguillon ne se planta pas sur la Danseuse mais lui ripa le dos de la main.

Ensuite la bête tourna le dos et disparut, se fondant sur les rochers.


*Il faudra que je demande si le venin des bêtes du désert est dangereux. Mais là à part une légère brûlure, ça a l'air d'aller.*

Alors qu'elle reprenait la route, elle eut quand même l'impression que le sol tanguait et elle ne marcha pas très droit. Mais ce n'était pas douloureux, c'était ce qui comptait.

Et si elle avait tenté de couper en empruntant un des sentiers de bergers qui permettaient de monter sur les plateaux ?

Earl tira sur les rênes pour ralentir sa monture, monture qui ne goûta guère ce contre-temps et entreprit de sautiller en crabe tout en secouant la tête avec énergie.

- Ah mais... COUCHÉ !

Avec tant de soudaineté que le Lévitis manqua passer par dessus l'encolure, la bête obtempéra et se retrouva le ventre dans le sable, l'air un peu hagard. Sans doute ne pipait-elle pas un mot du langage commun, mais le ton avait été suffisamment explicite pour rendre toute traduction inutile.

Marmonnant une flopée de jurons à faire pâlir un charretier, Earl mit pied à terre.

Comment être sûr de la trouver dans ce labyrinthe ? Il était à peu près certain que, puisque la logique voulait qu'elle soit restée à l'abri au village, elle n'avait eu de cesse de filer au devant du danger. Mais autant chercher une aiguille dans une botte de foin...

Pourtant il avait l'impression de sentir sa présence, non loin.

Il convenait d'utiliser une technique parfaitement, rationnelle, imparable...

Earl prit une inspiration.

- FANAA ! AU PIED !

"Au pied" ? "AU PIED" ?!! Comment osait-il ? Si il croyait qu'il lui suffisait de lui ordonner quoi que ce soit pour qu'elle obéisse, si il pensait pouvoir s'amuser en l'humiliant il se mettait le doigt dans l'oeil jusque ...


Fanaa arrêta de zigzaguer instantanément, tendit l'oreille pour analyser l'origine exacte du bruit puis elle se mit à courir et bondir, se précipitant vers l'appel, filant comme le vent. Alors qu'elle n'en avait aucunement l'intention ! Elle désirait rester loin de ce type et de sa façon de la traiter, de la siffler comme une bête de compagnie bien élevée, mais son corps ne se laissait plus contrôler. Lui, réagissait exactement à l'ordre reçu. Qu'avait-il fait ?

La Danseuse mit assez peu de temps pour rallier le Levitis et sa bête. Sa main partit en arrière et si la gifle ne claqua pas, c'est parce que Fanaa perdait le contrôle d'elle-même et se trouva incapable d'aller au bout de son geste. Son corps se refusait à punir Earl. Ses yeux lançaient des éclairs, ses mâchoires étaient crispées. Elle s'agenouilla à ses pieds et serra les poings sans piper mot. Qu'est-ce qu'il avait osé lui faire ?! Et surtout, pourquoi ?

Toute sa joie à l'idée de la pluie s'était évaporée. Celle qu'elle aurait pu ressentir en découvrant Earl sur sa route aussi. "Au pied". Ainsi c'était tout ce qu'elle valait ? Elle avait encore du mal à y croire. Pouvait-il se comporter de manière humiliante et blessante ? Etait-il possible qu'il soit sadique ? Syld ne s'était donc entouré que de pervers ?
Fanaa secoua la tête et laissa s'évaporer la colère au profit de la résignation.

- Si tu m'avais appelée normalement je serais venue, tu sais. Tu n'avais pas à ... à me dire ... ça.

Elle baissa la tête dans une attitude soumise et les premières gouttes commencèrent à tomber, ne lui apportant aucun réconfort.