Confins du désert - sanctuaire du Pas du Dragon

- Bien ? ça s'était "bien" ?

Même Fanaa ne pensait pas que le flot de ses larmes pouvait encore se renforcer. Où trouvait-elle autant d'eau ?

Elle se serra contre Nuada. Elle avait besoin de s'accrocher à quelqu'un, son inquiétude n'avait pas baissé. Pas du tout.
Et si cela c'était quelque chose qui s'était "bien" déroulé, alors si ça s'était "mal" passé, qu'est-ce que ça aurait donné ?
Elle se redressa d'un coup, nouveau sursaut de panique.

- Et son esprit ? Tu parles de son corps mais son esprit ? Ca va changer quelque chose ? il va s'en remettre ? Il va devenir fou ?

Ce matin il était bizarre. Lorsqu'il semblait persuadé d'avoir été l'auteur des ailes. Cela avait-il un rapport ?

Nuada commençait à être sérieusement embarrassée.

Que dire de plus pour la rassurer ?

- Il est solide. Il peut douter, comme tout le monde, mais il est solide. S'il avait dû s'égarer, ce serait déjà fait depuis longtemps.

Depuis le jour où on l'avait séparé de sa soeur, brisant de force leur lien, en fait.

- Il n'est pas du genre à craquer juste pour... pour un peu de douleur physique. Je sais l'effet que ça fait, après tout.

La jeune fille se glissa sur le côté, échappant à l'étreinte un peu trop possessive de Fanaa. Ces marches étaient décidément trop dures pour y tenir conversation. Elle réarrangea sa tenue froissée.

- Tu peux aller vérifier. Il doit dormir, maintenant. Dormir paisiblement. Il aura peut-être quelques courbatures au réveil, mais c'est tout.

Comme elle. Mais bien sûr. Que Fanaa était bête de ne pas y avoir pensé ! Elle n'arrivait pas à se faire à ce que Earl soit lui aussi un être sacré. Nuada et Nuadi oui, elle les avait toujours vus ainsi mais Earl ? Il fallait qu'elle s'habitue. Après tout il était venu ici pour retrouver sa place, sa famille.

- Je suis désolée Nuada. C'était si impressionnant ! J'ai eu très peur et je n'ai pas pensé à toi. Excuse moi.

Elle voulut se tapoter le front du bout du doigt mais *ouille!* Ah oui c'est vrai. Une nouvelle bosse. Fanaa poussa un grand soupir dépité.

- Je suis désespérante. Vraiment excuse moi, vous avez été là, vous avez fait ce qu'il fallait, vous savez, vous.

Elle secoua la tête, honteuse. En plus elle ne voulait pas fâcher Nuada, mais elle l'avait mise mal à l'aise et se sentait coupable de ne pas savoir gérer et réfréner ses émotions. Elle se mit debout tapota sa tenue.

- Ca me fait penser que j'ai quelque chose pour toi. Je te le donnerai plus tard. J'espère que je ne t'ai pas fait mal ! Ni au bébé ! Ca va ? Tout va bien, hein ? Bon. Je te laisse remonter, je vais attendre un peu. Il vaut mieux que je me calme les nerfs avant de sortir d'ici.

Fanaa toucha le bras de Nuada et baissa la tête.

- Merci Nuada.

Une fois que l'être Sacré eut disparu au tournant des marches, Fanaa se tourna vers le bassin à l'eau rougie et se mit à trembler de tout son corps. Dans sa poitrine son coeur était toujours autant affolé et la scène qu'elle regardait n'arrangeait rien. Tout ce rouge ... nouveau haut-le coeur. Elle ferma les yeux et inspira fort par le nez. Sans regarder, elle avança sa main jusqu'à sentir de l'eau au bout de ses doigts puis elle se concentra pour changer tout ce rouge en bleu ... et cela fit remonter un souvenir. Elle avait déjà fait cela. Il y avait une fille. Et il y avait Monsieur Ridelgald. Il lui avait fait très peur ce jour-là. Voilà donc d'où venait le fait qu'elle ne se sente jamais complètement à l'aise lorsqu'il était à côté. Quant à savoir ce qui s'était passé ce jour-là, à qui appartenait tout ce sang, impossible. Elle ne pouvait pas se rappeler des paroles qui s'étaient échangées au dessus de sa tête. Elle n'en avait entendu aucune, concentrée qu'elle était sur le nettoyage des tâches ... il y en avait partout. Partout. Et elle avait pensé à Syld.

Elle cacha son visage dans ses mains. Syld ...

Et maintenant Earl. Fallait-il y voir une fatalité ? Ils étaient tellement liés. Aesheera, Adennon, les cahots de Levitas, ... Earl avait d'ailleurs avoué avoir fait poignarder Syld. Il avait participé à sa mort et avait, en plus, utilisé Fanaa pour parvenir à ses fins.

*Il t'a tué, mais je ne comprends pas, était-ce une sorte de crime passionnel ? Il t'aime tant et toi aussi. Vous ne pouvez pas vous le dire simplement, vous passez par des chemins complètement détournés mais au final c'est ça. Vous êtes vraiment liés. Plus que tu ne l'as jamais été à personne. Pas même à Soghann d'ailleurs. Te faire tuer c'était peut-être une sorte d'appel au secours ? Je crois que tu lui manquais. Tu sais, je n'ai jamais rien dit pour ces femmes et ces hommes que tu fréquentais en même temps que moi mais lui ... je me demande si il n'était pas ...*

Fanaa souleva les paupières et reçut un sacré choc : rien n'avait changé. Rien. Le même rouge sang dilué dans l'eau. Rouge partout. Pas une once de bleu. Pourtant ça aurait dû ... Elle remit le doigt dans la flaque. Rien. Elle y posa la main à plat. Aucun effet. Quelque chose n'allait vraiment pas. Ne pas réussir à créer la cage d'elixia, d'accord, à la limite, elle ne pouvait peut-être pas la réussir à chaque fois, c'était un sort conséquent. Mais changer une couleur ? Rien de plus simple ! Il n'y avait même pas besoin de beaucoup d'elixia. Alors pourquoi ?

*Qu'est-ce qui m'arrive ?*

Elle regarda sa main, essaya d'y sentir l'elixia, l'énergie aux reflets irisés, de la distinguer au bout de ses doigts. Rien. Rien du tout.
Ce n'était pas normal.

Elle tourna la tête vers l'escalier et songea à monter là-haut mais pour dire quoi ? A qui ? Peut-être etait-ce un effet passager ? Peut-être tait elle fatiguée ? Peut-être sa crise de panique avait bloqué son elixia pour un temps limité ? Fanaa commença à avoir un peu peur. Sans elixia elle ...

