Confins du désert - sanctuaire du Pas du Dragon

Cela fit un choc à Fanaa de voir Nuada partir si triste. Le coeur lourd, elle sauta sur ses pieds, s'excusa auprès de Nuadi et s'engouffra à son tour dans le couloir. Elle courait à toutes jambes, toujours aussi affolée. Elle ne savait pas quoi dire, elle n'en avait aucune idée, elle savait qu'elle n'était pas douée avec les mots, avec les gens. Seulement ça ne l'empêchait pas de se sentir triste pour son amie et d'espérer pouvoir la consoler.

- Nuada ! Nuada attends moi s'il te plait !

Elle la rattrapa, tendit le bras mais n'osa pas terminer son geste et la toucher pour la faire s'arrêter.

- Nuadi a raison, ce n'est pas ta faute !

Chacun à leur tour, avec une concision variable, les membres de l'expédition apportèrent leur contribution aux détails requis par Nuadi.
Seul Sheyn demeura muet. Il avait eu le temps de résumer l'essentiel de ce qu'il savait à Nuadi juste avant que les Anciens n'arrivent. Cela avait suffit à convaincre le jeune homme qu'il valait mieux évoquer cette histoire loin des oreilles des vieillards. Que Nuada risquât de mal supporter le récit, cela, c'était presque inévitable, avec ou sans ménagement. Mais autant que cela ne se passe pas en présence de conseillers déjà suspicieux quant à leurs capacités à assumer pleinement leur rôle.

Nuadi se passa une main lasse sur la figure.
Sa soeur n'avait pas tort : avoir laissé passer une chose pareille...

- Donc, ils seraient semble-t-il tous morts. Et cette "eau" absorbée jusqu'à la dernière goutte.

Un reniflement du côté de Sheyn vint confirmer.

- Et concernant les corps...
- J'ai demandé aux fleurs de se nourrir de tout ce qui contenait des traces de l'eau impure. Eau, air, terre et cadavres compris, daigna préciser Sheyn avec un détachement qui tira une petite grimace à Nuadi.
- Je... bien.
- Elles ne s'en prendront pas à ceux qui pourraient descendre dans les grottes avant qu'elle aient terminé et soient retournées à la poussière. Enfin... à condition que les visiteurs ne tentent pas d'emporter quoi que ce soit de contaminé. Aucun danger. Enfin je crois.

L'eyerash se gratta l'oreille.

- Il est possible qu'elles soient un peu agressives si on les chatouille de trop près.
- D'accord. Nous enverrons sans doute quelqu'un pour... s'assurer que tout est comme il devrait être.

Nuadi se leva.

- Je vais me retirer. Vous pouvez finir de vous restaurez ici, et ensuite on vous mènera à des chambres où vous pourrez vous remettre des fatigues du voyage autant qu'il vous plaira. Des guides seront à disposition à tout moment pour les jeunes filles souhaitant regagner leurs villages.

Il s'inclina légèrement en guise de remerciement avant de quitter la pièce.

Rencognée à l'angle d'une fenêtre ouvrant sur une sorte de patio intérieur, Nuada s'essuya les yeux dans un de ses voiles.

- Au début, peut-être pas. Mais pour les enlèvements, si. Nous aurions dû le percevoir depuis le début. Des Ilahi auraient dû.

Les minces tissus brillants n'absorbaient pas grand chose.

- Le désert tente toujours de nous parler, mais tout est devenu tellement confus... Nous assurons aux Anciens que tout va bien, mais c'est faux, c'est tellement faux ! Jusqu'ici ce n'étaient que des événements sans trop d'importance. Une tempête prévue au dernier moment, la migration de kezaars des sables découverte tout juste à temps, alors que les bêtes étaient déjà presque hors de portée et les réserves de plusieurs villages presque vides... Rien de réellement insurmontable, rien comparable à ça.

La jeune fille renifla dans ses jupes.

- Et la prochaine fois ce sera quoi ? Si encore il y avait quelqu'un d'autre ! Mais il n'y a personne qui puisse le faire, nous sommes tout seuls !

- Nuada ...

Fanaa avait beaucoup de peine de voir sangloter son amie. Son bébé devait surement sentit tout le chagrin de sa maman et il devait être triste aussi au chaud dans son ventre. La Danseuse s'approcha encore et effleura le voile qui recouvrait les cheveux de feu.

