Auberge du Centre

Comme suspendus dans l'obscurité au dessus de la corniche du toit, deux yeux verts piquetés d'or clignotèrent en suivant le parcours de la Médiovienne et de Fanaa jusqu'au lac.

- Tu as envoyé le message ?
- Évidemment.

Nuada fit la moue sans rouvrir les yeux.

- Je ne pensais pas que cette espèce d'oiseau de Lévitas... les sternes foudroyantes, c'est cela ? Je ne pensais pas qu'elles pouvaient être aussi rapides.
- Bah heureusement qu'elle est rapide, parce que sinon Sheitan en aurait fait son goûter avant qu'on ait eu le temps de l'arrêter.

Nuadi secoua la tête avant de se détourner de la route qui passait devant la maison. Sa soeur était assise en tailleur sur les tuiles bleues, les yeux clos comme si elle était en pleine méditation. Un long frémissement la parcourut et elle entrouvrit les lèvres avec un soupir qui ressemblait à s'y méprendre à un soupir d'extase.

- Ah...

Elle rouvrit des yeux complètement dorés, presque phosphorescents dans la pénombre nocturne.

- La chasse a été bonne.

Elle émit un petit rire cristallin tout en essuyant quelque chose d'invisible au coin de sa bouche.

- Dans cette région, les moos sont si gras, si tendres... Tellement gavés d'herbe qu'ils songent à peine à s'enfuir. Un vrai délice ! J'aimerais pouvoir planter moi-même mes dents dans leur chair si fondante, tellement...

Nuadi sourit en entendant son timbre rendu rauque par l'exaltation.

- Hey, tu es déjà plus qu'à moitié en transe. Allez, tu peux y aller, je me charge de garder le contrôle d'ici.
- Ah, tu vois que tu peux être mignon, quand tu veux !
- Beuh, commence pas à m'insulter, sinon je change d'avis !

Avec un reniflement, Nuadi s'installa aussi confortablement que possible sur les tuiles puis baissa les paupières.
Sa soeur prit une profonde inspiration avant de se laisser glisser en contrebas, où elle disparut aussitôt, engloutie par l'obscurité.

Avec les lunes cachées par les épaisses bandes de nuages qui ne cessaient de s'accumuler, la surface du lac ressemblait à une nappe de ténèbres. Il n'y avait que le clapotis rassurant des vaguelettes sur les berges caillouteuses et les reflets vacillants des lumières de la ville pour rappeler sa présence. Les reflets avaient la couleur des lanternes suspendues aux corniches des maisons sur pilotis : blancs, dorés, orangés... et rouges.
Un reflet rouge qui n'avait rien à voir avec les lanternes filait sur la surface liquide en laissant une traînées d'étincelles dans son sillage.

La lueur s'immobilisa un instant quelque part vers le centre du lac. On aurait dit qu'il s'agissait de Rayah, sauf que cette Rayah-ci était deux fois plus grande. Un fauve géant, au corps long et souple, dont la fourrure semblait littéralement flamber dans le noir. Il ressemblait infiniment plus à un véritable Tora qu'aux deux gardiens du désert.

La bête donna un coup de griffes dans l'eau, faisant jaillir un nuage de vapeur sifflante. Le fauve appliqua entre un coup de patte ici ou là comme pour s'amuser à danser entre les serpents de vapeur blanche qui se tordaient dans la brise, avant de filer comme une flèche vers la rive opposée.
Le vent des montagnes apportait une odeur forte, riche, reconnaissable entre toutes... celle des bovins au pâturage.

Sur le toit de la petite maison, Nuadi se fendit d'un sourire.

- La prochaine fois, ce sera mon tour ! Pas de raison que tu sois la seule à en profiter.

Avec un petit grognement, Sheitan émergea de la nuit et, d'un seul bond, atterrit à côté du garçon. Repu, l'estomac plein, il se laissa lourdement tomber sur les tuiles qui craquèrent un peu sous son poids.
Sans rouvrir les yeux, Nuadi s'adossa au flanc tiède de l'animal encore haletant après sa longue course.

- Toi tu as encore trop mangé d'un coup, irrécupérable goinfre...

Traversant cette marée de couleurs, de vie, un homme de haute stature aux longs cheveux noirs se dirigea vers les deux jeunes filles. Arrivé devant Adweliwen, il la fixa de ses yeux aux stries d’argent pendant quelques secondes, comme s’il l’évaluait, puis prit la parole. Sa voix profonde et grave s’accordait avec l’aura qui émanait de lui. Une aura vert sombre striée d’argent. Sa simple présence face à elles donnait aux deux filles la sensation que le ciel s’était couvert. L’inconnu leur évoquait un nuage, un épais nuage gris sombre, lourd, prêt à se déchirer pour libérer l’eau du ciel. Les sons de la rue marchande autour d'eux leur parvenaient comme à travers du coton, seuls ses mots à lui se firent entendre distinctement.

