Rues de Fedoran

- Oui Mellyna, bien sûr que je suis là, avec toi.

Fanaa replaça une anglaise blanche derrière l'oreille de la Dedrane. Ce qui était arrivé à Mellyna, dans les grottes, c'était à cause d'elle. Elle l'avait entraînée, se laissant guider par l'Autre et lui avait demandé de l'aide car elle ne pouvait se battre sur tous les fronts. Et depuis lors, Mellyna avait échangé ses beaux cheveux noirs contre une crinière blanche du plus bel effet. Mais cela devait encore lui faire tout drôle quand elle croisait son reflet dans le miroir ...

- Et Monsieur Poussin ? Tu l'as emmené avec toi ? Tu ne peux pas le laisser au Désert n'est-ce pas ?

Elle gagnait du temps. Elle essayait de gagner du temps, mais à la mention d'Earl, l'oeil jaune s'était remis à couler.

- Je suis vraiment désolée pour Thani et toi. Et ça me fait de la peine de t'entendre parler de choses si tristes. J'ai découvert l'amour il y a peu et même si sa perte ronge et détruit, au moment où on le ressent, on a chaud, on se sent transporté et plein d'espoir. Et c'est une sensation à faire tourner la tête. Je te souhaite d'avoir tort et de pouvoir aimer de nouveau. C'est quelque chose ...

Elle leva la tête et ferma les yeux. La larme de sang poissa ses cils noirs.

- C'est quelque chose de spécial. Et je pense que ça doit rendre heureux. J'ai de la peine pour Thani et pour toi. Mais peut-être que parce que tu es une personne hors du commun, il te faut un compagnon qui le soit tout autant que toi, qui soit à ta mesure.

Elle la regarda de nouveau et sourit.

- Et cela risque de ne pas être évident à trouver, tu vaux surement plus que tous les hommes réunis.

*Plus que tous les hommes réels en tout cas* songea-t-elle à part elle.

- Et Earl ...

Sa voix trembla. Elle n'avait pas pensé devoir si tôt reparler de lui. Elle avait pu se confier à Talisham et vider enfin son sac lui avait fait un bien fou. Et elle avait pensé que ça irait mieux, que ce serait plus facile. Elle avait eu tort.

Fanaa ferma les yeux et se força à respirer à fond. La tête lui tournait. Elle s'accrocha aux épaules de Mellyna pour ne pas tomber.

- Avec Earl il ne se passe rien. Il n'y a ... elle s'étranglait ... plus rien ...

Son geste suivant la surprit elle-même : entourant de ses bras le cou de son amie, Fanaa posa son front sur sa poitrine et ne put plus retenir ses larmes, autant les larmes d'eau que les larmes rouges.
Elle ne pensait pas pleurer de nouveau, elle pensait qu'après avoir tout dit tout haut, dans la pénombre de la chambre, tout aurait été plus supportable. Ce n'était pas le cas. La réalité lui broyait le coeur entre ses grosses mains puissantes et griffues.

Talisham avait du mal à suivre deux conversations en même temps, surtout quand l'une se tenait directement dans sa tête.

- Oui, oui Aryllë. Je ne me suis jamais attendu à ce que ce soit simple. Mais je n'avais pas non plus saisi que ça pouvait impliquer beaucoup plus que de la protection et des leçons. Enfin, j'apprendrai je suppose. Hum, un coup de main, de préférence féminin, s'avèrerait très utile pour certains points quand même. Quoi ? Un cristal ? Ça brille au soleil ?

*Oh, moi je ne vous trouve pas si vieille, vous savez...
Une promesse est une promesse, il n'est pas utile de me remercier. Je ne pourrais plus me regarder dans un miroir si je ne respectais pas la parole donnée. - vu de l'extérieur, il rougissait sans raison.
M'aider ? - Le genre d'énigme qui lui avait manqué.
Une amulette, oui, j'essaierai de trouver quelque chose qui fasse l'affaire dans ce cas. Mais je m'efforcerai de ne pas vous déranger inutilement.
Merci, au revoir, portez-vous bien.*

Altarielle partait en le laissant confus. Il lui fallut encore un petit moment pour tourner toute son attention vers l'extérieur. Il regarda autour de lui, un peu comme s'il se réveillait en sursaut.

- Mais où est Fanaa ?

Le coin de la bouche d'Aryllë remonta d'un air moqueur. Elle avait les mains sur les hanches.