- Tu sais l'endroit où ils se sont installés, je ne sais pas si ils l'ont fait sciemment mais c'est dans un lieu magique. Il y a là-bas deux palais qui ressemblent au sanctuaire. Ils en ont abîmé un en le pliant à leurs caprices mais l'autre ... l'autre Nuada il est empli de magie résiduelle. Ce n'est pas de l'elixia, c'est plus ancien c'est ... la magie du sacré je crois. Seulement cette magie a dû se concentrer pour ne pas se laisser gangrener par les manigances elixiennes des autres. De cette façon, ça a formé une sorte de bulle qui t'a empêché de voir et de sentir ce qui se passait par là-bas. Ils ont réussi à se soustraire à votre vision, à rendre le désert silencieux à leur sujet mais ce fut seulement un coup de chance. Masha et Mellyna vous ont donné l'alerte ensuite et vous avez fait ce qu'il fallait faire. Vous y avez envoyé des gens, vous avez sauvé des vies. C'est cela qui compte Nuada. Et vous avez libéré le Palais sous le lac, il y a tant de magie sacrée en ce lieu Nuada, elle va pouvoir vous revenir maintenant. Vous n'êtes pas aussi seuls que ça, vous avez le Désert, vous avez votre peuple, il y a Sheyn, il y a Earl et il y a moi aussi. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour aider si cela est possible.

Fanaa caressait doucement le voile.

- Le temple sous le lac est magnifique tu sais. Il est de pierre claire et il "résonne" d'énergie sacrée. Une énergie qui va pouvoir revenir au Désert maintenant, et à vous.

Sa main se posa sur une épaule tressautante et elle baissa la voix.

- Et pour les anciens, peut-être pourrons nous arranger l'histoire qu'il faudra leur raconter ? Avec votre accord, bien sûr.






Les groupe remercia Nuadi, le salua avec déférence puis suivirent les serviteurs qui leur montrérent leurs chambres. Ah ... de vrais lits, enfin !

- Silencieux ? Et quand ils sortaient pour emporter les jeunes filles du village, alors ?

Ces maudits yeux qui n'arrêtaient pas de pleurer...
Nuada se frotta les paupières avec tant de colère qu'une des coutures délicates du voile qu'elle triturait craqua.

- Et pourquoi devrions-nous "arranger" ce qui s'est passé ? L'égoïsme a fait suffisamment de dégâts comme cela.


Dans la salle, Earl prit tout son temps pour replier sa serviette. Les autres étaient déjà presque tous sortis lorsqu'il se décida enfin à se lever et, plutôt que des les suivre, se dirigea vers le couloir emprunté par Nuadi.
Le Lévitis n'eut pas à aller bien loin pour retrouver le jeune homme : il tournait dans une jolie petite pièce au sol couvert de mosaïque comme un tora en cage.

- Pourquoi tu ne m'as pas laissé parler ?

Nuadi haussa les épaules et répliqua sans cesser ses allées et venues :
- A quoi bon ? Elle aurait réagi de la même manière.

Earl eut une moue peu convaincue mais n'émit aucune objection.

- Qu'est-ce que tu comptes leur dire ?
- Je n'en ai aucune idée. Nous avons le devoir de vérité mais...
- De toute façon que pourraient-ils faire ? Ce n'est pas comme si vous étiez remplaçables.
- Mais ils pourraient essayer de nous enfermer à nouveau dans une belle cage dorée.
- Comme si vous n'étiez pas capables de vous glisser hors de cette cage avant !
- C'est différent, maintenant.

Nuadi s'immobilisa au centre de la pièce et tapa du pied au sol tel un cheval impatient.

- Si nous n'avions pas essayé de bafouer l'autorité des sages, peut-être que tout ceci n'aurait...
- Foutaises, coupa Earl avec froideur. S'ils avaient réellement voulu interdire à Nuada d'avoir un enfant, ils l'auraient fait. Et tu peux être sûr d'une chose : ils connaissaient parfaitement les risques.

Nuadi se retourna.

