Confins du Désert Rouge - les grottes de Leviathan

-On se calme !

La dédrane, voyant un Sabu toujours fou de colère se libérer et tabasser le grand lévitis, intervint à son tour. Elle saisit le bras de l'homme et le fit pivoter dans son dos en serrant.

-Si vous vous débattez encore, je continuerai jusqu'à vous casser le bras.
Calmez-vous et expliquez-nous.
Comment cette bête peut-elle être votre fille ? Pourquoi dites-vous cela ?

Les toxines avaient empêché Mellyna de réagir dès l'attaque de l'homme envers Fanaa. Heureusement que le guerrier avait de bons réflexes.

Bon sang ! Le levitis avait les poings aussi durs que lui ! Quant à la petite femme, comment pouvait-on avoir autant de poigne ? Il tenta de se libérer mais il sentit qu'elle ne plaisantait pas. Elle pouvait vraiment lui casser le bras ! Il rugit de nouveau.

- Mais vous ne voyez pas ?! C'est Lahili ! Ma fille ! Je l'ai reconnue. Et elle l'a tuée ! Et vous là ! Vous avez peut-être tué vos proches aussi ! Celles que nous sommes venus délivrer ! Rappelez vous ! Elles ont été transformées en monstre, je sais ce que je dis je l'ai reconnue ! Lahiliiiiiiiiiiii !!!

Il n'avait jamais autant parlé depuis leur départ.




Masha et Nandini avaient récupéré une Fanaa molle comme une poupée de chiffon. Fynarine s'approcha.

- Posez la. Et écartez vous, il lui faut de l'air !

La Dedrane prit la tête de Fanaa sur ses genoux et lui tapota la joue.

- Allez allez ma grande, on se réveille. Ouvre moi ces jolis yeux !

Sa respiration était sifflante. Fanaa papillonna des yeux, souleva réellement ses paupières et tressaillit en entendant les cris rauques de Sabu. Elle roula sur le côté et rampa à reculons pour retourner dans l'eau. Il ne savait pas nager. Si il reprenait au colosse une envie de meurtre, elle serait à l'abri.

- Qu'est-ce que tu fais ? Reviens ! l'appela la clerc. C'est bon ils le maîtrisent, il ne te fera pas de mal. Calme toi. Reviens par là.
- Oui Fanaa. appela Masha. Ne reste pas là-bas, viens.

Non. Non non non. Elle avait peur. Il n'était pas un monstre, il était un homme. C'était pire. Beaucoup plus dangereux. Il était trop fort. Et de plus on ne tuait pas les gens contrairement aux monstres. C'était des dangers qu'il fallait accepter de se trimbaler. Non. Elle ne s'approcherait pas de lui.



Le colosse rugit de plus belle d'ailleurs. De sa main libre, il pointa Nandini du doigt.

- Et toi tu ne venais pas sauver ta soeur ? Et si tu l'avais tuée hein ? Que diras tu en rentrant au village ?!

Earl sursauta aux explications de Sabu, mais son expression se referma presque aussitôt.

- Tout à l'heure, c'était une illusion, non une métamorphose. Et franchement...

Il lâcha une exclamation hautaine.

- Quel intérêt ? Enlever des filles pour en faire des lézards ? Oh joie, quel progrès dans l'expérimentation humaine !
- Mon capitaine..., intervint Ridelgald à mi-voix, la mine soudain anxieuse.

Mais Earl refusa de l'écouter.

- Admettons. Changée en monstre. A moins de convaincre un hypothétique créateur ou Valnor lui-même d'inverser le processus, pour autant que ce soit possible, qu'auriez-vous fait ? Garder la bête enchaînée, dans une cage ? Venir lui parler tendrement tous les jours, tout en lui apportant des quartiers de viande saignante pour son repas ? La ligoter, l'immobiliser avec des fers et des cordes pour soigner ses mâchoires et ses pattes à vif à force de mordre et de gratter aux barreaux jour après jour, heure après heure ?

Le Lévitis se planta entre le doigt toujours tendu et Nandini, fixant l'homme avec dureté.

Sûrement pas.
Cela ne se pouvait, cela n'aurait eu aucun sens.
Sûrement pas.
Il crispa une main sur le pommeau d'un de ses sabres. Ces sabres qui avaient traversé les chairs et les os d'une des créatures.
Sûrement pas.

Il raffermit sa voix à l'accent traînant.

- Est-ce que votre fille aurait essayé de vous arracher la tête à coups de dents ? Et devons-nous nous laisser arracher les nôtres pour votre bon plaisir ?

L'évocation de la cage et des autres joyeusetés fit baisser la rage du titan. Son doigt pointé se transforma en poing.

- Les avez vous seulement regardés ? Les avez vous regardés dans les yeux ? Je l'ai fait, moi. C'est ainsi que j'ai pu reconnaître Lahili. Je connais le regard de ma fille. Et c'est ce cadavre qui l'avait il y a encore quelques instants. Tu veux aller vérifier ? Ma Lahili avait les yeux bleus. Bleus comme le plus beau des cieux.

C'est Nandini qui s'approcha à grands pas du cadavre. On allait mettre tout ça au clair car ces histoires étaient à faire dresser les cheveux sur la tête. Elle souleva la paupière et resta sans bouger.

- Je ne suis pas sure, je ne vois pas très bien mais ... il me semble ...
- Ce sont des yeux humains. Confirma Tarik.

Sabu reprit alors la parole.

- Je ne sais pas ce que j'aurais fait. Mais une chose est sure, je n'aurais pas voulu être son meurtrier.

Toute colère le quitta, remplacée par de la douleur. Certes, il ne l'avait pas tuée. Mais savoir qu'il n'aurait plus aucune chance de faire quoi que ce soit pour elle ... Son bras retomba le long de son corps. Il secoua la tête.

- J'étais trop occupé à ne pas me faire arracher un bout de mon anatomie pour prendre le temps de regarder l'agresseur en face. Et quand bien même, risquer sa vie pour sauver quelqu'un est une chose, mourir dans l'espoir de sauver ce qui est sans doute déjà perdu en est une autre.

