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 Alentours de Fedoran

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Taymir La Douce

Taymir La Douce


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Alentours de Fedoran - Page 9 Empty
MessageSujet: Re: Alentours de Fedoran   Alentours de Fedoran - Page 9 Icon_minitimeLun 28 Jan 2013 - 1:25

Le Comptoir.
Après le réconfort de la Taverne, les quartiers excentrés...

Dans les rues excentrées de Fédoran, s'il y avait bien un établissement qui se faisait peu remarquer des passants, c'était bien la boutique de Madame Tilla, ou Le Comptoir comme on l'appelait familièrement. Une bâtisse tout à fait ordinaire comme les Fédoriens construisaient, à la devanture de carreaux salis par une poussière vieille de dix ans, masquant un intérieur que vous ne pouviez découvrir uniquement en poussant le bois usé de la porte.
Dès lors que vous posiez le pied sur le seuil, une puissante odeur assaillait vos narines. Un mélange d'effluves d'herbes pilées, certaines plus malodorantes que d'autres, de formol, de quelque chose qui ressemblait à une vague odeur de putréfaction malgré tout masquée par un encens des plus douceâtres. Ce mélange était des plus prompts à vous donner migraines et nausées pour les gens peu accoutumés, même l'apprentie devait faire abstraction de ce parfum en travaillant. La pièce principale était plutôt exiguë, encadrée par deux immenses étagères de bois, complètement envahies par divers objets. Fioles, pots d'argile, plumes, herbes grimpantes de toutes sortes, poudres, onguents, encens, griffes et des choses indéfinissables dans l'ombre des lieux. Une ombre seulement troublée par la lueur du jour filtrant par les carreaux et les chandelles posées sur les meules ainsi que le comptoir, vers le fond. C'était là l'antre d'une herboriste Ilymis, appellée Tilla par le commun Fédorien, une apparente quinquagénaire encore belle qui tenait son commerce depuis plus d'une dizaine d'années. Très souvent derrière le pan de table qui lui servait de comptoir à compter et recompter les zoris qu'elle possédait, elle avait l'aspect d'une dame plutôt bien élevée, avec son chignon tirant sur l'argent toujours impeccable et sa robe gris souris un peu passée. Généralement quand on s'adressait à elle, Tilla avait un don pour montrer ses bonnes manières et se faire respecter. Très douce, très policée même si son autorité transparaissait durant ses échanges avec son apprentie, Tilla était réputée pour ne pas se laisser impressionner.
Sauf devant les bourses bien remplies.

La guérisseuse avait été engagée de par ses talents mais aussi de ses origines. Enfin ça, c'était ce que son employeuse lui contait sans cesse. La jeune femme n'avait pas souvenir qu'elle lui ait demandé un jour ce qu'elle faisait avant d'arriver à Fédoran. Elle lui avait seulement demandé son nom.
Taymir Oran'n.
Et le nom avait suffi à illuminer le visage de la dame, le parant d'une expression que Taymir n'avait pu définir en la voyant. Elle avait aussi pu lui ouvrir la porte du petit laboratoire de la boutique. Qui était aussi la réserve. Et également la couche de l'Ilymis qui y dormait sur une paillasse entre deux caisses de bois aux effluves étranges.
Payée une vingtaine de zoris la journée, Taymir avait souvent droit à des suppléments quand elle effectuait une course à travers la ville. Généralement, une jolie petite blonde ne suscitait pas de questions, avait coutume de lui dire son employeuse quand elle lui tendait un pot d'onguent ou une fiole à livrer, bien que la jeune Ilymis ne comprenne pas totalement pourquoi les clients ne venaient pas en personne à la boutique chercher leur commande.
Enfin c'était les affaires de la patronne, se disait toujours Taymir en sortant de l'antre de Tilla.

Ce soir-là c'était différent.
Le cœur battant à tout rompre, Taymir posa la main sur la porte, anxieuse à l'idée de croiser l'empoisonneuse à l'intérieur. Oui. A présent qu'elle savait ce qu'elle faisait réellement au cœur de son bureau. Les rares clients qui avaient testés leur produit devant la jeune Ilymis avaient succombé, quelques heures plus tard. Il y en avait même un qui s'était effondré dès lors que la jeune fille sortait de la pièce, laissant planer un profond doute sur les affaires de sa patronne. D'autant qu'elle avait identifié plusieurs noms d'individus plutôt louches sur les registres que tenait Tilla.
« Allez Tay', arrête de tergiverser. Tu entres. Tu prends tes affaires, en piochant dans la caisse en passant, et tu ressors. Voilà c'est super simple quand tu y repenses non ? Ney'la t'attend dehors... Elle est tranquille elle ! »
Enfin il ne lui avait fallu qu'un pas à l'intérieur de la boutique pour sentir cette ambiance oppressante retomber sur elle.
Il faisait sombre, et un profond silence régnait parmi les objets encombrant les étagères.
L'Ilymis sentait son cœur au bord des lèvres tellement elle avait peur de se faire prendre, d'autant plus que si sa patronne revenait et la retrouvait après une journée d'absence sans donner de nouvelles, elle lui ferait chèrement...