Vite. Focaliser son esprit sur autre chose. Si elle était restée là c'était pour se calmer et non pour trouver une nouvelle raison de paniquer. Elle allait nettoyer le sol. Comme elle avait prévu de le faire. Voilà. Fanaa se saisiy de la serviette restante, la trempa dans le bassin et se mit à frotter le sol, agenouillée. Elle se concentra sur le mouvement pour s'empêcher de penser à Syld, à Earl, à l'elixia absente.

Frotter. Faire disparaitre le sang d'Earl. Le nettoyer. Ne pas laisser de trace.

Une ombre passa dans ses yeux myosotis. Elle était partie. Totalement absorbée dans sa tâche, dans ces gestes répétitifs. le reste était entre parenthèses. Pour le moment.

Nuada hésita.
Peut-être n'était-ce pas une bonne idée de laisser Fanaa toute seule.
Enfin bon, elle n'était plus une petite fille ? La poupée de Médiévir avait grandi.

Elle se glissa au travers du rideau de perles et se rapprocha de son frère, toujours assis sur ses talons auprès d'Earl. Le Lévitis n'avait pas rouvert les yeux mais ses traits semblaient détendus, son souffle était à nouveau régulier.

Elle se pencha et, du bout des doigts, repoussa une mèche blanche encore humide derrière son oreille.
Tiens, il avait tendance à boucler quand il avait les cheveux mouillés.
Les mains sur les genoux -enfin sur les cuisses-, Nuada examina les minces bandes d'écailles qui se soulevaient et s'abaissaient dans son cou au rythme des pulsations du coeur.

- Tu crois qu'il aurait pu réussir une métamorphose complète si elle avait toujours été là ?
- Pas sûr...

Nuadi se redressa et épousseta son pantalon trempé.

- Parmi tous les animaux-frères, ceux-là sont les plus rares. Il y a eu très peu de guides leur étant lié. Et après tout, eux aussi parlent le langage des humains. Pour comprendre les fauves, les rapaces ou d'autres avant de pouvoir passer directement par l'esprit, il faut pouvoir se rapprocher d'eux au plus près... mais pour les dreyens, c'est différent. Ce sont eux qui viennent aux humains, d'avantage que l'inverse.
- Sans doute. Tu penses...
- ... qu'on peut le laisser seul ? Oui. D'ailleurs il risque de t'en vouloir, et s'il te voyait au réveil, il risquerait d'être encore de mauvaise humeur...

Nettoyer le sol avec la serviette c'était fait. Nettoyer la serviette en revanche ... allait être plus compliqué. Fanaa la trempa, la frotta, la frappa au sol mais les tâches résistaient. De plus, un bruit annonça l'ouverture de la bonde et le bassin se vida bientôt. Toute cette eau gâchée ...

Sur le côté de l'escalier, Fanaa alla s'asseoir, dos au mur. Elle regarda ses mains, encore, essaya de comprendre, n'y réussit pas et secoua la tête. De son corsage elle tira la boucle d'oreille de Syld et la fixa.

*Nuada a dit que c'était normal. Tu n'as pas à t'inquiéter. J'irai voir par moi-même plus tard mais là ce n'est pas le moment. Je ne préfère pas. J'ai encore un peu peur. Qu'est-ce que tu as fait Syld, as tu essayé de le rappeler à toi ? Tu ne te vengerais quand même pas de lui ? Pas après m'avoir demandé de m'en occuper ? Dis moi que tu n'es pas en train de m'utiliser pour le piéger. Si de là où tu es tu fais toujours des manigances, alors laisse moi te dire que c'est vraiment tordu. J'exagère ? Ce n'est pas du tout ça ? Tant mieux tu me rassures. Et puis je ne suis pas votre instrument. Avec vous on ne sait jamais. Vous êtes tellement ... mais c'est vrai, passer comme ça de l'amour à ... la folie c'est ... effrayant. Je n'aurais jamais eu ne serait-ce que l'idée de te faire du mal, moi. Mais peut-être ne puis-je pas vous comprendre. Tu es un ange, lui un être sacré ... tu le savais toi ? Ah tu me trouves bavarde ? C'est que comme je n'arrive pas à t'oublier, c'est mieux que j'avance en te gardant à mes côtés. Ainsi tu ne feras plus d'apparition impromptue hein ? Pas comme lors de la tempête.*

Il y eut un instant de silence. La suite était dure à dire, même à un défunt.

*Syld ... je t'en ai voulu tu sais. J'ai cru que tu m'avais trahie. Je suis désolée. J'aurais dû te faire confiance et ne même pas me poser de question. Je n'aurais pas dû douter, mais maintenant c'est fini. Earl a ... enfin tu sais ce qu'il a fait. Je m'occuperai bien de lui, comme tu m'as demandé. Je ferai attention. Dans mes limites. Si ... si mon elixia ne revient pas ...*

Le Ringèm ! sans elixia pas de barrière ! et pas d'arme ! et pas de pouvoir ! pas de possibilité de le traverser sans mourir avec le première rencontre avec un monstre. Svaär n'aurait même pas à frémir !
Fanaa resserra sa main sur le bijou.

*... je ne servirai plus à rien ...*

Khamsin soupira.

*J'ai envie d'un câlin. Mais je n'ai pas de bras. J'aimerais bien avoir des bras.*

Comme il n'avait que des pattes, il se contenta de donner des coups de museaux sur la joue de Melyna.

*J'ai eu des bras là où il y avait de la brume. Je voulais tellement faire un câlin à Fanaa ! Fanaa c'est la deux-pattes que l'on m'a donnée. C'est Sendaê qui l'a fait. Sendaë m'a donné Fanaa. Alors je suis venue quand elle m'a appelé. Et nous avons jouer, nous avons chassé. Et avec Kraa et Lyev, nous avons formé une meute. Et aussi Syrven et Talisham. J'aime bien Talisham. Et je t'aime bien aussi Mellyna. Tu feras partie de notre meute après ça ?*

Il réfléchit un instant.

