Auberge du Commerce

NOTE HRP : Cette auberge se situe environ à mi-chemin entre Faelanir et Medievir, sur la Côte du Levant.


Soghann observait son compagnon d'un oeil critique.

- Hmm... Tu es peut être habillé comme un mendiant mais n'importe qui d'un brin observateur peut deviner que tu n'en es pas un... Essaye d'être plus discret, tu donne l'impression que tu va égorger le premier quidam venu.

Ils arrivèrent au pied d'une grande auberge, manifestement prospère grâce au flot de marchands qui allaient et venaient sur la route principale, quelques dizaines de mètres plus loin. Derrière le bâtiment, de grandes écuries et un parc occupé par des dizaines de charriots et autre véhicules de transports était gardé par des hommes farouches. Il allait de la réputation de l'établissement que ses occupants sentent qu'eux même et leurs marchandises étaient en sécurité.

Les Shalos contournèrent la bâtisse pour atteindre l'entrée principale, elle aussi gardée. Doté de plusieurs étages, l'auberge devait pouvoir accueillir plusieurs dizaines de clients chaque nuit. Actuellement, le début d'après-midi ensoleillé poussait de nombreux clients à profiter d'un bon repas et d'une petite sieste avant de reprendre la route, donc l'établissement était loin d'être vide. Mais ce devait être pire encore de nuit.

- Si on ne trouve pas un marchand de frusques là-dedans... On devrait même pouvoir t'habiller à la mode de Medivir, histoire de se fondre un peu plus dans la masse.

- Ah oui ? Il faut dire que ce n'est pas qu'une simple impression.

Syld éclata de rire, de telle sorte qu'il était quasiment impossible de déterminer s'il était sérieux ou pas dans ses propos.
Tandis qu'ils faisaient le tour du bâtiment pour passer par la grande porte, il fit mine de réfléchir.

- Il faut que j'aie l'air inoffensif, donc ? Cela ne me semble pas très compliqué. Voyons…

Avec un art consommé, il modifia subtilement sa démarche, secoua un peu la tête pour que ses cheveux emmêlés lui retombent devant le nez avec un naturel savamment orchestré, puis afficha un sourire ironique et frondeur en tout point semblable aux sourires qu'il avait l'habitude d'arborer avant le désastre de Faélanir.

- Là, ça va ? Toujours l'air d'un brigand, je suppose, mais je me vois mal me faire passer pour un ménestrel ou un clerc.

Il esquissa un début de ricanement, avant de se reprendre :
- Oh, pardon, réflexe.

Et le jeune homme partit d'un rire clair.

- Voici qui colle mieux, non ?

Il décocha au passage un sourire effronté aux gardes qui lorgnaient sur sa défroque mal assortie. Leur moue exprimait clairement à quel point ils doutaient de l'état de ses finances, et par là même de sa capacité à payer un repas ou une chambre dans cette auberge.
Son oeil averti une tôt fait de repérer un groupe de commerçant aux habits chatoyants qui polémiquaient autour d'un verre sur la rentabilité du troc dans les régions les plus isolées d'Adreis.
Il se pencha un peu du côté de Soghann pour lui glisser tout bas :

- Dis, tu as des fonds sur toi, ou est-ce qu'il faudra que je coupe le cou à mes fournisseurs pour pouvoir repartir avec leur marchandise ? Pas de soucis, je m'arrangerai pour bien cacher les corps.

Tandis que Syld exposait ainsi le plus tranquillement du monde sa propre conception du marchandage, son sourire gamin ne fléchissait pas d'un pouce. Bien malin celui qui aurait pu deviner la teneur de son petit discours sans avoir une oreille entre les deux Shalos, et encore eusse-t-il fallu qu'il ait l'ouïe bien affûtée pour comprendre ce qu'il chuchotait au milieu du brouhaha feutré de l'auberge. Les discussions roulaient sur les dernières nouvelles en provenance de telle ou telle région et sur le cours des paniers tressés sur le marché fédorien plutôt que sur les élucubrations alcooliques bruyantes propres aux tavernes des villes, mais il fallait quand même se pencher vers son ou ses interlocuteurs pour se faire comprendre.