- Mademoiselle, voudriez vous m’accompagner je vous prie ? Mon amie souhaiterait s’entretenir avec vous.

Ce-disant, il désigna à la terrasse d’une auberge une femme qui leur adressa, tout sourire, des signes de la main. En la regardant l’homme se tendit imperceptiblement puis retourna aux deux Médioviennes.

- Nous aurions peut être du travail pour vous.

L’homme au visage grave semblait du genre à aller droit au but. D’un geste, il invita les deux jeunes femmes à passer devant lui. Si elles acceptaient son invitation, bien sûr.

Adwel allait conduire Fanaa vers sa boulangerie préférée quand un homme se planta devant elles. La voleuse était complètement happée par le charisme de celui-ci qui les invitait a rejoindre une de ses amies, assise a une terrasse d'une auberge plutot de rang moyen mais de bon rapport.

- Un travail? Je vous suis mais je me réserve le droit de refuser si cela ne me convient pas. Tu viens Fanaa? on va aller déjeuné avec ces personnes... Car je suppose que vous allez nous offrir le petit déjeuné.

Ce n'était pas une question. Mais bien une affirmation. Les deux jeunes femmes se rendirent à la table de la dame et de l'homme mystérieux. Adwel la salua d'un sourire et d'un signe de tête.

Sans un mot, l'homme s'installa à côté de sa compagne, faisant ainsi face à Adweliwen et Fanaa. Le contraste entre les deux étrangers étaient saisissant. Autant l'inconnu semblait fort bien représenter un nuage d'orage, autant celle qui l'accompagnait avait tout du soleil. Ce devait être dans ses cheveux magnifiques qui captaient la lumière pour la renvoyer avec grâce, semblant en cela émettre leur propre lueur, c'était aussi dans ses yeux d'ambre doré, mais le sourire chaleureux et sincère qu'elle adressa eux deux nouvelles venues renforçait aussi cette impression.

- Bien sûr que vous allez manger, on ne va pas vous laisser mourir de faim!

Elle fit un geste pour appeler une serveuse et passa commande avant de regarder Adweliwen qui était assise juste en face d'elle. Les iris d'argent de l'homme observaient la scène de façon à ne manquer aucun détail. Il aurait préféré dans un coin plus à l'abri qu'une terrasse mais se résigna à rester là.

- Demoiselle Adweliwen, nous aurions besoin de vous afin de "récupérer" certains objets que l'on nous a dérobés. Deux, pour être précise. Vos compétences seront plus qu'utiles à cette tâche. Vous pouvez choisir les compagnons avec qui vous irez, si toutefois vous décidez d'être accompagnée. Ce que par ailleurs je vous conseille mais c'est à vous de voir. Vous serez tous rétribués à condition de réussir évidemment. Vous êtes bien entendu libre de refuser, mais ce serait regrettable, autant pour vous que pour nous.
A première vue, souhaiteriez vous en savoir plus et pas là même vous intéresser à cette mission ? Ou préférez vous continuer votre promenade ?

Le timbre était clair, franc, l'accent légèrement chantant n'évoquait à Adwel aucune des grandes provinces d'Adreis. De plus, le physique de la femme et de l'homme étant radicalement différents, il était difficile de deviner leurs origines.
L'inconnue avait une façon de parler envoûtante, chaleureuse, ce qui fait que même la phrase "ce serait regrettable, autant pour vous que pour nous" ne sonna pas comme une menace. D'ailleurs, peut être n'en était-ce pas une.

Sous le regard acéré d'argent et celui, caressant d'or, la jeune voleuse allait devoir émettre une réponse.

Adwel écoutait sagement la femme qui voulait la missionner. Une fois son discours terminé, la voleuse soupira, pris la carte et regarda un peu ce qu'il y avait a commender. Elle semblait completement absorbée dans cette tache.

*une récupération... Ces personnes m'ont l'air étranges... je ne sais pas vraiment si je peux leur faire confiance... mais poser des questions a des clients n'est pas vraiments poli.*

- Je prendrais un bout de gâteau au miel et du thé ainsi que de la brioche et un jus de fruit. Je pense que Fanaa prendra comme moi.

Elle reposa le menu et regarda l'homme, se détourna rapidement pour fixer la femme.

