Bâteau d'Earl, les quais

Earl se raidit sensiblement.

Depuis peu, des disparitions inexpliquées dans certaines zones avaient éveillé les soupçons du conseil de Lévitas.
Pas un des espions envoyé dans ces secteurs immédiatement après chaque évènement n'était revenu non plus. En fait, personne ne s'attendait à ce qu'ils reviennent en dépit de leurs indéniables capacités.
On les avait sciemment envoyés en mission suicide.
Par bonheur, un de ceux qui possédaient quelques dons de mentaliste -dons artificiellement renforcés par des implants de cristal d'elixia selon une méthode tenue celée par l'armée- avait réussi à leur faire parvenir un message fragmentaire, brouillé...
"Peuple de Lun..."
Tant de vies précieuses sacrifiées pour ces trois mots.

Earl avait pu aller examiner en personne le terrain dans une de ces zones, dès que la menace avait paru se déplacer. Il n'était pas près d'oublier la sensation qui l'avait saisi jusqu'aux entrailles lorsqu'il avait pu capter l'elixia résiduelle qui flottait encore dans l'air.

Les membres du conseil refuseraient sûrement de le croire quand il leur rapporterait cette rencontre... si jamais il avait l'occasion de la leur rapporter.

Il eut tout juste le temps de repousser dans les tréfonds de sa conscience les pensées qu'il ne désirait à aucun prix voir mises à nu. En bon soldat appartenant corps et âme à Lévitas, il était prêt à détruire ses propres souvenirs par une saturation d'elixia bien placée si le besoin s'en faisait sentir. Et peu importaient les inévitables séquelles qui devraient s'ensuivre...
Par bonheur, la prêtresse se borna à un examen superficiel.

Il eut beaucoup plus de mal à ne pas tressaillir franchement lorsque Fanaa commença à remettre Syld sur le tapis.
Bon sang, pouvait elle prononcer une seule parole sans augmenter les risques qu'il encourait ? Heureusement que le nom de Syld était celui d'un parfait inconnu...
Cette... "Lunelia" n'y prêta d'ailleurs aucune attention.

Les muscles des mâchoires du clerc se crispèrent.

- "Dévouée au bien d'autrui"... Mais bien sûr, et Valnor veille bénévolement sur nous et nos petites âmes misérables, amen.

Il se détourna avec un haussement d'épaule et rouvrit la porte de la cabine.

- Je suppose que de toute façon ce serait un peu difficile de vous renvoyer à votre maître là, maintenant...

Un sourire sarcastique étira les lèvres du jeune homme tandis qu'il effectuait un semblant de révérence.

- Vous nous ferez bien l'honneur de tenir ici votre petite discussion avec mademoiselle ? Nous ferons bien entendu un effort pour ne pas rajouter de "tension" dans l'atmosphère. Pardonnez-moi, mais l'idée de vous laisser en tête à tête me déplaît fortement. Un ami m'a expressément confié la demoiselle, et j'ai le sens du devoir bien ancré.

Tout en parlant, il se creusait frénétiquement les méninges pour savoir comment faire comprendre à Fanaa qu'il ne fallait pas qu'elle parle d'avantage de Syld, et qu'il fallait absolument éviter que cette... chose ne s'en approche.

La prêtresse s'arrêta sur le champ, et repris une position plus "adrénienne"

- Désolé mademoiselle Fanaa, je ne voulais point vous importuner, je comprend très bien votre point de vue.
Mais sachez que c'est ainsi que nous vivons, prêtresses du peuple de Lun, dans le chant, la danse et l'harmonie.

Elle prit un ton plus sérieux et répondit à ses interrogations :

- Tout d'abord, je ne souhaitais pas me cacher pour vous poignarder dans le dos.
Simplement, j'ai l'habitude d'avoir des dizaines d'assassins dès que le mot Valnor sort mélodieusement de ma bouche, comprenez que je prend mes précautions même si je peux neutraliser qui je veux, quand je veux.
Je ne tient pas à vous mentir la dessus, ni sur les raisons de ma venue ici.

S'agenouillant en position de prière, elle enchaina suite aux paroles de Earl.

- Pour la discussion, je ne comptais point vous éloigner. Nous pourrions même la faire dans la chambre de votre ami mais...

Elle se concentra puis se tint la poitrine en serrant les dents.

-... on dirait qu'il est gravement atteint et qu'il souffre terriblement. Je pense que parler à coté de lui serait quelque peu perturbant pour sa santé fragile.
Je vous propose de nous mettre dans la pièce la plus proche, tout en restant suffisamment loin pour ne pas le déranger.

Suite à l'invitation du clerc, elle lui répliqua.

- Sachez, monseigneur Earl, que malgré votre extraordinaire talent, vous ne connaissez rien de nous et jugez sur une première apparence. Je vous estime actuellement beaucoup, vous pourriez faire preuve de plus de sagesse et passer outre votre première impression...

Même si je vous l'accorte *en se relevant* elle est totalement fondée et qu'après tout, vous êtes vous aussi dans le fond un adrénien...

Peut être qu'après quelques précisions, votre avis à tous sera plus éclairé.

Elle se dirigea vers la porte ouverte puis se retournant, elle invita Fanaa :

- Vous venez mademoiselle ?

Si les paroles de Lunelia étaient hypnotiques, celles d'Earl étaient tout le contraire. Chaque fois qu'il prononçait le nom de Valnor, Fanaa avait une affreuse sensation de haut-le cœur. Son esprit et même son corps exprimaient leur rejet total.
Et surtout, l'aide que proposait la prêtresse perdait de sa réalité quand le clerc la tournait en dérision.

Chaque fois que l'un des deux parlait, elle était tiraillée. Si Lunelia prenait la parole, elle captait l'attention et la confiance de Fanaa, quand Earl se faisait entendre, il réveillait ses craintes et la mettait sur ses gardes. La jeune fille ne savait plus ou donner de la tête.
Comme Lunelia avait eu le dernier mot, Fanaa s'était tout simplement rangée de son côté.

- Earl a une santé fragile ?

Fanaa le regarda tristement.

- Tu aurais dû me le dire Earl. On t'aurait fait soigner... Je vais parler avec elle et trouver un arrangement. Repose toi en attendant.

*Viens! Viens avec moi!* Oui, une partie de Fanaa aurait voulu l'appeler au secours. La façon de parler de Lunelia la perturbait et avait conscience de n'être pas assez éclairée pour ne pas tomber dans les pièges d'un tel langage. C'était une personne intelligente et vive d'esprit qui aurait dû accompagner la prêtresse.
Mais Fanaa n'osa pas formuler tout haut sa pensée. Elle avait fait assez d'erreurs comme cela et s'appuyer encore sur Earl eut été l'ennuyer. Il ne l'avait pardonnée.