- Je vois ... Tu avais omis le facteur "fille". Et non le coeur d'une fille est un cristal parce que c'est délicat, précieux et fragile. Mais si le représente ce garçon pour qui bat le coeur alors oui, l'amour fait briller ce joli cristal de mille feux. Mais ce n'est sans doute pas ce que tu avais à l'esprit. Tal ? Tu es avec moi ?

Elle lui tapota gentiment la main. Quelque part elle avait un petit peu pitié. Il ne savait vraiment pas dans quoi il s'était engagé. S'occuper d'une jeune fille était bien différent de former un petit soldat, de courir le monde après des artefacts ou de garder un monstre assoupi.

- Pauvre Tal. Mais ne t'inquiète pas, ça va aller. Il ne faut pas déjà te sentir dépassé, voyons. Si cette femme t'a confié cette mission, c'est qu'elle sait que tu es capable de la mener à bien. Ou bien alors elle n'en sait rien et elle s'est amusée à te lancer un sacré défi.

Aryllë haussa les épaules.

- Un défi que tu relèveras. Pour cette femme. Pour Ashk. Pour Fanaa elle-même.

Elle fronça un sourcil et posa sa main sur le front de son compagnon.

- Tu es bien rouge, tu te sens bien ? Tu veux sortir prendre l'air ? Et Fanaa elle est ... coup d'oeil à droite ... elle est ... coup d'oeil à gauche ... elle n'est plus là ! Mais je rêve ! Je leur avais demandé de ne pas bouger !

Mellyna serrait Fanaa dans ses bras sans rien dire, la berçant doucement. Elle sentit sa tunique se gonfler de liquide. Qu'elle pleure cela faisait toujours du bien, la tête était plus légère ensuite. Quand les sanglots commencèrent à s'espacer, la dédrane reprit le contact.

-Tu sais ma douce, rien n'est jamais définitif en ce monde. Il y a quelque chose entre vous même si ce quelque chose a changé de forme. Je ne dis pas qu'il faut te rattacher à un espoir : s'il a décidé que c'était fini il faut respecter sa volonté. La fin d'une chose marque toujours le début d'une autre et...

La gardienne se rendit compte qu'elle devait embrouiller la danseuse plus qu'autre chose. Elle même se noyait dans ses explications.

-Ecoute, ce que je veux dire c'est que même si c'est fini avec lui, tu trouveras quelqu'un d'autre. Tu es une jeune fille belle, douce, pleine d'entrain et aimante. C'est un idiot de ne pas avoir su t'apprécier à ta juste valeur.

Elle la tint par les épaules pour la regarder en face :

-Tu me promets d'essayer ?

Elle tressaillit, du sang ! Ce n'étaient pas entièrement des larmes !

-Fanaa ? Ton oeil, tu saignes !

- Encore ?

Fanaa se passa une main sous l'oeil puis considéra ses doigts rougis. Elle resta immobile et silencieuse un moment. Cet oeil, c'était une symbolique, c'était son coeur qui saignait. C'était son coeur ...

Les mots de Mellyna n'avaient pas vraiment été consolants. Elle ne laissait place à aucun espoir, elle lui confirmait, lui certifiait qu'il n'y avait plus rien, qu'il n'y aurait plus jamais rien. Un autre ? Mais Fanaa n'était pas de ces filles qui plaisaient aux hommes. Elle le savait bien. Il n'y avait eu que Syld qu'elle ait jamais réellement attiré. Il n'y avait eu que Syld.

Fanaa lui sourit. Se morfondre, ce n'était ni sain, ni agréable pour les autres. Earl l'avait abandonnée, oubliée, tenté de la réduire au néant. Il n'avait aucune considération pour la personne qu'elle était. Elle devrait vivre avec cela. Pas question de fuir. Il faudrait attendre. Elle attendrait. Son oeil finirait bien par s'arrêter de saigner.

- Ne t'inquiète pas, tout va bien. Ce n'est pas douloureux. - elle mentait - Comme tu l'as deviné c'est un petit souci d'elixia mais rien de grave. On devrait retourner chercher Talisham et Aryllë. J'ai une autre amie en ville que je vais aler retrouver, ainsi je vais pouvoir te la présenter ! Tu viens ?

Il avait à présent retrouvé toute sa tête.

- Je note pour plus tard, le shopping: mauvaise idée.

Aryllë à sa suite, l'elven sortit du magasin. Heureusement, il ne leur fallut que peu de temps pour repérer Fanaa et Mellyna, qui n'étaient pas très loin, et pour se rapprocher. Talisham aperçut tout de suite le sang que la jeune femme s'était étalé sur la joue.