- Je veux bien quelques détails supplémentaires. Vous parlez de "récupérations". ces objets vous appartenaient? quels sont les risques et le type de personnes a qui nous devrons reprendre les objets?

Visiblement, elle ne demandait pas tous les détails mais souhaitait juste juger par elle même de l'interet de la mission.

- Ces objets nous appartiennent, oui, et ils nous ont été dérobés. L'un d'eux est une dague sacrificielle et elle se trouve maintenant à Illymir au sein d'une secte vouant un culte à Valnor. Quant à l'autre objet ...

La femme échangea un regard avec son compagnon et celui-ci hocha la tête. La main droite de la femme disparut sous la légère cape couleur sable et reparut le poing serré autour de quelque chose.

- Tendez la main, je vous prie.

Elle posa délicatement quelque chose dans la paume ouverte de la voleuse et la recouvrit de sa propre main lorsque l'on vint apporter leur commande. Lorsque la serveuse fur repartie, elle ôta sa main et Adwel put admirer une pierre magnifique. De forme ovale, elle mesurait 2,5 cm de hauteur pour 1,5 cm de largeur. Lisse, en tout point parfaite, de couleur or moiré. Si l'on y regardait de plus près, on distinguait des paillettes irisées qui pouvaient donner à la pierre, selon la façon de la tourner, différents reflets plus beaux les uns que les autres.
C'était indéniablement une pierre de soleil. Une vraie, authentique et travaillée avec grand soin.

Le timbre de l'homme résonna, donnant encore une fois, l'impression de couvrir tous les autres sons. Pourtant il parlait bas.

- Reconnaissez vous ce joyau, Adweliwen Edelnius, spécialiste des pierres précieuses ?

Adwel resta quelque moment dubitative sur le joyaux. Puis elle leva la tête vers la commanditaire et puis son compagnon pour revenir sur le joyau. De son autre main, elle fouilla dans son petit sac dont elle sorti une sorte de loupe. Pendant l'observation elle répéta plusieurs fois

- Pas les Grandes Eaux du Monde... Par les Flots Sacrés... Ce n'est pas possible...

Cependant, malgré tous ses efforts pour tenter de nier la vérité, la voleuse ne pu rien faire d'autre que de constater...

- Par les Eaux Du Grand Lac! Ne me dites pas que ce qu'il y a sur... n'est pas... mais ça...

"Seeeeek, c'est fatigaaaaaaant"!

Sek lança à sa soeur un regard courroucé.

"Lynn, comment veux-tu que l'on commence un nouveau jeu sans pêcher d'information d'abord?"

"Je sais bien, mais j'ai du mal à me concentrer. J'ai faim! Et tous ces gens qui mangent autour de nous... Et puis c'est toujours horriblement difficile! Si on se relayait plutôt?"

"Même moi, je suis incapable de couvrir l'étendue tout seul sans risquer de manquer quelque chose d'important. D'autant plus que c'est moi qui maintient le sort. Tu crois que c'est facile de triturer l'air en continu pour faire porter toutes les conversations jusqu'à nos oreilles? Alors si en plus je dois tout écouter seul et faire le tri... Est-ce ma faute si les gens vont toujours manger pour discuter de sujets dignes d'intérêts? Je te paierai ce que tu voudras pour satisfaire ton estomac après. En attendant, concentre-toi sur ta section, d'accord?"

"Oh bon... d'accord."

Elle lui tira tout de même la langue avant de se remettre à l'écoute. Tout deux restèrent silencieux, immobiles, pendant de longs instants. Pour donner le change, ils étaient assis face à face et se regardaient comme deux amoureux transis. Aucune personne pourvue d'une once de délicatesse ne se serait permise de les déranger. Cette technique fonctionnait particulièrement bien à Medievir, mais dans d'autres cités, Sek aurait dû user d'une illusion pour les camoufler, qui l'aurait épuisé prématurément et aurait nuit à son efficacité. Décidément, il aimait bien ce peuple! Soudain, il sentit qu'on lui secouait le bras. C'était Lynn.

"Sek! Sek! Sek! Sek! S..."

"Oui, oui, c'est bon, qu'est-ce qu'il y a encore?"

"J'ai peut-être quelque chose! Tu veux bien me faire le point là-bas?"

Elle désigna un petit groupe de quatre personnes, trois femmes et un homme. Sek modifia le sort pour que sa soeur n'entende plus qu'eux.

"C'est fait, préviens-moi si ce n'est pas une fausse alerte."