Fanaa baissa les yeux et suivit le mystérieuse prêtresse.


Eireen observait tout cela avec des yeux exorbités de fureur.

- Chandlune! cracha-t-elle. Et dans sa bouche ce nom ressemblait à une insulte. Alors c'est à cela que vous étiez destinées ? Servir Valnor ? Nous vous avons protégées et nous sommes morts pour ça ? Sois mille fois maudite ! Et toi aussi Earl, pour avoir ouvert ta porte à ces démons. Levitis indigne !

Sa bouche était déformée en un effrayant rictus. Hormis ses courts cheveux d'argent, elle n'avait plus rien d'Eireen. La Levitis se mordit le poignet jusqu'au sang et en laissa gouter un peu aux pieds du clerc. Ensuite elle cracha dessus et fila sur le quai pour disparaitre dans la nuit.

- Tch ! J'ai suffisamment vu ce que Valnor est capable de faire pour que mon opinion ne soit plus fondée sur une "première apparence". Personne ne pourrait le servir sans être aussi pourri que lui à l'intérieur.

Earl fit un effort pour contenir son ressentiment. "Ne pas augmenter la tension", oui...

Mais ces histoires de "santé fragile" manquèrent le faire sortir de ses gonds. Et pour couronner le tout, il entendit Eireen (??) feuler et cracher comme un chat sauvage avant de filer.

- Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel, à la fin !

Il donna un coup de poing dans le montant de la porte, puis s'engouffra dans la cabine à la suite de Fanaa.

- Ce n'est sûrement pas moi qui ai la "santé fragile". Alors mademoiselle linotte, tu vas me faire le plaisir de ne pas stupidement boire les paroles de notre "invitée". Avise-toi de me donner encore un seul conseil sur le thème "va coucher, je m'occupe de tout", et je t'envoie une de mes "fragiles" mains en travers de la figure. Peu m'importe si ça déplaît à Madame.

Le jeune homme ne voyait toujours pas avec ses yeux, mais sa perception de l'elixia était suffisamment fine pour qu'il plaque brusquement une main sur la paroi, barrant la route à Fanaa.

- Est-ce que tu savais ce que tu faisais et pourquoi tu le faisais lorsque tu as créé cette barrière, à la Taverne ? Là, tu n'en donnes pas l'impression.

Il serra les dents.

- Si jamais tu t'avises de le "sauver" de cette façon, tu vas le perdre. Définitivement. Et tu vas aussi détruire tout ce qu'il est, tout ce qu'il a fait. S'il survit ainsi, il ne te le pardonnera jamais. Mourir au bout d'une corde lui ferait bien moins de mal, tu peux me croire.

Earl releva son bras et recula.

- Il a vraiment commis une erreur en s'attachant à toi. Une erreur qui va lui coûter plus que la vie.

Il se détourna sèchement puis alla s'installer sur un coffre qui pouvait servir de banc, tout contre la cloison du fond.

- Voilà, fin de l'épanchement de "tension". Vous pouvez y aller, je n'ouvrirai plus le bec quoi que vous puissiez dire.

Les paroles du Levitis l'écorchèrent vive et lui lacérèrent le coeur. Il l'avait incisée et la dépouillait de ce qui la faisait vivre pour le remplacer par quelque chose de glacial, de pesant.
"Il a vraiment commis une erreur en s'attachant à toi."

Pouvait il y avoir plus horribles mots ? Fanaa ferma les yeux, joignit les mains comme pour prier et s'en cacha le nez et la bouche. Elle resta immobile. C'était cela ou s'écrouler. Elle ne tomberait pas.
Pourquoi avait elle créé la barrière à Veis ? Pour protéger Syld. Le protéger de Valnor. Empêcher ce dernier de capter la moindre trace de son existence, de sa présence. Pour quelle raison ? Elle ne le savait pas exactement mais cela lui avait semblé la réaction à avoir sur le moment. Et aujourd'hui encore elle savait qu'elle avait bien fait, alors.

Fanaa rouvrit ses yeux, cette fois d'un violet profond et regarda Lunelia. Celle-ci travaillait avec Valnor, elle ne s'en était pas cachée. Comment la Danseuse avait elle pu croire un seul instant que la prêtresse puisse sauver Syld ? Sans effet secondaire comme indiquer à Valnor qu'elle l'avait découvert ? Elle avait été stupide. Stupide crédule et faible. Et dangereuse. Très dangereuse pour Syld.

Eireen avait raison. Earl avait raison. Soghann lui-même avait eu raison de vouloir les séparer. Fanaa avait eu tort.
"Tu vas détruire tout ce qu'il est."

Il fallait être réaliste. Elle était complètement inutile. Elle était incapable de faire quoi que ce soit pour son ange. Non. Elle n'avait même plus le droit de l'appeler ainsi. C'était fini. Tout était fini. Elle était plus qu'inutile, elle était dangereuse. Destructrice sans le vouloir.
Toutes les excuses du monde ne serviraient pas à la racheter. Pas après cela.

- Lunelia...

*Adieu.*

- Lunelia s'il vous plait, ne restons pas là.

*Adieu.*

- Je vous accompagnerai, mais je vous en supplie allons nous en loin, très loin d'ici.

*Loin de toi.*

Fanaa ne pouvait pas toucher la prêtresse, c'était au-dessus de ses forces, mais elle espérait qu'elle la suivrait. Avec effort elle pivota vers la porte et ce fut un miracle qu'elle ne tombe pas. Elle se sentait tellement vide, tellement inutile, presque inconsistante.
Sa peau était devenue aussi pâle que la craie, le noir de jais de ses cheveux s'était affadi.

Syld allait mourir. Il souffrait et il souffrirait encore immensément avant ce moment. Par sa faute. Elle ne serait pas là pour son dernier souffle. Pour une ultime tentative de sauvetage, pour un dernier regard, une dernière supplication à Adennon. Elle ne serait pas là. Elle serait loin, mais alors le danger aussi, avec elle. Il le fallait.

Tout était fini.

*Adieu, Syld.*

Et la prêtresse de lui répliquer :

- Non, quelqu'un d'autre de très proche... Ce n'est pas sieur Earl qui est souffrant, bien que terriblement énervé.

Elle ne le signala pas, mais cet énervement ne lui plaisait pas... il perturbait l'Elixia ambiant et brisait l'harmonie du bois qui les entourait.