Le plus sérieusement du monde, Soghann répondit :

- J'ai toujours des fonds sur moi... Et même deux semaines de beuverie ne peuvent venir à bout d'une bourse pleine d'or.

C'était vrai. Les tarifs en vigueur dans le bouge où il s'était retrouvé étaient loin de refléter un quelconque luxe, et le duo était devenu riche à force de travail. Les rapines de Syld aidaient aussi, à l'occasion. Soghann aimait moins subtiliser les bourses, et se sachant partir pour un certain temps, il s'était muni en conséquence en partant de Shalanos.

Il s'approchèrent donc de la table et abordèrent le groupe :

- Bien le bonjour, Messieurs. Pardonnez-moi de vous déranger dans votre discussion, mais il se trouve que mon ami ici s'est fait agresser par des brigands de grand chemin, et vêtir de hardes digne d'un mendiant. Y aurait-il parmi vous un négociant capable de rhabiller décemment ce bougre ?

L'assassin, lui-même peu reluisant, comptait sur l'odeur omniprésente de nourriture et de sueur pour couvrir sa propre puanteur. Il ajouta cependant un sourire et sorti quelques pièces d'or d'une de ses poches, qu'il fit négligemment tinter entre ses doigts.

Les marchands interrompirent leur discussion pour examiner les arrivants des pieds à la tête. A la mention de "l'attaque de brigands", un ou deux se fendirent d'un sourire ironique. Celui qui semblait mener le débat avant leur arrivée lâchat un rire sonore. L'oeil bleu-gris vif et inquisiteur, il dévisageait les assassins avec aplomb.

-Allons bon, si attaque il y a eu, j'aurais pourtant parié tout mon fonds de commerce que c'est vous qui la meniez, et pas l'inverse !

Il haussa les épaules tout en redressant le turban bleu roi savamment ajusté sur son crâne.

- Du moment que vous avez l'intention de payer ce que vous prendrez, peu importe que vous vous soyez faits agresser ou pas… Il faudrait juste ne pas nous prendre pour des imbéciles.

Syld cueillit prestement une des pièces qui cliquetaient entre les doigts de Soghann et la fit sauter d'une pichenette vers le rusé marchand qui l'attrapa au vol avec tout autant d'habileté.

- Qu'importent les paroles, du moment que les zoris sont des vrais, hé ? Je pense que nous allons pouvoir faire affaire.

Le marchand jeta un coup d'oeil connaisseur vers la pièce avant de hocher la tête.

- Je pense aussi.

Il se leva vivement avant qu'un des autres commerçants ait pu le devancer.

- Venez, mon chariot est dans la cour juste derrière.

Soghann esquissa un sourire devant la réaction du marchand. Loin d'être idiot, et certainement pas dénué de précautions... Donc certainement difficile à rouler, il allait faloir jouer franc jeu tout en évitant de se faire rouler soi-même.

Ils suivirent l'homme et sortirent sous les regards soupçonneux des gardes qui se demandaient bien ce que le marchand devait trafiquer avec ces deux oiseaux louches.

Il les mena directement à son chariot, sous l'œil attentif des gardes du parc... Il ne s'agissait pas qu'il aille fouiller un autre chariot que le sien, hein ? Plus souplement que ce que son embonpoint présageait, il sauta à l'arrière de son véhicule et se retourna pour jauger Syld d'un oeil expert.

Marmonnant dans sa moustache (qu'il portait longue mais finement taillée), il plongea dans son chariot et se mit en devoir de trouver une tenue adéquate. Quelques secondes plus tard, il exhibait fièrement une tenue de qualité manifeste. Savant mélange de soie bleu nuit et de cuir noir, la tenue semblait à la fois légère et solide.

- Combinaison légère de combat à la mode Médiovienne. Léger, souple, parfait pour ces chaleurs, renforcé aux endroits stratégiques, et discrète avec ça. Soie de Médievir et Cuir de Chewgal.

Il assortissait sa description de gestes mettant en valeur la tenue, la souplesse du cuir et la légèreté de la soie. Avec un grand sourire moustachu, il conclu :

- La meilleure qualité à un prix imbattable.

