Entre Shalanos et la Taverne de Veis

Prenant une voix douce, Soghann fit à Fanaa :

Tu as l'air d'avoir besoin d'un bon bain... Tu aura ce qu'il te faut une fois à la maison.

L'assassin leva le bras, et, du bout des doigts, caressa la joue enflée par son coup.

Comme tu peux t'en douter, nous sommes proches de Shalanos. D'une des entrées, du moins.

Il se mit à fouiller à l'intérieur de sa veste, et en sorti la bande de tissu qu'il avait prélevé sur les "vêtements" de Fanaa. Il se mit à la dérouler posément, puis poursuivi :

Tu es notre invitée. En tant que telle, tu as le droit de pénétrer dans la cité.
Cependant, l'une des rares lois de Shalanos m'oblige à te bander les yeux, jusqu'à ce que nous soyons à l'intérieur.

Il passa ensuite derrière elle et posa doucement le ruban sur ses yeux, avant d'en nouer les extrémités derrière sa tête.

Ne t'en fais pas, nous allons te guider.

Repassant devant elle, il effleura ses lèvres des siennes, puis prit sa main droite.

Tu es prête ? Cela ne durera que quelques minutes.

Pour toute réponse, Fanaa hoche la tête. Une fois.

Même si elle avait coulu parler, elle n'aurait pas pu. Elle avait une grosse boule dans la gorge. Et très mal dans la poitrine.

Soghann lui tenait la main. Il était redevenu gentil. La jeune fille se laissa guider. Même si elle ne voyait rien, elle n'avait pas peur. Elle avait confiance.

Mais l'événement du début de l'après midi avait fait disparaitre toute excitation à l'idée de connaître Shalanos. Elle n'y allait pas dans l'ambiance qu'elle souhaitait. Elle frissona. La nuit était fraîche, elle le remarquait seulement maintenant.


HRP : vers les tunnels

- Mais je ne me cache pas c'est parce qu'il y avait des gens qui...

les deux shalos pressèrent pas sans prêter attention à ses explications. Fanaa fronça les sourcils. Devait elle leur dire que ces gens venaient d'enlever quelqu'un? Et après? Elle ne connaissait pas la victime, encore moins les agresseurs, ignorait d'où ils venaient. Et il ne fallait pas oublier que Soghann et Syld étaient des assassins, pas des justiciers. Quant à elle-même...

Ruminant, elle accéléra le pas et une présence se matérialisa à ses côtés. Sendaë qui l'exhortait à rattraper les deux compères. Fanaa obtempéra en silence. Elle semblait troublée. Les deux jeunes femmes se retrouvèrent juste derrière leurs compagnons de voyage. Fanaa se rongea un ongle. Manifestement, elle avait envie de parler à la dedrane mais ne se décidait pas.
Pourtant Sendae devait prendre connaissance du fait qu'elle ne pourrait pas entrer à Shalanos! Les shalos gardaient jalousement l'accès à leur ville. Les étrangers s'y faisaient bien plus que rares. Fanaa avait conscience qu'elle avait eu de la chance, une chance insolente à vrai dire d'y trouver un refuge, des "protecteurs" (selon leur humeur bien entendu) et ses petits caméléons.
Elle devait prévenir son amie qu'elle faisait chemin pour rien. Mais n'osa pas. Après tout, peut être aurait elle de la chance elle aussi?
Fanaa n'y croyait pas vraiment, mais imaginer que la dedrane ait fait tant de chemin et se retrouve trempée pour rien! Peut être qu'en demandant gentiment? Hmmmm...

Sendaë marchait aux côtés de Fanaa qui avait accéléré le pas et elle sentait une forme de tension chez sa compagne, assez semblable à celle qu'elle avait pu ressentir chez elle lors des soins que la Dedrane avait prodigué à Syld.
Le temps ne s'améliorait pas alors qu'elles cheminaient parmis la boue et les pierres du chemin.
Quant à ce qui pouvait bien tourmenter son amie qui avait commencé à se ronger les ongles, la chasseresse comptait bien le découvrir.