* Taymir. Reste calme. Respire, tu veux ?
Oui, voilà comme ça. *

La pièce était vide. Personne. Laissant filer son souffle doucement entre ses lèvres, la jeune fille souleva la tenture ocre qui masquait l'entrée de l'arrière-boutique. Une petite marche. La maison était bien silencieuse, aucun bruit ni au rez-de-chaussée, ni à l'étage.
Les caisses de bois, les étalages, la petite table était toujours là, couverte de papiers et de fioles, de mortiers. Jetant nerveusement un coup d'oeil en arrière, Taymir saisit son sac dans lequel elle roula à la hâte sa couverture élimée et ses quelques vêtements. Elle y fourra également son livre, ses carnets de notes et son herbier, quelques pots de pommade, des herbes séchées, ses maigres économies, tout ce qui pouvait lui être utile. Son bâton de marche aussi, couronné de plumes diversese et de quelques perles de rocaille et de ruban, quitta le mur contre lequel il était posé. A la va-vite, pas d'organisation !
De toutes façons, elle n'avait pas le temps. Ses yeux pervenche parcoururent rapidement la petite pièce qui lui servait de gîte et de laboratoire à la recherche de quelque chose qu'elle aurait pu oublier.
* Non, rien. Tu as tout, allez file ! *

Après avoir endossé son sac, l'Ilymis se hâta de sortir, soulevant le pan de tissu qui servait de porte, retrouvant avec plus d'intensité l'odeur écoeurante de la pièce principale.
Ses sens auraient dû l'avertir. Son intuition aurait dû la prévenir. Elle aurait dû voir ce qui allait arriver. Elle aurait dû pressentir l'impact de la balance de comptoir en cuivre qui allait s'abattre sur sa figure...
Un puissant gémissement de douleur tandis que Taymir tentait de se retenir au bois de l'étagère, la tête comme transpercée de douleur. Une odeur métallique, une sensation étrange qui était en fait celle d'un liquide gluant sur son œil fermement clos, sur son nez endolori, ses jambes en coton et le bruit, la voix furieuse et glacée d'une femme, le son des cuivres qui s'entre-choquaient. Hasardant une main tremblante sur son visage elle sentit du sang, tandis qu'elle reconnut avec une surprise mêlée d'horreur la robe gris souris devant elle.


- T..Tilla !
- Où.étais.Tu.... PASSEE ? Comment OSE-tu revenir ici ? Et en plus en me volant ?? 

Il lui semblait que la voix explosait dans son crâne alors que le métal de la balance vint frapper la chair tendre de son bras, lui faisant pousser un cri de douleur et lâcher les livres qu'elle tenait contre elle.

- Arrê.. Arrêtez ! Taymir ne pouvait même pas empêcher les larmes de dévaler ses paupières à demi closes. Je ne vous ai rien fait !
- Ah oui ? La voix doucereuse de son employeuse était emplie d'une fureur qu'elle pouvait difficilement contenir. On part pendant une journée entière, avec son colis. Et on ne revient pas ? A ton avis, je dois le prendre comment, petite sotte ?
- Je... N'ai pas eu le choix ! 

La seule chose à laquelle Taymir pensait en ce moment-même, outre la douleur, c'était de sortir d'ici sans blessures. Ses muscles étaient tendus, sa mâchoire crispée et la peur grandissait, faisant couler une sueur froide le long de son échine. La respiration précipitée, l'Ilymis tâchait de suivre le balancement de l'instrument que Tilla tenait fermement en main, comme hypnotisée.

- Voyez-vous ça. J'aurais dû m'en douter. Après tout, tu es bien comme ton père. »

Les mots se bloquaient dans sa gorge, les larmes se figèrent au coin de ses paupières tandis que lentement elle se plaqua contre le mur. S..Son père...
Malgré le sang poisseux qui maculait sa tempe, elle fronça les sourcils.


- Je. Vous. Interdis de parler de mon père ! »

A sa propre surprise, sa voix était froide, tranchante, impérieuse même. Même Tilla avait dû le remarquer car elle avait presque fait un pas en arrière en entendant son employée riposter sur ce ton. Un rictus s'épanouit sur la face pourtant encore belle de l'Ilymis, empreint d'aigreur et de rage.

- Oh, voyons ma chérie. Tu sais bien que ton père... Oui le gentil Sven, le papa modèle... N'est pas aussi parf...
- FERMEZ-LA ! »

Le cri avait retenti, aussi fort et féroce que celui d'un lion blessé. La personne qu'était Taymir n'avait plus rien en commun avec celle qui se tenait contre l'étagère de produits, tremblante et pétrie de rage.

