Sur le Chemin de Faelanir

- Oh, toujours toi ? Et les autres sont d'accord sur ce point ?

Syld n'avait pu adoucir les accents cassants de sa voix.

Le fait de penser à la minuscule plage de galets lui avait rappelé cette frêle silhouette un peu maladive debout sur le plus haut rocher de cette étendue chaotique. Et la voix. Cette voix qui faisait danser les créatures antédiluviennes dans les flots, dans un entremêlement terrible, reptilien, et pourtant gracieux. Le glissement des corps gigantesques dont on ne devinait ni le commencement ni la fin soulevait l'océan comme une tempête. Et ils émergeaient, énormes, indistincts, tels des montagnes qui venaient occulter la lueur froide des trois lunes à leur apogée. Le chant s'élevait, mugissement membraneux arraché aux abysses, semblable au chant de la mer elle-même. Ils obéissaient à la voix, ils lui répondaient...

Le Shalos dut faire un effort considérable pour s'arracher à ce rêve éveillé, à cette transe, à cette voix inhumaine dont le pouvoir semblait traverser les ans, porté par de simples souvenirs.

Il n'arrivait pas à se débarrasser de ce remord, de cet unique regret déchirant au sein d'une vie presque entièrement teintée de rouge sang.

Syld se força à sourire comme si de rien n'était. Et il eut ce sourire éclatant et malicieux qui ressemblait à s'y méprendre à n'importe lequel de ses sourires habituels.

- Bah, je déclare forfait d'avance. Oh, si j'étais en forme, moi, tu n'aurais pas à me laisser la moindre avance. Mais là...

Le jeune homme haussa les épaules avec un petit rire d'excuse.

- Je me contenterai de marcher vite. Toi par contre...

Il détailla Fanaa de haut en bas.

- Vu le peu que tu as sur le dos, tu devrais courir. Ca te réchauffera. Parce que là tu vas vraiment finir par nous attraper un rhume !

Syld émit un petit rire à cette idée.

- Et je crains que Earl ne se sente obligé de te soigner, après. Inutile de préciser qu'il serait enchanté...

Ce n'était pas facile. Vraiment pas. Fanaa ouvrit la bouche pour répliquer que oui elles seraient d'accord. Et quand bien même que ça ne comptait pas. Elle songea à lui expliquer que si elles avaient pu intervenir c'est qu'elle avait été très perturbée. Mais ce sujet semblait agacer Syld. Et elle le comprenait, quel intérêt y avait il à parler des voix dans sa tête à elle ? Ca n'apportait rien à Syld. Rien du tout.

A sa remarque sur ses vêtements, elle croisa ses bras autour d'elle, pour sembler plus habillée. Sans succès. Avant, pourtant, il aimait bien qu'elle porte cet ensemble. Elle y tenait beaucoup justement parce qu'il lui faisait pétiller les yeux. Mais maintenant il ne la trouvait plus jolie et lui demandait de se cacher.

Oh, il le lui demandait gentiment, et en lui souriant qui plus est.

Elle se força à sourire en retour.

- Je n'ai pas froid, ne t'inquiète pas, je n'embêterai pas Earl. Et c'est moi qui ferme la marche. Je préfère te suivre. C'est normal que tu ne te sentes pas de me battre, toi, l'estomac sur pattes tu n'as rien dévoré depuis des heures et des heures. Toute une journée au moins. Dès qu'on sera arrivés je-ne-sais-où tu pourras te nourrir et ça ira déjà mieux.

Qu'éprouvait il ? De la pitié sûrement pour cette pauvre fille qui entendait des voix. Et du regret aussi. Il n'avait sauvé qu'une folle. Une... Non. Si elle pensait comme ça elle deviendrait vraiment irrécupérable. Elle avait conscience qu'elle avait un problème, elle devait donc s'atteler à le régler.
Si elle devenait normale, Syld n'aurait plus à être gêné en sa présence. Il n'aurait plus à craindre qu'elle soit un danger pour lui car elle ne serait plus instable.
Et alors... alors on verrait. Chaque chose en son temps.

Elle leva les yeux au ciel et se tapota le menton pensivement.

- J'espère aussi qu'il y aura de la bonne bière. Parce que quand Soghann nous rejoindra, il aura soif. Et il viendra c'est certain. Il sait au moins autant de choses que Earl, sinon plus. Alors ill trouvera où tu es. Et...