Syld jaugea un moment la tenue présentée puis finit par se fendre d'un léger sourire, manifestant sobrement son intérêt sans excès, histoire de ne pas faire flamber les prix.
Il tendit la main.

- Je peux ?
- Bien entendu, répliqua le marchand avec un sourire bonhomme.

Syld palpa le cuir et le tissu avec une moue pensive, émit un petit reniflement comme si quelque chose ne lui convenait pas, puis jeta un coup d'oeil vers l'intérieur du chariot.

- Vous permettez ?

Le vendeur haussa un sourcil vers son turban puis son visage s'éclaira lorsqu'il saisit l'intention du jeune homme. Il fit un grand geste du bras vers l'intérieur du chariot baché.

- Vous pouvez regarder par vous-même.

Ne se le faisant pas dire deux fois, Syld sauta légèrement sur la plateforme de bois et commença à fureter de-ci de-là. Le marchand avait grimpé à sa suite et de temps en temps pointait un doigt par dessus l'épaule de l'assassin.

- Ceci ? Ou ceci, peut-être ?
- Mmh…

Ils disparurent derrière un tas de ballots.

- … pas plus cher.
- Allez… dur en affaires !
- … dernier mot, sauf…
- Ayah ! D'accord, d'accord !

Le marchand se laissa glisser au bas de son véhicule, l'air mi-satisfait, mi-frustré.
Quelques froissements, et Syld réapparut soudain au milieu des piles de vêtements en équilibre instable. Avec un petit sourire plein d'assurance, il sauta dans la cour.

Non content d'avoir revêtu la tenue recommandée par le Médiovien, il avait passé par dessus celle ci un manteau léger typique des castes les plus aisées de la cité de l'eau. Si léger que son utilité était plus esthétique que réellement pratique pour se protéger d'une éventuelle brise de passage. Coupé lui aussi en soie bleu nuit et noire, il se drapait lâche sur les épaules et était maintenu croisé sur le torse par de fines attaches de fil d'argent. Une longue ceinture de soie rouge dont la teinte tranchait élégamment sur le reste retombait gracieusement sur le côté, mêlant ses reflets aux plis complexes du vêtement. Des bottes neuves venaient compléter l'ensemble, et enfin il avait déniché un long foulard bleu sombre à reflets d'émeraude qu'il avait artistement noué par dessus son simulacre de bandeau.
Le bandit était méconnaissable. On l'aurait cru sorti tout droit d'une des plus belles demeures de la noblesse médiovienne.

Du doigt, il fit osciller une mince chainette argentée qui venait agrémenter l'étoffe sur son front, puis leva un sourcil interrogateur à l'intention de ses deux témoins.

- Alors ? Je sais qu'avec ça c'est un brin plus voyant, mais…

Croisant les bras sur son torse, Soghann ne put retenir un sourire.

- Un vrai fils de Medievir ! Il n'y a plus qu'à espérer qu'on ne se fasse pas accoster par des voleurs à tous les coins de rue...

L'assassin frotta son menton rapeux.

- Enfin, je serais toi, j'aurai attendu de prendre un bain avant de te changer...

L'assassin reporta son attention sur le marchand, qui hochait la tête d'un air appréciateur, tout en annonçant son prix apparemment âprement négocié dans le chariot. Prix qui restait raisonnable, et que Soghann paya rubis sur l'ongle. Les pièces d'or roula entre les doigts du marchands allumèrent une étrange lumière dans ses yeux, tandis qu'il reconduisait ses clients à l'auberge même.

Quelques minutes plus tard, les assassins se trouvaient chacun dans un bain, les vêtements de Soghann en train d'être nettoyés, et un plateau débordants de fruits et autres mets posé sur une table entre eux, accompagné de rafraichissements.

Soghann poussa un soupir de contentement. Ce qu'on s'habituait vite au luxe...

- Bah, il fallait bien que je voie si ça m'allait. Quant aux voleurs…

Syld haussa les épaules avec un petit sourire insouciant. S'il n'avait si bien joué son rôle de "brigand inoffensif", on aurait pu croire que c'était exactement ce qu'il désirait et que cette tenue indéniablement luxueuse ne constituait qu'un appât, un prétexte.

