Entre Shalanos et la Taverne de Veis

HRP : venant de chez Soghann & Syld

****** Une heure plus tard, sur la route de la Taverne de Veis ******

Soghann et Syld parlaient de choses et d'autres, tuant le temps du trajet. La route n'était pas précisément déserte, le soleil approchant de son zénith, mais la majorité de ceux qu'ils croisaient préféraient se décaler légèrement sur leur trajectoire afin ne pas avoir à passer trop près des deux assassins.

Pour ce qui est de tes... chemises, j'ai une théorie. Figure toi que chaque fois que tu fouille tes armoires, tu balance tout en dehors, puisque tout est trop mal rangé pour s'y retrouver d'une manière différente.

Seulement, comme tu es trop "pressé" pour plier et ranger le reste, tu réenfourne les pauvres chemises en vrac entre les étagères. Du coup, lorsque tu en cherche une nouvelle, rebelotte.

Mais comme je te soupçonne de ne jamais trouver le courage de ranger les dites armoires -qui doivent, en plus, cacher un certain nombre de chose-, je me dis qu'il serait peut-être profitable d'engager quelqu'un pour le faire. Tu sais, quelqu'un qui tiendrait la maison pendant nos voyages. Qui s'occuperait des corvées, qui préparerait la maison pour notre retour...

S'interrompant brusquement, Soghann secoua brusquement la tête afin d'en effacer l'air rêveur.

Non mais, à quoi je pense, moi ? Engager quelqu'un à Shalanos ? Autant mettre tout le butin sur le pas de la porte ! D'autant qu'il y a largement assez pour disparaître et aller se refaire une vie loin, très loin de nos lames...

Se rendant compte qu'il avait peut-être parlé trop fort, il jeta un coup d'oeil suspicieux vers le pauvre marchand qui passait avec sa carriole dans le sens opposé au leur. Le dit marchand se mit alors à siffler de toute la puissance de ses poumons et à transpirer à grosses gouttes. Certainement pour montrer qu'il n'avait rien, non rien du tout, entendu.

- C'est sûr qu'à moins de demander à une de mes "admiratrices"...

Syld décocha un sourire guilleret au marchand qui devint tout pâle, et la carriole partit en trombe sur la route, bondissant d'ornière en ornière au risque d'en perdre tout son chargement.
On aurait dit que le malheureux commerçant était poursuivi par les armées valnoriennes au grand complet...

Le jeune homme plongea les mains dans ses poches, le nez en l'air et l'air tout empli d'une inaltérable confiance en ses charmes.

- Pas une de ces mignonnes n'irait fuir la maison avant que je ne revienne. Enfin... le problème c'est qu'elle deviendrait... encombrante. Je veux dire que les femmes ont parfois tendance à être possessives et... heu, voilà, quoi.

Il fit sauter dans sa main une pomme qu'il avait sans doute empruntée à un panier de passage, et mordit dedans à belles dents.

- Che crois... Juteuse à souhait, cette pomme... Je crois qu'on peut définitivement abandonner cette idée.

Il balança le trognon par dessus son épaule et prit un air encore plus ravi.

- Ah, nous voici presque arrivés ! Eh ?

Cette dernière exclamation était motivée par une vision des plus étranges : un sorcier-qui-n'était-pas-un-Ilymis à genoux devant la porte de la taverne, encore tout emperlé de rosée nocturne et semblable à une statue décorative d'un goût discutable.

- Ca doit être une sorte de prière bizarre...


[HRP]Suite de l'aventure[/HRP]

Syld était tout grognon.
Cela acheva d'éteindre le feu intérieur de Fanaa. Sa réaction lui montrait à quel point il avait été insensible à ce qui était passé entre eux. Peut être même avait il trouvé cela désagréable au fond.

Soghann, avec une voix et des gestes en désaccord total par rapport à son aspect sombre (mais ô combien doux et rassurants cette voix et ces gestes), lui indiqua qu'ils ne comptaient pas l'abandonner. Ils l'avaient retrouvée c'était sûr! Quel soulagement!

Fanaa lui sourit et allait le remercier quand, glissant ses mains sous sa cape, il caressa sa peau et d'un geste preste, arracha ses derniers lambeaux de tissus. Refermant la cape, il cacha bien vite son corps qui n'était plus vêtu que de fine dentelle couleur de myosotis.