- Comment ça ?
- Nous avons presque les mêmes modèles de vieillards décrépis à Lévitas. Je sais comment ils fonctionnent. Les Ilahi sont une lignée ancienne, qui existait bien avant l'afflux d'elixia sur Adreis. Mais depuis lors ils sont devenus encore plus essentiels. Devoir se reposer sur une lignée de pouvoir aussi fragile... jamais plus de deux dépositaires en même temps, des périodes de latence pouvant s'étendre sur des années... Crois-tu vraiment que l'idée de "forcer" la perpétuation de la lignée n'ait jamais effleuré l'esprit de vos vieux sages ? Inciter les Ilahi a produire une descendance... avec des personnes choisies... voire même entre eux...

Nuadi considéra Earl avec horreur. Le Lévitis se contenta d'un haussement d'épaule.

- Ils n'auront pas ébruité leurs échecs, mais vous devriez leur poser la question. S'ils étaient au courant des risques et qu'ils ont gardé le silence, vous êtes loin, très loin de porter la plus grande part de responsabilité.

Un haut-le-cœur souleva l'estomac du jeune homme.

- Mais c'est...

Serrant les poing, il fit un effort pour se maîtriser.

- Je... Ne dis rien de tout ceci à Nuada.
- Je n'en avais pas l'intention. Et puis peut-être que je me fais des idées à force de nager dans les miasmes des politiciens de Lévitas. J'aimerais pourtant croire qu'il existe des "conseillers" auxquels on puisse accorder sa confiance, mais j'ai bien peur de me faire des illusions.

Avec un sourire fatigué, Earl salua un Nuadi plongé dans des pensées sans doute peu réjouissantes, avant de faire demi-tour pour gagner les étages. Il avait déjà trop "dormi" à son goût, mais il avait quand même envie de s'allonger un peu.

- Lorsqu'ils sortaient c'était toujours un par un. Et ils hypnotisaient les jeunes filles de façon à ce qu'elles les rejoignent par elles-mêmes. Ca explique peut-être ?

Fanaa replaça ses mains dans son dos et se balança d'un pied sur l'autre mal à l'aise de se retrouver toujours si maladroite. Parole, c'était une vraie malédiction à force !

- De toute façon, ce ne pourra pas être moi qui rapporterai tout cela au conseil alors vous leur direz ce que vous voulez mais ... enfin si c'est pour vous protéger, et par là-même protéger votre peuple alors ce n'est pas de l'égoïsme.
Tu es à bout Nuada, tu viens juste d'entendre tout cela et ça fait beaucoup. Beaucoup d'informations à comprendre et digérer.

Fanaa secoua doucement la tête.

- Nous avons ramené toutes les jeunes filles du désert. Il n'y a eu aucune victime grave de votre peuple. Et cela c'est grâce à vous, car vous avez réagi dès que vous avez eu vent du danger. C'est cela qui compte.

- Un par un peut-être, mais le total était loin d'être négligeable !

Nuada se tordait les mains.

- Il y aurait largement eu le temps de leur arriver malheur. Ca a été un coup de chance. Les Ilahi ne peuvent pas simplement se reposer sur la chance, c'est...

Elle se frotta rageusement les yeux et se redressa, tâchant de reprendre un air digne en dépit des traces de maquillage qui avaient coulé sur ses joues brunes.

- Ce n'est pas suffisant, c'est tout. Le désert ne laisse pas place à l'erreur.

Avec un petit reniflement qui se voulait discret, elle redressa un peu sa mise chiffonnée.

- Je vais... je vais me retirer. J'ai besoin de réfléchir. Seule.

- Oui. Bien sûr. Si tu as besoin de moi, n'hésite pas, j'accourrai.

Fanaa inclina la tête et lorsque Nuada se fut éloignée, elle fit demi-tour pour se diriger vers la salle du thé qu'elle trouva vide. Elle s'immobilisa sur le seuil. Où étaient-ils tous passés ? S'était il passé quelque chose ? Avait-elle manqué quelque chose ? Est-ce que ... ?

- Nuade'ilah a demandé à ce que l'on installe les invités dans les chambres pour qu'ils se reposent. Souhaitez vous que je vous guide ? l'informa un serviteur au gilet ouvert.

Ah, c'était donc ça.

- Non merci. Je vais trouver le chemin toute seule, c'est gentil.