"Fanaa? Aurais-tu quelque chose à me dire? Tu as l'air si inquiète."

Elles continuèrent à marcher silencieusement derrière les deux Shalos qui maintenaient une vitesse constante, sans savoir que la Dedrane les avaient rejoint, ne se souciant absolument pas de la pluie qui s'abattait continuellement sur eux, faisant fi du chemin transformé en bourbier sur lequel ils esquivaient les flaques boueuses sans y faire attention.

"Tu sais combien de temps il faut pour rejoindre Shalanos à pied en venant de la taverne? Et que connais-tu de cette cité? Il semblerait qu'elle soit aussi secrète que Dedride est cachée à ceux qui n'y sont pas invités. Un jour je t'emmenerai dans la ville de mon peuple si notre destin le permet."

Un nouveau silence.

"Fanaa?"

Syld avait vaguement perçu le parfum depuis un petit moment, mais il fallut une nouvelle bourrasque tournée dans la bonne direction pour qu'il parvienne à l'identifier clairement.

"Ca sent la dolciane et les feuilles fraîches, par ici."

Rien à voir avec le feuillage dur et épineux des quelques buissons qui se recroquevillaient au bord du sentier.
Le jeune homme tendit la main pour cueillir au passage une de ces feuilles aussi grisâtres que les ruisselets chargés de cendre qui serpentaient au creux du chemin, signalant l'approche du Dregnir.
Non, vraiment, rien à voir....

Tout en mâchonnant la tige rêche de sa feuille, Syld se pencha insensiblement du côté de Soghann, une main levée pour garder sa capuche en place en dépit du vent mordant.

- Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir en faire ?

Malgré le martellemetn de la pluie sur les buissons et dans la terre grisatre, dans lesquelles les bottes des assassins s'enfonçaient avec un bruit mou, Soghann entendit sans peine la question de son compagnon. Il y réfléchissait déjà, ayant perçu la présence de la dédrane derrière eux au même moment que Syld. Toujours attentif à son environnement, même si la pluie allait décourager la plupart des dangers potentiels de pointer leur museau difforme en dehors de leur tanières. Il resta silencieux quelques secondes, continuant à avancer du même pas décidé.

- Nous n'aurons pas à nous en débarasser, les Ombres s'en chargeront. mais je doute que cela plaise à Fanaa... Donc, soit on la fait entrer, soit on la laisse s'égarer dans les tunnels. On peut aussi l'assomer pour l'amener comme une prise de guerre... elle ne doit pas être lourde à porter.

Lorgnant pensivement une goutte qui glissait rapidement le long de sa capuche, il passa distraitement ses doigts gantés le long du pommeau de son sabre. L'arme offrait une excellente prise en main, comme tout ce qui venait de chez Seronn... Parfaitement équilibré, le pommeau était aussi fait pour porter des coups secs visant à étourdir, assomer, ou même fracasser selon la force du coup. Il allait sans dire que les muscles secs de l'assassin suffisaient amplement à plonger dans les ténèbres la plupart des personnes suffisamment imprudentes pour s'en mettre à portée.

- Le Dregnir de nuit n'est pas vraiment un endroit sur pour une jolie jeune femme...

- Pas plus que le Dregnir de jour, en somme, souligna Syld avec un petit rire silencieux.

La voix réduite à un murmure si ténu qu'il se confondait presque avec le crépitement des gouttes, le jeune homme soupira :
- Au point où nous en sommes, je suppose que nous n'avons d'autre choix que de l'emmener... Les autres options me paraissent un peu trop rudes pour quelqu'un envers qui j'ai encore une dette. Mais il va sans doute falloir la porter, qu'elle soit lourde ou pas : un chasseur digne de ce nom serait en mesure de retrouver le chemin même en ayant eu les yeux bandés. Vu le temps qu'il fait, on ne va pas pouvoir s'amuser à multiplier les tours et les détours.

L'assassin secoua la tête.

- Dire que j'espérais que l'orage la découragerait... j'avais oublié à quel point les femmes peuvent être obstinées, à leurs heures...

