Lac Ryma

Kyara avait esquissé un geste qu'elle avait tout de suite arrêté, Gavriel et Senril c'étaient chargés de Fanaa. Pourtant quelque chose dans l'attitude de Senril la laissait perplexe... Il est vrai qu'elle ne l'avait jamais vu "agir" avec d'autres personnes qu'elle. La demoiselle fit la moue, elle ne savait trop quoi faire...

Puis les jumeaux s'enfuirent et une vielle femme "apparut" presque à l'endroit qu'il venait de quitter.

- Tient donc ! marmonna la shalos.

Devient-elle dire quelque chose, à Shalanos c'était chaqu'un pour soit... Pourquoi changer ses habitudes. Elle se mit en retrait du groupe, sortit son violon et se mit à jouer. Une mélodie quelconque.

Qu'il en avait manqué des choses. Un peu d'absence et tout avait changé. Il devait rattraper son retard, il devait faire tout ce qui était en son pouvoir pour rattraper ce qu'il avait perdu, et son inaction n'aiderai pas.

Il n'en pouvait plus de rester sur ce lit allongé sans rien faire. Son père avait peut être ordonner, mais il n'était pas a ses ordres. Ainsi Dide se leva, pris son violon et sortit de sa chambre. Il pris le garde a sa porte par surprise et le maitrisa au sol avec l'épée du malheureux. Puis il se releva.

-Vous direz a mère que je suis au conservatoire.

Et il se dirigea vers la sortie du manoir.

"Apprivoiser" ? Non, Senril n'avait pas du tout l'intention d'apprivoiser qui que ce soit. Longtemps auparavant il l'avait fait pour Kyara, il avait donné son temps, son attention et bien plus que ça... mais il ne recommencerait pas. Kyara était parfaite, il n'avait besoin de personne d'autre.

Si il "s'occupait" de Fanaa c'était pour Kyara. Lui-même ne lui trouvait plus d'intérêt. Elle avait tout perdu. La marque di sorcier s'était effacée, ainsi que les sorts dont il l'avait entourée et même le sceau du Roi. La disparition de tout cela indiquait qu'elle n'était plus... la même. Seule la mort du sujet entraine l'annulation des enchantements qui lui sont apposés. Tout cela était assez perturbant mais n'était d'aucun intérêt pour Senril. C'était les charmes qui avaient été tissés autour d'elle qui l'attiraient. Ca et... ce qu'elle avait fait avec les gosses.
Sans ces aspects, Fanaa n'avait plus de valeur, elle n'était qu'une enfant ... pas vraiment comme les autres. Mais Kyara l'aimait bien.
Si cela n'avait pas été le cas, Senril aurait serait rentré à Shalanos avec sa compagne sans un regard en arrière et sans faire ce détour par Medievir.
Un détour qu'il ne regrettait pas tout à fait. Tout musicien rêve de visiter la cité des Arts une fois dans sa vie.

Sur ces réflexions, les gamins roux disparurent et une femme apparut. Elle les cherchait.

- Des êtres sacrés ? En quoi sont-ils sacrés chère Dame ?

Ainsi les êtres sacrés avaient leurs cycles lunaires comme n'importe quelle adrenienne ?

La femme joignit les mains, les yeux brillants.

- Ah, ils possèdent l'esprit du désert, messire. Ce sont ceux qui nous guident vers l'eau, qui nous préviennent de l'arrivée es tempêtes de sable, qui demandent aux gardiens du désert de nous protéger des créatures mauvaises. Leur âme parle aux êtres et aux choses, les êtres et les choses leur répondent. Ce ne sont que des enfants, mais leur sagesse est aussi ancienne que les rochers sous le ciel.

Elle sursauta, comme sortant d'une transe mystique, puis fouilla à nouveau du regard les environs à la recherche de crinières rouges.

- Ils n'étaient jamais sortis du temple de pierre avant le dernier solstice. Par les Dieux, ils apprennent si vite ! Mais ils ne doivent pas apprendre le mal ou la violence. On ne les a pas préparés à cela.

La vieille femme se mordilla les lèvres -qu'elle avait encore fort séduisantes- avant de dévisager les personnes présentes avec espoir.

- Si vous me demandez ça, c'est que vous les avez croisés ? Vers où sont-ils allés ? Quand était-ce ? Je vous en prie, dites-le moi.

- Non madame, nous sommes désolée mais nous n'avons vu personne correspondant à cette description. répondit doucement Gavriel.

Fanaa regarda la nouvelle arrivante et s'avança vers elle. Ses cheveux étaient de feu et de cendre aussi, c'était une maman-esprit de feu très nerveuse. La jeune fille prit ses mains dans les siennes et roucoula à son intention. La dame semblait ennuyée et il ne fallait pas. Personne n'avait fondu dans l'eau, ils s'étaient juste évaporés comme les feu-follets qu'ils étaient mais ile brillaient encore, et leurs cheveux étaient si doux, si doux !