- Mais Soghann... pourquoi tu as fait ça?

Il sembla que c'était l'heure du départ. Syld avançait déjà, suivi de près par l'assassin aux grandes quilles. La jeune fille les observa un instant, puis sautilla à leur suite.
Se plaçant entre eux, elle leur saisit une main chacun et se remit à babiller.
Si les shalos s'étaient imaginé faire le chemin en silence, c'était plutôt raté.

- Et c'est loin shalanos? Vous savez, on dit que eul un shalos peut retrouver l'entrée. Enfin une des entrées, y en a plusieurs. Et vous savez, elle son gardées. Enfin je crois, sinon qui empêcherait les étrangers de rentrer? mais à la réflexion, peut être qu'il n'y a pas de sentinelle. c'est vrai si il y a des gens, ça se remarque plus facilement, non? Qu'en pensez vous? Et vous croyez que les sentinelles -enfin si il y en a bien sûr - vous croyez qu'elles connaissent les visages d'absolument tous les shalos? Parce que bon, ils doivent être nombreux quand même.
Ils savent siffler les gardiens? Ils doivent s'ennuyer quand même. Peut être que les oiseaux leur répondent?

Emboitant le pas à Syld, Soghann laissa Fanaa lui prendre la main, lorsque celle ci commença à poser des questions en rafale. L'assassin leva les yeux au ciel, sans pouvoir s'empêcher de sourire de l'enthousiasme de la jeune femme. S'arrêtant brusquement, il serra davantage la main et tira pour ramener la jeune femme vers lui. Elle se retrouva plaquée contre son torse, et le Shalos en profita pour placer son autre main derrière son dos tout en posant ses lèvres sur les siennes. Après quelques instants, il la lâcha, souriant, et posa l'index de sa main libre en travers des lèvres de Fanaa. D'un murmure, il lui dit :

Ne pose donc pas tant de questions... Tu découvrira tout le moment venu.

Puis, son sourire s'élargissant, il poursuivit d'un ton un peu moins conspirateur :

Et puis, ce serait gâcher la surprise, non ?

La mitraille de questions avait laissé Syld un tantinet ahuri, puis avait fini de faire disparaître ses derniers lambeaux de mauvaise humeur.

Soudain, Soghann attira Fanaa à lui... et Fanaa refusant de le lâcher, le jeune étourdi fut à deux doigts (ou deux orteils, au choix) de se casser la figure. Ses bottes étaient encore un peu glissantes à l'intérieur...

Il éclata de rire en voyant de quelle façon son compère avait décidé d'éluder toutes les interrogations de la demoiselle.

- Hep ! Mais c'est ma technique, ça, espèce de copieur !

Syld se figea tout net.

- Ah bah oui... depuis le temps qu'on n'avait rien croisé d'hostile, il fallait que ça nous tombe dessus ce soir !

Il coula un coup d'oeil du côté de Soghann et avala sa salive avec un petit frisson. Nul besoin d'être devin pour comprendre que son compère était momentanément hors course.

- Mais merde, quoi...

Pourquoi fallait-il que ce soit à lui de jouer les héros ?
S'il y avait une divinité quelque part qui régissait le destin de chaque Adrésien, elle devait vraiment se payer sa tête...

Son premier geste fut de pousser Fanaa à l'abri derrière l'arbre le plus proche... mais cela revenait à prendre le prochain sort de plein fouet, et il n'avait pas la moindre idée des capacités défensives de la donzelle une fois seule.

Syld pesa le pour et le contre le temps du battement de cil.
C'était risqué, et surtout c'était très Shalos comme plan. Non seulement il passerait pour un goujat égoïste et cynique s'il se plantait, mais en plus il aurait vraiment l'air malin...

Et puis flûte !

Il laissa Fanaa là où elle était et, tandis qu'elle retenait bien malgré elle l'attention du Leuhi, il détala sur le côté. Sans ralentir, il s'empara d'une longue, lourde et solide branche qui gisait dans le fossé.

Non, franchement, il allait avoir l'air con...

Avant que le monstre ait eu le temps d'achever son incantation, le Shalos l'avait contourné et fondait dans son dos en faisant tournoyer son arme improvisée.