Le jeune homme s'inclina, Fanaa fit de même puis elle emprunta un couloir. Un bruit de griffes sur la pierre du sol lui annonça l'arrivée imminente d'un valaë au-dessus duquel voletait un krobeau. Fanaa tendit les mains et Kraa y déposa son trésor. Elle le remercia et caressa Khamsin d'une main tout en observant la pierre rouge sombre qui ornait le bijou.

*Si je t'avais emmenée, est-ce tout se serait mieux passé ? Je ne le saurai jamais. En tout cas merci Syld, merci mon ange d'avoir répondu à mes prières. Tu l'as sauvé.*

La jeune fille embrassa pieusement la boucle d'oreille et la repiqua à l'intérieur de son bustier avant de se relever. Lyrev n'avait pas reparu. Impossible de savoir où était passé ce chat. Peut-être avait il décidé de repartir d'où il venait ... mais sans dire au revoir ? A y repenser, ce ne serait pas le premier à agir ainsi. La tête basse, sans plus trop prêter attention à ses compagnons, Fanaa se dirigea mécaniquement à la salle des vapeurs pour se débarbouiller et réussit à se brûler l'intérieur du bras sur les pierres car elle n'était pas à ce qu'elle faisait.
Assise au sol elle cacha sa tête dans ses mains pour tenter de se calmer. Les secondes passèrent. Elle ne se sentait pas vraiment mieux, trop travaillée par ce qui se passait et surtout par le fait de ne pas savoir quoi faire, de se retrouver incapable d'agir et de réfléchir comme il le fallait.

C'est chagrine qu'elle retraversa les couloirs, hésita devant l'entrée de la "salle aux miroirs" puis continua finalement jusqu'aux rideaux de la chambre d'Earl. Avant de passer les étoffes, elle inspira et expira profondément plusieurs fois. Le Levitis n'était pas quelqu'un avec qui elle pouvait se permettre d'être elle-même car il en finissait toujours excédé. Alors elle devait endosser un habit qui lui conviendrait mieux. Ou du moins essayer, car n'ayant pas un naturel menteur, Fanaa avait du mal à tenir un rôle trop longtemps.
Bon. Coup d'oeil à droite, personne. Coup d'oeil à gauche, pas âme qui vive. Passant une main devant son visage pour afficher une expression sereine, elle poussa les voilages et entra dans la pièce. Il était là, sur le lit et sans dévier de sa route elle avança directement dessus et se glissa à son côté.
Sa main se faufila sous le tissu de la chemise tandis que sa tête s'installait dans le creux entre le cou et l'épaule, dans le petit nid d'où elle n'avait pas beaucoup à se mouvoir pour pouvoir piqueter le Levitis de petits baisers.

Une des mains d'Earl s'anima à son tour et vint rejoindre celle de Fanaa. Mais cette fois-ci les doigts ne se mêlèrent pas : le Lévitis saisit le poignet de la jeune femme pour l'obliger à se retirer.

- Ca suffit.

Il s'assit dans le lit et secoua la tête.

- Je ne suis pas dupe. S'il faut que tu te forces, ce n'est pas la peine.

Avec un soupir, il laissa glisser ses pieds jusqu'au sol dallé puis se leva.
Au diable les bonnes résolutions ! Fumer était la seule chose capable de soulager ses maux de tête, et là il avait une migraine à fendre un crâne en deux.
Le jeune homme attrapa le sac posé au pied du paravent et prit la direction de la galerie de façade d'un pas traînant.

Se faire rejeter et dénigrer ainsi c'était comme prendre un coup. Fanaa se sentit désespérée pendant un instant et faillit se contenter d'attendre, de le laisser aller faire son petit tour et puis elle se ressaisit et se précipita à sa suite.

- Ne te mets pas en colère !

Elle attrapa sa manche et baissa la voix.

- Je ne me force pas ...

Elle releva la tête, raffermit sa voix et fronça les sourcils d'un coup. Ce soudain air décida avait un côté assez comique.

- Je ne me force pas. J'aime être avec toi.

Elle l'enlaça de toutes ses forces ce qui eut pour effet d'entraver les bras du Levitis. La position n'était pas des plus confortables pour lui mais ce qui comptait c'était de ne pas le laisser partir.