Très pâle mais le visage dur, Earl se retint de rétorquer aux chasseurs du désert que bon nombre d'yeux de bêtes étaient sur le même modèle que les yeux humains. Globe oculaire, iris, pupille, cornée...
Certes, le bleu était rare.
Surtout pour des reptiles.
Et quand bien même, cela n'expliquait toujours pas le "pourquoi" ?

- Vous n'êtes pas son meurtrier. Et personne ici ne l'est. Cette... créature est morte pour éviter que des membres de ce groupe ne soient mutilés ou tués. J'ose espérer que par la suite personne ne perdra la vie pour avoir hésité une seconde de trop.

Sans attendre de réponse, le Lévitis repassa son deuxième sabre à sa ceinture et tourna les talons.
Même à la lueur bleutée de la bague, ses joues semblaient trop blêmes.

- Mon capitaine...

Il se retourna vers Ridelgald qui le suivait de près.

- Quoi ?
- Vous ne devriez pas faire ça.
- Faire quoi ?
- Détourner le chagrin des autres en les poussant à vous haïr. Ce n'est pas le première fois que vous agissez ainsi. Et un jour quelqu'un vous haïra au point de frapper vraiment. Au lieu de les convaincre de vous donner la main pour pouvoir les empêcher de tomber dans les abîmes, vous les incitez à planter leurs dents dans la vôtre et à serrer fort...
- C'est aussi efficace. Et les dents glissent moins aisément.
- Et vous y perdrez les doigts un jour, ou d'avantage. Vous le savez. Vous avez déjà failli mourir ainsi.
- Je le sais, oui.

Earl se retourna vers le groupe pour lancer tout haut :
- Eh bien quoi ? Que décide-t-on ? Doit-on tout arrêter et rebrousser chemin ? A vous de décider, ce sont vos gens, pas les miens.

Tarik et Nandini se mirent à débattre avec véhémence dans leur dialecte. Sabu lui, ne disait plus rien, ne bougeait plus, épaules et tête basses.

Fanaa se décida enfin à sortir de l'eau.

- Ce n'est pas Lahili. dit-elle.

Les mâchoires du colosse taciturne se crispèrent et ses poings se resserrèrent. Il en aurait bien balancé un ou deux mais Mellyna le tenait toujours et Earl était maintenant trop éloigné.

- Comme c'est facile pour toi de dire cela après coup. Ca ne pardonne en rien ce que tu as fait !
- Je me pardonne seule. Ce n'est pas Lahili et les autres ne sont pas votre famille ou vos amis.
- Regarde leurs yeux Fanaa. Il y a quelque chose quand même.
- J'ignore ce qu'il y a Tarik. Mais regardez Masha, elle n'a pas d'écaille. Et elle se rappelle de ses compagnes de captivité en forme humaine.
- Cela ne signifie rien, Masha n'a aucune mémoire de ce qui s'est passé ici !
- Euh ... je suis là Tarik et je peux parler seule. Je ne me rappelle pas pourquoi nous étions ici, mais c'était des filles. Ces bêtes là n'ont jamais été nous, j'en mettrais ma main à couper.
- Dans ce cas il faut continuer ! lança Nandini.
- Ne vous forcez surtout pas. J'agirai mieux en n'ayant personne dans les pattes.

Sur ce, Fanaa s'éloigna à grands pas, le visage fermé, dépassant Sabu, Mellyna et les deux Levitis. Elle priait pour trouver un lac souterrain plus loin. Un vrai, pas un probable piège comme les siphons. Un lieu juste pour nager. Marcher seule c'était mieux. Nul besoin de lumière qui la ferait repérer et la handicaperait en combat. Elle avait été idiote. Elle aurait dû se contenter de partir avec Mellyna et peut-être Masha. Moins il y a de monde, moins il y a de risque.
Et puis elle se mit à courir, à l'embranchement, elle prit à gauche, côté coeur. Il y avait un bruit de chute d'eau. Un ravissement pour les oreilles. La Danseuse s'approcha de l'aplomb rocheux et se pencha. L'eau tombait d'une avancée de pierre à l'autre avec force. Le fond était très loin et était probablement et sublime lac souterrain totalement vierge. C'est vrai qui descendrait assez bas sans se rompre les os ?

Earl se retourna brusquement vers la direction prise par Fanaa. Il avait son regard d'orage.
Cette fois-ci, Ridelgald ne chercha ni à le suivre ni à prononcer un seul mot.

- "Dans tes pattes" ?

Le Lévitis siffla dans les ténèbres.

- Qui crois-tu pouvoir sauver toute seule ? Tu n'es même pas fichue de te sauver même pas toi-même ! Tu n'as jamais été fichue de te sauver toi-même.

Contenant une soudaine flambée de rage, il darda un regard luisant de colère vers le groupe à présent presque dans le noir.

- Décidez. Ce sont vos gens, vos familles. J'ai accepté de vous porter assistance, et je le ferai même s'il n'y en a qu'un à continuer.

Un rire léger se mêla au bruit de la cascade.
Alangui sur le surplomb d'où l'eau s'élançait, Sheyn dardait des yeux vert vif vers Fanaa.

- Mesures-tu la portée des paroles que tu viens de proférer ? Tu viens tout juste de qualifier des personnes inquiètes pour leurs proches de poids morts inutiles, voire même gênants. En somme tu les charges par avance de tout échec.

Il posa le menton au creux de ses paumes réunies en coupe, tout sourire.

- Saute.

-Vous êtes un crétin Sabu.

L'insulte était partie toute seule, Mellyna voyait bien que l'homme avait terrorisé la pauvre Fanaa et cela l'avait mise en colère.

-Elle risque sa vie pour sauver votre fille, sans rien demander en retour, et vous, vous essayez de la tuer.
Je suis sûre que votre Lahili serait ravie d'apprendre que vous menez ce genre d'activité en sa mémoire.
Si Fanaa a dit que ce n'était pas votre fille je la crois. Si ce n'est pas votre cas, rentrez chez vous, attendez tranquillement que d'autres filles se fassent enlever et continuez à pleurer.
Thani, je te le confie, je vais chercher Fanaa.

