Alentours de Fedoran

Regret ou pas, ça restait une situation particulièrement difficile de devoir mettre fin dans le sang à la vie d'un de ses parents, non ?

*La preuve, il était tout bizarre avant et maintenant il est chamboulé. C'est que ça le touche, non ? Qu'est-ce que tu en penses toi, Syld ?*

Un bruit de verre brisé, puis d'articulation qui craque. Fanaa tressaillit. Elle avait escompté qu'il expulse ses émotions mais pas qu'il se fasse mal. Elle tendit l'oreille. Elle ne devait pas le rejoindre tout de suite, il pourrait prendre cela pour une agression. Elle l'avait emmené ici pour qu'il puisse être seul, alors si elle ne respectait pas cette intimité ...

Fanaa ne quittait pas la porte de la salle d'eau des yeux. Elle allait attendre quelques minutes encore avant d'aller voir, d'accord ? D'accord.

Il n'y avait plus un bruit. Le coeur battant sourdement à ses tempes, Fanaa traversa le salon à pas de loup et rejoignit la porte de la salle d'eau. Elle posa légèrement sa main sur le bois mais ne poussa pas.
Qu'avait conseillé Sheyn déjà ? Quelque chose comme "laisse lui de la place" non ce n'était pas tout à fait ça mais c'était l'idée. Elle faisait trop de bruit, trop près et Earl ne s'entendait même plus penser, alors que ce qu'il voulait, lui, c'était du calme. Si elle poussait la porte, elle aurait envie de le serrer dans ses bras. Mais il n'était pas de ceux que l'on étreint et à qui on dit "vas-y, tu peux pleurer". Non. Il était trop fier pour cela. Ou alors est-ce que c'était une sorte de fierté typiquement masculine ?

*Voilà que je réfléchis encore. Et je suis incapable de savoir si c'est trop ou pas assez, si je suis sur une bonne piste. Si je vais le voir il va prendre ça pour une attaque maternisante et m'accuser de le traiter comme un petit garçon. Après ce qu'il vient de faire, c'est assurément la chose à éviter.*

Lui laisser du temps rien que pour lui. Pour se reprendre par exemple. Ou pour se laisser aller mais sans regard extérieur. Earl était persuadé que tout le monde le jugeait et jugeait tout le monde. Ce n'était pas vrai, mais si il avait été élevé persuadé de cela, il ne pourrait pas se défaire de cette idée. La porte le protégeait, elle n'allait pas lui retirer cette protection. Elle posa tendrement son autre main sur la porte. Elle avait envie d'être auprès de lui, mais ce n'était pas ce qu'il aurait voulu. Elle devait se contenter du bois quand elle aurait souhaité sa joue.
Le visage de Hakuren passa dans l'esprit de Fanaa. Que n'était-elle pas une parfaite Levitis, fabriquée sur le même moule que le jeune homme et donc apte à le comprendre ...




***********

Kenya repéra la belle femme aux cheveux violine, portant un étui à violon. La femme aux nattes s'approcha et observa des morceaux de tatouage visibles sur les bouts de peaux que ne cachaient ni la chevelure ni l'instrument. Des écailles noires. Un reptile ? Un dragon ? Le bassin de la promeneuse ondulait agréablement lorsqu'elle marchait. Mani aurait adoré avoir ce genre de file chez elle. Ultra féminine, sensuelle mais aussi avec une touche de candeur, non ? Kenya était prête à le parier.

Elle se porta à la hauteur de la brune et la salua aimablement.

- Bienvenue en notre chaude ville de Fedoran. Je sais où l'on peut manger pour pas trop mal et pas trop chère, je connais aussi un bon brasseur qui ne paie pas de mine mais qui fait une bière excellente. Et si vous chercher un article en particulier, livre, bijou, vêtement, je peux vous montrer là où l'on trouve ce qu'il y a de mieux et de plus solide et non ce que les commerçants réservent pour les touristes. Ca vous dit une petite visite ?

La porte s'entrouvrit sans bruit et Fanaa jeta un oeil dans la petite pièce. Earl ne bougeait plus, accoudé à la vasque, au sol, des myriades d'éclats brillants et du cuir tâché déchiqueté. Elle se glissa dans la pièce et s'accroupit au sol, un pot vide dans la main.