Bien évidemment qu'elle aimait être avec lui ! Et qu'elle ne se forçait pas ! Ce n'était pas son genre de se forcer. Enfin ... peut-être que si en fait ... mais ça dépendait des circonstances. C'était juste qu'elle était tiraillée. Elle ne voulait pas le déranger et savait que comme elle éprouvait trop de choses, elle risquait de lui être désagréable même sans le vouloir. Alors en théorie elle aurait dû aller dans son coin et rester loin pour ne pas l'ennuyer avec sa mélancolie ... mais en même temps elle avait envie de se trouver auprès de lui. Et elle avait fini par céder à l'envie plutôt qu'à la raison qui lui conseillait d'aller s'enfermer seule.
Et maintenant il la punissait. Elle faisait pourtant des efforts pour essayer de masquer ses émotions afin de ne pas le déranger. C'était juste un exercice spécialement difficile. C'était si peu naturel pour elle ! Alors elle essayait mais visiblement elle était encore loin du résultat escompté.

- Je ne suis pas en colère.

Il se libérera sans difficulté.

- Si tu ne te forces pas, c'est que tu aimes te faire du mal, alors.

Au dehors, les ombres s'étendaient. L'eau restée piégée dans le sable remontait doucement, et on pouvait à nouveau distinguer quelques reflets de flaques dans le lit craquelé de l'ancienne rivière qui traversait la vallée.

- Tu devrais aller dormir.

Earl reprit son chemin vers les arches donnant sur l'extérieur.

Elle aimait se faire du mal ? Et comment pouvait-il déclarer une chose pareille ? Il ne la connaissait pas, il était in capable de se mettre à sa place, ils ne ressentaient même pas les choses de la même façon ! Oh et puis pourquoi réfléchir à tout ça ? Il ne la comprenait pas, elle ne le comprenait pas, ils étaient incapables de discuter ensemble ... étrangement elle commença à se détendre à ce moment-là. Elle avait dit qu'elle l'acceptait comme il était, elle l'avait dit et pensé. Et puis il n'était plus n'importe qui. Il était celui qui l'avait ...

Fanaa accéléra le pas jusqu'à parvenir à la hauteur d'Earl et glissa sa main dans la sienne.

- Plus tard.

Sans oser lever les yeux vers lui, elle eut un sourire doux et son autre main se posa sur son avant-bras. Elle devinait la sensation de sa peau sous le tissu ... pourquoi y avait-il tant de tissu d'ailleurs ? Il ne faisait pourtant pas froid. La température extérieure n'était pas froide non. Pourtant elle avait l'impression qu'il y avait du froid quelque part ... bah, ce n'était sûrement rien.

C'était tout de même étrange qu'elle se sente comme rassurée alors qu'il avait une attitude si distante. Mais c'était probablement parce qu'il était ... lui-même. Un peu trop Levitis et raide. Distant. Dur. Il était lui-même. Cela c'était bon. Fanaa était maintenant toute tiède tandis qu'elle accordait son pas sur les grandes enjambées du jeune homme.

Mellyna et Thani suivirent la scène en silence. On ne leur demandait pas leur avis, autant se taire.
La dédrane aurait bien aidé Fanaa dans sa tache, mais elle ne se sentait pas en droit de parler. Les Ilahis ne semblaient pas à leurs aises, ce n'était pas le moment de complexifier leur situation politique en étant trop entreprenante devant des gens de leur peuple. Elle savait combien leur devoir les étouffait. Elle aurait aimé pouvoir le leur dire, qu'ils étaient déjà très forts d'assumer leurs fonctions, de ne pas avoir fuit. Pas comme elle. Cela leur apporterait-il du réconfort ? Pas si sûr. Ils ne la connaissait pas, comment de telles paroles venant d'une totale étrangère pourraient les aider ?
Elle choisit donc de se taire. De suivre les autres quand ils s'éparpillèrent vers leurs chambres et de profiter sans un mot du luxe qui lui était accordé pour ce soir.
Elle suivit une petite servante vers la chambre qu'on lui avait accordé. Prit les vêtements propres offerts et partit vers la salle d'ablution. La dédrane n'était pas du genre à se pomponner des heures durant, mais elle se sentait trop crasseuse pour ne pas faire un brin de toilette avant de se couler dans des draps propres.

Thani était parti faire de même de son côté. Il n'avait pas osé déranger la dédrane absorbée par ses pensées, ni l'inviter à le rejoindre plus tard, pas devant tout le monde.