Il n'aurait jamais eu le temps d'arriver assez près pour l'attaquer à la griffe.
Du moins, il n'y serait pas arrivé avant que le sort ait été lancé.
N'empêche que c'était une situation profondément ridicule...

" Qu'est-ce que je ne ferais pas pour les beaux yeux d'une fille ? Je suis vraiment..."

La branche dessina un arc de cercle à l'horizontale en sifflant, droit vers la tête flottante de la créature. Avec un peu de chance, il l'expédierait au loin... non, avec vraiment beaucoup de chance...

"... irrécupérable !"

Fanaa n'eut pas le temps de se réjouir de sa victoire sur le monstre, horrifiée qu'elle fut de l'état de Syld.

- Oh non!

Toute couleur quitta son visage et elle se précipita vers le shalos à terre. Elle pleurait, mortifiée de ce qu'elle avait fait.

- Syld je te demande pardon, je ne voulais pas...

Toujours couvrir le blessé pour ne pas qu'il attrape froid. Ne pas laisser la plaie saigner. Elle retira le couteau de l'épaule de Syld en tirant d'un coup sec, déchira sa manche de chemise, enleva sa propre cape et en déchira une bande à l'aide dudit couteau. Elle entoura en serrant du mieux qu'elle put l'épaule blessée puis mit le reste de la cape sur les épaules de l'assassin. Les larmes brouillaient sa vue et elle les essuyait avec des gestes exaspérés mais elles continuaient de couler.

Elle attira le chenapan contre sa poitrine (l'épaule saine contre elle et l'autre qui ne touchait rien) et couvrit son visage d'une multitude de gouttes salées et de petits baisers, tout en murmurant des "pardon" tout à fait désolés.

- Gnnrgh...

Syld faillit tourner de l'oeil lorsque Fanaa retira le couteau.

"Vraiment... quand je disais que c'était une chance que tous ses poignards ne soient pas empoisonnés..."

Il avait eu vraiment chaud.
Même sans voir l'emplacement exact de la blessure, il pouvait dire qu'il s'en était fallu de bien peu pour que Couic ! adieu l'assassin coureur de jupons...

- Aïe... non, Fanaa... ce n'est rien... C'est moi aurait dû faire plus attention...

Ciel ! Même dans cet état, il jouait les preux galants !

- Vraiment... rien du tout...

Une sueur froide lui coulait entre les omoplates.
Les couteaux de Soghann étaient vraiment bien affûtés, il pouvait le certifier.
Si Fanaa ne l'avait serré avec une belle ardeur tout contre elle, il aurait glissé au sol comme un tas de chiffons.

Incorrigible flambeur, il trouva quand même assez d'énergie pour lever un pouce avec un sourire tout sauf convaincant.

- Je vais très bien... vraiment super... je t'assure... vu bien pire que ça...

Il la fit sourire malgré les cascades de ses yeux.

- Tais toi idiot. Ou j'utilise contre toi la technique de Soghann. Sois mignon, reste calme, ne bouge plus. Je suis là.

Elle caressa les lèvres du shalos du bout des doigts et le regarda tendrement.

- chhht... tu veux une berceuse?

Le montre mort, Soghann reprit rapidement le contrôle de ses yeux. Il jeta un œil prudent par dessus le rebord de pierre, puis sorti de sa cachette. Rejoignant en quelques pas assurés le couple, il s'accroupit à côté de Syld, écarta doucement la jeune femme de l'assasin afin de pouvoir examiner la blessure. La tache rouge qui maculait le tissu le renseigna sur l'emplacement, et il se mordit la lèvre inférieure en arrivant à la même conclusion de Syld : c'était passé à un cheveux !

Se voulant rassurant, autant pour Fanaa que pour Syld, il hocha la tête de de lancer avec un sourire :

ça va... Tu t'en sortira. Une cicatrice de plus ajoutera à ton charme d'aventurier !

Par contre, c'est pas le moment de faire le difficile.

Arborant toujours son sourire, il glissa une main dans sa veste et en sorti une flasque d'acier, celle qu'il avait proposé à Ling, quelques heures plus tôt. Du bout des doigts, il la dévissa, avant d'en humer rapidement le goulot. Profitant de la faiblesse passagère de Syld, Soghann renversa la tête de l'assassin en arrière et lui ouvrit la bouche d'une main, y versant quelques gorgées de la bouteille qu'il tenait de l'autre.