*Voilà qui risque de devenir rapidement problématique.*

Il sortit un nouveau mouchoir, et l'humecta à partir d'une gourde d'eau qui pendait à sa ceinture avant d'être parvenu devant Fanaa.

- Tu sais, - dit-il en se mettant à la débarbouiller - tu es beaucoup plus mignonne sans ce maquillage-là. - il lui sourit.
Tu as fini tes emplettes ?

*Si je ne fais pas attention, ce n'est plus "la Fouine" qu'on va m'appeler, mais "Papa Poule"*

Fanaa sourit à l'elven et lui prit le mouchoir des mains.

- Ca va aller, merci Talisham. Mais je peux le garder, il se peut que j'en aie encore besoin, merci. Les emplettes sont presque finies, je voudrais une dernière chose : une carte d'Adreis. Et puis j'aurai tout.
- Une carte ? Pour quoi faire ? demanda curieusement Aryllë.
- Je n'ai aucune idée d'à quoi ressemble Adreis dans son ensemble. Et je n'ai aucun sens de l'orientation. C'est en cherchant Illymir que je me suis retrouvée à Fedoran alors il faut que j'étudie ça de plus près. Aryllë ? Ta proposition tient toujours ?
- Ma proposition ?
- Pour ça ...

Fanaa désigna le manteau dans la besace.

- Oh oui, bien entendu. Tu es sure cette fois ?
- Il le faut.

La danseuse déplia le grand manteau noir et fourra son nez dans le col en fermant les yeux. Ca sentait Earl, mais ça ne sentait pas que lui. Il y avait aussi un autre parfum, plus lointain, plus ténu. Plus tenace aussi. Le parfum de ... avant que l'émotion qui lui piquait les yeux ne la fasse pleurer de nouveau, elle tint le vêtement à bout de bras.

- Je t'en prie Aryllë. Fais vite. Avant que je ne change d'avis. Vite !

L'elven s'en saisit, trop contente d'effacer une partie de l'indélicat.

- Un dernier mot ?

Il y eut un silence. Elle n'avait pas assez de temps pour faire le tri dans ses souvenirs, dans ses émotions ... bon sang que ça faisait mal ! Vite vite ! Elle songea à leurs derniers instants.

- Adieu homme égoïste et brutal.

Dans la main de l'elven, le vêtement flamba immédiatement. En quelques secondes, le cuir était devenu cendres qui avaient disparu, mêlées à la poussière du sol.

- Allons-y maintenant.

Fanaa entraîna ses compagnons. Elle était un peu trop pressée, un peu trop pressante. Elle n'était pas en paix avec elle-même. C'était assurément ce qu'il fallait faire ... mais il était encore bien tôt ...

Elle trouva sa carte. Ce ne fut pas si facile car elle en voulait une plus grande, une qui montrait tout, et dans tout, Fanaa entendait les terres inconnues d'Adreis. Elle avait rendu le vendeur un peu fou, ne démordant pas qu'il devait y avoir d'autres terres tandis que lui répétait inlassablement que ce n'était pas le cas. Elle avait dû se contenter d'une carte classique, mais la plus grande.

- Et maintenant, Taymir !!! Où est-elle, dites ? Tu vas voir Mellyna. C'est une fille très gentille qui aime dire que le petite déjeuner est le repas le plus important de la journée !

Mellyna suivit la scène sans rien dire, Fanaa n'allait pas bien, ça non. Heureusement que Talisham était là et Aryllë aussi. Elle se sentait impuissante et n'arrivait pas à trouver les bons mots.
C'est en vérifiant sa ceinture qu'elle se rendit compte que du rouge avait coulé dessus. Elle remonta et vit que toute sa tunique était trempée de larmes et de sang. Elle devait avoir une jolie apparence.

-Vous m'attendez deux secondes ? Je vais juste m'acheter une chemise propre.

La gardienne entra dans le premier magasin de vêtements qu'ils croisèrent. C'était une boutique pour homme mais elle n'en avait cure. Jamais de robe, jamais de bijoux, elle se fichait comme d'une guigne de son apparence. Seule exception : le noir autour de ses yeux, comme un souvenir de son enfance et de son ancienne coquetterie.
Elle attrapa la première chemise de couleur neutre et de petite taille qu'elle trouva. L'acheta et emprunta la cabine de la boutique pour la revêtir. Elle plia avec soin la tunique sale, la mit dans sa besace et revint en trottinant vers le groupe.

-Désolée pour le contre-temps. Allons voir Taymir !