C'est avec délectation que Mellyna put enfin sortir de sa carapace de crasse. L'eau qui coulait sur sa peau traçait des rigoles claires, elle frotta jusqu'à s'en faire mal, avec le sable mousseux qui servait de savon. L'eau de rinçage était d'une couleur écœurante, mélange de boue et de sang. Comment Thani avait-il put la désirer ? Elle ne s'était pas rendu compte de son état de saleté avant d'être propre. Et en y repensant, elle éprouvait une réelle gène à s'être approchée de tant de personnes dans cet état. Elle chassa ses pensées négatives et s'attaqua à ses cheveux. Ses beaux cheveux noirs qui, à cet instant, étaient d'un gris terne. Elle les démêla, avec force grimace, et les lava pour finir. Économiser l'eau était primordial ici et elle prit grand soin de respecter les recommandations que lui avaient donnée Fanaa à son arrivée.
Quand elle eut fini, sa chevelure était d'un blanc lumineux, pas celui un peu terne des personnes de grand âge, un blanc aussi beau que celui des cheveux du lévitis avant cette aventure. Elle aurait aimé avoir un miroir pour se faire à sa nouvelle apparence. Elle n'en avait pas vu ici, elle demanderait à la servante si elle la recroisait.
La tunique turquoise était saillante, la jupe blanche agréable, comment les serviteurs pouvaient-ils choisir la bonne taille à chaque fois ? Ils avaient vraiment un don. Elle aurait préféré un pantalon mais ce n'était pas le moment de se montrer exigeante.

Mellyna n'avait pas envie de rester enfermée tout de suite, elle sortit pour profiter des derniers rayons de soleil. Elle déboucha sur une sorte de terrasse, la nuit était déjà tombée. Une silhouette assise sur une rambarde lui fit de l'ombre. Le grand guerrier lévitis ne paraissait pas de bonne humeur depuis l'accident de la brûlure. Elle s'assit dans un bruissement de jupe à ses côtés. Pas trop près, pas trop loin non plus. Elle ne le regarda pas, elle s'abreuvait du paysage. Elle laissa s'écouler quelques minutes avant de prendre la parole :

- Vous paraissez déprimé. Le seigneur Earl s'en est sorti pourtant... Il parait être lui même... Qu'est-ce qui vous chagrine tant ?

Ridelgald haussa les épaules.
Il n'était guère expansif d'habitude, mais l'état de son visage le forçait à encore plus d'inexpressivité.
Sa toilette semblait avoir été des plus sommaires et un début de barbe aux reflets blonds grimpait à l'assaut de ses joues entre les zones meurtries.

Il consentit à déverrouiller les mâchoires sur un marmonnement qui n'incitait guère à poursuivre le bavardage plus avant :
- Aucune idée.

Son estomac lui reprochait de n'avoir pas d'avantage fait honneur à ce qu'on leur avait servi avec le thé.
Cependant, en y réfléchissant bien, il n'avait nulle envie de gâteaux. Il aurait préféré...
Ses dents se resserrèrent doucement sur l'embout délicat de la pipe. Entre les cils pâles, les pupilles s'étaient presque réduites à deux fentes.
... de la viande rouge.

Un nouveau panache de fumée s'éleva paresseusement vers les étoiles.

Le Lévitis dodelina de la tête et fut pris d'un large bâillement. La pipe ne dut qu'à un réflexe machinal de ne pas dégringoler au sol.
Il fit glisser le bout de sa langue le long de l'extrémité d'argent coincée entre ses lèvres.
Des lèvres...
... un oeil bleu-vert...
... Sy...

- Owow !

Se réveillant brusquement, il jeta presque la pipe sur le parapet.
Il s'était complètement planté dans les dosages ou bien ?!

Earl recula hors de portée de Fanaa, une main plaquée sur le bas du visage, tant pour réprimer une nausée que pour dissimuler sa subite rougeur.
Il s'était un peu trop détendu. Nul ne pouvait prétendre maîtriser complètement ses rêves, mais ça... mais ça...

- Il est temps que j'aille dormir. Je... bonne nuit.

Et il prit quasiment la fuite pour s'engouffrer entre les rideaux et se réfugier à l'intérieur.

Mellyna fit la moue :

-Pas la peine de mentir, il suffit de me dire que vous n'avez pas envie d'en parler...