- Elle dit que vous ne devez pas vous en faire, vous les retrouverez à temps. Viens Fanaa, viens. On doit y aller nous aussi. Allons faire le tour du lac. Bon courage dans vos recherches Madame.

Il alla prendre la main de la jeune fille qui leva vers lui de grands yeux violets interrogateurs avant de lui adresser un grand et beau sourire. Elle n'était pas rancunière pour un sou et cette observation toucha le cœur de Gavriel. Il y avait du vrai dans les remarques de Nuadi, le but n'était pas de dresser Fanaa non, le but était ... était quoi ? Il ne le savait pas trop. De ce côté là il était perdu.
Il adoucit la voix.

- Viens, allons chercher d'autres fleurs. Au revoir Madame.

Fanaa adressa un signe de la main à l'esprit-mère puis se laissa gentiment mener, rassurée qu'il ne soit plus fâché.

Quand ils se furent assez éloignés de la femme, le shalos s'approcha.

- Pourquoi avoir menti à cette Dame, mon cher ?
- Je ne sais pas. Pour les protéger je pense. Et je ne suis pas "votre cher".
- Qu'est-ce qui prouve que vous les protégez ? A mon sens vous pourriez tout aussi bien les mettre en danger en les laissant livrés à eux-mêmes dans cet endroit qui leur est inconnu.
- Vous l'avez entendue, ils ne s'appartiennent pas... ils ont besoin de répit. Il leur faut changer d'air... un peu. Il seront repris bien assez tôt. Et puis fichez moi la paix avec vos questions.

Le Levitis allongea le pas avec colère en tirant Fanaa à sa suite, celle-ci trébucha mais soutint ce nouveau rythme. Le comportement du shalos avec elle ne lui avait pas plu. Pas du tout. Il devait l'en éloigner.

Senril repartit vers Kyara et embrassa l'épaule de la violoniste.

- Il faut y aller je crois, ne reste pas en arrière surtout...

- Oui, on sait que vous avez faim. Alors allez chasser. Mais loin d'ici, et ne vous faites pas voir d'autres humains. Allez !

Sheitan et Rayah émirent une sorte de miaulement puis disparurent à nouveau dans les taillis. Le temps d'un clin d'oeil et ils se trouvaient déjà à plusieurs milles de là, semblables à des flammes qui bondissaient, poussées par le vent.

Nuadi se détourna du paysage qu'il pouvait admirer depuis cette petite crête herbue. La surface du lac au-dessous d'eaux apparaissait d'argent liquide, lisse comme un miroir inondé de soleil.

- Tu avais raison, Nuada. Un petit animal perdu.

Alanguie dans un creux d'herbe tendre au pied d'un arbre aux feuilles murmurantes, sa soeur lui tendit les bras avec un sourire.

- J'ai envie de dormir.

L'adolescent sourit à son tour et se coula à ses côtés.

- C'est amusant de pouvoir parler à des gens qui n'ont pas interdiction de nous répondre ou même de nous regarder.
- Oui, c'est amusant.

Les doigts entrelacés, lové l'un contre l'autre, les jambes entremêlées et front contre front, ils fermèrent les yeux. Faire connaissance avec des gens était presque plus fatiguant que de chaparder des pommes sur un étalage...

Kyara frissonna sous le baiser, elle arrêta de jouer, rangea son violon et passa son bras sous celui de Senril :

- Allons-y ! lui dit-elle avec un grand sourire.

Tout en marchant et en essayant de suivre le pas de Gavriel, Kyara demanda :

- Après avoir fait le tour du lac, voudriez-vous faire le tour des boutiques pour trouver des instruments ? Je n'en ai pas remarqué dans la maison.

La shalos regarda un peu mieux Senril, qu'il était beau... Pourtant il avait l'air un peu soucieux, même si pour les autres son expression ne trahissait rien, elle voyait bien que quelque chose n'allait pas, elle attendrait d'être seul à seul avec lui pour lui demander ce qu'il n'allait pas.

La patiente semblait aller bien. Même s´il s´y attendait, Aterlo s´en réjouit. Il marcha avec empressement à sa rencontre. Il salua respectueusement l´homme qui l´accompagnait et s´adressa directement à Fanaa.

-Mademoiselle, je suis heureux de vous voir en aussi bonne forme. Vous sentez-vous aussi bien que vous pouviez l´espérer ?