Et il retourna à ses propres "clients"

- C'est bien le cas. Cette pierre de soleil est l'authentique mais quelqu'un a trouvé malin de mettre notre pierre à la place de l'originale. Il vous faudrait donc procéder à l'échange. Récupérer notre joyau et rendre son intégrité à votre Harpe. affirma l'homme. Seulement il va vous falloir trouver où elle est gardée.

- Faites attention, elle ne se trouve pas où elle devrait être.

La femme ne souriait plus. Son visage sérieux donna l'impression que la pièce venait de perdre 1 ou 2 degrés.

- Nous avons essayé de nous renseigner de notre côté mais tout ce que nous pouvons affirmer est qu'elle ne se trouve pas dans le labyrinthe sous le palais. Si l'on vous indique cet endroit, ne perdez pas votre temps à aller vérifier.

Le commanditaire reprit la parole, comme pour empêcher sa compagne de trop en dire.

- Adweliwen, acceptez vous ? Si c'est le cas vous n'aurez pas de temps à perdre.

La main de la femme se posa sur le bras de son compagnon.

- Le choix vous appartient bien entendu. Mais mangez ! Il ne faudrait pas que cela vous coupe l'appétit. Vous aurez besoin de vos forces quelle que soit votre décision. Et cette brioche sent délicieusement bon !

Tandis qu'Adwel discutait avec les deux étrangers, Fanaa dévorait à belles dents son petit déjeuner. Elle écoutait ce qui se disait d'une oreille distraite, ne se préoccupant pas du sens de tout ceci mais des mots qu'elle pouvait emmagasiner.

Et puis elle pensait à Sheitan. Nuada avait promis qu'il reviendrait jouer hier mais Fanaa s'était endormie trop tôt. Pourvu qu'il vienne aujourd'hui ! Songer au fauve lui rappela qu'elle l'avait appelé à l'aide de toutes ses forces cette nuit. Que s'était il passé déjà ? Elle avait eu peur et elle avait eu aussi très mal à l'intérieur. Et ... et ... il n'était pas ...

Soudain toute triste, la poupée reposa sa tasse et posa sa tête sur l'épaule d'Adwel en soupirant. C'est là qu'elle aperçut le joyau. Elle se redressa alors et battit des mains.

- Ooooooooooh!

- C'est d'accord. Si vous avez d'autres informations, il faudra me les passer dans un endroit où nous sommes surs qu'il n'y aura ni œil ni oreille.

Fanaa sembla alors se réveiller.

- C'est joli hein? mais je ne peux pas te le donner. Je pourrais te trouver des beaux bijoux pour aller avec tes yeux et ta robe plus tard si tu veux.

Adwel ne pu se retenir de poser tout de même une question:

- D'où venez vous... je n'arrive pas a situer vos origines.

- Dans ce genre de transaction, les commanditaires aiment rester avares de leur informations personnelles. Je suis certaine que vous le comprendrez. Comme tout le monde ici nous venons d'un lieu quelque part en Adreis, ni plus ni moins.

Son sourire disparut et son visage exprima une réelle inquiétude.

- Rappelez vous : n'allez pas dans le labyrinthe sous le palais. Elle se trouve autre part.

Son expression s'adoucit en observant Fanaa.

- Vous gagnerez largement de quoi lui offrir des bijoux. Nous vous avons choisie car nous comptons sur vous. Ces objets sont très spé...

- Nous vous remercions d'avoir accepté. Vous avez droit à une petite avance pour couvrir les frais de voyage, vous gardez la pierre originale, et je n'ai plus qu'à vous souhaiter bonne chance. Ah, et ne perdez pas de temps, surtout.

- Un détail : si vous devez faire des morts sur votre chemin, ce n'est pas gênant. Faites très attention à vous.

L'homme tendit une bourse à Adweliwen tandis que la femme lui donnait une petite pochette de peau dans laquelle ranger la pierre.

- Nous saurons toujours vous retrouver mais si vous avez besoin de nous, laissez un message à la réception. Adressez-le à Aryllë ou Voronwë.

Le dénommé Voronwë tressaillit très légèrement et fusilla du regard sur sa lumineuse compagne.

- Nous allons prendre congé je crois. lâcha-t-il en se levant.

La femme l'imita, porta sa main à ses lèvres et à son front avant d'effleurer d'un caresse les crânes d'Aweliwen et Fanaa. Après un dernier salut, elle et son compagnon se dirigèrent vers les escaliers, là où se trouvait probablement leur chambre.

Adwel s'adossa au dossier de son siège. Si on lui avait dit qu'un jour... elle secoua la tête et observa un moment Fanaa qui mangeait tout en ayant pris soin de mettre la petite pochette de velours discrètement dans son corsage.