Le silence se prolongea un moment, la brise était fraiche et la dédrane peut couverte. Une chaire de poule hérissa ses bras nus. Pourtant, après la chaleur torride de la journée, ce froid était agréable.
Elle observa plus attentivement le profil figé, la crasse était toujours là, il n'avait pas prit soin de se débarbouiller.

-Je vais chercher de quoi laver votre plaie et changer les bandages. Je vous avais recommandé un traitement pour votre visage...
Bref, je reviens, ne bougez pas d'ici.

Elle repartit en courant dans les couloirs, ses pieds nus ne faisaient pas un bruit sur les dalles. Elle trouva rapidement les herbes, une cuvette d'eau, du savon, un linge. Repartit en sens inverse les bras chargés comme une servante.

*Ah, j'ai oublié de prendre un manteau. Tant pis.*

Quand elle reparut dehors le soldat n'avait pas bougé. Elle déposa son paquetage, mouilla le linge dans un peu d'eau, rajouta du sable.

-Ca va piquer, mais il faut que je nettoie tout cela. Le risque d'infection est important avec ce genre de brulûre.

Ridelgald ne signifia qu'il avait compris que par un vague grognement.
"Piquer". Il n'en était plus à cela près.
Il ne broncha pas lorsque la Dédrane entama son débarbouillage.

Le soldat garda donc le silence, jusqu'à ce qu'elle se détourne un instant pour rapprocher la cuvette.

- Vous avez bien de la chance si tout est toujours clair dans votre tête, vous.

Pourquoi ? Qu'avait-elle fait de mal là ? Fanaa s'était figée et toute chaleur l'avait quittée. A l'intérieur il y avait un grand vide. Elle ne sentait plus son esprit ni son corps, il semblait que le temps s'était arrêté. Elle avait du mal à respirer et sa poitrine était douloureuse. Elle se sentait ... bizarre. Assez mal. Elle se mit a frissonner et même à claquer des dents. Le vide. Le froid.

- Je ne comprends pas ... pourquoi est-ce que tu me laisses là ?

Il n'y avait plus personne bien sûr.

- Je ne comprends pas.

Lui avait-elle fait peur ? Non. Avait elle eu des pensées qui l'avaient gêné ? Dérangé ? Mais elle avait fait attention pourtant ! Elle avait fait quelque chose de mal, mais impossible de savoir quoi. Alors quoi ? Ca allait faire comme avec Syld ? Earl aussi allait lui en vouloir sans jamais rien lui dire ? Sans lui laisser la possibilité de se racheter ?

*Attends, attends. Peut-être que ce n'est pas ça. Peut-être que c'est autre chose. Peut-être.*

Nouvelle vague de frissons.

- Je t'avais dit que tu t'étais trompée.

Fanaa tressaillit quand une voix susurra à son oreille. Elle tourna la tête pour se retrouver nez à nez avec ... Earl ? Il entoura les frêles épaules de ses bras.

- C'est lui que tu aurais dû tuer dans la grotte, pas moi.

C'était le même ! C'était le même ! Jusqu'au dessin des sourcils, aux écailles et mèches de cheveux qui auraient bien eu besoin d'un petit coup de ciseau ! Seulement lui il parlait. Il parlait trop.

- Tu es un rêve.

Elle ne se laisserait pas avoir.

- Je te remercie du compliment mais je n'ai rien d'un rêve.

Fanaa déglutit. Il ne pouvait être qu'un rêve, il ne pouvait pas être réel. Et quand bien même, il était mort !

- Tu veux me rendre folle.
- Fanaa ... Fanaa ... Pourquoi ferais-je cela ? J'attendais que tu retournes à la grotte et j'ai été déçu de ne jamais te voir revenir. Tu y avais oublié quelque chose, n'est-ce pas ? Et pour te prouver ma bonne foi, je te l'ai rapporté. Tiens ...

Il détacha de sa ceinture le sabre fin à la garde décorés de pompons et le fit se balancer devant le nez de Fanaa. Elle n'hésita pas beaucoup avant de le saisir. Elle l'observa et le soupesa. C'était son arme, c'était vraiment la sienne. Et pourtant ce n'était pas possible. La sensation de froid s'accrut.

- Tu pourrais me dire merci je crois, non ?