La jeune femme le fixa sans lui répondre. Gêné, le vieux clerc se tourna vers Adweliwen qui était à quelques pas de là. Il ne savait pas trop sur quel ton entamer la conversation. Il l´aurait bien abordé sur un ton de reproche. Aterlo s´était naturellement tourné vers une compatriote, et vers celle qui l´avait sollicitée en premier, et la prenait pour responsable de la subite perturbation du calme de Medievir.

-Madame, il m´a semblé comprendre que vous connaissiez bien la ville ? Vous comprendrez donc qu´il faille faire savoir à vos amis aux cheveux rouges qu´il faille respecter la tranquillité de la ville. Leurs fauves ne peuvent rester ainsi en liberté.

Il marqua une pause pour chercher ses mots. L´autorité ne faisait pas partie de son métier.

-Je parle en temps que soigneurs, me comprenez-vous ? Si les autorités de la ville venaient à intervenir, ça ne pourra que renouveler le traumatisme de votre amie. Les gens de cette ville ont beau être particulièrement instruits, un soldat reste un soldat. Avoir à faire à eux ne sera pas une bonne chose pour elle –ni pour vous autres, d´ailleurs.

Interrompant son discours pour attendre une réponse, il scruta l´elixia de l´assemblée. La plupart des personnes présentes étaient particulièrement agitées. Quant à la malade, son âme restait quasi-absente.

- Messire clerc...

L'intervention de cet homme tombait du ciel, Gavriel comptait justement emmener Fanaa voir un soigneur. Elle ne pouvait rester ainsi.

- Je suis bien aise de vous rencontrer. Ecoutez vous étiez venu voir cette jeune fille alors qu'elle était fiévreuse et inconsciente - et je vous en remercie - comme vous pouvez le voir elle est tout à fait réveillée maintenant. Mais elle est bizarre. Elle parle comme une petite fille. Non, même pas en fait. Elle ne sait pas faire de phrase construite, elle se contente de sons et de gestes, de mots qu'elle met bout à bout et qui n'ont aucun sens.

Fanaa ne se rendit pas compte que l'on parlait d'elle. Elle fit quelques pas, s'assit en tailleur sur l'herbe et cueillit de nouvelles fleurs pour Rayah. l'esprit fille avait dit que l'autre fauve était jaloux et Fanaa ne voulait pas de jalousie. Elle les aimait tous les deux pareil et voulait leur faire plaisir. Tout en tressant la nouvelle couronne, Fanaa gazouilla sur ce qu'elle allait leur raconter. Parmi ses drôles de bruits, les noms de Sheitan et Rayah revenaient souvent, arrachant un demi-sourire au Levitis.

- Quant aux fauves, leurs maitres savent les tenir. Et ne blâmez pas Adwel, aucun de nous ne les connaissait avant aujourd'hui. S'il vous plait, faites quelque chose pour elle...

Aterlo était en partie rassuré par le départ de fédorans et de leurs bêtes. Il jeta un coup d´œil à Gavriel puis observa Fanaa cueillir ses fleures.

-Bien, bien, fit-il à l´intention de Gavriel, accompagnez-moi donc à mon dispensaire. J´y serais plus à même de décider du remède qui s´impose. Tout d´abord, sans vouloir me répéter, il lui faut du calme.

Le dispensaire était à quelques rues de la maison où résidaient les voyageurs. Il était constitué d´une pièce assez grande tenante lieux de salle d´attente et de salle de consultation. La lumière entrait en abondance par une grande fenêtre. Des lits et des chaises à la disposition des patients meublaient une grande partie de la salle, de larges présentoirs remplit de produits médicinaux et alchimiques bordaient les murs du fond.

Une porte menait à un petit cabinet qui servait de laboratoire. Graoull-hi y était toujours reprenant lentement ses esprits.

Gavriel prévint ses compagnons qu'il emmenait Fanaa et qu'il les rejoindrait plus tard puis il mena la jeune fille à la suite du clerc. Visiblement, elle regrettait les rives du lac mais suivit docilement le chemin qui lui était imposé même si elle répéta le nom d'Adwel plusieurs fois.

Ils arrivèrent au dispensaire. Le jeune homme n'aimait pas cet endroit. C'était pour les malades, les gens qui allaient mal les... il ne voulait pas que Fanaa soit dans le même cas et pourtant...

L'endroit était propre et si il sentait un peu le médicament, il ne dégageait pas de désagréables odeurs de maladie. Il faut dire qu'aucun lit n'était occupé, alors si tout le monde se portait bien pourquoi Fanaa n'était elle pas dans le même cas ? c'était injuste.

Il entra à la suite d'Aterlo dans la salle de consultation du clerc et fit asseoir Fanaa.

- Faites votre possible je vous en prie.

Fanaa posa sur le clerc de grands yeux violets surpris, puis lui sourit mais ne dit pas un mot.