La voleuse tenta de mettre en ordre ses idées et ces informations... Donc la Harpe Sacrée, la vraie, n'était pas dans le labyrinthe... mais où alors? Elle allait devoir s'informer...

La jeune femme soupira et continua son petit déjeuné

- Fanaa? cela t'intéresserais de voir ma famille?

Voronwë referma la porte et se retourna vers sa compagne.

- Tu peux arrêter de faire semblant, maintenant.

- Je ne vois pas de quoi tu parles…

- Aryllë … gronda-t-il.

D’un mouvement trop rapide, il se retrouva juste en face de la femme. Avant qu’elle n’ait eut le temps de réagir, il lui fit ouvrir la bouche et en sortit une petite feuille vert émeraude.

- Je sais que tu l’as fauchée dans ma pochette ce matin. Ne joue pas avec, ça peut devenir une drogue.
- Mais non. Et puis c’était juste pour l’entretien.
- J’aurais pu m’occuper de la fille. Tu aurais dû aller voir un de leurs clercs, je te l’ai dit.
- Mais tu leur aurais fait peur !

Il ne répondit pas et détourna la tête, la mâchoire crispée.

- Et puis je n’accepte de me faire soigner que par toi. ajouta-t-elle, doucereuse.

Comme il ne répondit pas, elle continua.

- Que par le meilleur et le plus habile. Le plus doué, le plus adorable, le …

Il dut se forcer à ne pas sourire.

- Et maintenant tu vois dans quel état tu es. Bravo. Tu as besoin de feuille de Lympha pour tenir assise, bravo.

Il se détourna d’elle et alla s’accroupir dans un coin au dessus d’une besace. Ah, il ne voulait pas s’amuser ? Tant pis. Aryllë se dirigea vers le lit et lança avec bravache.

- Je n’ai besoin de rien pour tenir le coup. Je vais très bien. C’était juste pour la sensation.

Dans son coin, Voronwë leva les yeux au ciel.

- C'est cela, prends moi pour un imbécile.

Après quelques minutes de silence, alors que l’homme était occupé à préparer une mixture dans un récipient de bois, la voix d’Aryllë se fit de nouveau entendre. Faiblement.

- Minh Jaï, finalement tu avais raison…

Il tourna la tête pour trouver sa compagne livide, sur le bord du lit, des gouttes de sueur perlant à ses tempes.

- Minah Jaïah ! s’écria-t-il affolé.

Il la rejoignit en deux enjambées la fit allonger et déboutonna la tunique beige qu’elle portait. Il la retira totalement et se mordit la lèvre devant l’état de son bras. Les veines étaient gonflées et noires. A travers la peau elle était terriblement visibles. Pire, il était capable de voir à l’œil nu la progression du sang empoisonné et il avançait bien entendu vers le cœur.
La femme jeta un coup d’œil à sa blessure et préféra s’abandonner dans le compte des rainures du plafond.

- Au moins je n’ai pas perdu mon bras …
- Tu pourrais perdre plus. Rah ! que n’avons-nous la pierre !
- Pas besoin de la pierre si tu es là.
- Je n’ai jamais soigné de venin de raie-vampire. Comment peut on élever ces saletés ?
- Elles font de redoutables molosses de garde.
- Sauf qu’elles ne gardaient rien. C’était un leurre. Où peut bien être cette satanée Harpe Sacrée ?

Aryllë eut un spasme et se mordit la lèvre pour ne pas crier.

- Minh Jaï, je t’en prie. Agis, on n’a pas le temps… supplia-t-elle.

L’homme alla chercher sa besace, sa préparation et revint sur le lit. Il sortit un certain nombre d’ingrédients. Il était très tendu et aussi énervé contre lui-même. Jamais il n’aurait dû la laisser descendre et parler à la voleuse. Il aurait dû l’emmener sur l’épaule comme un sac à patates chez un guérisseur. Il n’aurait pas dû attendre. Ni l’écouter el et ses idées saugrenues. Quelle fichue têtue en plus !

- Bon j’ai quelque chose. C’est sans douleur et tu seras sur pied dans quelques jours.
- Ou ?

Il se renfrogna. Elle ne changerait donc jamais ! Il répondit de mauvaise grâce :

- Ou quelque chose de bien trop fort pour toi. Ca devrait bien purifier ton organisme mais je ne peux le mélanger à rien. Ce qui signifie pas d’anti-douleur.
- Parfait.
- Non pas parfait ! C’est beaucoup trop fort, tu ne tiendras pas ! La feuille de Lympha coupe la sensation de faim et je sais que tu n’as rien avalé depuis cette nuit. Je t’assure ça ne va rien donner de bon. Tu es trop faible.
- Si ça marche, tu me fais de nouvelles flèches.
- Et dans le cas contraire ?
- Je gagne toujours surtout avec une si chouette récompense à la clé !