Il ne put retenir un sourire en voyant les doigts de son compère qui continuaient à chatouiller amoureusement le pommeau de son sabre.

- Laisse-moi faire, allez...

L'obscurité était si dense que c'était tout juste si on voyait où poser ses pieds. Pourtant Syld semblait fouiller cette obscurité du regard, à la recherche d'un improbable point de repère. Et sans doute le trouva-t-il, car il se redressa légèrement, recrachant la feuille dure et amère qu'il triturait toujours entre ses dents.
Un pas de côté, et le jeune homme parut se draper de pluie et de ténèbres, se fondant dans la nuit pour réapparaître brusquement devant Sendaë.

Sans autre forme de procès, il passa une main péremptoire derrière la nuque de la jeune femme puis l'attira à lui pour l'embrasser. La Dédrane n'eut que le temps de ciller pour exprimer sa surprise, avant que ses jambes ne cèdent et que son corps bascule en arrière comme une poupée de chiffons.
Syld la rattrapa en douceur puis se pencha pour prendre un peu d'eau dans une flaque pas trop trouble et se rincer la bouche. Il recracha le liquide avec une petite grimace.

- La sève des feuilles d'Etheris laisse vraiment un arrière-goût détestable ! Enfin bon, la demoiselle en a pour une bonne heure avant de rouvrir l'oeil. Et pas de mal de crâne : elle se réveillera fraîche comme une rose.

Il vérifia soigneusement le pouls de son léger fardeau pour être sûr de son fait. Les effets de l'elixia sur la maigre végétation du Dregnir étaient tellement variables... même une dose habituellement inoffensive pouvait se révéler mortelle si on n'y prenait garde.
Apparemment satisfait, le jeune homme tira un des pans de son manteau sur la chasseresse. Il était détrempé mais c'était toujours mieux que rien.

- Qu'est-ce que je vais prendre lorsqu'elle va recouvrer ses esprits... Bah, tant pis. J'en ai entendu d'autres. En tout cas on peut y aller, maintenant ! Nous serons bientôt au sec.

Laissant Soghann s'occuper de Fanaa, Syld s'engagea dans le tunnel.

La roche était rendue glissante par l'humidité qui suintait de toutes parts mais l'assassin avait le pied ferme en dépit de la charge supplémentaire qu'il transportait.
Pendant les premiers mètres, des ruisselets d'eau grise les accompagnèrent, rampant sur le sol avec de petits bruits de cascade. Puis ils disparurent, se perdant dans les galeries innombrables qui ouvraient leur gueule insondable dans la pénombre et rendant les souterrains au silence.

La "porte des fumées" qui marquait l'entrée de Shalanos se présenta comme par surprise à un détour du couloir.

Syld posa une main sur le bas du visage de Sendaë pour l'empêcher de respirer le temps qu'ils traversent et se glissa à travers l'écran de ténèbres mouvantes avec un petit frisson. C'était toujours aussi désagréable...

Même après plusieurs années, la vue plongeante sur la cité se révélait toujours aussi saisissante. Mais cette fois-ci le jeune homme n'adressa qu'un bref coup d'oeil à la la ville en contrebas, trop préoccupé par le choix de la route à suivre pour parvenir à bon port aussi rapidement que possible. Ses vêtements alourdis par la pluie lui collaient à la peau et il lui tardait d'en changer.
Et s'il n'y avait eu que ça...
Un grognement digne du plus féroce des fauves adréniens s'éleva.

- Et voilà, j'ai encore faim ! Manger, dormir, séduire tout ce qui a l'heur de me plaire... je me demande comment je trouve encore le temps de trucider des gens ?

Il secoua la tête puis jeta par dessus son épaule :
- J'irais bien casser la croûte quelque part après avoir passé des habits secs. Seulement ça m'ennuierait de laisser notre "invitée" se réveiller toute seule. Fanaa, si tu pouvais... ?

Fanaa retint un soupir de déception. c'est qu'elle n'avait pas prévu de s'enfermer!

- Oui bien sûr. Installe la sur le canapé et courez vous restaurer. Les hommes ça a toujours besoin de dévorer.