Elle passa devant la cabine pour regarder, persuadée que son futur "patient" était ici mais...

Rien !

Lunelia scruta la pièce l'espace de quelques secondes. Perturbée, elle ne s'était jamais trompé de la sorte...

Il n'y avait personne, strictement personne, alors que tout ses dons lui disaient le contraire.

Consciente du danger même si aucune personne sur ces terres ne peut scanner son esprit, elle lança au Lévitis méfiant :


- Très bon choix monsieur Earl, il y a de la place pour tout le monde.

Sans attendre la réponse, elle se mit à tournoyer au milieu en chantant.
La douceur de sa voix se mélangea harmoniquement avec les parois du bateau.
La chanson était d'une douceur infinie, tout comme celle qu'une mère pouvait chanter à ses rejetons.

Cela ne faisait partie d'aucun plan, d'aucune stratégie.

Elle adore la douceur de ces chants et désire en faire profiter son entourage.
Le peuple de Lun aime à s'évader hors de ce monde par des chants de la sorte.

Elle se rappela soudainement des paroles de ce qui allait devenir peut-être sa future maîtresse et s'arrêta brusquement...


- Veuillez m'excuser de mon égarement mademoiselle, il va me falloir un petit temps d'adaptation.

Que s'était-il passé, pourquoi son Elixia avait été brouillé à ce point...
Son maître l'avait averti mais elle n'en croyait pas ses yeux.

Cette personne serait-elle vraiment comme il lui a décrit ?
La puissance de l'aura de Fanaa est-elle si grande au point de créer des liens empathiques avec des personnes distantes...

Il fallait qu'elle en ait le cœur net...

Elle baissa sa capuche, une longue chevelure argentée magnifique tomba jusqu'au bas de ses reins.
Son front était paré d'un diadème magique aux reflets violets et ses oreilles de boucles travaillées de couleur verte.
Ses yeux profondément rouges était remplis de douceur, même si tout le monde ne le voyait pas comme ça...

Attendant que tout le monde soit assit en silence, elle prit la parole.


- Très bien, vu que ma présence semble être indésirable pour nombre de personnes, je vais faire bref.
Je ne prononcerai pas le nom du maitre pour ne pas choquer mademoiselle...

Nous somme le peuple de Lun, une compagnie exclusivement féminine qui a suivi de notre propre chef notre maître sauveur quand il a tué de ses mains les destructeurs de notre peuple et ainsi... mis fin à nos désirs de vengeance...

Essuyant une larme noire, elle ne voulu pas s'attarder d'avantage sur ces faits douloureux...

Sachez qu'il ne nous a fait aucune proposition, magie, ni même menace...
Nous l'avons suivi car nous partageons ses idéaux et le respectons, même si nous ne partageons pas ses méthodes.
Malgré cela, il nous a offert un pouvoir que nul ne pouvait rêver...

Pour relier ceci au domaine médical monseigneur Earl, notre maître est le chirurgien de ce monde là ou nous sommes simplement des onguents, des potions et des pansements.

Si je suis présent ici à la place de mon maître, c'est pour mademoiselle.

Les regards se tournèrent vers Fanaa qui s'emballa et pris la direction de la porte.

Oui vous, vous ne le savez peut-être pas, mais vous possédez un pouvoir qui dépasse l'entendement de cette planète.
Votre Elixia est particulier, tout autant qu'il est instable... mais il est bénéfique et peut sauver de nombreuses vies.
Dans une autre situation, je vous aurait demandé de rejoindre ma cause, mais là n'est pas la question...

Venons en au fait, mon maître m'a demandé de venir ici pour veiller sur vous mademoiselle.
Si jamais votre Elixia venait à être en contact avec Tifria, ceci pourrait provoquer la destruction de ce système lunaire... ceci ne plait à personne, ni à lui, ni à nous, ni à vous je suppose.
Votre Elixia est aux antipodes de l'épées, la ou elle peut détruire en en rien de temps, vous pouvez tout réparer en écartant les bras.

Il m'a ainsi demandé d'une part de vous tenir à distance, d'autre part de vous étudier afin de voir si oui ou non votre Elixia peut entrainer cette apocalypse dont tout le monde redoute...

Ainsi, dame Fanaa, sieur Earl et les autres, voici ce que je vous propose.

Elle fit un tour sur elle même et prit une position de danse, avant de se rétracter...

- Milles excuses encore une fois...
Donc ce que je vous propose est le marché suivant, je reste sans mon peuple auprès de dame Fanaa afin de la protéger et de l'examiner sur ces ressources cachées. Je souhaite donc mettre avec dévotion au service de cet être si unique, si harmonieux, mes talents de prêtresse.

Vous pourrez ainsi avoir à votre disposition des talents hors du commun pour soigner les blessés irrécupérables, voire encore faire dans certains revenir à la vie des êtres proches de la mort. De plus je possède de nombreux pouvoirs très utiles que n'importe qui rêverait d'avoir pour se sortir de situations impossibles.

En contrepartie j'attends de vous une entière coopération, une discrétion sans faille et une aide dans mes recherches. Ceux qui ne veulent pas entendre parler de moi ou refusent, ils peuvent sortir immédiatement, ils perdrons toute trace de cette conversation dans leur mémoire et continueront leur vie normalement sans jamais m'avoir connu...
Pour les autres, considérez vous sous la surveillance de notre peuple.

Je rajoute une dernière clause, si l'expérience s'avère positive je l'emmènerai avec moi pour qu'elle rencontre le maitre en personne. Je vous fait la promesse qu'il ne lui arrivera rien car personne ne veut sa mort parmi les nôtres, son équilibre est bien trop magnifique et bien trop précieux en ce monde pour être brisé.

Maitre aura besoin de vous pour reconstruire un monde idéal et il sera apte à révéler la plénitude de vos pouvoirs bénéfiques. Il est bloqué par la maudite Tifria, sinon ce serait lui qui vous se tiendrait ici en ce jour...

Qu'en pensez vous ? Réfléchissez bien, j'ai conscience que ce n'est pas simple...

Elle tournoya de nouveau en dansant, son monologue l'avait épuisée, elle n'aimait pas les grands discours interminables...

La prêtresse observait le clerc avec, elle aussi, beaucoup de pitié.
Quoiqu'il en pensait, leurs deux objectifs étaient le même à savoir : aider les autres.
S'accroupissant, elle prononça quelques vers parlant d'amour et de protection.

Ce poème étant destiné à Earl et ceci eût pour effet de lui faire posséder temporairement l'effet d'un sommeil réparateur d'une dizaine d'année... les effets négatifs et courbatures en moins.