A appliquer à l'intérieur...

...puis en versa un peu sur le bandage, à l'emplacement de la tache. Aussitôt, une très forte odeur se répandit, et une très légère fumée monta de la blessure.

Comme à l'extérieur !
Voiiiiila, ça va mieux, non ?

N'attendant pas la réponse, qu'il savait sans doute capable d'heurter la sensibilité des plus jeunes, il prit lui même une gorgée de la fiole, la revissa et la rangea. Récupérant son couteau laissé de côté par Fanaa, il chercha ensuite du regard le cadavre du monstre. Il s'en approcha, le retourna du pied et admira les blessures.

Très joli !

S'accroupissant de nouveau, il arracha ses deux projectiles d'un coup sec, avec un bruit un peu écœurant d'acier raclant sur l'os et dans la chair. Après avoir nettoyé les trois lames sur les oripeaux du monstre et les avoir rangées dans sa veste, il se redressa et jeta un œil en arrière, vers Fanaa.

**Habileté, ou coup de chance ? Vu le résultat du troisième tir, ce doit être de la chance.**

Syld n'eut pas le temps de prévoir ce qu'allait faire Soghann.
Et ce fut sans doute aussi bien.

L'alccol mouillant le bandage improvisé par Fanaa lui causa une douleur cuisante. Le Shalos se crispa brusquement entre les bras de la jeune femme, les semelles de ses bottes dérapèrent sur le sol durci du chemin, et une exclamation étranglée lui échappa.

Il rejeta la tête en arrière, haletant.

- Sogh... Soghann... espèce d'enfoiré... pas de main morte...

Entre deux quintes de toux, sa voix ressemblait à un croassement.

S'il n'avait eu la gorge brûlée par le feu de l'alcool, il aurait probablement agonisé son comparse d'injures...
... même en sachant parfaitement que ce que Soghann avait fait était nécessaire.
Les plaies les plus propres pouvaient s'infecter rapidement.

N'empêche...

Le jeune homme toussa encore une fois, puis se laissa aller en arrière.
Son coeur tambourinait à une vitesse folle. Il avait très chaud et sa vision se troublait.
Ce n'étaient-là que des réactions normales au choc.
Avec le métier qu'il pratiquait, il aurait dû avoir l'habitude... mais il ne s'y ferait sans doute jamais.
Il allait encore se faire traiter de petite nature...

- C'était bien ma journée...

Et ce fut sur cette parole fataliste et ô combien juste que messire Shalos perdit conscience pour de bon.

Quand Fanaa vit Syld perdre connaissance, elle réalisa combien il devait souffrir. Et dire que c’était par sa faute à elle ! Elle s’en voulait énormément. Encore plus que ça même. Son coeur se tordait de douleur et elle ressentait un besoin irrépressible d'expier son crime. Mais Soghann avait récupéré tous ses couteaux.

Fanaa rampa vers Soghann et s’agenouilla face à lui. S’accrochant à sa veste pour être sûre d’avoir son attention, elle lui dit :

- J’ai fait couler le sang de ton compagnon, ton ami. Je suis impardonnable. Il faut maintenant que tu fasses couler le mien. Frappe fort, je le mérite.

Elle voulait avoir l’air ferme et forte… mais avec Soghann c’était trop dur. Pleurant de nouveau (elle s’en serait bien passé) elle ajouta :

- Mais je te promets que je ne voulais pas lui faire du mal ! Ni à toi, jamais !

Elle baissa la tête en une attitude résignée. Et aussi pour cacher son visage. Et ne plus voir le sien. Ces yeux bleu glace qui pouvaient pétiller, ce masque impassible qui tombait parfois pour révéler une surprenante douceur d’expression. Si elle l’avait de nouveau regardé, elle aurait craqué, elle aurait fondu. Elle aurait fat preuve de faiblesse. Il ne fallait pas. De sous sa chevelure sortit sa voix, à peine tremblottante.

- Frappe, Soghann...

Soghann laissa Fanaa saisir sa veste, s'agenouiller devant lui et réclamer sa punition. Ne s'y attendant pas, il ne sut tout d'abord pas comment réagir. Dans un recoin de son esprit, il se félicité d'avoir récupéré ses lames, sans quoi elle se serait chargée du travail elle-même, comme à la rivière. Elle commençait à prendre l'habitude de se servir de ses armes sans son autorisation et cela l'irritait profondément.