Laissant les shalos se diriger vers leurs envies de victuailles, Fanaa ôté cape et bottes, s'installa au sol, équipée d'un fusain et d'une grande feuille de papier blanc et se mit à dessiner son amie assoupie : son visage détendu, ses lèvres délicatement ourlées, son corps longiligne et parfait... Depuis qu'elle se laissait aller à des activités qu'elle appréciait, Fanaa se sentait mieux dans sa peau.
Moins tendue, moins à l'affut du danger, moins angoissée de tout... et plus prompte à écouter ses propres envies.

Et son envie là, c'était d'aller faire quelques courses. De bouger ses membres. Elle se mordit la lèvre, hésitante, puis griffonna au bas du dessin
"Sendaë si tu te réveilles avant mon retour n'aie pas peur.
Tu es dans la maison de Soghann et Syld. Je vais te chercher une collation pour ton réveil et je reviens vite.
Surtout fais attention à ce que tu touches, n'oublie pas que c'est une maison shalos!"

La jeune femme déposa un baiser sur le front de son amie, le dessin sur la table basse puis fila à l'étage récupérer sa bourse et prit la poudre d'escampette. Elle cherchait un certain objet... sans savoir où le trouver dans cette ville!

Le petit manège de Syld n'avait fait sens à Soghann qu'au moment ou celui disparu. Il ne put s'empêcher de rire légèrement du geste parfaitement exécuté : c'était bien dans le style de Syld, ça... Il devrait peut-être penser à fabriquer un onguent à lèvre empoisonné et l'antidote allant avec. Avec une effet à retardement, ce pouvait être très discret... L'assassin secoua lentement la tête, dissimulant un sourire sous son masque. Non, décidément, les poisons n'avaient pas grand chose d'excitant, comparés aux joies d'une bonne lame.

Tout en réfléchissant ainsi, il observait la réaction de Fanaa. La surprise d'abord, puis une moue étrange lorsque la Dédrane s'effondra. Elle continua bien sûr à les suivre, fermant la marche, tandis que Soghann ouvrait la voie. Syld manquait encore de force, et un corps sur le dos n'allait pas l'aider à trouver son chemin ou se défendre contre une attaque subite.

Enfin, ils parvinrent aux tunnels qui s'enfonçaient sous le Dregnir. Soghann s'arrêta, et avec un soupir de soulagement, retira sa capuche, libérant ses long cheveux rendus humides. Il laissa tout de même son masque en place, puis s'affaira à bander une nouvelle fois les yeux de Fanaa. Après s'être assuré que tout le monde suivait bien, pénétra à Shalanos.

Le mur d'ombres traversé, la chaleur et la lumière les frappèrent de plein fouet, et l'assassin plissa ses yeux perçants pour faire le point sur l'agitation qui régnait à leurs pieds. D'une geste rapide, il défit le bandeau aveuglant la jeune femme, puis entama la descente. La traversée se fit rapidement, le regard froid et déterminé de l'assassin -souligné par le masque couvrant le bas de son visage- décourageant la plupart des mendiants et autres importuns de s'intéresser à eux où à leur "prise".

Enfin parvenus à la maison, Soghann ne put qu'acquiescer à la remarque de son compagnon : si la marche de nuit sous la pluie fatiguait certainement, elle affamait encore plus ! Les assassins montèrent donc rapidement se changer, et Soghann repassa sa tenue habituelle -non sans s'être débarrassé de toute cette humidité- : cuir noir près du corps, souple à souhait et taillé sur mesure, disposant d'un nombre impressionnant de poches cachées.
Il remplaça son sabre par une dague plus courte, dont poignée elle-même et le fourreau semblaient menaçants, prêts à jaillir pour tailler des chairs. Quelques autres cachées dans les bottes, manches et ceinture, et il était parti dans la ville avec son compagnon, marchant d'un bon pas : le pas de l'homme affamé.

- Bon sang ! J'avalerais un moo entier, cornes inclues, si ils les vendaient. La récompense pourra attendre. Qu'est ce que tu suggère, comme endroit ?