Tout en vérifiant que Sabu n'avait plus d'intentions belliqueuses, la dédrane relâcha lentement sa prise. Elle le regarda dans les yeux et d'une voix presque maternelle, elle l'encouragea pour adoucir ses propos précédant :

-Choisissez l'espoir, vous serez plus utile si Lahili vous attend en ce moment même. Si elle est morte, vous aurez tout le temps de la pleurer plus tard, avec vos proches.

Thani mit une main amicale sur l'épaule de Sabu et, pendant que la dédrane s'enfonçait dans les couloirs avec Eleïr'l qui la guidait, il ajouta à voix basse :

-Crois moi, elle sait de quoi elle parle. Ecoute la pour le moment.
Profite de ces instants de calme pour reprendre tes esprits mon ami.

Mellyna courut dans les galeries, précédée du dragonnet qui ouvrait la route. Elle restait aux aguets, pas question d'être de nouveau une princesse à sauver. Elle rattrapa la danseuse au bout de quelques minutes, elle observait le fond d'un précipice avec attention. La gardienne s'approcha et prit délicatement la main de Fanaa dans les siennes.

-Ca va aller ?

- Et alors ? Ce ne sont que des humains. Depuis quand t'inquiètes-tu de ce qu'ils ressentent Sheyn ? Oh j'oubliais, tu es issu d'eux toi aussi ... Pas de chance. feula-t-elle.

Elle souriait, un sourire de fauve.

C'est alors que Mellyna arriva et lui prit la main. Fanaa cligna des yeux.

- Ca va très bien. Merci.

C'était faux bien sûr. Elle serra plus fort la main de Mellyna. Un soutien. La Danseuse trembla.

- Il me méprise.

Ses yeux prirent une teinte d'émeraude, elle huma l'air et sourit de nouveau.

- Tu vas aimer l'endroit où nous allons. dit-elle à Sheyn dans cette langue inconnue et chantante qui rappelait les dialectes les plus anciens tout en ne leur ressemblant pas vraiment.

Puis elle sauta. En entrainant Mellyna qu'elle avait ramenée contre elle.

Le vent sifflait aux oreilles des filles dont les cheveux volaient. Elles se laissaient tomber dans les ténèbres, si vite que Mellyna devait parfois fermer les yeux et était obligée d'avoir une totale confiance en sa compagne. Les pieds de la Dedrane touchaient les rochers et les quittaient aussitôt, sans avoir le temps de comprendre où elle était, sans pouvoir remettre le monde à l'endroit.

Fanaa rebondissait de plateforme en promontoire, descendant toujours plus bas et s'arrêtant finalement quelques cinquante mètres plus bas sur le dernier niveau de la chute d'eau. La grotte s'illumina, une lumière blanche, bien plus puissante que les volutes bleutés de Fanaa, laissant le loisir à Mellyna de voir qu'elles se trouvaient au-dessus d'un immense lac souterrain qui s'étendait sur toute la surface de la salle. Le plafond était très haut, et les sons résonnaient. L'écho était assez peu atténué par l'eau en fait.

Sous l'eau transparente, on pouvait distinguer comme des façades de pierre avec des ouvertures pour des portes et des fenêtres. Des frises étaient gravées sur les paroi du temple englouti. L'eau était bleu azur et la pierre de la grotte et de la construction sous-marin dans plusieurs tons clairs et crémeux.

Le spectacle donnait envie de plonger, d'aller voir par soi-même, toucher ce qui pouvait sembler une illusion.

Mais des formes noires réapparurent dans les flots. Elle étaient de la taille de gros requins, avec quatre grandes nageoires et des longs cous. Elles tournaient lentement, sans rider la surface du lac.

Fanaa tenait toujours la main de la Dedrane et elle ne regardait pas vers le palais englouti. Elle observait les parois avec attention à la recherche d'autre chose.

- Il doit y avoir un passage quelque part ...




_______________

Dans la grotte.


Le groupe avait éclaté. Ce n'était pas de bon augure en général.

Fynarine s'avança vers Earl, qu'elle suivrait quoi qu'il décide. Nandini s'exclama :

- Plutôt mourir que de retourner dans ce piège liquide ! Je viens. Je ne repartirai pas sans ma soeur de toute façon.

Masha et Tarik la rejoignirent.

Sabu n'ajouta rien, mais il marcha vers le Levitis lui aussi.

- Je me suis peut-être énervé un peu vite. Je veux chercher la preuve que Lahili est autre part.

Sheyn roula sur le côté pour jeter un coup d'oeil dans les abysses.

- C'est là que tu fais erreur, petite fille.

Avec un sourire et un haussement d'épaule, il joua avec l'eau vive du bout des doigts.
Stupides.
Et présomptueux, aussi.

Le jeune homme se rallongea tranquillement hors de vue, les bras croisés derrière la nuque, et ferma les yeux après un large bâillement.


Earl hocha la tête.

- Fort bien. Mais ne commettez pas l'erreur de me confondre avec votre chef.

Il indiqua Thani du menton.

- Votre désert, vos familles, vos décisions.

Arrachant la chaîne à son cou, il lança la bague dont la lueur semblait avoir pâli vers l'eyerash.

- C'est tout ce qu'il nous reste. En espérant que cela dure un peu, faute d'une stupide grue irresponsable qui plante le reste de son groupe là sans crier gare.

*Arrête ! Je ne voulais pas sauter !*
*C'est pour cela que je l'ai fait.*
*Laisse moi remonter maintenant. Il est dans le noir !*
*Aucune importance.*
*Si ! Si ! Laisse moi remonter !*

Fanaa se démenait contre l'autre. La jeune fille lâcha le main de Mellyna, fit quelques pas incertains et glissa sur la pierre. Elle avait les jambes dans le vide et se raccrochait comme elle le pouvait au rocher rendu glissant par l'eau. Son expression était maussade. Sous l'eau, les formes noires continuaient leur ballet inquiétant.