*Même le dragon pourra. Il ne sera pas le seul à ne pas avoir bon caractère. Et nous pourrons aller dans la forêt. Je n'aime pas trop le brouillard. Il n'y a ni nourriture à chasser, ni soleil. La brume ressemble à une forêt morte. C'est triste, Mellyna.*

*Syld ... si je ... si je devais te rejoindre plus tôt que prévu, m'attendrais-tu ? M'accorderais tu ton pardon ? Je l'espère.*

Portant le boucle d'oreille à son visage, elle en baisa pieusement la pierre rouge qui la décorait avant de remettre son trésor à l'abri sous le tissu. Elle s'était fait voler le corps mais au moins gardait-elle un objet personnel lui ayant appartenu. Elle avait cette chance.
Parler avec Syld lui avait paru bizarre à la première fois mais elle s'y était très rapidement faire en fait. Si cela pouvait empêcher les crises alors elle n'avait pas à s'arrêter.
A chaque fois qu'elle avait voulu l'oublier, il avait resurgi n'importe quand et n'importe où, de préférence dans des situations dangereuses, comme lors de la tempête de sable où encore dans le Ringèm lors d'une Nuit Obscure. Fanaa se disait donc que si elle ne cherchait plus à l'effacer, il ne s'amuserait plus à ses apparitions farfelues et risquées. De plus, discuter avec lui l'aidait à organiser ses pensées -plus ou moins- et l'aidait à se calmer. Alors c'est que c'était bien. Et puis elle pouvait prononcer son nom et cela ...
Fanaa ferma les yeux un instant, frissonna, se frictionna les avant-bras et se mit debout. Il était temps de retourner au chevet de Khamsin.

En haut des six marches, dans la chambre, elle n'eut pas le loisir de manquer Earl qui avait été étendu sur sa couche à elle. Fanaa s'approcha, s'accroupit puis resta immobile à l'observer. Sa respiration était régulière, il semblait réellement dormir. Son visage n'était pas apaisé mais semblait épuisé. La griffure la plus proche de son oreille était bordée de minuscules écailles argentées. Earl avait des écailles ... malgré son envie soudaine, Fanaa résista à les toucher du doigt. Elle avait entendu Nuadi dire qu'elles étaient encore fragile, et le levitis avait eu bien assez mal comme cela.

La danseuse se dit qu'il était heureux qu'elle ne l'ait pas embrassé sur les lèvres, là en bas, car sinon ce n'est pas d'une bosse dont elle aurait hérité mais d'un nez cassé. Elle voyait l'hématome sur le front d'Earl. Impossible de ne pas le détecter, le choc avait été violent. La jeune fille recouvrit l'endormi d'un drap et, avec mille précautions, souleva sa tête le temps de faire glisser le coussin trempé et de le remplacer par son voisin plus sec. Puis, sans oser le toucher d'avantage, elle recula sans le quitte des yeux et alla reprendre sa place auprès de Khamsin.
De son poste d'observation elle pouvait garder un oeil et sur le valaë, et sur le levitis, une place stratégique pour une garde-malade.

Mellyna avait de plus en plus de difficulté à rester concentrée. Elle ne comprenait pas vraiment le sens des propos du Valae.
Elle comprenait en revanche son besoin d'affection. Elle passa ses bras couleur caramel autour du coup du grand animal et enfouit son visage dans la fourrure dorée. Elle lui transmit tout l'amour maternel qu'elle pouvait donner.

Tout devenait flou dans sa tête... Cette sensation lui était familière. Un jour, alors qu'elle n'était qu'une enfant, elle avait trouvé un oiseau sous un grand chêne. L'oisillon avait présumé de ses force et prit son envol trop tôt. Ses ailes chétives ne l'avaient pas porté vers l'immensité bleue du ciel. Il s'était heurté brutalement au sol et, infirme, attendait la mort.
Mellyna s'était agenouillée à son chevet et avait entendu l'Appel pour la première fois. Elle ne connaissait pas encore le chant de la Forêt mais elle sentait sa trame principale. Le vent lui souffla le reste, les feuilles bruissantes l'encouragèrent, l'eau ruisselante lui donna de la force.
Et elle se mit à la tâche petit bout d'à peine cinq année. Cela lui prit toute la nuit, toutes ses forces, elle ne sut pas se préserver.
C'est au petit matin que son père la trouva, respirant à peine, au pied de l'arbre centenaire.
Le miracle s'était accompli et l'oiseau pépiait d'inquiétude sur sa tête aux boucles d'ébènes.
Le dédrane prit l'enfant et l'amena chez un guérisseur qui accomplit diligemment sa tâche.
Quand elle se fut remise, Mellyna reçut des mains de son père la correction de sa vie. Il lui fit promettre de ne parler de cela à personne et d'oublier ce que lui murmurait la Forêt. Devant les larmes de cet homme aimant et fier la petite fille ne put qu'acquiescer.
Elle n'avait répondu à l'Appel qu'après la disparition de ses parents et était devenue une gardienne à part entière. Assumant de voir mourir les gens qu'elle aimait, de veiller sur la Forêt dans la solitude et de ne pas la quitter. Pourtant, jusqu'à présent, elle avait évité de se frotter de nouveau à la guérison d'autrui.
Tout cela lui paraissait être arrivé à quelqu'un d'autre, c'était une autre vie, une autre Mellyna qui n'aurait pas trahit ses vœux pour un peu d'affection et d'amour.

-Je te trouve bien cynique. La voix reptilienne était maintenant familière.
Tu as eu raison de venir puisque tu m'as trouvé, Moi. Tu devrais rester concentrée ou tu vas perdre le chiot.
Le dragon n'émettait nullement une critique à l'encontre de Mellyna, c'était un fait.
S'il veut des câlins tu peux le réveiller, sa maitresse l'attend.

-Fanaa est ici ? Je ne l'ai pas sentie arriver. C'est étrange...

-Quelque chose a changé, je ne peux pas définir quoi, mais quelque chose est différent chez la danseuse. Quoi qu'il en soit, tu as fait de ton mieux, débarrasse toi du loup avant qu'il ne devienne trop encombrant.

-Moi je l'aime bien.

Mellyna avait sourit devant la jalousie de son compagnon et ne put résister à l'envie de le taquiner un peu. Ainsi il ne voulait pas que Khamsin les considèrent comme faisant parti de sa meute... Il était bien exclusif.

La dédrane respira à fond et entreprit de réveiller le loup.

-Khamsin, suit moi, il y a quelqu'un qui attend ton réveil avec impatience.

La fièvre était descendue, le faire revenir maintenant était moins risqué. Elle le précéda dans un grand arbre creux qui irradiait de lumière en faisant signe au grand loup de la suivre.

Ses yeux s'ouvrirent petit à petit pendant que ceux du Valae faisaient de même.

Fanaa, qui lui caressait le cou et avait le regard perdu au loin le sentit bouger, baissa les yeux et s'écria :

- Khamsin ! Oh mon loulou chéri tu vas mieux ! en l'entourant de ses bras. Elle lui fit des bisoux sur le museau et lui donna des caresses à n'en plus finir, pleurant de soulagement.

Lui, remuait la queue et donnait des coups de museaux incessants, voulut se redresser, sentit son ventre le tirailler et resta finalement couché mais changea tout de même de position.