Elle savait qu'il ne serait pas dupe et que, même si son discours était l'exacte vérité du début à la fin, il s'y opposerait naturellement.

- Monsieur Earl, voyez-vous quelconque inconvénient à ce que nous nous entretenions en privé ?
D'une part pour laisser mademoiselle réfléchir calmement, d'autre part car vous nous avons certainement nombre de choses à nous dire.

Depuis qu'il l'avait reconnue, Earl n'eût que des vives réactions de mépris et de méfiance.
Il fallait qu'elle mette ça au clair avec lui, sinon il pourrait très vite compromettre la libération des pouvoirs de Fanaa.

- Allons venez, vos lèvres brûlent de questions et ce n'est de toute manière pas à vous de prendre la décision finale.
Nous avons tout notre temps, et nous pouvons remettre cette petite conversation à plus tard si cela ne vous sied pas, cependant le poème que je viens de vous envoyer ne dure qu'une journée au plus

Elle fit un tourniquet inversé pour se relever, puis pris une pose plus grave avant de clamer.

- Cependant, à ce que j'ai pu voir et entendre, il y a en ce moment des vies en danger.
Je déteste voir des vies s'éteindre inutilement... je suis une clerc tout comme vous mon cher !

Lunelia parlait de Syld, elle le sentait à travers Fanaa ! Il ne fallait pas, il ne fallait surtout pas laisser cette brèche par laquelle la prêtresse pouvait l'atteindre ! Fanaa devait se couper de Syld, arrêter de penser à lui, cesser de se tendre vers lui. C'était comme s'amputer un bout de soi mais elle devait le faire.

Elle fut surprise de la facilité avec laquelle son elixia lui obéit. Fanaa rassembla ses pensées, ses souvenirs, tout ce qu'elle portait en elle qui avait trait au jeune homme et aggloméra l'elixia autour, créant une bulle de protection et empêchant Lunelia de le ressentir encore. Tendre tout son esprit pour s'empêcher de penser à lui était sûrement l'exercice le plus dur qu'elle ait jamais eu à faire. Créer la barrière à Veis semblait dérisoire à côté.

Lorsqu'elle se fut assurée d'avoir mis le jeune homme hors de portée d'esprit de Lunelia, Fanaa prit la parole :

- Mais personne ne souffre ici. Personne. Il n'y a pas eu de bataille. Dame Lunelia, vous avez parlé de beaucoup de choses. Enormément et j'ai besoin de temps pour réfléchir. Quant à ...

Avait elle le droit de prononcer son nom ? Sûrement pas. Il la haïssait maintenant qu'il avait montré au grand jour le danger qu'elle était. Dire son nom eut été le salir. Et Earl n'avait pas besoin de cela.

- ... cet homme doit être fatigué. Nous avons eu une rude journée. J'ignore si les gens comme vous ont besoin de repos, mais peut-être pourriez vous nous laisser la nuit au moins ? Il est tard, dame Lunelia. Et je suis si fatiguée...

*Et j'ai tant de choses à penser... cela fait beaucoup d'un coup. Vraiment. Trop peut-être? Et je ne sais pas quoi faire...*

Lunelia se contenta d'un petit rire enjoué.
Elle venait de ressentir les brusques changements des afflux d'Elixia qui parcouraient Fanaa.
Vu qu'elle ne contrôle actuellement que peu de ce flux, il est totalement visible par une personne ayant de l'Elixia lunaire.
Alors pour quelqu'un comme Lunelia qui est la meilleure dans la lecture des flux, c'est comme si chaque petite modulation lui racontait une nouvelle histoire.

Virevoltant avec sa légèreté habituelle, elle s'approcha de Fanaa.

- Hihi, mademoiselle Fanaa, vous me fascinez, vraiment !
Même si vous manquez d'attention car j'ai dit et répété que vous aurez tout votre temps pour vous décider.
Maître n'étant pas pressé...

Elle fit apparaitre une corde d'Elixia et la vibration de celle-ci provoqua une note qui rendrait jaloux tout troubadour qui se respecte, une note à la fois douce et bienveillante.

- Cependant si personne ne souffre, pourquoi avez vous cet air sombre ?

Ne lui laissant volontairement pas répondre à la question, elle continua :

- Souriez mademoiselle, si la vie est belle ! Inutile de vous morfondre pour rien, hihi !

Lui caressant légèrement le haut du dos dans un pas de danse, elle s'éloigna doucement, en glissant un pied, puis l'autre.

- Veuillez m'excuser mademoiselle, mais je crois que je n'arriverai jamais à m'habituer à votre mode de vie composé de si peu de tendresses et de joyeuseté.
Nous ne dormons en effet pas du tout car ça nous est sensiblement impossible, mais je m'agenouillerai au bord de l'eau afin de chanter de tendres berceuses.

Elle acheva ses mots dans une pose de final de cabaret, décidément, elle ne comprendra jamais l'esprit aussi peu enjoué des adréniens.

Fanaa se raidit. Lunelia l'avait sentie, elle avait senti sa manipulation pour lui cacher le brigand. La jeune fille se morigéna intérieurement, elle aurait dû prévoir cela ! Valnor ne s'entourait pas de faibles c'était évident !
Ne pas paniquer et ne pas briser la bulle. Lunelia savait que Fanaa utilisait son elixia. Peut être savait elle même que c'était pour soustraire une personne à son influence. Mais elle ignorait qui et c'était là le plus important.

La prêtresse de Lun avait une façon de se comporter assez crispante. Elle prônait, les soins, la joie, la musique et ses paroles faisaient douter qu'elle fut réellement aux ordre de valnor. Pourtant sa façon de prononcer le mot "maitre" empli de devotion et d'admiration faisait froid dans le dos.

Lorsque Lunelia pinça la corde d'elixia, Fanaa eut un nouveau haut-le-cœur. Il semblait qu'elle supportait mal l'elixia de la lunaire, pourquoi ? Y avait il des elixia différentes ? C'était ce que la prêtresse avait semblé dire. Fanaa aurait bien demandé à Earl mais cela lui était impossible.

L'effleurement de Lunelia au haut de son dos, sur l'une de ses marques lui fit l'effet d'une brûlure au fer rouge et la jeune femme fit un bond, paniquée.

- Ne me touchez pas je vous en supplie ! Vous me faites mal !

Au coin de ses yeux brillaient des larmes de douleur. Elle leva les mains en signe de protection pour devancer la probable proposition de soin.

- Et s'il vous plait ne faites rien. Plus rien.