Adwel s'était éclipsée pendant quelques secondes. Si quelqu'un avait eu le reflex de regarder dans sa direction, il aurait eu l'impression qu'elle parlait dans le vide, adossée a un mur.

Elle revint ensuite quand fanaa fit les présentations aux jumeaux. La voleuse ne dit rien. Elle observait les deux jeunes et les fauves.

Une fois partis, Fanaa et Gavriel suivirent un clerc... La voleuse fronça un moment les sourcils pour terminer sa réflexion par un haussement d'épaule. Elle se retourna vers le mur qu'elle venait de quitter puis vers Senril et Kyara.

- Des boutiques d'instruments, il n'en manque pas ici. Vous cherchez quelque chose en particulier?

[HRP]post a la con pour tenter de vous rattraper... on peut pas avoir un week end sans PC avec vous! [/hrp]

Aterlo avait constaté sans peine que la jeune fille avait oubliée jusqu´aux moindres détailles de sa vie. Elle ne s´était pas contentée d´oublier le proche qu´elle avait perdu, ou même son identité ; elle avait oublié toute son éducation, sa langue, sa culture. Ne restait plus que sa nature d´Adreisienne. Tout était à refaire. Tout.

En arrivant au dispensaire, le soigneur donna une feuille sucrée que les enfants mâchent à Fanaa. Il dit à Gavirel de s´installer avec Fanaa et de l´attendre quelques instants. Il entra dans son cabinet et y trouva Graoull-hi assis devant quelques ingrédients d´alchimie. Il l´observa tandis qu´il posait sa canne de guérisseur. Le jeune clerc ne semblait pas remarquer sa présence. C´est le Médiovien qui rompit le silence.

-Ne t´avais-je pas dis de te reposer une nuit entière ?
-Vous vous faites beaucoup de mauvais sang, répondit l´Ilymis sans quitter ses plantes des yeux. Il m´a suffis d´une ou deux racines de vos établis –que je remplacerais promptement –et me voilà sur pied.
-Tu abuses des artifices, jeune homme. Le seul elixia qui soit absolument bon à te guérir est le tien. Il faut lui laisser le temps, c´est tout. Chaque potions que tu utilises possèdent deux tranchants.

Sans se faire remarquer, Graoull-hi leva les yeux au ciel. Son collègue parlait comme le vieux qu´il était. Après un silence, il ajouta :

-Vous souvenez-vous de la jeune femme que nous avons visitée il y a quelques jours ?
-Nous l´avons visitée hier. Tu vois que ton esprit est encore troublé.
-Je pense qu´en diluant cinq fois l´infusion de ses chardons, nous pourrions en atténuer suffisamment l´effet pour bousculer l´âme de la patiente sans la mettre en péril.

Cette remarque acheva d´agacer le vieux prêtre.

-On ne vous apprend donc pas la prudence à Ilymir ?
-Si, protesta Graoull-hi, le vénérable Elos nous répetait sans cesse …
-« On » a donc au moins essayé, le coupa Aterlo.

Il sorti du cabinet pour aller retrouve Gavriel. Il le regretterai sûrement, mais il lui parla de la potion de chardons. Gavriel avait en effet insisté plus que lourdement sur la nécessité de soigner son ami rapidement.

-C´est un remède que je n´ai jamais essayé, et je dois vous dire que je ne suis pas vraiment rassuré à l´idée de l´administrer. Mais en très petite dose, il ne peut pas représenter de grand danger. Il vous incombe bien entendu de prendre le risque.

Le jeune homme ne prit pas beaucoup de temps pour réfléchir. Il ne voulait plus la voir ainsi. Si on se contentait de la regarder, on voyait une jeune fille très très jolie, élégante, on était séduit pas son sourire, envoûté par la couleur de ses yeux. Mais dès qu'elle ouvrait la bouche le charme était rompu. On se retrouvait face à une petite enfant ayant grandi trop vite. Beaucoup trop vite.
Gavriel supportait mal de la voir ainsi. Cela mettait ses nerfs à vif. Il accepta.

- Je prends le risque donnez le lui? Donnez lui n'importe quoi mais faites la devenir comme avant, je vous en prie.

Rien dans l'attitude de Fanaa ne permettait de penser qu'elle avait compris qu'elle était au centre de l'échange. Elle tournait la tête de tout côté pour regarder les fioles, les herbes, ce qu'on apercevait par la fenêtre.

Elle indiqua la rue du doigt, elle voulait sortir pas rester enfermée !

- Ciel!

Sans la regarder, le Levitis saisit la fine main entre les siennes et la posa sur le bureau.

- Faites le messire. J'ai confiance en vous et je veux tout faire pour qu'elle aille mieux.

Il fixait le vieux clerc sans ciller, s'empêchant de s'interroger sur les possibles effets secondaires. Elle devait revenir, c'était là sa seule certitude.