*Ca suffit !*
*Non ! Laisse moi remonter ! Je me fiche qu'il soit méchant je ne le laisserai pas seul dans le noir ! J'ai promis !*
*Tu es amusante mais fatigante. Soit. Je vais leur donner la lumière et toi tu te calmeras. A moins que tu préfères que je ne te laisse te battre contre ce qu'il y a en bas ?*

Oh non. Fanaa ne voulait pas. Nager c'était une chose, même sous l'eau. Mais un combat sous-marin, non non non.

*Tu sais, si nous les laissons dans le noir il se retrouveront incapables d'avancer et seraient donc obligés de rester à l'écart du danger. Ce n'est pas ce que tu voulais ?*
*Si ... Mais je ne le laisserai pas dans l'obscurité. C'est tout.*

Elle ne se rappelait que trop bien la peur d'Earl et sa tristesse dans la grotte, lorsqu'il avait mal et qu'il était tout seul, sans lumière, accompagné de sa douleur. Elle ne lui infligerait pas cela une seconde fois.

Comme si Earl avait fait une invocation, la chevalière brilla un peu plus fort et perdit sa couleur bleutée pour une lumière blanche, de même que le bracelet de Masha et, ils le verraient plus tard, les lames des sabres, épées, poignards du groupe.
La nouvelle lumière était plus efficace que l'ancienne, bleue, et ne s'embarrassait pas de jolis motifs sur les murs. Elle était directe, sans fioriture. Peut-être un peu forte par contre, mais avec cela, dur de se retrouver en aveugle. Par contre rien ne servirait de boussole.

Fanaa se percha de nouveau sur le rocher à côté de la Dedrane.

- Tout va bien.

Ca n'avait jamais autant communiqué et réfléchi. Cela la fatiguait un peu. Mais pas assez, oh non, pas assez.

Dans la grotte, maintenant toute illuminée, Thani ramassa le collier par terre et s'avança pour prendre la parole à son tour.

-Bon puisque tout le monde a pris sa décision, en avant.
Mais je ne veux plus de bagarre dans le groupe. On en parle avec des mots, pas avec les poings. Sabu, tu restes en dernier pour couvrir nos arrières, soyez attentifs, nous ne savons pas quand une nouvelle illusion nous tombera dessus ou des monstres.

L'eyerash rejoint Earl en tête de peloton, lui rendit sa lumière. Pour l'instant la route était droite, il suffisait d'avancer.


***********

-Si tu le dis...

On sentait bien dans le ton de la dédrane qu'elle n'en croyait pas un mot. Quelle chute ! Cela l'avait effrayée et exaltée à la fois. Son cœur ne s'en était pas encore remis et battait fort dans sa poitrine. Mellyna tendit son bras à la jeune fille pour lui assurer une prise moins glissante et l'aider à se relever.
Le dragonnet décrivait des ronds inquiets autour des deux demoiselles.

-Maintenant que l'on est ici, que fait-on ? C'est ces ruines englouties que tu voulais voir ?

- Non je ... je ...

Fanaa se cramponna au bras de Mellyna. Au moins "ça" savait ce dont elle avait besoin. Quelqu'un. Pour ne pas se perdre.

- Ma tête ...

Les yeux avaient pris une couleur incertaine entre le vert et l'or, le regard était fiévreux. Et la douleur sous le crâne, lancinante.

- Je ne cherchais rien, je voulais juste ... j'ai eu très peur et ensuite ... je ne voulais pas sauter ! Je suis désolée Mellyna je me suis laissé emporter. Je ...

Elle leva la tête. Il était impossible d'apercevoir l'endroit d'où elles venaient, il se trouvait bien plus haut que le plafond de la salle illuminée. Pourrait-elle remonter ?

- Je les ai abandonnés.

C'était comme si son cerveau gonflait et appuyait contre les parois de sa boîte crânienne. Comme si le contenant était trop petit pour le contenu. Fanaa regarda autour d'elle. Tout cette lumière ne venait pas d'elle. Ou plutôt ... si en fait.

- Oh non ...

Elle sentit ses poils se hérisser et un frisson glacial remonta le long de sa colonne vertébrale. Un contenant bien trop étroit pour son contenu. Fanaa n'utilisait jamais vraiment beaucoup d'elixia, elle n'avait jamais appris à la gérer comme il aurait fallu et elle comptait plus sur l'instinct. De plus elle voulait éviter de se laisser déborder. Seulement de temps en temps, il y avait comme des surchauffes, des moments où il y avait un trop plein d'énergie ... ce qui donnait des complications. Du temps de Syld, il y avait un équilibre, il buvait son énergie ainsi Fanaa ne passait jamais une certaine limite. Mais Syld n'était plus.
Il y avait aussi la barrière du Ringèm mais la dose était trop forte et le lien trop fin. Même en faisant l'offrande de sang, ça ne ferait qu'éclater la pierre qu'elle utiliserait. Quant à le rejeter dans le ciel, pour commencer ils étaient dans un lieu fermé, même si grand, et ensuite, pouvoir expulser de l'elixia étrangère ne signifiait pas être capable de se débarrasser de la sienne.
Il faudrait l'utiliser. Ou la donner à quelqu'un. Mais il n'y avait pas de mage dans le groupe et il était hors de question qu'elle embrasse quelqu'un d'autre.

- Non ce n'était pas les ruines, j'ignorais qu'elle étaient là. Mais par là-bas -elle indiqua l'autre bout de l'immense salle- il y a celui que nous cherchons. Je crois que nous avons trouvé un raccourci. Derrière ce mur, il y a notre but. Si nous y arrivons avant les autres, cela évitera de les mettre en danger. Mais il faut réussir à atteindre ce qu'il y a tout là-bas, mais en évitant l'eau. Et je ne sais pas voler. Quant à marcher sur l'eau ... brrrr ... je ne veux même pas vérifier si je suis capable de le faire.

Il existait en effet sur le mur d'en face (loin en face) une sorte de niche à plusieurs mètres de hauteur. Si c'était vraiment un passage, il allait être très compliqué à atteindre.

Earl fourra sans cérémonie la chevalière dans les mains de Ridelgald, comme si le bijou le brûlait. Le soldat lui emboîta le pas en silence.