[i]Talisham observa la scène du manteau sans rien dire. Il s'agissait manifestement d'une transition importante, que Fanaa devait faire elle-même.
Il fallut ensuite trouver une carte, refaire une boutique...
Il se sentit soulagé quand enfin tout le monde fût prêt.
Il était temps de rejoindre Taymir aux Trois Haches.

vient du Mitz


*Tam tadam, tadididam*
*Tu chantes toi maintenant ?*
*Je te l'ai dit j'apprends beaucoup à ton contact. Etre humain c'est être faible, tu le vois bien. Si tu me laissais faire, tu te sentirais beaucoup mieux.*
*Je préfère me sentir mal mais rester moi-même.*
*Stupide.*

Fanaa se tendit dans l'attente d'une attaque qui ne vint pas. Ce fut tant mieux. Dans la nuit sombre, toutes les rues se ressemblaient, à peine éclairées par quelques torches. Kraa étaient sûrement parti chasser, elle avait perdu son guide. Le chemin du sol ne ressemblait en rien au dédale des toits. Elle n'avait même pas pris note du nom de la taverne d'où elle venait et quand bien même, il était si tard qu'il ne se trouvait dehors personne à qui demander son chemin. Revenir sur ses pas ? Fanaa tourna la tête, mais la route qu'elle venait de prendre disparaissait dans une obscurité qui n'était pas sans lui rappeler Svaär. De plus elle ne se rappelait plus où elle avait tourné. Elle était perdue. Perdue dans Fedoran.
Panique.
Elle voulut courir mais ses jambes répondirent mal, elle était physiquement épuisée. Elle faillit tomber mais réussit à se rattraper à un mur. Elle était vidée de ses forces, avait toujours mal à la tête, n'avait aucune idée du chemin à prendre et était sure que le lendemain, lorsqu'ils ne la trouveraient pas, ils partiraient sans elle. Et que livrée à elle-même, la malchance la ferait tomber sur Mani qui la renfermerait aux Délices, ainsi qu'elle en avait fait le serment. Fedoran, ville de malheur.
Découragement.
Fanaa s'accrocha au mur et tenta encore une fois de donner un sens à ce qu'elle voyait, à reconnaître le moindre indice, le moindre point de repère ... peine perdue.

Un grondement.

De l'orage ? Est-ce qu'il allait pleuvoir ? La danseuse ouvrit des yeux qu'elle ne se souvenait même pas avoir fermés. Il pleuvait. Non, il ne pleuvait pas. C'était juste une impression. La vue brouillée sans doute.

Un autre grondement.
Fanaa tourna la tête et se raidit. C'était le Torah énorme, celui qui était encore plus gros que Sheitan et couturé de cicatrices. Que faisait-il dehors sous la pluie ? Ah non, c'est vrai, il n'y avait pas de pluie. Il n'était pas une grosse peluche ou un gentil chat. Il l'avait assez mal pris lorsqu'elle l'avait traité comme tel alors elle devait faire attention. Ses pattes massives et griffues lui indiquaient qu'elle n'aurait pas droit à l'erreur une seconde fois. Elle chercha quelque chose à dire, puis trouva dans une vieille réminiscence, une formule.

- El Hayat, Raïs.

Puis elle s'inclina. L'énorme fauve s'approcha et la renifla. Elle avait un parfum si inhabituel ! Et puis cette nuit elle rayonnait d'elixia. Pour une bête qui en était gorgée, c'était perturbant, mais pas désagréable. Il avait déjà dîné et puis de toute façon, si il la dévorait, elle ne rayonnerait plus. Ce serait dommage. Ses moustache goutèrent l'elixia étrange. Ca chatouillait. Mais ça faiblissait aussi. Il la flaira encore une fois, puis d'un coup d'épaule il la bouscula pour la faire tomber en travers de son dos. Ce n'était pas dur, elle tenait à peine mieux sur ses pattes qu'un chaton.
Bon. Et maintenant. Si il rapportait son nouveau jouet au Palais, ça risquait de ne pas être du goût de la Reine. On ne pouvait même pas faire ce qu'on voulait avec les deux-pattes. Bon. Bon.
Sur son dos, elle parlait. Elle s'accrochait un peu mieux à ses poils et passait sa jambe par-dessus lui mais elle restait couchée. Bien. Elle n'avait pas fini de s'installer qu'il partit en bondissant. Son flair était excellent. Il pouvait sentir qu'elle avait eu 2 nids cette nuit. L'un ne comportait que son odeur, l'autre en comportait 3 différentes. Après réflexion il se dirigea vers la première tanière. Il était hors de question qu'on lui pique sa trouvaille cette nuit.