- On a réussi, on a réussi mon chéri ! Tu es sauvé !

Il y avait quelque chose de bizarre. Khamsin avait toujours été du genre bavard et enthousiaste, Fanaa trouvait troublant qu'il ne lui raconte rien. Pourquoi un tel silence ? Etait-ce parce qu'il souffrait encore ?

De fait, Khamsin parlait. Il racontait à Fanaa la forêt, les nuages, Mellyna, le dragon, l'arbre de lumière. Il racontait tout. Mais elle ne répondait pas. Pourquoi ? Il insista.

*Mellyna était avec moi. Tout le temps. Elle était là Fanaa. Elle m'a aidé à te rejoindre. Mellyna est gentille !* Aucune réaction, ni réponse. Fanaa refusait-elle de parler avec Mellyna ? Fanaa serait-elle jalouse comme cette tête de cochon de dragon ? Impossible.

Fanaa ... sentait confusément que le silence de Khamsin avait un lien avec la perte de son elixia, et dans sa joie de voir le valaë sauf, réaliser une telle perte lui causait du chagrin. Si elle ne pouvait plus entendre Khamsin, Lyrev, Kraa, si elle ne pouvait plus traverser le Ringèm, si elle perdait tout ce qui faisait d'elle ce qu'elle était ... qu'allait-elle devenir ? Mais ce n'était pas le moment d'avoir des réflexions si peu positives.

Thani avait soigné Khamsin, Mellyna l'avait ramené. Il était l'heure de se réjouir, rien de moins.

Fanaa regarda Mellyna dans les yeux, lui toucha l'épaule et lui fit un grand sourire.

- Je ne sais comment te remercier. Thani m'a dit que tu avais préservé Khamsin de la douleur et empêché de se perdre ... il m'a dit aussi combien cela était éreintant. Alors vraiment, vraiment merci. Et maintenant, tu dois te reposer. Toi aussi Khamsin. Thani l'a dit.

Une dernière caresse au loup, puis Fanaa se leva, prit Mellyna par le bras et la mena vers un tas de coussins colorés.

- Et on ne discute pas, Thani a été expressément clair dans ses consignes. Vas y allonge toi. Tu vas te reposer et reprendre des forces. Je vais aller te chercher du thé mais toi tu dors.

La danseuse caressa doucement le front de la dédrane.

- Allons ferme moi ces beaux yeux verts ...

Mellyna se laissa guider après une dernière caresse à Khamsin et une pensée d'encouragement, elle n'aurait pu faire un pas seule, elle sourit en retour à Fanaa mais ne put articuler un mot.
Thani avait raison, il lui fallait du repos et tout de suite.

* Alala ces enfants, toujours en train de me couver comme si j'étais une petite fille.*
*Ton cœur est encore naïf et pur comme celui d'un enfant.*
*Pas le tien peut-être ?*
*Non, je suis un dragon, je suis né avec la sagesse.*

Mellyna n'avait pas la force de faire une réponse cinglante à son protecteur orgueilleux. Entre l'un qui la prenait pour un ange et l'autre pour une sainte, elle n'était pas sortie de l'auberge.
Elle s'allongea avec délice sur la montagne de coussins. Avant de s'endormir, la dédrane sentit une autre présence dans la pièce. Elle eut juste à tourner légèrement la tête pour apercevoir Earl.
Le lévitis paraissait convalescent, sa peau avait des reflets brillants, comme des écailles. Elle y réfléchirait plus tard.
Elle s'endormit si vite qu'elle ne vit pas Fanaa quitter la pièce pour aller chercher le thé.
Eleïr'l qui n'aimait pas la présence d'autant de mâles, même malades, autour de son amie sans défense pour le moment, s'enroula délicatement le long du cou de la jeune fille à la peau mâte si douce.
Il était sur la défensive, l’œil aux aguets, il attendrait son réveil ainsi.

Lorsque Fanaa revint avec le thé, la chambre était silencieuse, excepté les respirations des trois endormis. Et bien sûr les bruits au-dehors des occupations de la journée de tous ceux qui étaient réveillés.

Elle posa le thé pas trop loin de Mellyna, en servit une tasse, souffla dessus puis la présenta au dragon.

- Si jamais tu as soif ... enfin je ne sais pas si les dragons boivent du thé mais ce n'est que de l'eau parfumée alors je pense que tu peux aimer ça. N'hésite pas à boire si tu en as envie et si jamais tu veux que je te resserve tu me le dis ?

Elle baissa les yeux.

- Ah mais c'est vrai ... je ne pourrai pas t'entendre ... Bon ben si jamais je vois que la tasse est vide je t'en remettrai, voilà tout. Et fais attention c'est chaud, ne te brûle pas, surtout.

Fanaa passa le reste de la journée au chevet des épuisés. Cela lui faisait plaisir car elle avait l'impression de se rendre utile. La chaleur, même atténuée par les parois de pierre se faisait parfois sentir tout de même. Et puis Khamsin était assez fourni en fourrure, elle s'occupa de l'éventer plus d'une fois. Elle faisait attention qu'Earl reste couvert, mais si lui ou Mellyna avait une goutte de sueur lui apparaissant sur le front ou la tempe, hop ! éventail !

La guérisseuse vint s'enquérir de l'état du Levitis, l'examiner, puis repartit satisfaite. Ouf.

La danseuse n'osa pas le toucher une seule fois mais elle s'approcha et l'observa longuement. Ces écailles d'argent ... Nuada avait dit qu'Earl n'était pas un serpent et avait parlé de changeant, ce que Fanaa avait traduit par caméléon. Mais ce devait être autre chose. En quoi muait-il ?
Elle suivit des yeux les lignes qu'elle apercevait, s'arrêtant plus longuement sur celle qui suivait une des griffures dont elle était l'auteur.

Ce jour-là, elle l'aurait tué si elle avait pu. Mais Fanaa ... n'était pas une tueuse. Mettre à mort les monstres du Ringèm était une nécessité. Oter la vie de quelqu'un ... Non. Même le seigneur Adennon, qu'elle exécrait du fond de son coeur, lui qui était le plus susceptible de mériter la sentence finale elle n'avait pu le tuer. Tuer ...
*Hier je voulais te punir et aujourd'hui j'ai envie de te protéger. Alors que tu détestes ça. Sauf que sans pouvoir, je ne le peux plus. Nereyn je ... je suis désolée.*

Au moins, elle avait encore l'elixia dans la grotte et avait pu le porter. Avait même tenté de l'aider, même si au final cela avait été inutile. Alors que maintenant, si jamais il avait de nouveau besoin d'elle ... Ne pas penser à ça. Pas déjà. On verrait en temps voulu.