Pas un grognement, pas de regard flamboyant. Le visage de l'ex-clerc semblait de pierre.
Calme ?
Bien au contraire.
Il était dans une fureur noire.

Elle avait recommencé.
Partir. Elle ne savait décidément faire que cela.
Partir d'une auberge sous la pluie, partir d'un village à l'approche de l'orage...

Se mettre en danger soi-même, soit.
Le faire sans songer qu'il y aurait presque à coup sûr une personne assez inquiète pour aller se mettre en danger aussi, c'était stupide.
Le faire alors qu'il y avait déjà d'autres personnes à sauver, c'était égoïste et stupide.
Laisser derrière un groupe qui menaçait d'éclater tandis que le danger pouvait venir de n'importe où, c'était une faute grave.
Affirmer clairement que le groupe en question était un fardeau, c'était juste impardonnable.

Ils avançaient, et personne.
Pas de Fanaa.

Un embranchement.

Et pas de Mellyna non plus.

- Bien. Deux personnes de moins. Quand chaque personne compte.

Il serra les dents.

- Trois, en fait.

Mais Sheyn avait l'air de pouvoir se débrouiller. Il n'était pas assez écervelé pour aller prendre des risques ou tenter de délivrer qui que ce soit seul, lui.

En admettant que tous les inévitables affrontements avec des sauriens ou d'hypothétiques sorciers se soldent par des victoires, ce qui était hautement improbable...
S'il y avait bien des jeunes filles encore en vie ? Les raccompagner à la surface tout en les protégeant seule ou, au mieux, à deux ? Et si elles étaient blessées, ou trop affaiblies pour marcher ? Si elle-même était gravement blessée ?
Evidemment, elle n'y avait pas réfléchi.
Cette fieffée idiote allait tous les faire tuer.

Earl croisa les bras en attendant que Thani décide de la direction à prendre.
S'il s'avisait d'ouvrir à nouveau la bouche, il regretterait sûrement ses paroles...

-Regardez !

Thani, le doigt pointé, montrait un endroit sur le sol de l’embranchement gauche qui avait une consistance différente. Il s'avança et ramassa l'objet. Il le brandit comme un trophée, pas besoin de laisser le hasard décider de la route à suivre.

-C'est le foulard de Mellyna, elle nous a laissé une piste pour les suivre. En avant.

**********

-Fanaa, regarde moi. Tu as fait une crise de panique. C'est tout à fait compréhensible vu l'agression que tu viens de subir et le contexte de stress de la bataille et du sauvetage.
Tu n'as abandonné personne, il suffit de faire demi-tour et de les rejoindre.
Je comprends que tu veuilles tout régler et ne pas impliquer les autres. Mais nous avons discuté ensemble et conclu qu'il faudrait être nombreux pour ce sauvetage. Tu ne peux pas tout régler seule et personne ne te demande une chose pareille.

Mellyna reprit son souffle, scruta le visage de la danseuse pour voir si ses mots l'avaient convaincue.

-Je pense sincèrement que ce serait plus prudent de rejoindre le groupe avant de tenter quoi que ce soit...

Le cerveau de la dédrane fonctionnait à toute allure. Comment remonter cette pente ? Comment voler ?

-Dis, hum, promets moi de ne pas rire.
Je n'y connais rien en Elixia, mais, est-ce que tu pourrais faire grossir suffisamment le poussin pour qu'il nous serve de monture juste le temps de nous ramener en haut ?

- Non il ne faut pas remonter !

Visiblement, la crise de panique n'était pas terminée. Fanaa s'agrippait aux bras de la Dedrane et son regard se faisait plus flou.

- Il ne faut plus de sang sur leurs mains ! Nous pouvons le faire ! Toutes les deux nous pouvons le faire ! Pas la peine de les entraîner là-dedans !

*Le préserver. Si je n'ai qu'un souhait, c'est de le préserver. Il n'a pas besoin de ça en plus.*

Le dragon. C'était une idée. Une idée très dangereuse. Il répugnait à Fanaa d'imposer des changements à un être vivant. Mais c'était peut-être une solution. Fanaa saisit les mains de la Dedrane.

- Si j'arrive à le faire grandir, tu m'emmèneras là-bas ? Tu me déposeras avant de partir ?

Elle réfléchissait à toute vitesse. L'idée n'était pas mauvaise mais, si l'on exceptait que la maîtrise elixienne de Fanaa était plutôt instable, qu'en plus à ce moment elle en avait trop, que le petit dragon pouvait ne pas sortir indemne de l'expérience, si elle réussisait à le faire grossir assez pour qu'il puisse porter une humaines ou deux, il serait trop gros. A tous les coups il se bloquerait là où le conduit se faisait plus étroit, là où la lumière n'atteignait pas. Elle savait qu'elle n'était pas capable de changer un être vivant et qu'elle ne prendrait ni le risque ni la responsabilité d'effets secondaires alarmants.

De plus, il y avait d'autres effets à ce trop-plein d'elixia. Le mal de tête était accompagné de sons, de pensées, de sensations qui n'étaient pas à elle. Des sensations, des certitudes, des mots, des faits. Tout se mélangeait et elle avait du mal à faire le tri. Elle ne savait pas comment fermer son esprit à cette intrusion et avait du mal à se focaliser sur le présent, Mellyna, le dragon. A un moment, ses yeux partirent presque en arrière. Elles étaient si près !

*Syld ! Syld !*

Comment chasser cette énergie qui menaçait de déborder ? En donner au dragon semblait une solution temporaire. Et plus que risquée pour la pauvre bête. Et là-haut ... elle devait se calmer. Mellyna était calme, elle. Fanaa se cacha les yeux.

- As-tu déjà tué un humain ? Est-ce que ça te fait peur ?

- Espérons qu'il n'y a pas trop d'embranchements encore, sinon il ne restera guère de vêtements sur votre Dédrane, remarqua Earl avec un rien d'acidité à l'intention de Thani.