La Danseuse ne se sentait pas bien. Elle devait quitter le bateau, il le fallait, mais avant elle avait quelque chose à faire. Alors elle était désolée pour Earl mais elle allait y rester cette nuit. Demain... demain serait là bien assez tôt.

- Merci... d'accepter... de nous laisser dormir.

Elle hésita.

- A demain.

Tandis que la très bizarre Lunelia allait s'agenouiller au bord de l'eau, Fanaa grimpait au hauban retrouver le Grand mât. Elle fit face à la gravure de Syld. Non pas de Syld. De personne. Ne pas laisser de trace. Fanaa posa ses mains sur le torse de bois et entre ses doigts l'elixia parcourut le mât et effaça la représentation du shalos.

Elle ressassait les paroles de la prêtresse illuminée. Cette dernière lui prêtait des pouvoirs incroyables. Certes, Fanaa avait réussi à faire une barrière parfaite... mais "guérir les maux du monde en ouvrant les bras" ? Impossible. Elle ne pouvait être l'antithèse de Tifria. Et puis aider Valnor à créer un nouveau monde meilleur ? Les Chandlune auraient elles existé dans ce but ? Un frisson d'horreur la parcourut à cette idée. Mais non. Fanaa ne tolérait pas l'elixia de la prêtresse, et encore moins de prononcer le nom de Valnor. Tout son être le rejetait, elle ne pouvait donc pas lui être destinée. Pourtant il était vraiment puissant et peut être pouvait il voir au-delà de l'avenir ? peut être avait il raison ? Que devait elle faire? Il n'y avait personne pour le lui dire clairement et Fanaa était perdue.
Livrée à elle-même elle était toujours ainsi. On ne perd pas en quelques jours ce que l'on a acquis en plusieurs année. Fanaa avait été élevée et dressée à obéir, à suivre des directives.
Et là nul ne lui en donnait, elle était livrée à elle-même. Minute, Earl avait émis un conseil, presque un ordre. Il lui avait intimé de se jeter d'ici. De se supprimer, purement et simplement. Lorsqu'il avait dit cela c'était pour la secouer. Du moins l'avait elle cru. Mais il devait vraiment le penser maintenant. Maintenant qu'il savait qu'elle apportait pire que là mort à ...
ne pas penser à Lui.

La jeune fille se pencha. C'était assez haut pour ne pas s'en remettre. Surtout si elle visait le quai dont la pierre était bien plus impitoyable que le bois du navire. Étudiant ceci, elle croisa le regard rouge de Lunelia et sut que la prêtresse avait connaissance de ce qu'elle avait en tête. Les étranges berceuses qu'elle psalmodiaient se firent entendre plus fort et montèrent jusqu'à Fanaa. celle ci recula, s'adossa au Grand mât et se laissa glisser pour s'asseoir sur la vergue.

Elle saisit un des cordages et y enroula son poignet. Elle ne pouvait pas mourir ce soir. pas encore. pas tan qu'il restait un souffle de vie en Lui. Pas tant qu'il y avait un éclat d'espoir, même infime.

La berceuse se fit entendre plus fort et Fanaa perdit connaissance plus qu'elle ne s'endormit.

Ainsi passa la nuit.

- Comment pourrions-nous être enjoués quand vous et votre maître détruisez des vies précieuses à nos yeux comme ceci ?

Earl claqua des doigts.

- Et comment voulez-vous que nous vous regardions sans dégoût alors que vous le faites en riant ?

Il se mordit brusquement la lèvre. Viser un but sans se préoccuper de la méthode à employer pour y parvenir... Certaines expérimentations de l'armée à Lévitas n'étaient pas si différentes. Ael devait en pleurer dans son sommeil. Au moins, elle n'en riait pas...

Le jeune homme entendit Fanaa sortir. Il se tourna vers la prêtresse avant qu'elle ne fasse de même.

- Je refuse d'en entendre d'avantage. Gardez vos sermons pour d'autres.

Il se leva et ouvrit une porte au fond de la cabine avec tant d'énergie qu'elle émit un craquement de protestation.
Un craquement...
Sans savoir pourquoi, le Lévitis se sentit à nouveau nauséeux. Secouant une nouvelle fois la tête avec obstination, il passa dans le quartier de l'équipage et claqua le battant dans son dos.
Il ne dormit pas de la nuit.

Earl resta un long moment à faire les cent pas dans le poste d'équipage. Il s'adossa finalement contre la paroi entre deux séries de couchettes, la tête tournée vers le petit hublot qui tentait de dissiper l'impression d'étouffement que pouvait donner cette partie du bateau où les hommes s'entassaient habituellement contre sur les rayonnages d'une bibliothèque.
Une goélette à hunier comme celle-ci ne nécessitait pas un équipage très important pour la manœuvre, c'est pourquoi on avait trouvé la place nécessaire pour se permettre le luxe d'un hublot dans le poste d'équipage. Au moins, on pouvait savoir s'il faisait jour sans avoir à mettre le nez sur le pont.

Le Lévitis plissa les yeux. Lentement, la lueur diffuse qu'il avait commencé à percevoir se nuançait, les contours et les couleurs se détachaient sur ce fond de brume lumineuse... la vue lui revenait.
S'il accusait le coup ainsi à chaque fluctuation importante d'elixia, sa carrière en tant que clerc et en tant que militaire risquait d'être courte.
Il pinça les lèvres.
Comme s'il n'avait pas assez de préoccupations comme cela !

Son regard se perdit dans le scintillement des premiers rayons du soleil sur la mer.

Peu importe de quelle façon il tournait le problème, il en revenait toujours au même point : il ne pourrait à la fois sauver Syld et Lévitas.
S'il se concentrait sur le brigand, il devrait repousser Fanaa au loin, ce qui revenait à la pousser dans les griffes de Valnor. Et seul le pire pouvait s'ensuivre. Pas seulement pour eux, mais pour Adreis toute entière.
S'il voulait pouvoir rester auprès de Fanaa afin de veiller à ce n'aille pas servir les desseins du Tyran, il ne pourrait sans doute pas l'empêcher de tenter de secourir Syld... avec l'aide de la prêtresse de Lun. Ce qui revenait à rayer l'assassin de l'équation, il le savait.
Avec l'arrivée de la prêtresse, la question du sauvetage c'était transformée en un choix. Le problème n'était plus de savoir comment on allait sauver quelqu'un... mais de savoir qui on allait sauver. Et qui serait sacrifié.

Earl se mordit le bout de l'index.

Il ne pouvait que choisir Ael, Lévitas, Adreis enfin.
Il ne pouvait tout préserver.
A moins que...