Prenant son menton de la main gauche, il la força à lever la tête pour le regarder dans les yeux. Une étincelle de colère y brillait, et le reste du visage était fermé, impassible. D'un geste parfaitement calculé et suffisamment rapide pour qu'elle ne le voit pas arriver, il lui flanqua une claque magistrale dont l'écho résonna un instant dans un silence de mort, les oiseaux s'étant tût à l'approche de la nuit. La force du coup la fit chuter sur le sol, juste à côté de Syld évanoui. La saisissant sans douceur par un bras, il la redressa et la força à regarder l'assassin. D'un ton agressif, il lui fit :

Regarde ! Et ce qu'il va mieux, maintenant que je t'ai frappé ? Est ce qu'expier change quoi que ce soit à son état ?

Il l'obligea ensuite à pivoter, pour qu'elle n'ait d'autres solutions que le regarder dans les yeux, où ne brillaient plus la colère, mais une ferme détermination.

Alors maintenant, tu va me faire le plaisir d'arrêter ces âneries. Ce n'est pas un jeu. Prendre une pénalité ne fera rien revenir en arrière, que ce soit toi ou quelqu'un d'autre qui te l'inflige.
J'apprécierais aussi que tu cesse de te servir de mes armes inconsidérément. Tu as eu de la chance cette fois ci, mais elles ne sont pas faites pour être utilisées par des novices ! Tu aurais pu tous nous tuer !

Les reproches faits, son expression changea brutalement, ses traits durs fondant devant l'expression de détresse de la jeune femme. Sa poigne se faisant plus douce, et, posant sa main droite sur la nuque de la jeune femme, il l'approcha de lui et se mit en devoir de sécher les larmes qui lui maculaient les joues, par une multitude de baisers très légers. Enfin, il posa la tête de la Dédrane sur son épaule et la serra contre lui d'une étreinte qu'il espérait réconfortante.

En plus, il va falloir que je le porte, maintenant...

Il y eut d’abord un silence qui semblait prendre un malin plaisir à s’étirer de tout son long, laissant Fanaa dans l’attente.

Enfin, Soghann réagit. La jeune fille se retrouvé jetée au sol par la violence du coup. Sonnée, elle voyait de petite lumières danser devant ses yeux. Elle sentit entre son nez et sa lèvre supérieure un liquide tiède et poisseux : du sang.

Le grand shalos la releva tout aussi brutalement par un bras la soulevant presque du sol, la força à regarder Syld. Devant le visage trop pâle et immobile, Fanaa eut un sursaut de panique. Et si elle était une meurtrière ?
Elle voulut le toucher, lui dire de se réveiller… mais Soghann ne lui en laissa pas le temps. La faisant pivoter vers lui, il lui lança un regard étincelant de fureur tout en lui interdisant de ne jamais retoucher à ses couteaux. Il ne criait pas mais dans sa voix sourdait une fureur grandissante.
Sous le choc, elle ne songea même pas à se défendre en rappelant qu’elle avait occis le monstre. Elle avait là le visage du shalos en colère. A ce moment, elle comprit pourquoi nul ne souhaitait en croiser un au détour d’une ruelle. Il faisait vraiment peur.
Quand soudainement, il changea d’expression. Passant de la colère à la compassion, il essuya ses larmes et la serra convulsivement contre lui. Heureusement d’ailleurs car Fanaa avait les jambes en coton. S’il l’avait lâchée, elle serait probablement tombée.
Sans vraiment répondre à l’étreinte du grand shalos, elle se laissa aller à sangloter comme jamais contre son épaule, incapable de prononcer un mot.

Syld était dans un état physique critique… et Soghann ne valait pas beaucoup mieux. Il n’avait aucune blessure mais ses gestes et ses réactions trahissaient, au fond, une profonde détresse.

Elle ne savait pas où ils se trouvaient mais ne doutait pas que le shalos sut retrouver le chemin de chez lui, même dans le noir. Le repoussant doucement, elle demanda d’une voix neutre :

- Shalanos est loin d’ici ? Il faudrait repartir… qu’est-ce que je porte moi ?