*Et il te demandera peut être enfin de lui parler du Seigneur Adennon ? Vous n'avez jamais terminé cette discussion. Il viendra, de toute façon, il le faut. Après tout que serait-il sans toi ?*

- Et j'espère que la Levitis nous dira enfin son nom... on n'a même pas le droit de l'appeler Madame Earl et j'aimerais bien avoir un façon de l'appeler. Je ne vais pas lui donner un surom quand même...

Le vent courant sur le petit groupe semblait apaiser l'humeur de la mage. Un peu comme si la froide rancune qu'elle gardait de sa "mission" en bas s'envolait avec le souffle de l'élément.

Elle souriait...

- Donc, Earl.. Si je comprend bien, vous faîtes partie de l'armée. Vous avez un ami Shalos et vous avez le cœur libre... Ca fait un moment que vous êtes ici Un mouvement de la main englobant le paysage "En bas"?

S'ils devaient rester tous ensemble un moment, autant faire connaissance... même si elle n'avait aucune envie de se lier en quoique ce soit avec leur deux autres compagnons.

Tandis que, l'esprit ailleurs, Syld se contentait de hocher la tête en réponse à la péroraison de Fanaa, Earl acquiesçait aux paroles de Hakuren.

- Je n'ai reçu l'autorisation de quitter Levitas qu'il y a quelques jours. Cependant, eut égard à mon appartenance à l'armée, il m'arrive souvent d'être stationné loin de la cité. Et contrairement à la plupart des Lévitis je vis cela très bien.

Il posa un regard aigu sur la jeune femme.

- J'ai appris à aimer Levitas mais je ne m'y sentirai jamais à mon aise. En fait c'est le cruel manque d'ouverture d'esprit de la majorité de ses habitants qui me pose problème.

Sans y penser, il ramena un pan de son manteau chaudement doublé de velours gris sur la gamine qu'il portait. Le vent se faisait plus cinglant à mesure que le temps passait.

- Je suis doublement bâtard, voyez-vous. Bâtard car né "sans père", et bâtard car de sang mêlé. S'il n'y avait eu l'influence de mon tuteur, je n'aurais jamais pu rentrer dans l'armée ni accéder au rang d'officier.

Hakuren haussa des épaules

- Et bien j'assume totalement le fait de ne pas aimer être "en bas". Tant mieux pour vous si vous pouvez vous habituer. Je n'ai jamais eu pour vocation a faire des recherches comportementales sur les autres peuples... Mais un ordre est un ordre...

La mage fit une étrange moue en se souvenant que ce n'était pas véritablement l'ordre du doyen qu'elle suivait mais la demande de ses parents... Il n'y avait bien que ça qui pouvait la forcer a descendre de Levitas.

A l'évocation de son lignage étrange, Hakuren jeta un regard étrange au militaire
- Intéressant... et... quel est la nature de votre métissage?

Une bourrasque traitresse leur gifla le visage et les cheveux du clerc se détachèrent, se tordant dans le vent comme de longs serpents aux reflets d'argent. Le jeune homme se détourna à demi avec une petite grimace tout en remontant son col bordé de fourrure blanche. Par bonheur son manteau était tout spécialement conçu pour se prémunir du vent et du froid qui régnaient à Levitas en maîtres incontestés.

- Fédorien. Je suis à moitié Fédorien par ma mère.

Des nuages montaient sur l'horizon. L'air avait fraîchi.

- J'ai l'impression qu'il va bientôt pleuvoir. Nous devrions nous hâter. Si nous pouvions nous faire véhiculer, ce serait vraiment l'idéal...

Il repoussa les mèches qui lui flagellaient les joues derrière son oreille pour scruter l'embranchement de routes auquel ils arrivaient.

- En tant que ville neutre, Faelanir est un noeud commercial majeur. C'est un lieu d'échanges et ce serait bien le diable si nous ne tombions pas sur une quelconque charrette allant dans la bonne direction.

- Fédorien! d'où peut-être ce coté militaire.... Ma foi...

Sa voix s'éteignit... Elle ne connaissait que Michael comme Fédorien... un homme sanguinaire... prêt uniquement a la guerre... mais pourtant assez sympathique... Tout en marchant, elle chercha un de ses carnets dans sa besace ainsi qu'un bâton de graphite. Elle se mis a griffonner quelques petites choses...

La Levetis n'avait pas pour le moindre du monde l'air d'être dérangée par le vent ou le froid. Elle leva la tête vers les nuages

- Effectivement, grimaça-t-elle Le froid ne me fait rien mais je ne suis pas médiovienne pour apprécier autant l'eau...

- Voilà qui ne...