Le Lévitis laissa le reste du groupe passer devant, le temps de considérer la direction d'où ils venaient, la direction de la grotte aux illusions-miroirs.
Car c'est ainsi qu'il avait fini par interpréter ce qu'ils avaient vu ou cru voir : non pas des mirages hasardeux, mais des reflets. Le reflet de filles enlevées et, peut-être, le reflet d'un autre endroit. Sheyn avait un peu rechigné à expliquer ce qu'il avait distingué dans le noir mais il avait fini par décrire la façon dont l'autre eyerash s'était comporté, comme s'il traversait une vallée luxuriante au lieu d'une caverne au sol nu.
Peut-être réfléchissait-il trop à force de vouloir se concentrer sur autre chose.

Le Lévitis retira vivement la main qu'il avait posée sur une des parois. La pierre semblait trop chaude. Encore un peu et il aurait presque imaginé sentir une pulsation semblable à celle d'un coeur au bout de ses doigts, là où les bandages n'allaient pas.

- Vous avez l'air un peu...
- Fébrile, je sais.

Se massant la tempe, il considéra Ridelgald qui avait fini par s'arrêter aussi.

- Mais ce n'est rien. Juste trop de...

Il fit un geste vague vers le groupe qui s'éloignait.

- ... tension autour, sans doute.

Le soldat hésita avant de risquer, presque timidement, la voix basse :
- Pourquoi est-ce que vous...

Le yeux d'ambre le fixèrent calmement. Des yeux qui savaient très bien ce que Ridelgald brûlait de demander depuis un bon moment sans oser le faire.

- Non, Rid. Pas maintenant.

Vaincu, le soldat referma la bouche et ravala ses interrogations pour suivre l'ex-clerc qui s'était remis en route. Il n'aurait pas fallu perdre le reste du groupe.
Un groupe qui avait fini par s'arrêter, d'ailleurs. Avaient-ils retrouvé les absents ? Ou rencontré un obstacle, peut-être ?
Earl accéléra le pas.

- Oh toute cette eau ...

Nandini était écoeurée de l'eau. A boire, c'était fantastique. Mais s'y déplacer était inconfortable. On avait des mouvements limités, on s'y sentait lourd, maladroit, l'humain n'était pas fait pour l'eau, ça c'était sûr.

Le bruit de l'eau qui cascadait de rochers en promontoires lui tira un frisson. Elle continua vers la sortie de la salle. Masha, elle, s'approcha avec prudence du rebord et tendit le cou, pour voir. Le spectacle d'autant d'eau, en torrents bien moins dangereux que lors des orages l'attirait. Elle tendit au dessus du vide son bras, bracelet au poignet et plongea le regard en contrebas. Sa petite lueur se reflétait sur l'eau écumante mais ne descendait pas bien loin. Masha s'avança encore.


- Il y a de la lumière en bas ! Beaucoup de lumière ... et très très bas ...

Loin, beaucoup plus bas il y avait en effet de la lumière. Une lumière forte, c'était comme s'il faisait jour. L'eau était bleue, sauf là où la cascade tombait.

Fynarine s'approcha pour vérifier qu'il n'y avait ni sang ni corps désarticulé sur les plateformes qu'ils voyaient et se sentit rassurée de ne rien trouver de tel.

- C'est beaucoup trop profond et trop abrupt pour qu'on aille tenter de descendre par là sans être certains qu'il y a un passage praticable en bas, remarqua Earl après un bref coup d'oeil à la disposition du précipice. Risquer une mauvaise chute simplement pour reconnaître les lieux n'est sûrement pas une bonne idée. Si magiciens il y a quelque part, une route plus simple existe certainement.

Cette route passait-elle seulement par le réseau de galeries dans lequel ils se trouvaient ? Les reptiles empruntaient ces tunnels, cependant il existait peut-être une entrée complètement différente qui servait aux hypothétiques instigateurs des enlèvements. Mais de toute façon comment auraient-ils repéré cette éventuelle "grande porte" depuis la surface ? Les plateaux étaient trop vastes pour une exploration systématique.

Le Lévitis secoua la tête avant d'emboîter le pas de Nandini.

Ils n'avaient guère de temps à perdre de toute façon.

- Oui ça ressemble plus à un piège qu'autre chose.

Masha s'éloigna du bord et rejoignit elle aussi Nandini. Son bâton de marche faisait "toc" "toc" sur la pierre. Tarik serrait et desserrait le point, faisait des moulinets avec son bras, tentant de réapprivoiser au plus vite ses muscles.
Sabu avait les épaules et la tête basse, il ne pouvait pas s'empêcher de penser aux yeux bleus du lézard. Les yeux de sa fille. Il le savait. Il les connaissait. Les autres ne voyaient rien. Ni ce petit merdeux de Levitis avec ses airs de chef qui ne s'assume pas, ni cette ... cette tueuse étrangère qui les avait abondonnés dans le noir. Pas même ses compagnons. Aucun d'eux n''était de son village aucun ... et tous ces murs ! Ces murs allaient le rendre fou ! Ce plafond, ce ... où était le ciel à la fin ?! Depuis combien de temps tournaient-ils en rond là-dedans ? Quand est-ce qu'ils allaient sortir du ventre de la terre ? Peut-être se perdaient-ils à jamais ?

- Nous allons tous mourir ici. C'est notre punition pour les avoir tuées.
- Bouse de Sirlek ! Calme toi Sabu, il n'y a aucune preuve, on te l'a dit tout à l'heure ce sont des animaux rien de plus. avança le jeune chasseur.
- Tu n'as aucune preuve de ce que tu avances !
- Ta gueule Sabu, merde ! Tu vas tous nous faire paniquer avec tes conneries ! l'agressa Nandini.

C'est vrai quoi ! L'enfermement tapait sur les nerfs de tout le monde. La fatigue aussi. Ils étaient entrés dans la caverne en plein milieu de la nuit et depuis ils n'avaient pris aucun repos, outre l'attente avant et après la traversée des siphons.