Le clerc laissa retomber sa main dans les plis de son manteau, les yeux dans le vide.
Et si...
Non, c'était trop risqué.

Il avait pu se rendre compte de l'instabilité du pouvoir de Fanaa à la Taverne de Veis. Si jamais les choses tournaient mal, ils couraient à la catastrophe.
Mais si ça fonctionnait ?
Avec de la chance, beaucoup de chance, les deux problèmes seraient résolus d'un seul coup. On ne remportait pas de grandes victoires sans prendre de risques, il était fort bien placé pour le savoir.

Il devait faire vite.

Sans plus perdre de temps, le jeune homme monta l'échelle qui menait à la coupée et prit pied sur le pont. Sans accorder un seul regard vers Lunelia qui était -hélas- toujours là, il grimpa dans les haubans avec la rapidité et la sûreté de mouvement de quelqu'un qui avait déjà navigué et participé à la manœuvre par gros temps. Il alla secouer Fanaa.

- Il faut qu'on parle.

Et, plus bas, dans un murmure si ténu qu'il s'entendit à peine lui-même:
- Loin des oreilles indiscrètes.

Fanaa ouvrit les yeux et son regard s'alluma en regardant Earl, il n'était plus fâché ? Et puis les mots du clerc lui revinrent en mémoire brusquement. Violemment.
Et l'étincelle de ses prunelles s'éteignit.
Il était au dela de la simple colère, c'était sûr. Il avait découvert qu'elle était dangereuse pour S... Lui. Mortelle, même. Son ennemie. Comment en était elle arrivée là ? Mais ce n'était pas le moment d'y songer. C'était trop tard.

Elle baissa les yeux. Elle n'avait pas le droit de le regarder dans les yeux, de faire comme si elle était son égale. Ce serait avilisant pour lui.

Elle était prête à accepter toutes ses remontrances, de quelque manière qu'il choisisse de lui en faire part. Il avait raison. Elle était un monstre. Qui s'était jusque là ignorée... mais qui n'en existait pas moins.

Sa peau avait échangé sa terrible pâleur de la veille pour une teinte indéfinie un peu grise, un peu blanc cassé. La marque du Roi Sentence et ses milliers de cicatrices dessinant des ailes étaient devenues rouge sombre quant à ses lèvres elle étaient craquelées comme si elle n'avait rien bu depuis des jours. Ses cheveux étaient affreusement ternes.

La source en elle modelait son physique à l'image de son esprit. Fanaa ne souffrait pas, elle se perdait seulement. Les seules choses encore belles et vives étaient ses fines mains, toujours douces et dans lesquelles se concentrait son elixia, ainsi que ses yeux d'un violet profond.

- Je t'écoute...

Earl Lui attrapa le menton pour la forcer à le regarder en face.

- Ce n'est pas le moment de se laisser aller. Si tu veux que tes pouvoirs servent à quelque chose d'utile, tu ferais bien de te secouer.

Il jeta un coup d'oeil en bas, avant de la prendre par la main. Ils n'étaient pas encore assez loin de l'intruse à son goût.

- Viens.

Il monta plus haut vers la flèche du mât. Fanaa se laissa guider comme si elle n'avait pas plus de volonté qu'une poupée.
Bon, à cette hauteur, la brise marine noyait tous les sons.

- Fanaa, je t'ai dit de me regarder. Je ne sais pas encore comment tirer Syld de ce pétrin, mais ce que je sais, c'est que cette... "prêtresse" ne doit en aucun cas s'en approcher. Le risque est grand, trop grand. Je sais que tu fais tout pour ne pas penser à lui, cependant elle pourrait parvenir à l'atteindre à travers toi, même si on l'éloignait. Ce n'est pas un reproche que je te fais, mais...

Le Lévitis assura sa prise sur le hauban auquel il se tenait.

- Il faut tenir cette Lunelia à l'écart de ce qui va se passer. A l'écart physiquement et magiquement. Si tu peux faire cela, je pourrai avoir les coudées franches de mon côté. Il n'est pas trop tard. Je peux encore trouver un moyen. Jusqu'au dernier moment, il restera une chance, alors relève la tête et secoue-toi un peu.

Il prit une inspiration, en croisant mentalement les doigts.

- Je veux que tu crées une barrière. Comme celle de la Taverne, mais en plus grand... beaucoup plus grand. Il faut qu'elle englobe la prison tout entière, ainsi que la place qui se trouve derrière. C'est à cet endroit qu'ont lieu les pendaisons. Je voudrais que tu mettes en place cette barrière le plus tard possible... quand l'heure s'approchera. Tu auras beau faire, tu ne pourras sûrement pas t'empêcher d'y penser au moment où le soleil se lèvera. Ce sera le moment le plus critique, celui où il y aura le plus de risque que tes pensées te trahissent. Est-ce que tu pourrais faire cela pour lui ? Rester calme et attendre jusque demain ? Puis dresser une barrière comme je te l'ai demandé ? Cela risque d'être difficile, beaucoup plus difficile encore qu'à la Taverne...

- Hihihi, lalala !

La prêtresse faisait maintenant un grand spectacle son et lumière sur les quais autour des badauds.

Des cercles mauves se dessinaient progressivement sur le sol, suivant ses pas de danse légers.

- De l'agitation sur le bateau... hum seraient-ils en train de passer outre le contrecoup de ma présence et commenceraient-ils à réfléchir sérieusement ?

Elle virevolta puis traça un parfait triangle équilatéral bleu ciel au milieu des cercles imprimés auparavant. Elle en vint à rire toute seule en pensant :

- Hihihi, qu'est ce qu'il est tentant et simple de les espionner ! La curiosité m'envahis mais... et puis non, la surprise est elle aussi très divertissante !

Elle s'arrêta, et regarda le sol, prise dans ses pensées elle n'avait pu finir l'harmonie de sa toile...

Penchant la tête à droite, puis à gauche, puis de nouveau à droite elle bondit lentement en arrière et pointa une dalle qui devint rouge sang.

Elle se mit au centre du triangle bleu, en position de méditation, puis s'éleva de quelques pieds au dessus du sol.
Une bulle d'Elixia vint se créer autour d'elle et visiblement, la prêtresse ne semblait plus connectée avec ce monde.

Son public était étonné et l'agitation montait.
D'aucun, ignorants, parlaient de maléfices pendant que d'autres racontaient les miracles qu'elle avait fait pour eux...

La foule, curieuse, s'agglomérait, personne n'osait s'approcher de la bulle.
On se serait cru sur une place de marché tellement les décibels s'étaient accrus...