Elle garda le silence en laissant son regard fixé sur les gravures de la lame. Ce n'était pas possible.

Mellyna s'arrêta un instant, essora pensivement le linge avant de le tremper de nouveau dans l'eau claire. Elle se tourna vers le soldat, son linge à la main, soucieuse à son tour:

-Hélas non, j'en suis bien loin. J'ai juste appris avec l'âge à prendre du recul, je n'y arrive pas toujours, à mon grand regret.

Elle reprit son nettoyage en essayant d'être la plus délicate possible.

-Ce que je voulais dire, c'est que souvent on a une petite idée de ce qui nous fait cogiter. Au moins la chose ou la personne.

La dédrane laissa retomber son bras, dévisagea le lévitis d'un air grave.

-A moins que ce ne soit du domaine du pressentiment. C'est votre cas ?

Ridelgald haussa vaguement les épaules.

- Tout à la fois, peut-être. Je ne saurais dire.

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- Du calme, du calme, tout va bien.

Earl allait et venait furieusement autour du lit.
Il avait chaud.
Un peu trop.

Depuis quand est-ce que ces herbes avaient cet effet-là, par Ael ?!
Non, ne pas penser à Ael.
Pas en même temps que... que...

Le Lévitis se replaqua derechef une main sur la bouche sans cesser de faire le tour de son lit comme un fauve enfermé dans une cage trop petite.

- Tout va bien. C'était juste une association d'idées sans fondement. Fondement...

Avec une exclamation d'épouvante face à la nouvelle association d'idée qui venait de lui traverser l'esprit, il fondit sur la cruche placée à côté d'une cuvette sur la table de nuit et, ni une, ni deux, se la renversa sur la tête. L'eau était loin d'être froide et en quantité limitée, mais ce traitement parvint à le refroidir quelque peu. Au moins il n'aurait pas à se "refroidir" d'une autre façon. Et surtout pas en pensant à...

- Aah, ta gueule, là-dedans !

Le jeune homme appuya son poing serré contre son front.

Il était épuisé, physiquement et mentalement, il avait bu plus qu'il n'aurait dû au village la veille, et pour couronner le tout il s'amusait à se droguer. Il l'avait bien cherché.

A présent, il devait retourner chercher la pipe abandonnée sur la rambarde. Si jamais Nuada tombait dessus, elle allait l'écharper tout vif. Au moins il était maintenant "présentable de face".
Morigénant contre ses habitudes viciées, Earl alla donc écarter les voilage d'une main pour passer la tête dehors.

- Fanaa ? Je...

Le premier réflexe de Fanaa fut de cacher son sabre derrière son dos. Comme si c'était une bêtise de le tenir. Comme si il allait se fâcher si il savait qu'elle était allée le récupérer. Non que son double le lui avait rapporté. Qu'est-ce qu'il allait dire ? Qu'est-ce qu'il allait dire en voyant qu'il était venu jusque là ? Ah mais non, il n'allait rien dire puisque ce n'était pas réel.

- Pense ce que tu veux, il n'empêche que je suis là.

Il avait répondu alors qu'elle n'avait rien dit. Il lisait dans ses pensées. C'était la preuve qu'elle rêvait éveillée. C'était la preuve. Elle fit un pas en arrière et ne sentit personne dans son dos. Tournant la tête pour vérifier que l'autre était bien parti, elle avisa la pipe sur la rambarde et s'en saisit.
C'était peut-être cela la cause ? Peut-être que ce qu'il y avait là-dedans était si fort que cela provoquait des hallucinations ? C'était une explication plausible.

Se rappelant soudainement qu'Earl était là, la pipe rejoignit rapidement le sabre dans son dos et elle se raidit, toute droite, comme au garde à vous.

- Tu ... ?

- Eh bien...

Earl se décida à faire un pas dehors et balaya le rebord du balcon du regard.

- Je pensais avoir laissé ma pipe par ici.

Il alla se pencher par-dessus le parapet, tout en sachant que c'était là un geste inutile : il faisait trop sombre pour voir quoi que ce soit en bas, même à la lueur des lunes.

- J'ai dû la faire tomber. Ou alors je l'ai reposée ailleurs sans y penser.

Il passa une main dans ses cheveux humides avec un soupir.

- Bon, tant pis.