*ting* *ting* *ting* firent les bouts de verre en tombant dans le pot. Leur son s'étouffa complètement lorsque les éclats tombèrent sur la dépouille du gant qui les avait rejoints.

Le cliquetis des morceaux de miroir ramassés un à un paraissait ne jamais vouloir en finir.

Earl se repassa de l'eau sur la figure. Le liquide détrempait son col, ruisselait dans son cou, lui tirant des frissons.
Il parla sans se redresser, d'une voix rauque mais chargée d'ironie :
- Alors, satisfaite ? J'ai fini par cogner dans quelque chose.

Elle marchait tranquillement quand elle sentit qu'on la regardait. Elle se mit sur ses gardes, seule une personne très entrainer dans l’interprétation du mouvement du corps aurait pu remarquer les légères différences que le buste et les épaules avaient pris. Elle était prête au cas où. Elle ne portait pas d'armes, enfin pas tout du moins comme tout le monde pouvait le voir, épée, dague, autres trucs tranchants ou "assommants". Non, non rien de tout ça, sa première arme était bien entendu son violon, mais dans un corps à corps où on ne lui laissait pas le temps de le dégainer, il ne servait à rien. Elle utilisait une technique rare, qui pouvait, selon l'utilisation que Kyara en faisait, découper, piéger telle une toile d'araignée.
Elle sentit que se n'était pas un regard calculé, juste de la curiosité.

Une jeune femme vint la saluer, elle lui rendit son salut d'un mouvement de la tête.

Citation :

- Bienvenue en notre chaude ville de Fedoran. Je sais où l'on peut manger pour pas trop mal et pas trop chère, je connais aussi un bon brasseur qui ne paie pas de mine mais qui fait une bière excellente. Et si vous chercher un article en particulier, livre, bijou, vêtement, je peux vous montrer là où l'on trouve ce qu'il y a de mieux et de plus solide et non ce que les commerçants réservent pour les touristes. Ca vous dit une petite visite ?

Kyara la regarda, de longs cheveux bruns tressés avec des perles, le teint halé, superbe jeune femme !

- Cela fait des années que je n'étais pas venu ici... Et il est clair que j'ai besoin d'un petit guide, s'exclama-t-elle en souriant, je pense que pour l'instant manger et boire ne serait pas de refus ! Je me nomme Kyara, et toi ?

Fanaa cilla en l'entendant et sa main s'immobilisa au dessus du pot.

- Je suis surtout désolée.

Les doigts s'écartèrent et le bout de miroir rejoignit les autres. Sa panique avait fondu. Elle était plutôt calme maintenant. Enfin "calme" ... relativement quand même. Elle s'en voulait, mais ce n'était pas une situation facile. Chacun réagissait différemment et lorsque ça touchait le Levitis, le coeur prenait laaaaaaaaargement le pas sur l'esprit. C'était son côté passionnel, eau sauvage. Elle n'avait pas encore réussi à bâtir une digue de raison assez solide pour la contenir. Ses paroles dépassaient ses pensées et tout partait en désordre.

Fanaa leva la tête et la tourna vers lui, dans sa position elle lui arrivait à la cuisse. Il était grand, grand et trop brun. Ca aurait pu ne pas être lui. Tendant le bras, elle lui toucha la jambe. C'était comme retrouver son souffle, ce contact. Ca le rendait réel, tangible. Et puis ce n'était pas un geste trop intrusif, ça devrait pouvoir ne pas le faire reculer. Fanaa posa un genou au sol et fit glisser sa main jusqu'à sentir l'étendue de sa paume sur l'étoffe du pantalon.

- Je suis Kenya, enchantée. Allons remplir ton petit creux !

Elle accompagna la Shalos à travers un dédales de rues jusqu'à trouver une petite auberge assez peu remplie car légèrement excentrée par rapport à la zone commerçante.

Les deux femmes s'attablèrent à la terrasse et commandèrent. Tandis qu'elles attendaient leur nourriture, Kenya s'accouda à la table et posa son menton sur ses mains jointes.

- Ainsi tu es déjà venue ici ? Et à quelle occasion ?


****************

Fanaa se mit doucement debout. Son regard passa sur le visage du Levitis mais n'exprima rien -ce qui ne donna aucun indice quant à sa mine- et descendit sur les mains. Sur la main plus ou moins nue.