Rien ne se passait, ni chez les habitants, ni chez la prêtresse.

Sur l'insistance d'Earl, elle avait relevé la tête et avait osé - avec réticence - le regarder. Attentive, elle avait bu ses paroles et les analysait au fur et à mesure qu'il les prononçait. Les informations du clerc était plus facile à saisir que celles, trop nombreuses de Lunelia.

- Si je fais ce que tu me dis ça me rachètera ?

Un soupçon d'espoir chercha à renaître. Fanaa se concentra pour rassembler les données.

- Alors je dois : Le sortir de toutes mes pensées, toujours, même demain. Je dois toujours rester sur mes gardes. Je dois éloigner Lunelia. Et demain au lever du soleil, je devrai faire une immense barrière. En étant loin de ce lieu que tu veux que je protège et sans penser à Celui qui sera au centre de tout ça.

L'ampleur de la tâche lui donnait le tournis. Ce que demandait Earl semblait impossible. Elle ignorait comment elle avait fait la barrière d'une part, étant juste sure d'une chose, c'était le danger par Lui encouru à ce moment là qui avait été le déclencheur du sort. Hors elle avait interdiction formelle de songer à Lui. C'était le point central.
C'était trop dur, trop aléatoire !

- En étant loin d'ici, sans voir ma cible, il faut que je réussisse à envelopper tout un bâtiment et une place.

Etait-ce vraiment réalisable ? Et en plus avec la dose incroyable de tension qui lui pèserait, la déconcentration était un risque énorme. Ceci dit le manque de confiance aussi.

La jeune fille le regarda de nouveau et ouvrit la bouche pour lui préciser, tout de même qu'elle n'était pas mage. Qu'elle n'avait pas la formation et aussi lui demander s'il croyait vraiment en ses capacités à elle pour une telle mission. Mais finalement les mots s'étranglèrent dans sa gorge, bousculés par une question :

- Si j'y arrive tu le sauveras.

La jeune femme se redressa de toute sa taille. Earl comptait sur elle. Elle avait enfin le moyen de se rendre utile. Elle n'avait pas le droit de tout gâcher. Elle l'avait assez fait comme cela. Elle regardait dans le vide, commençait déjà à chercher le moyen de se contrôler le moment venu. Et ne rien oublier en route.

- Il faudra que tu sois à l'intérieur de la barrière pour agir, non ? Tu pourras t'y rendre assez tôt ?

Earl se mordilla la lèvre.

- Dans l'idéal, il faudrait que cette barrière soit physiquement perméable. Il y aura sans doute pas mal de monde à vouloir assister au "spectacle", et ça mettrait la puce à l'oreille aux mages de la milice si les gens se trouvaient bloqués par une paroi magique. J'ai juste besoin qu'elle filtre les auras des personnes qui se trouvent à l'intérieur.

Il hésita.

- Peu importe si Lunelia voit Syld. Ce qui importe, c'est qu'elle ne sente rien de... bizarre. Si je te demande de couvrir une aussi large zone, c'est parce que ce sera suffisamment compliqué à maintenir en place sans qu'il y ait en plus besoin de la déplacer. En fait je pense que tu n'aurais pas besoin d'être très loin de ta cible. C'est juste que ce serait peut-être plus difficile pour toi de rester concentrée si tu le voyais. Mais il est possible que je me trompe. Peut-être que cela te donnerait du courage, au contraire. Je laisse ce point particulier à ton appréciation.

Le jeune homme jeta un bref coup d'oeil vers le soleil levant. Il devrait avoir suffisamment de temps devant lui.

- Il faut simplement faire en sorte que Lunelia ne puisse pas percevoir d'anomalie à partir du moment où Syld quittera la zone de la prison où l'elixia est neutralisée. Si tu arrives à dresser une barrière conséquente, tu pourras de toute façon penser à lui autant que tu voudras : l'empathie de cette soit-disant lunaire ne parviendra pas à passer au travers. En fait...

Il fronça les sourcils en se rappelant la façon dont la prêtresse s'était changée en elixia. Un corps entièrement composé d'elixia ?

- Il se pourrait bien qu'une barrière similaire à celle de la Taverne, même moins "restrictive" en ce qui concerne le passage physique, puisse l'empêcher de passer tout court. Bref, arrange toi pour neutraliser toute forme d'elixia dans la zone de la prison un peu avant l'heure prévue. C'est tout ce que je te demande. D'ici là, reste calme, ménage-toi et fais-moi confiance, quoique je puisse faire d'ici demain matin. D'accord ?

"c'est tout" Ah. Bon certes, expliqué ainsi cela semblait déjà plus faisable. Mais de là à dire que c'était "facile" il y avait loin. Enfin. Fanaa n'avait pas moyen de savoir si Earl était réellement calmé par rapport à la veille ou s'il se forçait à cacher sa colère afin de ne pas perturber Fanaa pour ce qu'il lui demandait.
Mais il lui avait dit "ménage toi" c'était gentil. Si gentil après ce qu'elle avait fait que c'en était émouvant.

Fanaa devrait faire la barrière, laisser Earl agir et une fois Syld sauvé ? S'en aller bien sûr. Parce qu'il avait fait une monumentale erreur en s'attachant à elle. Et qu'elle le détruirait, même sans le vouloir. Heureusement, Earl le protégeait. Heureusement.

- D'accord.

Cela lui déchirait le cœur mais c'était vital. Elle était impardonnable.

- Et en attendant demain tu veux que je l'occupe ? demanda-t-elle en pointant la bulle du doigt.

Le regard d'Earl suivit la direction indiquée par le doigt et grimaça.

- Il vaudrait mieux éviter le plus possible de discuter avec, je pense. Ses paroles sont du poison. Elles n'ont aucun sens, mais elles sèment le doute quand même. C'est une vipère qui se cache derrière des pirouettes. Tiens toi à distance autant que tu pourras. Il faudra que tu aies l'esprit aussi clair que possible demain, et ce ne sont pas les prêches de cette hallucinée qui t'y aideront.

Il resta un instant à observer l'exhibition de Lunelia.

- Tch ! Ils ont détruit leurs lunes d'origine, et maintenant ils veulent jouer à Dieu sur Adreis...

Il haussa les épaules.

- Il faut que j'aille faire quelques recherches, voir quelques personnes. N'oublie pas : qu'importe mon comportement à partir de maintenant, fais moi confiance et fais de ton mieux pour cette barrière. Elle est pour Syld, juste pour lui.