-Bien, si la chose est aussi urgente, je vais préparer cette potion.

Maudissant une fois de plus l´insouciance de son jeune collègue, Aterlo retourna dans le cabinet. Il commença à préparer l´infusion avec l´eau la plus neutre possible. Elle venait d´une des sources alimentant le lac.

-Quels sont les effets exacts de ce poison –car ici, on considère ça comme un poison ? demanda-t-il à l´Ilymis.
-Ça met l´esprit en désordre. Répondit-il, l´air toujours aussi morose. Avec tout les malaises que ça entraîne. Après mes souvenirs sont revenus les uns après les autres dans le désordre.

Aterlo se contenta de cette réponse. Peut-être la patiente se souviendrait-elle de fragments de sa vie ; peut-être cela suffirait-il à la sortir de sa nouvelle enfance.

Et si son esprit était tout bonnement mort ? Si il ne restait plus dans son âme la moindre trace de sa vie d´avent ? Quel serait l´effet du poison ? Dans le doute, le soigneur filtra une fois de plus l´elixia obscure de la potion.
Inutile de se tordre l´esprit d´avantage sur le risque, se dit-il. Il sucra la potion abondement pour en occulter l´amertume et la faire boire facilement à la grande enfant et l´apporta au Levitis.

La jeune femme la bue sans histoire. Les deux hommes la fixaient, avides du moindre signe, le cœur battant de crainte pour Aterlo et d´espoir pour Gavriel. Le sourire de Fanaa tomba lentement laissant place à une expression de malaise.

Fanaa était maintenant au centre de tous les regards... enfin de ceux des deux personnes dans la pièce en tout cas. Pourquoi ? Elle eut envie de leur sourire mais elle ne réussit qu'à faire une grimace. Elle ne se sentait pas très bien. Sa tête la lançait, la démangeait. Sous son crâne quelque chose s'était glissé et cette chose cherchait, cherchait, grattant, griffant même. C'était désagréable.

La jeune fille se mordit la lèvre et passa sa main sur son front avec un petit gémissement. Elle remonta ses jambe contre elle, posa son front sur ses genoux et se balança un petit moment, mal à l'aise. Cela devenait insupportable.

Gavriel échangea un coup d'œil avec le clerc. Cela faisait effet semblait-il.

La douleur diminua pour redevenir gêne et ladite gêne se déplaça. Fanaa se déplia, se cambra, pencha la tête en arrière et sembla avoir quelque mal à respirer, puis brutalement sa tête revint en avant et...

- Atchi ! tchi ! tchi !

Il y eut trois petits éternuements. Après quoi, faisant la moue mais libérée de la gêne passagère, elle fit comprendre avec force gestes qu'elle avait besoin d'un mouchoir. Abasourdi, Gavriel lui tendit le sien sans réfléchir (par chance il était propre) l'observa se moucher avant qu'elle ne lui retourne son regard. Un regard aussi innocent que depuis qu'elle s'était réveillée ce matin là.

Elle ouvrit la bouche et Gavriel retint son souffle.

- Ciel ?

Echec. Le jeune homme comptait sur le clerc pour lui trouver d'autres drogues. Plus puissantes si besoin. Mais peut-être pas aujourd'hui.

- Messire clerc ? Je ne comprends pas, que s'est il passé d'après vous ?

- J'ai dit que je n'avais pas besoin d'y aller ! Je vais très bien !
- Sauf votre respect, ô vénérée, ce n'est pas que vous n'avez pas besoin d'y aller, mais plutôt que vous ne voulez pas y aller. Et vous êtiez blanche comme un linge il n'y a pas dix minutes.
- Mais là ça va mieux, beaucoup mieux...

On toqua à la porte du dispensaire, et la femme au cheveux écarlates striés de gris que le groupe avait croisée au bord du lac entrouvrit le battant pour passer la tête à l'intérieur.

- Y a-t-il quelqu'un ? Ah, excusez-moi, est-ce que...
- J'ai pas envie d'y aller !

La femme réprima un soupir et attrapa la jeune personne qui l'accompagnait par le bras pour la tirer dans la salle du dispensaire.

- Désolée si nous dérangeons... j'aurais bien attendu dehors le temps que vous terminiez mais...
- Moi je n'aurais pas attendu !
- ... mais voilà.

La femme haussa les épaules avec une moue d'excuse à l'intention du clerc et des personnes présentes, avant de s'adresser à voix basse à sa compagne récalcitrante, non sans rester devant la porte pour empêcher toute tentative de fuite :

- Voyons, Nuade'ilaa, cessez de vous comporter comme une enfant, ce n'est... Ah, il aurait vraiment été préférable que quelqu'un se charge de votre éducation à tous les deux. Essayez au moins de ne pas vous donner en spectacle...