Bon.

Elle posa sa main sur le col du manteau pour faire mine de l'enlever mais demanda avant de le faire :

- Je peux ?

- Enchantée Kenya ! Je suis venue ici pour parfaire mon apprentissage dans la musique et les instruments, répondit-elle, en faite tout ce que j'ai retenu de la ville, c'est la chaleur, rit-elle, pour le reste je n'ai pas eu le temps de visiter, mon séjour a été trop court. Vu que là, je viens disons pour affaires, je pense que je peux me permettre de visiter un peu...

* et puis qui sait, peut être tomber sur Mickael ! *

Une petite étincelle s'alluma dans les yeux vairons de Kyara a cette pensée. Elle soupira à moitié

- Pour l'instant je ne sais pas trop ce dont j'aurais besoin... Au pire nous verrons après manger, c'est toujours mieux de réfléchir le ventre plein ! dit-elle en faisant un clin d’œil à Kenya

Qu'elle regarda un peu mieux aussi, c'était vraiment un belle jeune femme, elle avait l'air sympathique et simple. Et un petit quelque chose qui plaisait à Kyara, même si elle n'aurait pas su dire quoi pour l'instant.

- Peut être visiter un luthier, s'il y en a un ici...

On apporta les plats, Kyara remercia la serveuse, et la suivit des yeux quand elle s'éloigna, elle avait un joli fessier, une image lubrique lui traversa l'esprit, ce qui la fit sourire et illumina son regard.

- Bon et si on attaquait tout ça ! Son estomac se mit à crier famine. Ah bah je crois qu'il était temps que je m’arrête manger en faite, dit-elle en riant. bon appétit Kenya !

Kyara se mit à manger :

- Et toi, tu es né ici ? demanda-t-elle entre deux bouchées

Kenya repéra le regard de Kyara sur l'agréable postérieur de la serveuse et ses yeux pétillèrent d'amusement tandis qu'elle buvait son thé.

- Bon appétit à toi aussi.

La femme reposa son verre, coupa un morceau de pain pour sa compagne et un autre pour elle-même avant de répondre à la dernière question.

- Oui, je suis une Fedorienne pure et dure. Je ne sais jouer d'aucun instrument et je le regrette, alors j'espère que tu me feras écouter de ta musique. J'aime la musique.

Elle ne put retenir un petit rire en observant la violoniste dévorer son plat.

- Ca va ? Ca te plait ? Attends voir les pâtisseries qu'ils apporteront pour le dessert, tu m'en diras des nouvelles !

Kenya se contentait de pain pour le moment. Elle n'était pas très riche et de toute façon n'avait pas vraiment faim. Ses yeux marron se délectaient de l'appétit de son agréable voisine de table. Kyara était vraiment belle. Amusante et ouverte aussi. Elle était de ces rencontres qui embellissaient une journée.

**********************


Silence. Immobilité. Mais ce n'était pas du calme ou de la paix, non. Earl semblait en état de choc.

*Ne le secoue pas, ne le perturbe pas. Il faut y aller en douceur.*

Fanaa l'embrassa sur le front et se releva. Kenya avait dit qu'elle faisait des massages maintenant. Elle devait donc avoir quelque part des huiles ou des onguents. La jeune fille ouvrit les placard, sentit les flacons et choisit celui aux vertus apaisantes.
De retour auprès du Levitis, elle lui ouvrit lentement la chemise et la fit glisser en prenant toujours garde de ne pas faire mal à la main réparée. Elle fit couler quelques gouttes d'huile sur son index et, a genoux face à lui, elle posa son index sur son front entre les deux yeux et se mit à tracer des cercles concentriques en appuyant juste assez pour que le liquide pénètre la peau. C'était un des points sensés détendre la personne.
Après quelques minutes de cet exercice, elle se déplaça pour saisir la main valide, y versa l'huile et prit soin de masser chaque phalange de chaque doigt avant de passer à la paume puis au dos de la main, de remonter le long de l'avant-bras en prenant tout son temps, de passer le coude de monter encore pour atteindre la première épaule.
Se ménageant un espace entre le mur et Earl, elle s'y glissa, le fit se courber vers l'avant et massa le bas de son dos puis remonta, passant d'un noeud à l'autre et grimpant jusqu'à la nuque puis redescendait. Elle arrivait à les dénouer, mais la plupart se reformaient une fois qu'elle les avait dépassés, alors elle y revenait. Cela pouvait-être sans fin, proportionnellement au nombre de soucis qu'il gardait enfermé en lui, mais elle se prêtait à la tâche avec plaisir. Et puis elle avait le temps.