Il secoua la tête. Mais il n’avait plus le temps de discuter. Tous deux prièrent le Ciel et l’Arbre Vie, puis Voronwë saisit dans sa besace un bout de bois taillé qu’il enroula dans plusieurs couches de tissu avant de le placer entre les dents de son amie. Ensuite il prit un étrange objet, le remplit d’un liquide vert pâle, planta l’extrémité pointue et creuse dans une des veines envenimées d’Aryllë, retint son souffle et appuya sur le piston.

- Attends !
- Quoi ? Tu as changé d’avis ? On prend l’autre ?
- Non… ouvre la fenêtre Minh Jaï, je voudrais voir le ciel … une dernière fois. Elle fit un clin d’œil et grimaça un sourire.
- Minah Jaïah. Stupide. Tu joues avec mes nerfs.

Il s'exécuta pourtant, et quand il injecta le serum à sa compagne, celle ci avait ses yeux d'or rivés au bleu délicat des cieux.

Lorsque la vague de douleur intense la submergea, elle enfonça ses ongles jusqu'au sang dans la main que Voronwë tenait et son cri retentit bien trop fort malgré le "baillon" improvisé.

A l'auberge du centre ville, la serveuse apporta le thé vert au miel a sa cliente. Elle le déposa avec un pain aux raisins et resta un moment la, devant elle, attendant un regard ou une réaction. L'exécrable dame blanche continua d'écrire jusqu'à ce qu'elle fut dérangée par les toussotements de l'employée.

- Oui, quoi encore?
- Hum... un messager m'a donné cela pour vous.

Elle lui tendit une lettre. Hakuren la pris et la serveuse dégarpit rapidement. Sur le mot, des initiales... et une invitation...

- Interessant....

La mage regarda aux alentours avec un certain regret puis prit son petit déjeuné en surveillant l'apparition ou non du couple.

Lorsque les deux femmes se levèrent pour partir, Lynn secoua brutalement Sek et chercha à se lever précipitamment.

"Viens vite, il faut les suivre tout de suite, je t'expliquerai!"

Sek la retint, le temps de sortir de sa transe et de reprendre ses esprit

"Attend. Ne dis rien. Laisse-moi faire."

Il rompit à la hâte le charme précédent, puis envoya un sort tout simple, une odeur presque indécelable qui collerai à la peau de la Médiovienne quelque temps. Il commençait à ressentir une certaine langueur...

"Mais qu'est-ce que tu fiches Sek? Par les vents, tu n'imagines pas ce qu'il pourrait y avoir à la clé! Bouge-toi, on va les perdre!"

"Non, on ne va pas les perdre. On les retrouveras plus tard, j'ai fait le nécessaire. Maintenant, raconte-moi pourquoi tu es dans un tel état de surexcitation."

La jeune femme braqua sur son frère un regard furibond, avant de lui relater la conversation qui s'était déroulée.

"Alors, tu vois, on aurait dû les filer! Si ça se trouve, on va manquer plein de détails importants! Pourquoi est-ce que tu ne m'écoutes jamais? "

Sek prit une grande inspiration et fit rapidement son état des lieux intérieur. Pas de doute, il était presque épuisé. Comme toujours, il maudit sa faiblesse

"Lynn... on aurait pas pu les suivre. Tu as bien regardé cette médiovienne? Ses yeux ne perdent pas une miette de ce qui se passe autour d'elle. Elle se déplace presque sans déranger l'air qui l'entoure. C'est une professionnelle. Sans le secours de quelques illusions bien senties, on se serait fait repérer en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Et... - il baissa les yeux, dépité - avec ce que je viens de faire, je suis à sec. Il faut que je mange, et que je prenne du repos.