Soudain, le jeune homme sourit. Il eut un sourire étonnant, lumineux et presque juvénile, qui le faisait ressembler de façon troublante à l'assassin absent.

- Allez, j'y vais.

Sans plus attendre, il se laissa glisser le long du cordage auquel il se tenait, plongeant d'une seule traite jusqu'au pont. N'accordant pas un seul regard à la "représentation" de la prêtresse déchue, il dégringola la passerelle d'une façon tout à fait non-Lévitis et disparut au coin de la première rue qui rejoignait les quais.

Il sourit, preuve qu'il était sûr de lui, sûr de son plan. Il allait sauver Syld ! Et puis il fila comme l'éclair, laissant Fanaa seule avec la prêtresse et la consigne de s'en tenir à distance. Dur...

*Il ne m'a pas laissé le temps de le toucher. J'aurais voulu être sure de reconnaitre son elixia... Bon. Je n'ai pas le droit à l'erreur, demain. Par tous les moyens de dois parvenir à faire cette barrière.*

Elle leva ses mains devant elle et les regarda. La proximité de la prêtresse de Lun avait des effets néfastes sur Fanaa. Sur son physique du moins. L'elixia que Lunelia utilisait irritait la jeune fille, le plus doux des soins de la femme si bizarre avait un effet secondaire désagréable. La Danseuse était sensible à l'elixia de Valnor et le tolérait mal, physiologiquement.
Pour ce qui était de sa propre elixia, par contre, elle la sentait beaucoup mieux et la source ne donnait plus l'impression de s'endormir. Au contraire elle ronronnait doucement au cœur de la Chandlune, prête à se libérer.

Fanaa descendit sur le pont et observa le comportement incompréhensible de Lunelia, puis chercha Kraa des yeux. Plus aucun rapace noir ne se trouvait alentours, ils étaient tous repartis. Ils n'avaient pas dû apprécier la nouvelle venue, eux non plus. Lunelia avait un certains charme avec ses longs cheveux argentés, mes ses prunelles rouges étaient plus que troublantes. De par leur couleur, déjà, qui faisait songer au sang, tout le sang versé pour un idéal insensé. Mais aussi par la douceur qu'elle mettait dans son regard. Son discours décousu, ses gestes abscons, tout cela la rendait plus intrigante, plus effrayante aussi.
Jamais Lunelia n'aurait dû dire à Fanaa que Valnor l'attendait. le jeune fille ne voulais pas entendre une telle horreur ! C'était impossible, improbable et interdit. La prêtresse faisait erreur et se trompait de personne c'était certain.

Une grande barrière perméable mais solide. Oui. Et Earl Le sauverait ...

Plouc... plic, plic, plic...

La sphère entourant Lunelia venait d'éclater comme une vulgaire bulle de savon et des goutes d'Elixia perlaient maintenant sur le sol.
La prêtresse descendait très lentement de sa lévitation, en gardant sa position recroquevillée de méditation, les yeux et la bouche fermés.
Juste avant d'effleurer la pierre froide des quais, elle prit une position d'atterrissage en préparant la pointe de son pied gauche à toucher le sol.

Elle se releva, lentement, très lentement, puis fixa tout de suite Fanaa dans les yeux avec insistance.
L'aura de celle qui lui répondait visuellement eût une vibration qu'elle remarqua immédiatement, la régénération provoquée par la bulle dédoublait l'ensemble de ses sens pendant une journée ou deux.

Elle était étrangement seule, sans aucune personne pour venir trainer dans les pattes de la prêtresse.

En souriant, elle se mit à danser dans la foule en lançant de l'Elixia tels des confettis.

- Merci, merci à tous ! Le spectacle est terminé, vous pouvez repartir le cœur en joie !

Les badauds l'acclamèrent, puis la foule se dispersa.
Elle continuait toujours à danser, à tourner, à virevolter jusqu'à ce qu'a la désertion totale du lieu.

Lunelia s'arrêta net dans une position totalement inconfortable, avant de se fixer Fanaa à nouveau et de lui sourire.
Son sourire, à l'inverse d'un sourire laissant présager le pire, était rempli de tendresse et d'amour.

Elle s'approcha avec de petites pointes en direction de Fanaa, puis s'arrêta et tira une révérence.

- Bonjour mademoiselle, avez vous passé une bonne nuit ? J'espère ne pas trop vous avoir dérangé avec mes berceuses ?

Se relevant, elle lâcha une petite colombe d'Elixia qui s'envola loin du bateau.

- Que c'est beau le pouvoir de régénération, cette petite méditation me fait toujours le plus grand bien.
Je pourrai vous apprendre un jour si vous voulez, ce petit nuage de rêve mérite d'être partagé aux rares personnes qui ont le potentiel pour y arriver.

Elle souriait de plus belle. Elle était heureuse et totalement détendue après ce bain revigorant.

Fanaa regardait Lunelia avec des yeux ronds. Rien de ce qu'elle disait ou faisait n'avait de sens ! Rien du tout !

- Vous êtes vraiment bizarre, vous ...

En d'autres circonstances, l'attitude de Lunelia aurait prêté à rire. Pas là. La dernière discussion avec Earl avait ouvert les yeux de la Danseuse et cette fois elle resterait sur ses gardes. Le clerc avait trouvé un moyen... La barrière. Il aurait été bon que Fanaa puisse s'entrainer, quand bien même elle n'avait aucune idée de la façon de procéder.

*Mais... et si j'utilisais la barrière sur moi ? De manière et être plus protégée contres les paroles de cette femme ? Elle enveloppe chaque mot d'elixia je le sens, et c'est ce qui me fait perdre mes moyens. Si j'arrive à faire un bouclier à mon esprit, elle ne me troublera peut-être plus.
Et ce pourrait être un exercice. Je vais être mon propre cobaye c'est moins risqué.*

Elle tissa le charme et enveloppa son esprit d'un voile protecteur.

*Déjà ? J'ai réussi ? Ce n'est pas normal. Normalement j'ignore comment faire et là ça vient tout seul. Sois j'ai fait des progrès - mais sans jamais m'en servir ça m'étonnerait - soit c'est l'effet de quelque chose.*

Elle continuait de regarder la prêtresse.

*Ou quelqu'un.*

- C'est gentil mais je ne veux rien apprendre de vous. Mais j'aurais pourtant un souhait, si vous me permettez de l'exprimer : s'il vous plait allez vous en. Retournez chez l'Ombre Rouge. Vous avez dû vous tromper il n'y a rien pour vous ici, rien ni personne. Je ne suis pas celle que vous croyez. S'il vous plait, retournez d'où vous venez.