Le massage lui semblait un bon choix. Cela ne demandait pas de paroles et même si elle pouvait mettre ses sentiments dans ses gestes, ce n'était en rien aussi intrusif, aussi direct qu'un baiser. C'était un présent qui ne demandait rien en retour, qui se contentait de se donner. Elle avait hésité à lui passer de l'eau sur le visage et dans le dos, mais il eut pu le prendre de travers et l'accuser de le laver comme un enfants. Elle souhaitait pourtant tout sauf le blesser. Fanaa se forçait au professionalisme et à la neutralité mais c'était dur. Ses mains sur la peau dorée pétrissaient les muscles tandis qu'elle s'imaginait se laisser glisser et passer ses bras autour de lui et le serrer très fort, glisser ses doigts dans les cheveux en se rappelant leur blancheur d'origine, effleurer les paupières, les joues, le dévorer des yeux, l'enlacer encore, oser de nouveau goûter ses lèvres et trembler d'émotion et de passion ... Mais cela devait rester de l'ordre du fantasme. Ce n'était pas le moment. Ce ne serait peut-être jamais plus le moment d'ailleurs. Après ce qui s'était passé au Sanctuaire, comment savoir ce qu'il ressentait face à la possibilité qu'une femme le touche ? Chacun réagissait différemment mais les agressions étaient difficiles à gérer. Elle l'avait embrassé, depuis. Une fois. Son manque de réaction manifeste lui avait montré qu'il n'était pas encore prêt. Alors elle faisait attention de ne pas se laisser aller. De rester proche de la limite mais sans la franchir.
Ses mains pourtant la trahissaient, prenant leur temps plus qu'il n'aurait fallu, s'attardant chaque fois, les paumes douces et tièdes parcouraient l'épiderme en laissant dans leur sillage les ombres des baiser brûlants qu'elle y déposait par la pensée.

Un animal. Un animal rétif. C'était ainsi que l'avait décrit Sheyn, non ? Une sorte de fauve ... mais avec des écailles.
Y aller doucement. Il fallait toujours y aller doucement. Avec mille précautions, et encore plus avec lui.

Les larmes qu'il laissa bientôt couler touchèrent Fanaa, lui déchirant le coeur et elle fit un gros gros effort pour ne pas se laisser submerger. La Chandlune n'avait pas besoin d'être empathe pour être réceptive à certaines émotions, elle était seulement très sensible, surtout quand lesdites émotions reflétaient ce qu'elle ressentait à l'intérieur.

Seulement là, il ne fallait pas pleurer. Alors elle se força bien vite à chasser les premières vagues de chagrin. Mur. Protection. Barrière. A ce moment là, Earl montrait un peu de vulnérabilité et il détestait ça. La situation était tendue et très très délicate. Elle ne devait pas être maternelle. Et sur ce point elle tiquait. Ce reproche-là était le plus perturbant de tous. Stupide, écervelée, énervante, soit. Peut-être. Mais maternelle ? Si être maternelle signifiait se comporter comme une mère, comme sa mère, alors c'est qu'il y avait un problème. Fanaa n'avait jamais songé qu'elle puisse être comparée à sa mère sur un tel plan. Ca ne collait pas. Ca n'allait pas. Et elle se devait de réfléchir trois fois plus à sa façon d'agir avec le Levitis maintenant. Tous les gestes qu'elle aurait fait sans réfléchir sans cette accusation elle devait les analyser plusieurs fois afin d'estimer si oui ou non ils pourraient le fâcher. Et il semblait à la jeune fille que tout geste qui dépassait la limite qu'elle s'imposait depuis l'agression pouvait, pour lui, être interprété comme "maternel". Non, vraiment, c'était perturbant.

Fanaa tenta de chasser son trouble et de se vider l'esprit. Elle devait être transparente, presque invisible.

*Earl ?*

Elle inspira profondément.

*Earl.*

Puis elle expira.