La colère déserta le regard de Lynn, laissant place à la compréhension, et à la compassion. Elle aurait dû s'en douter.
Bien que jumeaux, elle et lui étaient nés avec des capacités très différentes. Et Sek avait toujours eu la constitution fragile. Bien sûr, il compensait largement ce défaut par sa maîtrise, tirant toujours le maximum de ses maigres réserves. Pendant leurs études à Levitas, jamais il n'avait perdu un duel. Pourtant, ils avaient été nombreux à le défier, sentant sa fragilité et cherchant à l'écraser de puissance brute.
Malheureusement pour lui, il y eut des mauvais perdant, qui cherchèrent à se venger en l'écrasant vicieusement à plusieurs, hors du cadre officiel. Malheureusement pour eux, Sek et Lynn étaient inséparables, et elle, bien qu'ayant un niveau technique tout juste correct, n'avait pas la constitution fragile... Encore maintenant, elle trouvait dommage que son frère ait refusé qu'ils achèvent ces lâches, ou au moins qu'ils les estropient durablement. Elle était sûre qu'on ne les aurait pas renvoyés pour ça, c'était de la légitime défense. Mais Sek ne voulait pas risquer de compromettre ses chères études, et elle avait cédé.

Tandis qu'elle nageait dans les souvenirs, Sek avait passé commande, et elle revint au présent pour faire un sort à quelques pâtisseries.

"Dis, dis, dis, et si on... "interrogeait" les commanditaires? Juste pour en savoir un peu plus."

"C'est un risque inutile."

Elle s'attendait à cette réponse, mais en fut un peu déçue quand même.

"On fait quoi alors?"

"On attend ici que j'aie récupéré un peu... et on se met en chasse."

Après leur repas, tandis que Sek somnolait, Lynn s'était adonnée au jeu des regards avec les passants de sexe masculin. Il était particulièrement amusant de les captiver juste ce qu'il fallait pour qu'ils commettent des maladresses ou des faux pas, surtout lorsqu'ils étaient accompagnés. Mais, comme toute distraction, celle-ci finit par perdre de son intérêt. D'autant plus qu'aucun n'avait osé aller plus loin et venir lui parler. Le passage de l'homme dont elle avait espionné la conversation l'intrigua un moment. Il dégageait quelque chose d'étrange. Sek avait peut-être eu raison de ne pas la laisser essayer de lui arracher des informations finalement.
Cette réflexion faite, elle commença à s'ennuyer ferme...
Aussi bondit-elle de joie lorsque son frère annonça:

"Bon, en route. Je continuerai à récupérer en chemin! Allons récupérer nos affaires et régler la note."

C'est en sautillant d'excitation qu'elle l'accompagna, d'abord à la chambre, puis au comptoir. Ils s'engagèrent ensuite dans les rues de Medievir, main dans la main.

"Dis, tu as prévu quoi pour qu'on les retrouve? Des vents enchantés? Une invocation?"

Sek sourit

"Rien d'aussi exotique, ni d'aussi fatigant. Puisqu'il s'agit d'une chasse, je me suis dit qu'il serait amusant de les suivre à l'odeur."

Lynn le lâcha le temps de battre des mains

"Tu as toujours de bonnes idées! On fera quoi quand on les aura rejoint?"

"Comme d'habitude ma chère soeur, on improvisera!"

Ils se perdirent dans la foule...

viennent d'ici

À l'auberge, Sek avait réservé une chambre, puis avait laissé soeur, chat et phéazarix s'installer en salle tandis qu'il faisait des aller-retour pour monter les affaires.
Lorsqu'il eut terminé et rejoignit les autres, il fit la grimace en constatant que Lynn avait réclamé une table pour quatre... Les animaux avait carrément leur place, et une serveuse manifestement amusée leur disposait des assiettes.

"Et tu vas leur montrer la carte et leur demander de choisir aussi?" - lança le jeune homme en s'asseyant.

"Tiens, en voilà une bonne idée! "

"Ben voyons... "

"Allez, vas-y, juste pour voir comment il réagit!"

Résigné, Sek ouvrit la carte devant le félin.

"Messire Chat, voyez-vous quelque chose qui vous tente?"

"Messire chat" regarda Sek de travers, tandis que sa queue battait nerveusement contre le siège. On eut dit qu'il tapait du pied.
Puis il regarda Lynn, eut l'équivalent félin d'un haussement d'épaule, enroula sa queue autour de ses pattes et se mit à observer la carte. Longuement. Ne miaulant que lorsque Sek faisait mine de la retirer. Une fois qu'il estima le jeune homme assez excédé, il désigna son choix du bout de la patte.

Sek put lire :

- bol de crème maison
- souris d'agneau "comme à la maison"

et voir la félin se pourlécher les babines ...

Une marchande de fleurs fit le tour des tables avec un plein panier. Monsieur chat miaula pour attirer son attention puis descendit de son siège et alla se frotter contre les jambes de la jeunes filles en ronronnant. Il eut droit à des caresses et des petits rires, puis il se mit sur le dos et présenta son ventre aux poils encore plus doux et tièdes. Le matou savait que les filles n'y résistaient pas et en effet, la demoiselle ne fit pas exception.