Sous le luxueux voile noir et or qui retombait gracieusement par-dessus un diadème d'une exquise hardiesse, la demoiselle mécontente tapa furieusement du pied.

- J'ai dit que je ne voulais pas ! Vous devez me servir, pas m'obliger à faire ce dont je n'ai pas envie ! Et je veux mon frère !
- Ca suffit ! Vous le retrouverez après, et vous aurez aussi droit à un sermon des Anciens par la même occasion. J4ai dû vous courir après pendant trois jours ! Tout le monde était mort d'inquiétude !
- Mais... Oh, et j'étouffe, là-dessous !
- Seules les prêtresses du temple sont censées vous voir, ô sacrée.
- Mais Denma, il risque de devoir me regarder, lui... et même me toucher.
- Euh, c'est ma foi possible, concéda la femme avec un léger embarras.

Une jolie main à la peau brun-doré jaillit de sous le voile pour pointer un doigt vers le clerc.

- Je refuse d'être touchée par un vieux débris !
- Vieux dé... ?
- J'ai bien le droit de choisir celui qui peut me toucher lors du rituel des lunes de l'abondance, non ?

Denma leva une main devant sa bouche pour voiler son sourire. Un léger nuage carmin se laissa deviner sous le teint hâlé de ses joues.

- Ilaa, ce n'est pas exactement la même chose...
- Ceux du rituel sont les seuls qui aient le droit de me toucher, à part les prêtresses et mon frère. Si quelqu'un d'autre doit le faire, j'estime pouvoir choisir un homme qui...
- Ce ne sera peut-être pas nécessaire, Ilaa, coupa précipitamment la femme.

La jeune fille croisa les bras sous son voile en marmonnant :
- Je préfèrerais quand même quelqu'un qui soit moins fripé... et puis je suis sûre qu'un de nos prêtres aurait parfaitement convenu. Je vous ai dit et répété que j'allais mieux.

- Oh !

Fanaa sauta de sa chaise, s'approcha à petits pas de la forme voilée puis souleva un coin du fin tissu et se baissa pour jeter un coup d'oeil en dessous.

Ravie de ce qu'elle y découvrit, elle le laissa retomber pour passer ses bras autour de l'esprit fille.

- Nuada, amie sacrée !

Relâchant son étreinte, elle prit les mains de "son" esprit de feu et lui pépia qu'elle n'avait pas pu finir la couronne pour Rayah mais qu'elle ne l'oubliait pas. Elle mit Nuada en garde contre les tisanes du vieux monsieur car même si elles n'avaient pas trop mauvais goût, elle avaient des effets bizarres et pas très agréables. Par contre, les petites feuilles sucrées que le clerc donnait étaient bonnes, elles.
Mais le mieux était encore de retourner dehors, il faisait si beau ! Et puis un esprit ce n'était pas fait pour être enfermé, c'était fait pour courir partout, librement, rire, crépiter, pétiller et parfois bénir les gens en les laissant toucher ses cheveux.

- Fanaa.

Elle ne réagit pas, continuant sa petite histoire.

- Fanaa. appela Gavriel pour la seconde fois. Toujours aucune réaction, le jeune fille était très concentrée.

- Fanaa ça suffit ce n'est pas le moment.

Elle se raidit. Celui-là n'était jamais de bonne humeur alors qu'elle faisait tout pour lui faire plaisir. Elle se laissait enfermer malgré elle pour lui et il ne sourirait toujours pas. Elle voulait sortir, elle voulait partir s'amuser avec les esprits.

Fanaa pointa la porte du doigt.

- Sheitan !

- Musique, très chère Adwel, musique ! Kyara peut emmener son violon partout. Le mien... est fragile donc ne peut voyager loin. Par conséquent cela fait trois jours que je n'ai pas joué... ce n'est pas sérieux. Chaque jour perdu et de la maîtrise perdue. Si je continue sur cette pense quand nous rentrerons je ne saurai plus jouer.
Je dois avouer que cela me manque.

Le shalos blond prit un air de chien battu pour continuer :

- Et puis Kyara ne me prête jamais son instrument, elle est intransigeante sur ce point. Quand on pense qu'à la base il m'appartenait, cela elle s'est empressée de l'oublier. Quel ingratitude, ah je suis bien malheureux...

Adwel sourit. La véhémance passionnée du Shalos était tout bonnement admirable. Celui-ci n'était pas comme le grand échalat ou feu son compagnon... Celui ci était d'une compagnie digne d'interet.

La jeune femme avait toujours sur elle les joyaux de son commendataire... mais kyara était la... ce n'était donc pas le moment pour lui donner.

- Et bien allons voir ce que Médiévir peut vous proposer!