*Earl Nereyn.*

Sa main remonta très doucement pour se plaquer précautionneusement derrière l'endroit où était placé le coeur. Fanaa en sentait les battements dans sa paume.

*Minh Bran.*

Très doucement, sur ses gardes, millimètre par millimètre, elle s'inclina jusqu'à épouser de son buste l'arc du dos et poser sa joue sur la peau chaude et dorée. Elle ne s'appuya pas, se contentant d'un infime contact. Elle ne voulait pas peser sur lui mais lui montrer qu'elle pouvait être à ses côtés sans prendre trop de place, en respectant son silence et l'intimité de ce qu'il voulait garder pour lui. Qu'elle était capable d'être là, juste là, aussi discrète et douce que la caresse d'un pétale de fleur ou d'une plume d'oiseau.

Kyara regarda Kenya :

- Tu n'as pas faim ? J'ai l'impression d'être une goinfre pour le coup... T'es sure que tu ne veux pas quelque chose d'autres que du pain ? C'est moi qui régale ! s'exclama-t-elle en lui souriant. Quand à la musique, je sais jouer de beaucoup d'instruments, mon préféré est le violon bien sur, dit-elle en montrant son dos, mais je joue très bien de la harpe et aussi du piano, même si je ne suis pas aussi douée que mon Maitre pour cet instrument... Et puis j'apprends vite, c'est peut être pour ça que le Maitre m'a pris comme élève, car j'étais déjà plus âgée que tous les élèves que j'ai croisé pendant mon voyage d'apprentissage... Mais si tu veux je pourrais te montrer mes talents, enfin peut être pas ici, je risquerais d'attirer du monde, et ce n'est pas forcément ce que j'ai envie en ce moment, s'exclama-t-elle en riant doucement.

Kyara finit son assiette, c'est vrai que c'était super bon ! Mais ça l'embêtait qu'elle soit la seule à manger...

Fanaa gênait. Elle était de trop dans cette petite pièce, le sentait. Le Levitis n'avait pas besoin d'elle. Il n'avait besoin de personne, ou du moins voulait-il le croire et agissait-il toujours comme si c'était le cas. Afin de respecter sa façon d'être, Fanaa s'éclipsa de la salle d'eau, aussi discrètement qu'un courant d'air. C'est à peine si la porte bougea.

De retour dans le salon, elle s'assit au sol en tailleur, adossée contre le mur, tira à elle une feuille blanche et la regarda longuement. Rien ne lui venait à l'esprit. Dessiner au crayon sur un petit bout de papier encore ne l'inspirait pas. Elle avait des envie de couleurs, de grandes toiles tendues et de fresques murales. Elle voulait voir grand ... pourtant il fallait se contenter de peu. Il restait du thé froid au fond de la théière. Fanaa s'en servit une tasse, y plongea le doigt et de ce pigment elle commença à brunir la feuille, regrettant de ne pas posséder de pinceau.



*************


Kenya sourit franchement.

- Ton offre est très généreuse Kyara. Mais je ne peux accepter ta charité alors que j'aurais voulu moi-même t'inviter. Cela m'ennuierait plus qu'autre chose. Vraiment. Mais merci. Ah, voici le dessert. Ensuite nous irons chez un luthier et tu me feras écouter tes talents. J'ai vraiment hâte tu sais ! J'imagine déjà tous les passants envahir la boutique simplement pour t'admire, t'applaudir et danser !

Cela eut le mérite de stopper net le Lévitis.
Il resta figé une seconde avant de baisser les yeux vers Fanaa avec autant de raideur que s'il avait eu le cou pris dans un gorgerin de maille. On aurait presque pu entendre le grincement de vieux rouages mal graissés.

Ses narines se dilatèrent dangereusement tandis qu'il prenait une profonde inspiration, puisant dans ses ultimes réserves de retenue pour s'exprimer d'un ton à peu près normal. Seule son expression et sa façon de détacher les syllabes trahissaient la fureur qui bouillonnait à l'intérieur de lui.

- Je peux savoir ce que tu comptes faire, là ?

Les yeux dorés s'étaient étrécis, leur teinte avait foncé. Une tempête approchait ... Normalement elle aurait reculé et baissé les yeux. Mais elle avait promis de faire des efforts.

Ses doigts pressèrent son bras et elle soutint son regard.

- Je t'accompagne, naturellement. Je reste avec toi.