Soghann observa Fanaa des pieds à la tête.

Plus grand chose... Tu devrais récupérer ta cape, le bandage devrait suffire... Vu que je le réchaufferais en le portant.

Posant son coude droit dans sa main gauche, et se servant de l'autre pour se masser les sinus, il poursuivi, réfléchissant en même temps qu'il parlait :

Nous ne sommes qu'à une heure de marche. La nuit va tomber d'ici quelques minutes, et je serait ralenti, donc ça nous prendra deux heures.
On pourrait choisir de camper ici pour la nuit, mais étant donné la pénurie de vêtements régnant par ici, je préfèrerais rentrer au plus vite, et trouver un clerc pour Syld.
Je n'ai pas envie d'avoir à le veiller toute la nuit.

**Comme si ce n'était pas ce que tu va faire, de toutes façons...**

La lumière des lunes devrait nous permettre de nous passer de torches.

Laissant là Fanaa, il s'approcha de son ami et retira la cape qui le couvrait. Voyant de nouveau la blessure, il lança par dessus son épaule :

Une fois à la maison, on te donnera quelques cours de lancer...

**Allez, mon vieux, comme pour un retour de murge...**

Serrant les dents, il saisit son compagnon et le hissa en travers de ses épaules, le plaçant de telle façon que son poids ne pèse pas sur sa blessure.

Allons-y... Suis moi et, surtout, reste dans mes pas.

Sans hésitation sur la direction à prendre, il se mit à marcher d'un pas assuré quoique bien lourd.

Ses cheveux lui effleuraient les joues au rythme ferme et régulier d'un balancier d'horloge.
Flip, flap, flip, flap...

Syld battit des cils.
Tiens, le sol se déplaçait tout seul...

Le clair des lunes soulignait le plus petit gravillon du chemin d'un mince fil lumineux où s'entremêlaient le pourpre, l'émeraude et l'azur.
Le pourpre pour Shua, l'émeraude et l'azur pour Cérune et Larios. Shua ressemblait à un oeil rouge posé juste au dessus de l'horizon brumeux...

Le jeune homme referma les paupières quelques instants.
Qu'est-ce qui c'était passé, déjà ?
Ah... ça lui revenait !

- Soghann...

Sa voix était réduite à un murmure à peine audible.
Il déglutit péniblement avant d'insister sur un ton tout juste plus assuré :
- C'est bon... tu peux me reposer par terre. Je peux... je peux marcher.

Soulagé plus qu'il n'aurait voulu l'admettre d'entendre son fardeau reprendre connaissance, il s'accroupit pour le laisser reprendre pied à terre. Après s'être redressé, il fit quelques moulinets des bras pour aider à revitaliser un peu ses épaules ankylosées.

Bon...
Encore heureux que l'on n'ai pas refait de rencontre malheureuse.
En tout cas, on est presque arrivés.

D'ici quelques minutes, on prendra l'entrée est.

Se retournant pour faire face à Fanaa, il lui fit signe d'approcher, d'un geste suffisamment ample pour qu'elle le comprenne malgré la lumière faible.
Puis, jetant un œil critique de côté, vers son compagnon, il lui fit, sur un ton qui n'admettait pas de contestation :

Je vais vous laisser tous les deux à la maison, et j'irais chercher un médecin.

Il avait sévèrement chancelé en touchant le sol mais était parvenu à rester debout en dépit du paysage qui chavirait devant ses yeux.

Prenant une solide inspiration, Syld se redressa tout à fait.

Il n'avait vraiment aucune envie de faire son entrée à Shalanos trimballé tel un sac de topinambours...
Alors tant pis si le sang lui battait furieusement aux tempes et si son souffle restait saccadé comme après une course rapide.
Et puis c'est vrai, quoi... il avait vu pire.

Le jeune homme fit prudemment deux ou trois pas, manqua piquer du nez au premier, puis réussit à s'affermir sur ses pieds pour les suivants.

La dernière remarque de Soghann lui tira une moue grincheuse.

Syld resta pourtant coi. Mieux encore, il opina du chef avec une docilité un peu inquiétante au vu de son caractère frondeur habituel.
De toute évidence, quoi qu'il en dise, il n'était pas vraiment au mieux de sa forme...

- Ca va, j'ai compris... je me tiendrai tranquille.