Fanaa reprit sa place auprès de Khamsin. De là elle pouvait voir chacun et se lever si besoin. La journée se termina dans le calme.


Ridelgald et Fynarine eurent la surprise de trouver la chambre pleine en arrivant, et ils se trouvèrent à trois pour monter la garde. En théorie, c'était pratique pour tourner, sauf que Fanaa avait décidé de ne pas dormir, et puis que Ridelgald, lorsque c'était son tour, se refusait à réveiller Fynarine et donc somnolait un peu. C'était amusant à voir. Fanaa faillait s'assoupir quelques fois et se réveilla toujours en sursaut. Cela ne durait pas plus de quelques secondes.
La soigneuse passa encore voir Earl.

Mellyna avait le visage détendu, à la différence du loup et du levitis. Il n'y eut aucun réveil impromptu de l'un des dormeurs.

Lors d'un de ses tours de garde "officiels", la danseuse s'approcha encore d'Earl et s'agenouilla à côté de lui. Elle l'observa longuement, hésita beaucoup et posa sa main sur sa joue. Il remua dans son sommeil mais ne s'éveilla pas. Fanaa le caressait des yeux et priait les quatre lunes qu'il ne lui arrive plus rien de grave. Et elle le remercia tout bas. Elle le remercia beaucoup et s'excusa aussi.
Elle ne pleura pas. Ses yeux bleu myosotis étaient brillants, mais aucune larme ne coula. Elle avait probablement déjà tout utilisé.

A un moment tout de même, elle ferma les yeux plus que cinq minutes et rêva que Syld était lui aussi allongé dans la pièce. S'éveillant en sursaut, elle se mit à le chercher mais ne le vit nulle part. La sensation pourtant, ce rêve avait été si réel ! Elle cacha son visage dans ses mains, cela voulait dire quelque chose. Il voulait lui dire quelque chose. Peut-être "occupe toi de lui comme si c'était moi ?" mais sans elixia, comment faire ?

*Je ne peux pas Syld, je ne peux plus. Je suis désolée ...*

Ce fut le matin. Le soleil monta de plus en plus. Fanaa alla chercher du thé pour ceux qui s'éveilleraient, puis prit un feuille et se mit à dessiner pour continuer de lutter contre le sommeil.

De l'eau qui se soulève en courtes vaguelettes. Le clapotis contre la rive.
Puis la rivière se teinte d'écarlate, le vent ne parvient plus à lisser la surface visqueuse. Le silence.

- Ah !

Earl se réveilla en sursaut et s'assit dans le même mouvement, coeur battant et souffle court. Il retira vivement ses mains de sous la couverture. La vue de ses dix doigts répondant présents lui tira un soupir soulagé. Il s'était presque attendu à ne voir que des os dépourvus de chair.
Mais quelque chose avait changé.
Le Lévitis les retourna lentement. Des... écailles. Fines sur le dessus des doigts, plus grandes en remontant vers le bras. Leur couleur argent faisait irrésistiblement penser à des gantelets de métal. Par ailleurs elles étaient assez dures mais articulées avec souplesse, la surface lisse, étrangement tièdes.

Où est-ce qu'il en avait encore ?

Puis Earl réalisa plusieurs choses : premièrement, il n'était pas seul dans la pièce, et deuxièmement, il se trouvait une nouvelle fois dans une tenue qui brillait par son absence. Il replongea derechef sous sa couverture.

- Gnnn... quelqu'un aurait-il l'amabilité de m'apporter de quoi me couvrir ?

En entendant la voix, Fanaa éclata d'un rire clair qu'elle arrêta aussitôt en plaquant ses mains sur sa bouche. Voir Earl éveillé, redressé et assez alerte pour que les premiers mots qu'il prononce soient pour râler était de très bon augure. Le soulagement et la joie qu'elle ressentit chassèrent ses soucis personnels comme un ventre souffle les vilains nuages noirs.

De plus, Khamsin ouvrit un oeil à ce moment, donc les deux blessés faisaient mine d'aller mieux !

Oh elle eut très envie se se précipiter pour le serrer dans ses bras et lui dire combien elle était soulagée de le revoir, mais il y avait trop de monde ici et une telle démonstration d'affection le gênerait sûrement. Elle aussi d'ailleurs.
De plus, il fallait voir si sa transformation l'avait changé. Il ne voyait sûrement plus les choses de la même façon maintenant qu'il s'était transformé. Il devenait officiellement un être sacré de retour dans sa patrie et responsable de tout un peuple donc n'ayant pas de temps pour s'occuper d'une seule personne en particulier.
Mais même ceci ne put ôter son sourire à la danseuse.

- Regarde à côté de toi Nereyn. Nuada a pensé à tout. Cette nuit quelqu'un est venu déposer des vêtements à ton attention. Tour le monde dort alors tu peux ... ah non en fait. Bonjour Monsieur Ridel ! Je ferme les yeux Nereyn, tu peux te vêtir tranquillement ou même traverser la chambre pour aller te changer à la salle d'eau. Vas y je ne vois rien.

Elle cacha son visage dans ses mains en se retenant de pouffer. Cela allait être une belle journée !

Mellyna fit semblant de dormir encore quelques instants le temps de reprendre ses esprits et de permettre au Lévitis de traverser la pièce pour s'habiller.
Se réveiller au son du rire cristallin de Fanaa avait été une occasion de commencer la journée de bonne humeur. Il faudrait qu'elle lui demande quelques explications sur le sens des paroles du grand loup. Allait-il mieux ?

*Ne t'inquiète pas les idiots ne meurent pas si facilement.
-Bonjour à toi aussi Eleïr'l, toujours aimable à ce que je vois. Tu as dormi ?
-Un peu, les humains veillaient sur toi, surtout la danseuse, je lui fait plus confiance qu'aux autres. Elle m'a servi de l'eau chaude, c'était plutôt agréable. En revanche elle n'est pas très futée, elle avait peur que je me brûle !
-Les dragons ont disparus depuis longtemps, comment voulais-tu qu'elle le sache ? Fanaa a été trop gentille avec toi.
-Peuh !
-Ne fais pas la tête, je te remercie d'avoir veillé à ma sécurité. Mais ne sous-estime pas Fanaa, elle est loin d'être idiote.
-Je m'en souviendrais.*

Le ton du dragonnet s'était radoucit quand Mellyna avait commencé à lui gratter la tête.
Un doux ronron retentit dans la pièce silencieuse. La dédrane décida qu'il était temps de refaire surface. Elle se releva en douceur pour ne pas se casser la figure, elle était encore légèrement engourdie par la fatigue. Elle tendit son esprit vers le loup, vérifia que tout allait bien et aperçut la danseuse.