- … hum, il te suffira d'afficher ton air le plus lugubre pour les dissuader de s'approcher. Ca ne devrait pas être trop difficile pour toi.

Après cette pique qui aurait pu passer pour amicale s'il avait pris la peine de modifier l'expression de son regard en plus de sourire, le jeune homme se détourna pour emboîter le pas au marchand.

Encore quelques pièces d'or en moins dans leurs poches, et ils purent enfin se glisser avec délices dans le bain tant attendu.

- Ah, j'ai l'impression que là je pourrais re-mourir sans trop de regret ! soupira Syld tout en faisant tourner le vin dans son verre pour mieux en apprécier les reflets pourpres.

Il se renfonça dans l'eau fumante, agita la main pour disperser les taches irisées d'huile parfumée qui flottaient à la surface puis s'adossa mollement contre la paroi du bac. Ses doigts remontèrent se poser sur la fine cicatrice pâle en forme de losange qui mouchetait sa peau, à quelques millimètres du point où les battements de son coeur étaient les plus perceptibles. Il dut se forcer pour desserrer les dents et vider le verre d'un trait.

- Donne-moi ta version des faits.

- Concernant ton assassinat ?

L'assassin laissa la question en suspend, le temps de se passer une main humide sur le visage.

- Il faut remonter à quelques jours avant ton exécution. Nous étions tous -toi, moi, Earl, Fanaa et d'autres- à la Taverne de Veis, lorsqu'elle a été attaquée par une armée de mercenaires et de bandits. Tout le groupe s'est téléporté dans les environs de Faelanir, me laissant en plan avec une armée sur les bras.

Serrant les poings à se souvenir plutôt désagréable, Soghann vérifia machinalement ce qu'étaient devenus ses doigts après avoir été transformés en distributeurs de poison. Pas de marques, à priori.

- Quelques jours après, je me suis retrouvé à Faelanir, sérieusement amoché. J'ai tout de même trouvé Earl, et le temps que je me remette de la bataille, tu avais été capturé et promis à l'exécution. Tu as subit un interrogatoire assez "poussé" pendant plusieurs jours, tandis que toute l'équipe s'échinait à trouver un plan pour te sortir de là.

Il observa une pause, autant pour rassembler ses idées que pour laisser le temps à Syld de tout absorber.

- Le seul qui a réussi était celui d'Earl, qui s'était bien gardé d'en parler aux autres. Tout le monde t'as cru mort, Fanaa et moi compris. Un gamin a surgi et t'as poignardé avec une lame empoisonnée, suffisamment près du coeur pour qu'on te croie mort sur le coup. Le poison t'as plongé dans un état de coma profond pour confirmer l'impression, et les contacts d'Earl ont fait le reste pour escamoter le cadavre et te soigner ici. Ainsi les personnes qui voulaient ta mort, au moins à Faelanir, te lâcheront les basques.

- Capturé, hein. La milice de Faélanir est-elle si forte pour que... Ah !

Syld se frappa la front avec un petit rire.

- J'ai deviné. Cette fille, la mission, blabla... Bien sûr, un brave toutou de Sentence n'aurait pas fuit en laissant les miliciens se défouler sur ceux qui restaient derrière. Ah, dévouement, quand tu nous tiens !

Il commença à s'étirer langoureusement, puis se figea avec un haussement de sourcil pensif.

- Dévouement... ou attachement ? C'était quoi, ma relation exacte avec cette greluche ? Dans ses grands discours, sa Seigneurie se montrait plutôt évasive à son sujet... quand elle n'était pas carrément dans le brouillard sur certaines circonstances. Par moment c'était à se demander qui avait perdu la mémoire. Enfin bref, laissons-le là où il est, celui-là.

Le jeune homme se laissa glisser sous l'eau pour finir de mouiller sa tignasse rebelle avant de se redresser un peu et de s'ébrouer.
Il gratta les bords effrangés du grossier bandeau de toile qui lui couvrait l'oeil puis renonça avec un haussement d'épaule. Ce damné bout de tissu semblait ensorcelé. Impossible de réussir à le toucher vraiment, c'est comme si un bouclier invisible était plaqué par dessus.