La médiovienne emmena d'un pas sur le petit groupe composé de Senril, Kyara et Hakuren. Cette dernière était muette... seul son petit crayon de graphite parcourait des pages qui se remplissaient.

Les rues commençaient a arborer des vitrines décorées. Des bijouteries, des galleries... Des sons et des musiques... des luthiers et autres joaillers. La voleuse s'arrêta devant quelques boutiques.

- Voici les trois meilleurs boutiques de la ville... parait-il. Vous trouverez votre bonheur. La première est plutôt spécialisée dans les instruments a vent. les deux autres sont surtout sur les cordes.

- Vénérée !

Denma resta clouée sur place, les deux mains devant la bouche et les yeux agrandis face à un tel sacrilège : une demoiselle du commun qui serrait la Nuade'ilaa dans ses bras en gazouillant joyeusement, qui lui tenait la main !

- Inutile d'attendre, Denma. Le plafond ne va pas se décrocher pour nous choir sur la tête et les eaux du lac ne vont pas partir en vapeur, fit Nuada avec un petit rire qui fit onduler son voile.
- Mais Ilaa...
- Je lui ai déjà donné la permission.

La jeune fille écouta le babillage toujours confus de Fanaa, comme si elle parvenait à cueillir de ci de là les idées qui se cachaient derrière les mots sans queue ni tête. Finalement, elle posa la main sur la tête de l'étrange demoiselle et lui ébouriffa les cheveux comme elle aurait ébouriffé la fourrure entre les oreilles de Sheitan ou Rayah.

- Shiga, Ti'carra. Sheitan est parti se promener.

Derrière l'écran de gaze miroitante, les yeux verts se posèrent sur le clerc et Gavriel avant de revenir à Fanaa.

- On t'a amenée ici parce que tu es malade, Ti'carra ?

Dans l'une des boutique, Senril remarqua des piano noirs comme l'ébène, blancs comme l'ivoire, couleur bois et même certains d'un bleu rappelant les toits de certaines des demeures ainsi qu'un rouge passion. Incroyable. Le shalos choisit un magnifique noir brillant et demanda à l'essayer. Sa demande acceptée, il s'assit sur le banc au coussin de velours et posa ses doigts sur les touches. La suite...

La suite fut une succession d'émotions. Sa musique faisait tanguer les cœurs et les esprits de ceux qui l'entendaient, il pouvait donner les larmes aux yeux, révolter, et adoucir son public. Telle était la magie de la musique.

Une symphonie plus tard...

- Je savais bien que quelques jours sans toucher au mien me rouillerait les doigts, quelle misère! Cet instrument est superbe. Mais l'acheter pour quelques jours serait une folie. J'hésite. Jouez vous d'un instrument, Dame Adwel ? Quel don artistique avez vous développé, heureuse native de la ville-au-lac ?

Fanaa secoua négativement la tête, elle n'était pas malade.

- Nuada malade ?

Les yeux de de tanzanite croisèrent les yeux d'émeraude avec une expression d'inquiétude. La main blanche se posa tout doucement sur le ventre tandis que le front touchait celui de la fille esprit. Fanaa ferma les yeux un instant... mais le contact fut aussitôt rompu.

Gavriel s'était levé et avait fait reculer la jeune fille. Maintenant il la faisait s'agenouiller et baisser la tête tandis que lui-même regardait le sol.

- Je vous prie de l'excuser ô esprit du désert. Elle ne pensait pas à mal et ne voulait pas vous manquer de respect. Oui Vénérée, Fanaa est malade elle ne parle plus et semble s'être perdue. Enfin je ne vais pas vous raconter ma vie non plus vous avez une consultation je crois. Nous allons donc nous retirer.

*Surtout vu la raison de ladite consultation faut que je m'éloigne vite fait là.*

- Vous êtes un être sacré à ce que cette Dame nous a dit. Malgré que je lui aie menti, si vous pouviez me ramener Fanaa... je jure que c'est vous que je prierais jusqu'à la fin de ma vie.

*On est au dispensaire là c'est pas vraiment le bon endroit pour changer de religion.*

- Enfin j'imagine que nous verrons cela plus tard si nous avons du temps. Je vais vraiment vous laisser maintenant.

Gavriel paya le clerc, lui indiqua qu'il reviendrait pour un nouvel essai puis s'inclina vers Nuada et Denma.

- Mes Dames.
- Nuada !
- Tais toi Fanaa ce n'est pas le moment.

Mais elle ne voulait pas partir, pas sans Nuada ! Ce n'était pas juste de la laisser. Elle devait étouffer et avoir beaucoup trop chaud sous son grand tissu. Même si il était bien joli. Pourtant elle ne lutta pas et se laissa entrainer au dehors.