-Bonjour Fanaa ! Merci d'avoir prit soin du Poussin et de moi. Je me sens beaucoup mieux, Khamsin aussi visiblement... Tu n'es pas trop fatiguée ?

L'image du Lévitis recouvert d'écailles revint dans son esprit à ce moment là. Elle baissa la voix :

-Euh, si ce n'est pas trop indiscret, le Lévitis va bien ? C'est quoi ces écailles ?

- Dreyen'im tsehre...
Aussi sereine qu'à l'accoutumée, Nuada décocha un regard intéressé vers le torse qu'Earl s'empressa de faire disparaître sous une chemise aux manches amples. Avec un sourire en coin, elle reporta son attention vers les jeunes -ou pas- femmes présentes. Elle fit un petit signe de tête du côté du "lézard" bleuté.

- Il y en a un qui devrait pouvoir traduire...

Avec toujours un petit air de sphynx, la jeune fille ajouta :
- Après ces longs sommeils ou ces longues veilles, je pense qu'une collation serait la bienvenue... et cette fois-ci, aucun refus ne sera accepté... ni aucune dispute.

Elle se glissa du côté d'Earl pour lui murmurer :
- Essaye de ne pas...
- ... trop les montrer. Je n'en avais pas l'intention, acheva le Lévitis sur le même ton avant de se passer une main un peu lasse sur la figure... et de repasser un doigt sur sa joue pour suivre les contours subtils de la bande écailleuse qui longeait une de ses balafres. Enfin, disons plutôt qu'on va essayer de rester discret.

Satisfaite, Nuada fit volte face et se dirigea vers la salle voisine de son pas léger. En passant près de Mellyna, elle se pencha de côté pour chuchoter à voix basse :
- Et ils n'ont pas disparu. Ils sont rares et bien cachés, mais toujours présents.

Puis elle poursuivit tranquillement son chemin.
Bien bien bien. Nuadi n'allait sans doute pas tarder à arriver aussi. Il aimait beaucoup plus traîner le matin, cependant il aimait aussi se goinfrer de gâteaux dès qu'il le pouvait...

- Bonjour Mellyna !

Fanaa s'étira longuement.

- Non tout va bien ! Elle ajouta plus bas : Et il est grognon, donc tout va bien. Il est juste plus beau qu'avant !

Fanaa replaça une mèche derrière l'oreille de Mellyna, lui fit un clin d'oeil, puis alla chercher une feuille de papier plié dans son sac. Et trottina à la suite de Nuada pour la lui tendre.

- Tiens, j'espère que cela va te plaire ! Mais ne le montre pas à 'Reyn hein. hihi. Et dis, pourquoi il ne doit pas montrer ses écailles ? Si on n'était pas dans le désert ce serait sûrement euh ... remarquable, mais ici, ça ne va pas porter bonheur ? Tu veux bien m'expliquer, dis ?

C'était le croquis représentant Earl en train d'amuser les enfants. Son regard n'exprimait pas de colère, mais une tendresse refoulée. Fanaa avait hésité avant de le lui donner. Elle aimait beaucoup ce dessin car il montrait la première fois qu'elle l'avait vu sans expression de colère. C'était un moment ... important ... Mais elle l'avait dessiné pour Nuada. Donc elle n'avait pas hésité trop longtemps.

Nuada regarda le dessin et acquiesa avec un sourire.

- C'est tout à fait lui. S'il voyait ça, je pense qu'il te gratifierait d'un royal "peuh" ou "tch", et qu'il s'arrangerait pour prendre une mine des plus rébarbatives pour compenser. Quant aux raisons pour ne pas trop faire état de ce qu'il est...

Elle réajusta pensivement les voiles sur ses épaules.

- Les êtres sacrés sont deux. Toujours. Si l'un d'eux vient à disparaître, eh bien... s'ils ont déjà créé un "lien" mâture, la rupture brutale de ce lien est trop... trop douloureuse. Soit c'est le corps qui lâche, soit c'est l'esprit. Et si par chance l'un des deux survit à l'autre, il se trouve dans un état instable. "Entendre" le monde, c'est... C'est quelque chose de si grand, de si terrible qu'on ne peut que s'y perdre, que s'y noyer. Les Illahs sont deux car ils se servent d'attache l'un à l'autre. Quand l'un "écoute", l'autre se bouche les oreilles et ne se concentre que sur une chose... le ramener.

Elle frotta doucement son ventre rond.

- La forme animale permet de mieux faire le tri dans ce qu'on entend. Un esprit humain est plus complexe, plus fragile. Alors si le bruit devient trop fort, la tentation est grande de "changer". Mais si on est seul, nul ne peut nous ramener, et on finit quand même par être submergé. Imagine si un grand fauve comme Rayah ou Sheitan était soudain pris de folie en plein milieu du campement, là, dehors ? S'il cherchait à détruire tout ce qui pouvait "faire du bruit" autour de lui ? Le vent nous parle, la pierre nous parle... on peut tenter de les attaquer à coups de griffes, cela ne les fera jamais taire. Les animaux et les hommes, en revanche...

Sans s'arrêter, Nuada jeta un bref coup d'oeil en arrière.

- Re-yn n'a pas eu le temps de créer le lien avec sa soeur. Il n'a pas pu apprendre le chant de la terre, des choses qui volent, qui nagent ou qui rampent. Ses oreilles ne bourdonnent pas à cause du bruit. Cela est bon. Mais il est quand même dans un état intermédiaire, incomplet, imparfait... instable, peut-être. Du moins, c'est ce que penseraient les autres habitants du désert. Ils seraient inquiets. Tu comprends ?

Après avoir vérifié qu'une servante veillait le valae, Mellyna suivit la joyeuse troupe de loin. Elle ne se sentait pas à son aise, ils formaient une sorte de famille. Elle était une étrangère un peu trop curieuse. Pourtant Nuada l'avait invitée, la dédrane se garda bien de désobéir à l'ordre de son hôte. De plus, son estomac commençait à émettre des bruits qui deviendraient bientôt gênant si leur volume allait crescendo.

*Alors c'est quoi cette histoire d'écaille ?
-Nuada parlait d'écailles de dragon, le lévitis mû, chut écoute, elle l'explique à Fanaa.*

La dédrane tendit une oreille vers la conversation des deux jeunes femmes.