- J'ai un peu de mal à m'imaginer agissant de façon aussi idiote. Il faudrait que je sois un crétin fini pour m'être laissé cueillir ainsi, que ce soit pour l'une ou l'autre raison. Un pareil niveau de stupidité, c'est typiquement... humain. Oui c'est bien ça, humain.

Il leva une main et s'amusa à la tourner d'un côté et de l'autre pour capter les rayons du soleil dans l'eau qui ruisselait le long de ses doigts. Exactement le geste qu'il faisait parfois pour admirer ses griffes elixiennes, lorsqu'il les portait encore.

- Or les Shalos font de leur mieux pour faire comme s'ils n'avaient ni coeur ni âme, pas vrai ?

Syld laissa fuser un rire qui sonnait étrangement.

- Ah, ni coeur ni âme. Je ne sais pourquoi, mais cette idée me paraît particulièrement drôle.

Du bout des doigts, il dessina un cercle dans les airs. Un cercle invisible qu'il coloria soigneusement, presque amoureusement, avec un sourire rêveur aux lèvres. Son regard semblait s'être perdu dans le vague.

- Je ne sais vraiment pas pourquoi...

- C'est une composante de l'esprit Shalos, mais c'est surtout quelque chose d'important quand on fait notre métier. Se laisser distraire par les émotions, c'est un des meilleurs moyens de rater une mission ou de se mettre en danger de façon inutile.

L'assassin s'empara du savon et se mit en devoir de se décrasser, sans continuer de parler.

- Concernant nous deux, c'est compensé par le fait que nous sommes complémentaires dans nos aptitudes et nos actes. On se connait suffisamment bien pour agir de façon concertée sans avoir besoin de communiquer, et c'est là tout l'avantage.

Il caressa furtivement l'oreille ou était accroché le bijou magique avant que celui de Syld ne disparaisse, certainement détruit par ses bourreaux.

- Quant à ta capture, j'en ignore tout. Comme dit, j'avais une bataille sur les bras à ce moment là, et le reste s'est passé trop vite pour que je sache exactement le pourquoi du comment. Tu es sans doute tombé dans un piège.

Il s'interrompit le temps de se savonner copieusement le visage et de le rincer, éliminant les reliefs de ces dernières semaines.

- Concernant Fanaa... ça reste un mystère. Elle semble avoir l'étrange capacité d'être un aimant à affection, mais de là à dire que c'est à cause d'elle que tu t'es retrouvé dans cette situation... J'ignore ce que tu éprouvais réellement pour elle, et ni toi ni moi n'avons pour habitude d'associer sexe et sentiments.

- Mmh.

Syld signifia qu'il avait entendu d'un vague marmonnement. Mais avait-il vraiment écouté, ça, c'était moins sûr.
La main qui dessinait encore et encore le cercle invisible s'immobilisa un instant, esquissa un mouvement vers les quelques mets disposés sur la table, puis finit par s'échouer mollement sur le bord du baquet.

- Je suis complètement vanné…

Le jeune homme cilla, s'efforçant de refaire le point sur ce qui l'entourait.
Le bain chaud avait détendu ses muscles raidis. Presque trop détendu. Il avait l'impression de ne plus en avoir du tout, comme s'ils avaient fondu dans l'eau fumante.

Il prit une inspiration puis fit un effort pour se lever tout en attrapant une grande et moelleuse serviette judicieusement posée sur un petit tabouret au pied du bac.

- Je mangerai vraiment plus tard. Juste dormir un peu…

Frileusement enroulé dans la serviette, il traîna des pieds jusqu'au lit et, sans se soucier des cheveux trempés qui ruisselaient sur ses épaules, se laissa tomber sur les draps propres où il s'endormit aussitôt.
Après ces semaines à lutter contre la mort qui refusait de le laisser glisser entre ses griffes et tous ces jours où il était resté parqué dans l'étable, le grand air et le trajet à pied l'avaient littéralement assommé.