Une fois qu'il eut estimé qu'il en avait eu assez, il échappa à la bouquetière et se percha de nouveau sur sa chaise puis lui fit les grands yeux suppliants.

- Et alors minou ? Qu'est-ce qui t'arrive ?

Un petit miaulement plaintif, un coup de patte vers le panier.

- Tu veux une fleur ?

Nouveau miaulement, nouveaux grands yeux.

- Bon, d'accord. Mais c'est bien parce que tu es mignon.

Elle posa une rose sur la table devant la place du chat et lui caressa de nouveau la tête. Il ronronna de plaisir et elle lui embrassa le haut du crâne tout doux.
Tout en faisant des mamours au matou, elle fit un grand sourire à Sek.

- Il est drôlement mignon votre chat !

Un dernier bisou, au minou, une main qui effleure "sans faire exprès" le levitis et dans un parfum de fleur, la jolie vendeuse quitta l'auberge de fort belle humeur.

Le félin sauta sur la table et de la patte, il poussa la rose jusque devant Lynn puis miaula pour attirer l'attention de la jeune fille sur son cadeau.
Ensuite il sauta sur ses genou et s'y lova en ronronnant.

Sek observa le chat, les yeux ronds. Relut le choix qu'il avait fait. Regarda à nouveau l'animal.
*C'est pas possible... *
C'est alors que le félin fit son numéro. À n'en pas douter, il s'agissait bien d'un chat. Mais en même temps...
*Oh misère.*
Lorsque la marchande de fleurs le regarda, lui sourit, l'effleura, il rougit jusqu'aux oreilles et à sa plus grande consternation ne trouva rien à dire. Il jeta un regard noir à l'animal.

"Toi, j'ai l'impression que tu as décidé de me mettre dans l'embarras, je me trompe?"

Lynn ne voyait que le chat, mais pouvait aisément reconstituer la scène grâce aux sons et aux odeurs. Souriante, elle se saisit de la rose, la huma.

"Voyons Sek, ne dis pas de bêtise, tu es jaloux parce que même un chat est plus doué que toi avec les femmes, c'est tout. Tu devrais en prendre de la graine, plutôt que de ronchonner. Il est si mignon!"

Tandis que sa soeur papouillait le félin, Sek passa commande. Il jeta un coup d'oeil à Eyrol, espérant sournoisement que le Phéazarix partagerait son irritation, lui qui s'était fait ravir l'attention de sa maîtresse... Au lieu de ça, le lézard à plume semblait positivement ravi, et lui rendit même son regard en lui donnant l'impression... de se moquer? Le levitis se renfrogna un peu plus.
Le repas se déroula dans un calme relatif, troublé à quelques reprises par certains clients ou membres du personnel un peu plus hardis que les autres intéressés par le chat, ou par Lynn... parfois les deux.
Quand enfin ils montèrent se coucher, ils furent salués par des inconnus. Au grand dam de Sek, Lynn répondit à leurs voeux de bonne nuit...
Une fois dans la chambre, la fatigue les rattrapa brutalement. Le jeune homme aida sa soeur à se mettre au lit, puis se coucha à son tour, et tout deux s'endormirent.
Sek rêva qu'un grand chat marchant sur deux pattes épousait Adweliwen...

Un rayon de soleil. Un miaulement dans l'oreille de Sek. Un autre. Un poids qui se déplace sur Sek endormi. Qui se fait les griffes sur les couvertures. Qui miaule. Qui passe et repasse d'un côté et de l'autre du jeune homme.

Du calme. Plus ni présence ni bruit ni poids. Méfiance.

Un miaulement vers Lynn. Un coup de patte vers le renflement sous sa couverture. Une tête de lézard. Un coup d'oeil étendu.

Retour sur le lit de Sek. Miaulement du chat et bruits du phéazarix. Les deux animaux le houspillent encore et encore.

Sek serait surpris de savoir que le chat avait fait l'effort d'attendre une heure raisonnable avant de passer à son petit manège. Il avait d'abord regardé par la fenêtre en battant nerveusement de la queue. Il l'avait même ouverte et était sorti faire un tour dehors. Puis il était rentré.
Et avait décidé que cette fois, il était temps de manger.

Les deux compères prirent leur pause savamment étudiée de bestioles réclament la nourriture qui leur est due.

Par déférence envers Lynn ils avaient décidé de la laisser se réveiller à son rythme. Enfin "un peu plus" à son rythme car, se trouvant dans la même pièce, il lui était difficile d'échapper au concert.