*Je vais chasser, j'ai faim, après je ferai une sieste au soleil. Appelle moi s'il y a un souci.
-Moui, à tout à l'heure.*

Cela expliquait en parti les réactions d'Earl pendant la soirée, le pauvre. Mais se transformer en animal pour supporter son pouvoir... Cela lui sembla un peu excessif. Ne pouvait-il pas tout simplement le bloquer ? Mellyna appelait les voix, elle n'avait doncpas ce problème. Entendre les chants de la vie en permanence, oui cela pouvait rendre fou. Eleïr'l était-il lui aussi un nomade du désert changé en animal après avoir perdu sa moitié ? Probablement non. Etait-ce pour cela que Nuada voulait trouver une compagne pour le lévitis ? Peut-être...
Après tout ce n'était pas vraiment les affaires de la dédrane.
Mais aujourd'hui qu'est-ce qui constituait vraiment SES affaires ? Elle n'était pas plus avancée dans ses recherches. S'était embarrassée d'un dragonnet, certes adorable, mais totalement inconnu, surprotecteur et pétrit d'orgueil qui ne paraissait pas vouloir la quitter. Avait soigné un loup malgré son inexpérience, sauvé un Eyerash d'une bagarre et l'avait suivi dans le désert, déambulé pendant cinq années pour des prunes.

Ses pensées ne cessaient de tournoyer, elle en revenait au tout début quand elle était partie de sa maison, de sa chère forêt : quel était son but ?

En grommelant, elle avait pris place inconsciemment à côté de Fanaa. L'odeur des victuailles attira son attention et la distrailla pour un temps de ses pensées moroses.

- Je ... je crois ...

En fait elle n'était pas sure de tout saisir. Tout cela bien trop "grand" pour elle. Elle avait envie de savoir, bien sûr, de comprendre, Fanaa était avide de compréhension autant que de gentillesse, mais il lui manquait tant, elle avait tant à rattraper sur les connaissances du peuple du désert que le moindre question la ferait ressembler aux yeux de Nuada à une enfant ignorante et stupide.

- Ils auraient peur de lui. Nuada est ce que Nereyn va se transformer totalement en dragon ? est-ce qu'il y a un risque réel ? Parce que si il le fait, personne ne pourra le ramener ... Et aussi, combien as tu de bébés dans ton ventre puisque les êtres sacrés sont toujours par deux ? Et encore une question, qui choisit l'animal ? Comment se fait-il que Nereyn soit un dragon et pas un ... poussin par exemple ?

- Heya ? Tu as deviné que c'est un dreyen ?

Nuada haussa légèrement les épaules.
Les gens des contrées où le vent est frais et l'eau abondante posaient décidément beaucoup de questions à la fois... moins besoin d'économiser leur salive, peut-être ?

- Je ne pense pas, et je ne l'espère pas. Et un seul. Les êtres sacrés ne forment pas une lignée de sang. Et enfin... une question de caractère, je suppose.

Elle s'étira voluptueusement avec un rauquement de fauve avant de pouffer.

- "Poussin" n'est pas une espèce de créature-soeur. Je crois qu'on utilise ce terme pour désigner le petit des oiseaux de... be... ba... bave-cours ?... eha, se'ni deru... Tu as des idées bizarres.

Avec un petit rire, elle s'installa devant le repas matinal qu'on avait servi avec diligence. Comme prévu Nuadi était déjà là, l'oeil encore humide et les cheveux un peu hasardeux, mais déjà très occupé à prendre sa part sans les attendre. Un regard de sa soeur lui fit rentrer la tête dans les épaules et il s'étouffa à demi pour émettre un "gnlrffff" censé passer pour un "bonjour".

- Bon, trêve de discussions sérieuses. C'est d'un ennui ! Mangeons, plutôt. J'entends des grognements d'estomacs qui vont finir par effrayer jusqu'aux sirleks dehors.

La remarque de Nuada fit rosir Mellyna. Décidément cette future maman avait des oreilles partout !

Ainsi les êtres sacrés n'étaient pas tous issus de la même famille, comme les gardiens de la forêt, intéressant, il y avait-il un lien entre les deux ? Les caractéristiques de leur pouvoir étaient différentes pourtant la source devait être la même... Il serait bien amusant d'enquêter là dessus. Les autres pays avaient-ils des équivalents ? Quelles étaient leurs caractéristiques ?

Pour ce qui est du caractère Earl était-il aussi orgueilleux que le dragon ? Cette idée soudaine la fit rire intérieurement.
Elle prit la parole pour aider Nuada :

-Ce sont des animaux de "basse-cour", des petits oisillons jaunes qui piaillent en permanence. C'est assez mignon, vous n'en avez pas ici ? Ou vous leur donnez un autre nom peut-être ?

*Voila de quoi orienter la conversation vers un sujet totalement anodin.*

En attendant la réponse elle engloutit une énorme part d'un gâteau salé aux épices. Avant de s'orienter vers le sucré.
Elle avait pourtant toujours eu un minuscule appétit, bizarre...

- Je n'ai pas vraiment deviné mais il n'a pas d'écailles de poisson, tu as dit que ce n'était pas un rampant, j'ai pensé à un caméléon mais ce n'est pas ça, et il a jeté un drôle de regard au petit lézard draconique de Mellyna et puis surtout, si je t'avais demandé si Earl allait se transformer un gros lézard, et qu'il avait entendu, je l'aurais vexé. J'ai préféré tenter le plus improbable. Parce que je n'ai jamais vu de lézard argenté.

Elle avait énuméré ses réflexions sur le bout de ses doigts puis, à sa demande s'était tue car il était temps de manger. Sauf que contrairement à Nuadi, elle n'avait pas faim du tout. Mais elle servit le thé à tout le monde et en but une tasse.
N'empêche ça aurait pu être drôle si Earl avait été un poulet ... mais non. Ca ne lui correspondait pas du tout. Un iguane non plus. Un dragon ... Mais un dragon comment ? Comme celui immense qui se cahe au fond du lac de medievir ? ou comme le petit minuscule de Mellyna ?

Une arrivée impromptue coupa net ses réflexions. Khamsin, à pas un peu lents les avait rejoints, la petite servante lui courant après et s'excusant.
Fanaa s'accroupit auprès de lui.

- Qu'est-ce que tu fais là, toi ? Tu aurais dû rester coucher dis donc. Ce n'est pas la peine de jouer au héros tu sais, tu dois te reposer, Thani l'a dit.

Khamsin prit l'air malheureux et rentra sa queue entre ses pattes.

- Bon d'accord, tu restes. Mais tu es sage. Veuillez l'excuser mademoiselle. Non non ne vous excuser pas ce n'est pas grave. Je vais m'occuper de cette tête de mule. Merci beaucoup. Allez viens par là toi. Dis bonjour. Non mais de loin, ils sont à table ... Khamsin ...