- Vous.. Vous avez saisi ? Bouclez-la ! Laissez mon père en dehors de ça ! Sale sorcière !
- H..Ha bon ? On se met au niveau de l'ennemie c'est ça ? Tilla venait de se remettre du petit choc d'entendre Taymir crier. Tu es donc au courant de.. Mon petit business ! Oh.. Ne compte pas sortir d'ici comme ça. Je te garantis que tu vas récolter ton salaire si ..Durement gagné !
- Vous êtes une ordure.
- La véritable ordure, c'est ton gentil papa. Tu connais l'histoire de.. La Secte de la Lune rouge – Elle prit un ton effrayant- … Oh mais oui évidemment, petite oie. La neige tâchée de rouge. L'odeur du sang qui a plané sur la cité pendant des jours. Ton père absent.  Ta mère qui est partie à sa recherche par la suite.»

* Tais-toi, Tais-toi ordure... Je t'en supplie, tais-toi ! *
Sa poitrine et sa tête brûlaient en entendant ces mots. Ces mots qu'elle refusait obstinément d'entendre. Elle ne voulait pas les entendre. C'était un mensonge. Grotesque. Absurde ! UN PUR MENSONGE, son esprit bouillait, les larmes obscurcissaient son âme.
* La ferme ! *


- Pourquoi pensais-tu que ton père valait mieux que les autres ? A ton avis... Où était-parti ton papa ? Cueillir des simples au loin ? Jouer les gentils clercs quelques lieues en contrebas ? Oh nooon.. Non... On le payait. 

* Papa. Papa ! *

- Il faisait d'excellents remèdes. Mais en matière de drogues, ou de potions... Ou même de poisons....

Un rire. Un rire sadique, qui se mua en un cri . La jeune fille venait de se jeter en avant, grognant de douleur, poussant de toutes ses forces son adversaire. Elle réprima un cri de souffrance en sentant les mains abimées de l'empoisonneuse s'agripper à sa chevelure dorée pour se retenir. Un poing qui tentait de l'atteindre mais qui ne fit que déchirer sa lèvre à cause des bagues à chatons griffues qu'il portait. Le son métallique de la balance qui s'écrasait dans la lutte par terre. De longues mèches de cheveux arrachés qui s'envolaient dans l'air chargé d'encens.

- Mais crève ! Hurla Taymir, la vue brouillée par les larmes et les mains agrippant désespérément le col de sa robe souris. Meurs !

Un bruit sourd, celle d'une tête qui heurtait le bois dur d'un parquet branlant. Des coups qui se répétèrent, Taymir à califourchon sur le corps inerte de la femme qui venait de la frapper et qui lui rendait ses coups au centuple, le visage déformé par la haine et par la rancoeur.
Les hoquets, les larmes, les gémissements de douleur et de honte s'échappaient d'elle à flots, brisant son échine. La notion de temps ? Perdue. Plusieurs minutes, peut-etre des heures, la jeune fille n'en avait aucune idée tandis qu'elle était prostrée sur elle-même, sanglotant de tout son soûl.
Tilla était sans connaissance, le visage maculé de sang, le sien peut-être ? Livide, les bleus commençaient à apparaître sur son cou dénudé, ses épaules et son front.
Taymir n'en croyait pas ses yeux, portant ses mains à son propre cou. Si elle l'avait tuée... Un sentiment de désespoir, mais aussi de soulagement mêlé l'inonda alors que ses jambes tremblantes peinaient à la remettre d'aplomb. Ses poumons brûlaient, elle avait besoin d'air, sa poitrine était mûe par un mouvement saccadé, dévorant. Cette … Violence. Ce n'était pas elle ! L'horreur, le dégoût la saisirent avec la violence d'une nausée.

* Sortir... Il faut... Je dois sortir ! *

Se levant comme un petit automate cassé, déséquilibrée, la guérisseuse saisit machinalement ses affaires et en titubant comme une ivrogne elle s'écrasa contre la porte de la sortie, tentant de retrouver son souffle. Sifflante, sa respiration était désordonnée, effrayée et effrayante.

* Respire, Taymir, respire encore, calme-toi... *
* Ton père... *


- Non ! NON !

Passant sa manche sur son visage ensanglantée, elle poussa le panneau de bois, toute tremblante. Ney'la, sa jument, attendait paisiblement juste devant. L'équidé dirigea son regard doux et intelligent vers sa maîtresse qui s'extraya avec peine de cet antre puant, les mains plaquées sur le mur. Elle avait mal.
Elle était mal.
Taymir n'était plus elle-même. La seule chose qu'elle sentit fut le nez velouté de la jument contre son visage, la sensation de son crin brillant entre ses doigts et la chaleur de ses flancs contre ses jambes défaillantes.


- Ney'la.. nerei... Le Mitz... yap yap...

Sa voix chevrotait, s'étranglait. Elle avait peur, elle devait vite partir. Fédoran... Ville de malheurs. Le cheval et sa cavalière prirent le chemin du
Centre, capuche rabattue et souffle éteint.
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