Le colosse avait envie de massacrer quelqu'un pour se passer les nerfs. Venger les filles-lézards. Lui qui avait une nature taciturne et effacée se sentait plus en rage que jamais. Mais agresser physiquement un de ses compagnons ? et se faire écharper par ceux qui restaient ? Ou briser leurs stupides crânes un par un ? Non bon sang ! Quelles étaient ces pensées ? Il n'était pourtant pas si violent. Il avait la carrure mais pas le coeur habituellement. Et là, là ... il se prit la tête entre les mains et rugit avant de donner des coups de poings rageurs dans le mur. Si il cognait assez fort, peut-être la montagne s'écroulerait-elle, les installant tous dans un seul et unique tombeau.

Masha et Nandini lui criaient d'arrêter, Tarik tentait de le retenir rien n'y faisait. Quant à la clerc, songeant aux mains en marmelade qu'elle allait devoir soigner après ... elle était verte.

Et puis côté discrétion, c'était encore plus fichu qu'avant.

Mellyna regarda de nouveau la danseuse, ça ne passait décidemment pas. La crise continuait, bah peut-être que discuter lui ferait du bien.
*-Je vous amenerai si je le peux. Bien que je ne sois pas une monture...
-Je sais, je ne croyais pas cela possible. Je ne te considérerai jamais comme une simple monture, tu le sais bien.*

-Il est d'accord pour nous emmener mais je ne suis plus si sûre que cette idée soit excellente si on met sa vie en danger.

Une pause soudaine se fit dans le discours de la dédrane, elle hésitait à répondre à la question de la danseuse.

*Que dire ou ne pas dire ? Est-ce que la vérité apaisera Fanaa ? C'est à tenter.*

-Oui j'ai déjà tué un homme, plusieurs d'ailleurs.
Ca ne me fait plus peur, il faut juste gérer le vide que cela laisse. Et vivre avec sa culpabilité.
Pourquoi me demandes-tu cela ? Je ne te laisserai pas y aller seule, pas question.
Je maintiens qu'il faut rejoindre les autres, ils doivent être terriblement inquiets.

*********
En haut, cela n'allait pas très fort non plus.
Thani préféra passer sous silence la remarque acerbe du lévitis. Il n'avait qu'à prendre le commandement si sa relation avec la dédrane ne lui plaisait pas. Il s'était laissé emporter d'accord mais il n'avait pas fait d'autres erreurs, enfin pas à sa connaissance...

L'eyerash intervint et tentait tant bien que mal de maintenir les mains de Sabu dans un étau pour qu'il se calme.

-Sabu, calme toi. Parle-moi, qu'est-ce qui ne va pas ? Ce n'est pas dans tes habitudes de réagir de cette façon. Calme-toi, respire. Lentement, voila.

Les autres surveillaient les alentours avec inquiétude, s'ils y avaient d'autres bestioles elles ne tarderaient sans doute pas à rappliquer.

- Allons allons Messires et Mesdames. Je vous en prie, un peu de silence et de calme seraient heureux.

En entendant cette voix inconnue, Sabu s'arrêta instantanément. Les filles, surprises, tournèrent la tête vers le nouvel arrivant. C'était un petit homme rond aux cheveux blancs qui tenait une torche à la main. Petit. Il arrivait peut-être à peine au niveau du nombril de Ridelgald.
Il se tenait à quelques mètres de Nandini, dans la direction que le groupe se tenait prêt à emprunter.

Sabu (toujours lui) leva un poing écorché.

- C'est encore une foutue illusion !
- Non, non. Je suis bien réel. Je n'ai pas de mâchoire ou d'écailles cachées. Bien. Maitenant que ce point -qui vous rassure j'en suis sûr- est éclairci, passons à la suite. Vous êtes bien des émissaires envoyés par les Ilahi pour traitre avec Sa Majestée Leviathan n'est-ce pas ? Alors si vous voulez bien me suivre ...

- Traîter avec sa Majesté ? Mais bien entendu, répliqua presque aussitôt Earl avec aplomb, tout en adressant un signe négatif à Ridelgald.

Dépité, le soldat rentra l'épée qu'il avait commencé à tirer de son fourreau, mais sans la lâcher pour autant.

Qu'était-ce que cela, encore ?
Pour traîter avec quelqu'un, il fallait d'abord avoir reçu une invitation en bonne et due forme. Ou alors il avait mal interprété les usages diplomatiques... du moins ceux où on discutait avec des mots, et pas à coups de sortilèges ou d'épées.
Quel genre de "diplomatie" les attendait ?
Si elle était à l'image du comité d'accueil dans la grotte des illusions, ils risquaient de rencontrer quelques difficultés.

Il fit peser un regard pensif sur le crâne du petit homme, cherchant à l'évaluer. Si seulement il avait pu stabiliser sa sensibilité à l'elixia ambiante, il en aurait vite eu le coeur net. Il aurait tout de suite su s'ils pourraient lui fausser compagnie avant que les mâchoires d'un hypothétique piège ne se referment complètement sur eux, mais malheureusement...

- Très bien très bien. Si vous voulez bien me suivre. Je vais marcher devant vous et peut-être serez vous tentés de m'enfoncer votre épée lumineuse dans le dos mais je vous le déconseille. A moins que vous ne vouliez risquer de tourner en rond ici jusqu'à mourir de découragement, bien sûr. Ainsi que vous pouvez le voir je n'ai pas d'arme.

La petite troupe se lançait des coups d'oeil peu assurés. Qui était cet homme ? Pourquoi le Levitis rentrait-il dans son jeu ? Avait-il raison de le faire ? Nandini et Tarik lancèrent un regard appuyé à Masha. Se rappelait-elle de lui ? Non, pas du tout. Mais elle ne se rappelait de rien ou presque alors comment savoir ?

Comme ils hésitaient à lui emboîter le pas, le petit homme se retourna et tapa du pied.

- Maintenant qu'il accepte votre visite, ce serait un affront que d'hésiter. Y a-t-il un problème ? Y a-t-il ... ?

Il fronça les sourcils.

- Y a-t-il quelque chose dans l'aquarium du Maître ? Quelle attention délicate de penser à nourrir ses petits poissons. Vous pensez à tout et à tout le monde. Sa Majestée va vraiment apprécier ce geste. J'espère que vous avez songé à ne jeter que les plus laides. Bien. Allons-y maintenant.