Oh non ... Elle se tapa le front. Sans attendre, le loup était parti humer chaque personne de la pièce, laissant son derrière frétiller pour Mellyna, éternuant pour Nuadi et au niveau de Ridelgald, Fanaa l'arrêta.

- Ce monsieur là il m'a demandé des nouvelles, il s'est inquiété pour toi. Et Nuada elle a envoyé Thani pour te soigner.

Le loup considéra Ridelgald et leva une patte antérieure pour serrer la main de Ridelgald. Fanaa secoua la tête avec une demi-grimace.

- Ah oui tu es sauvage toi ... Allez viens là ça suffit. Sois sage maintenant.

Le valaë s'allongea aux pieds de Fanaa mais il y avait tant d'odeurs nouvelles et inconnues qu'il lui était difficile de rester tranquille. Le museau en l'air, il bougeait la tête dans tous les sens comme une antenne.

Thani revint pour voir comment se portait Khamsin à ce moment là. Il ne se l'avouerait jamais mais il s'inquiétait aussi pour la dédrane qu'il avait abandonné aux bons soins de Fanaa hier.
L'Eyerash avait trouvé la chambre vide et une servante lui avait indiqué où se trouvait toute la troupe. Il avait eu le temps de ruminer sa colère, ses artères temporales saillaient sur son front.
Il était d'un gabarit impressionnant de haute taille, hâlé par le soleil et musclé par l'effort.

Quand Mellyna le vit entrer ainsi, son sourire l'abandonna et elle lâcha sa part de gâteau à demi entamée. L'orage allait éclater.
Juste une inclinaison rapide à l'égard des êtres sacrés, sa fureur était vraiment au maximum.

-Non d'un S'carafit ! Qu'est-ce que ce loup fait ici ? J'espère qu'il n'est pas venu en marchant ! On s'escrime à le soigner, on y passe la nuit entière et monsieur se balade ! Je n'y crois pas ! Vous là !
Il désigna du doigt une servante qui se tassa sur elle-même, les colères de Thani étaient légendaires quoi que rares.
Allez me chercher un drap solide !
Vous !
Se fut au tour de Ridelgalt d'être désigné.
Vous allez m'aider à le porter jusqu'à la chambre.
Toi Mellyna, tu manges et tu repars te reposer immédiatement ! Il peut y avoir un contre-coup dans les jours qui suivent ce genre de soins, pas question que tu te blesses en tombant.

-Calme toi Thani je me sens bien. La voix de Mellyna était calme et sereine, elle savait comment affronter ce genre de situation.

-Oui ! C'est ce que tu disais après m'avoir soigné ! Tu es restée dans le coma deux jours ! Allez ça suffit ! Quand je reviens la civière est prête et on s'occupe du valae !

Ni une ni deux Thani enfourna le bout de gâteau dans la bouche de Mellyna, la souleva sans effort et la porta telle une princesse vers la chambre.
Rouge pivoine Mellyna ne put que se débattre faiblement en protestant, les sons furent étouffés par le gâteau.

Fanaa s'était raidie en entendant la grosse voix gronder si fort. Pour un peu, elle se serait cachée sous la table, si celle-ci n'avait été aussi basse. Une fois que le grand homme fut parti en enlevant Mellyna, la danseuse fit mine de tirer l'oreille de Khamsin.

- Tu as vu ce que tu as fait ? A cause de toi tout le monde se fait fâcher.

Une ombre passa dans ses yeux trop clairs.

- En cas d'urgence je ne pourrai rien faire pour toi alors tu dois rester calme et sage. C'est important.

Elle lui saisit les "joues" et le força à la regarder dans les yeux.

- C'est sérieux ce que je dis. Tout ça n'est pas un jeu. Bon. Tu attends.

Fanaa se frotta le front puis alla se planter devant Ridelgald.

- Monsieur Ridel, s'il vous plait, faites comme si Thani ne vous avait rien ordonné, il ne vous a pas vraiment pris pour un serviteur mais vous êtes le plus costaud de l'assemblée. Vous voulez bien m'aider à le transporter à la chambre ? Il dit vrai quand il déconseille de le laisser marcher. Je sais que je trouble votre petit déjeuner mais s'il vous plait, accepteriez vous de m'aider ? Nuada je suis désolée de ce bazar. Nous faisons juste l'aller-retour si tu veux bien.

Elle inclina la tête en se mordillant nerveusement l'intérieur de la joue. Ca l'embêtait d'être responsable plus ou moins directement de tant de bousculade alors qu'elle aurait plutôt dû se faire oublier dans un coin et ne gêner personne ...

Fynarine posa son thé et s'approcha.

- Moi aussi je vais vous aider. A trois on ira plus vite et ce sera plus stable.

La dedrane n'avait pas envie de rester fâchée. Et puis cela lu rappelait le transport du seigneur Earl dans la grotte. Il valait mieux être plusieurs, toujours.

Ridelgald ne put s'empêcher de couler un regard du côté d'Earl, comme pour s'assurer que ce n'était pas lui qui, pour une fois, hurlait des ordres à tout le monde. L'ex-clerc surprit son regard et haussa un sourcil innocent, avant de se concentrer à nouveau sur sa tasse.
Nuadi se pencha sur le côté pour suivre des yeux le soigneur et la Dédrane dans le couloir.

- Eh bah... il y a des fois où je me dis qu'en fait ma soeur est un ange de patience et de douceur, comparée à certains...
- Nuadi !
- C'est un constat tout à fait objectif.
- Mais...

Earl regarda la servante revenir au galop en traînant un grand drap, se prendre les pieds dedans, manquer s'applaventrer sur le dallage, puis rester pliée en deux pour reprendre sa respiration.

- Mmh... au vu de leurs fonctions, j'aurais imaginé les eyerashes d'un tempérament plus... mesuré.

Se levant pour répondre à la demande de Fanaa, Ridelgald fut pris d'une quinte de toux qui sonnait curieusement comme "pareil pour les clercs...".
Nuadi consentit à ressortir les doigts d'une petite jarre de miel, sous le regard scandalisé de sa soeur.

- Boarf. En fait ce serait plutôt l'inverse. Ils sont tous un peu...

Il fit un geste vague de la main, répandant encore d'avantage le contenu de la jarre sur la table.

- ... fantasques. A force de voyager pendant leur initiation, ils prennent des habitudes bizarres.

Nuada se tassa en arrière pour éviter un nouveau jet de miel.

- Notre frère de lait, par exemple...
- Nuadi, arrête !
- Arrêter quoi ?
- Mais de... ah, ça !

Elle lui bloqua le poignet pour empêcher une nouvelle catastrophe.