Sur le pas de la porte, Gavriel la regarda longuement en silence et la jeune fille n'osa pas sourire. Au bout de son examen, il déclara :

- Tu guériras. Tu guériras je te le promets.
- Hmmm.

Pourquoi ne voulait il pas comprendre qu'elle n'était pas malade ? Juste à cause des mots ? Pourtant les mots ça ne voulait pas dire grand chose au fond. Ce n'était pas vital, c'était juste des futilités, comme les rubans ou les souliers.
Mille mots ne remplaçaient pas un sourire.
L'inverse par contre était réel.

Quasiment aucun effet. Cette même substance avait pourtant faillit faire rendre les tripes et l´âme à Graoull-hi, successivement dans cet ordre. Peut-être Aterlo avait-il pêché par excès de sécurité. Fort possible. Il referait la potion en ne la diluant que deux fois.

Il en était à ces réflexions quand deux personnes firent irruption dans le dispensaire. Une dame d´un certain âge, très élégante cependant, mais l´œil du clerc était éduqué à observer les corps, et une jeune fille enveloppée dans un grand voile. La dispute qui opposait les deux femmes indiquait clairement la nature du problème qui les amenait ici. Il ne put empêcher un sourire. Ce cas-là avait le mérite d´être plus conventionnel. Une crise l´adolescence en bonne et due forme.

Il s´apprêtait à proposer aux Fédoriennes de s´installer quelques instant le temps de proposer un second essai au Lévétis quand celui-ci pris congé après avoir imploré l´aide de la jeune femme encapuchonnée. Un peu compulsif, ce garçon, diagnostiqua Aterlo.

Cela avait au moins l´avantage de le laisser s´occuper des nouvelles venues. Visiblement la patiente était une figure importante pour son peuple, et pour qu´une consultation se passe bien, il fallait traiter les patients comme ils en avaient l´habitude. Il s´adressa à l´ancienne en évitant de poser les yeux sur l´adolescente.

-Madame, faites-moi la grâce de m´accorder quelques instants pour que je prépare une salle un peu plus discrète que celle-ci, destinée au commun des mortels.

À l´acquiescement de la fédorienne, il s´empressa de rejoindre son cabinet pour y ranger le fatras de cornues, plantes et poudres qui était sur la table. Graoull-hi leva la tête vers son collègue et le questionna :

-Alors ? Quel fut le résultat ?
-Je l´ai trop diluée, répondit-il, un brin agacé.
Cette nouvelle gonfla littéralement Graoull-hi d´orgueil.
-Dans ce cas je vous laisse les autres « fleures empoisonnées ».
-Il faut libérer cette salle, j´en ai besoin. Répondit-il sans prêter attention à la provocation.

Le jeune homme aida son hôte à ranger la salle et les deux soigneurs sortirent du cabinet. Aterlo retourna vers les fédoriennes pour les inviter à entrer dans l´arrière-salle.

En voyant le clerc revenir, Nuada s'agita avec un peu de nervosité.

- Denma, j'ai dit que je ne voulais pas y aller...
- Allons, soyez raisonnable. Votre petit malaise de tout à l'heure était bien réel, et c'est grâce à cela que vous ne m'avez pas filé entre les doigts, tous les deux. Soyez sage cette fois-ci et les Anciens seront peut-être moins sévères... peut-être qu'ils vous laisseront vous promener dans la ville ?
- Des promenades surveillées, répliqua l'adolescente avec un rien d'amertume.

Elle finit par céder et entra dans l'arrière-salle tandis que Denma expliquait au clerc ce qui les amenait : les douleurs régulières de la jeune fille qui avaient motivé leur voyage vers un pays au climat moins rude, son léger malaise après trois jours à dormir dehors et à manger un peu tout ce qui semblait comestible, etc., etc.

Pendant ce temps-là, perché sur le toit du bâtiment, un garçon aux cheveux flamboyants tendait l'oreille dans l'espoir de saisir quelque rumeur au travers d'une fenêtre mal fermée.

- Fichus vieux schnoques ! Tous pareils !

Il grimaça un peu à l'idée des sermons qui allaient lui faire tinter les oreilles à son retour : refaire le mur à peine revenu... les Anciens risquaient fort de lui coller une taloche, être sacré ou pas.

- Ils n'avaient qu'à me laisser l'accompagner, grogna Nuadi d'un air frondeur, comme s'il faisait déjà face aux têtes blanches des sages. Même si ce sont des "trucs de fille", j'ai le droit d'être au courant aussi. Et si jamais ils veulent lui faire des trucs bizarres, je les fais manger par Sheitan !

Fort de cette résolution, il se pencha d'avantage pour capter les sons qui filtraient faiblement à travers les murs épais. Le "vieux débris" avait intérêt à faire attention à ce qu'il allait faire...