Quel charabia ! Ca ne voulait rien dire ! Tarik se redressa et s'avança.

- Oui bien sûr. Ne faisons pas attendre ce cher Leviathan.
- Je vous déconseille d'être aussi familier avec lui, Messire.
- Bien entendu. Je ne voudrais pas froisser sa Majestée.
- Je suis rassuré. Et puis les présents que vous lui apportez suffisent à effacer cette insulte, je pense. Mais n'en abusez pas.

Son teint avait dû être doré à une époque, mais il avait passé tant de temps sous terre que sa peau était maintenant plus terne qu'autre chose. Il reprit sa marche, flambeau en main, les guida dans des couloirs, n'hésita jamais à aucun embranchement. Bientôt une lointaine odeur de verdure flotta dans l'air, rappela à Masha l'image de jardins. Elle frissonna.

Les plafonds des couloirs étaient parfois hauts, d'autres fois bas, et Sabu se cogna la tête quelques fois. Ils descendirent, remontèrent, descendirent encore ... pour entrer dans ue caverne immense. Incroyablement haute de plafond, elle s'étendait sur une immense circonférence. Sous les pieds du groupe, de l'herbe. Un peu plus loin, trois fontaines sculptées laissaient s'écouler une eau claire au son de délicieux glou-glous. Derrière, enfin, se tenait un bâtiment de pierre qui n'était pas sans rappeler le Sanctuaire du Pas du Dragon. Des rambardes délicatement ajourées de ses balcons s'écoulaient des longues ramures feuillues et fleuries, créant de sublimes jardins suspendus.

Masha sentit ses jambes faiblir. C'était ici ! C'était bien ici !

- Messires et Mesdames, bienvenue dans la nouvelle capitale du Désert, N'est-elle pas magnifique ? Il est heureux que les Illahi reconnaissent enfin sa magnificence et son existence. Ce sont des enfants, le Maître leur pardonnera de l'avoir ignoré toutes ces années puisqu'aujourd'hui ils reconnaissent sa suprématie. Bien. Je vais vous installer dans un salon du Palais et vous servir des rafraîchissement. Vous devez avoir besoin de vous reposer, sûrement.



*****************

- Mellyna, je t'en prie viens avec moi ! Je ...

Comment lui dire ? Elle allait avoir peur peut-être. Elle allait paniquer aussi ou ne pas la croire. Fanaa elle-même avait du mal à accorder foi à ce qu'elle allait dire et pourtant ...

- Je l'entends Mellyna ! Je suis comme ... je ne sais pas ... hyper sensible ! Dans ma tête il y a beaucoup de choses et j'essaie de faire le tri et je sais des choses. J'ai des certitudes, il est là-bas, il faut que tu me croies ! Je sais ce qu'il est ce qu'il a fait je sais pour les bêtes ... il ...

Fanaa appuya ses mains sur ses tempes. Visiblement ce trop-plein d'informations était douloureuse à gérer.

- Il se prend pour un maître des illusions, il a quelque chose qui l'aide à créer des cauchemars. Tu te souviens des filles quand on t'a trouvée ? Ces illusions n'étaient pas de lui. Son influence ne va pas aussi loin. Elle s'étend seulement là-bas, sous son dôme. Il va ...

Elle eut un haut-le-coeur et se plaqua une main sur la bouche. Elle avait l'impression que ses entrailles se tordaient. Elle savait qu'elle avait l'air d'une hystérique mais ce sentiment d'urgence, cette prescience aussi c'était trop dur à gérer. A supporter.

- Je l'entends mais ça ne va pas durer. J'ai l'air bizarre mais c'est parce que je ne suis pas dans mon état normal, c'est comme une crise ! Et ça ne va pas durer. Il faut en profiter pendant que je le sens ! J'ai besoin de toi. J'ai besoin de toi pour que tu t'occupes de lui. Pour que tu le tues !

Non, il n'était pas question de remonter. Si elle croisait tout de suite le groupe, ils auraient du ressentiment envers elle et dans son état présent elle le ressentirait ... là elle comprenait ce que pouvait ressentir Earl et ses demandes du type "arrête de réfléchir, ça bourdonne".
Mais c'était pire que du bourdonnement en fait !

Dans ses veines l'elixia brûlait comme de l'adrénaline sauvage. Fanaa la sentait chauffer. Elle devait l'utiliser où ça l'attaquerait elle-même.
La température dans ses mains augmentait vraiment, aussi elle rompit le contact avec Mellyna et les posa sur la paroi. Il y eut un bruit grave et profond. Sous le regard médusé de la Dedrane, la pierre se mit à "pousser" à certains endroits, de façon à former une sorte de chemin étroit sur lequel Fanaa prit pied. Elle se retourna vers la Dedrane.

- Viens, viens s'il te plait ! Nous rejoindrons les autres après, c'est promis ! Mais avant nous devons aller là-bas !

-Bah, après tout allons-y.

C'était surtout le sentiment d'urgence qui émanait de la danseuse qui avait poussé la dédrane à accepter plus encore que cette surprenante démonstration de puissance. Après tout elle l'avait suivie jusqu'ici, elle n'allait pas l'abandonner en route. La gardienne espérait seulement que les autres s'en sortaient mieux qu'elles.

Mellyna sauta sur le pont de pierre à la suite de Fanaa et la suivit sans hésiter malgré la danger qui tournoyait sous elles.

*-Trop crédule. Qu'est-ce qui te prouve qu'elle n'est pas manipulée par le mage en ce moment même ?
-Si c'est le cas, il n'est pas très doué. Une Fanaa calme et sûre d'elle m'aurait plus vite convaincue. Mais elle souffre vraiment, il faut au moins apaiser cela avant que ça ne tourne mal.
-C'est vrai qu'elle est à deux doigts d'exploser mais je m'inquiète pour toi.
-Allons tu es là, tout se passera bien.*

La flatterie avait l'air de bien fonctionner avec Eleïr'l, il faudra s'en souvenir pour les fois où son caractère deviendrait difficile.