Un grincement de roues leur parvint au milieu du bruit des genêts battus par les bourrasques. Une carriole tirée par un couple de moos tourna à un virage de la route qui rejoignait la voie côtière.
Apercevant les Lévitis qui avaient l'air de tout sauf de pillards, le conducteur fit stopper ses bêtes. Du pouce, il souleva le bonnet de cuir qui lui tombait sur les yeux et un sourire aussi affable qu'édenté fendit sa face ridée et brunie par le grand air.

- Un sale grain arrive par ici... je vous emmène quelque part ?
- Si vous pouviez nous rapprocher de Faelanir, ce serait une grande aide.
- Ca tombe bien, p'tit gars, c'est là que je vais.

Le froncement de sourcils du clerc sembla indiquer qu'il n'appréciait pas outre mesure de se faire appeler "p'tit gars", mais il se contenta d'acquiescer d'un signe de tête.

- Voilà qui est parfait. Si vous pouviez juste attendre nos...

Earl fit la moue en se rappelant de la tenue relativement succincte de Fanaa et de l'allure un peu défraîchie de la mise de Syld.

- ... domestiques... Ils ont un peu traîné en route mais ne devraient pas tarder à nous rattraper.
- Domestiques, hein ?

Le charretier examina les habits luxueux -quoique tachés de boue- de son interlocuteur.

- Eh bah ! Vous avez cassé votre carrosse, ou quoi ?
- Petite erreur de téléportation, rétorqua Earl avec une légère pointe d'aigreur.
- Holà, t'excite pas, p'tit gars ! Je vais vous amener à Faelanir, vous et vos gens.
- C'est b...

Earl se tut soudain et renifla avec suspicion. Jusqu'ici le vent était trop vif pour qu'il le remarque, mais...

- Et... puis-je vous demander la nature de votre chargement ?
- Je crois bien que tu peux ! Ce sont des barils de poissons !
- Ah.

Brusquement refroidi, le jeune homme consulta Hakuren du regard.

- Finalement nous devrions peut-être...

*Je me protège derrière mes mots comme il s'abrite avec son silence. Il m'entend mais il ne m'écoute pas. Pas étonnant vu les bêtises que je débite à la minute. Il n'est pas là. Il est juste devant moi mais il n'est pas là.*

Au moins elle pouvait le détailler, déguster son image, l'observer bouger. Ses cheveux fous, sa chemise piquetée de tâches plus sombre où les gouttes de pluie s'écrasaient. Ses épaules légèrement affaissée qui pouvaient montrer qu'il était encore un peu fatigué, ou que ses pensées n'étaient pas des plus amusantes.
Un bout de son bandeau noir si serré, si serré...

Il fallait le défaire, l'enlever, le libérer. Il allait se faire mal à force ! Le mieux était ... était quoi ? Elle n'était pas à sa place. Mais elle se demandait comment faisaient les gens pour ne pas vouloir lui retirer son bandeau. Fanaa en avait eu l'idée dès la première fois. Elle s'était toujours retenue, par respect pour le secret de Syld. Après tout si il voulait rester caché, il en avait le droit. Il réagissait toujours brusquement quand on s'approchait trop près de ce bout de tissu.

Puis elle songea au bandeau rouge qu'il lui avait confié et qu'elle avait oublié à Shalanos. C'était un présent inestimable et elle n'avait pas été fichue de le garder avec elle. Elle aurait dû l'avoir sur elle en permanence !

*Décidément je suis indigne de toi. Je ne devrais même pas avoir le droit de penser comme cela. Je sais que je ne devrais pas... me trouver si près de toi. Après tout qu'est-ce que je t'apporte de bien ? Mais m'éloigner... par tous les Dieux c'est... tiens? Ils sont arrêtés?*

- Je crois qu'il faut les rattraper. souffla-t-elle.

Aucune réaction. Elle s'avança à son côté et avec beaucoup de précautions, et lui saisit le bras. Ses mains se faisaient légères, le contact ne devait pas être une gêne. Il pouvait se braquer à tout moment, elle voulait l'éviter à tout prix. Elle leva la tête pour voir son œil bleu-vert assombri, dans le vague.

Elle aurait voulu savoir ce qu'il avait dans la tête pour lui donner cette expression si lointaine. Tout doucement elle pressa son bras pour lui faire allonger le pas. Elle avait envie de dire quelque chose qui le sortirait de sa torpeur mais que dire ?
Chaque moment avec lui était précieux et fragile. Elle ne devait pas l'abîmer, elle y arrivait si facilement.

Regardant de nouveau au sol elle se mit à compter les pas qui les ramenaient auprès de leurs guides.

- Je monte a l'avant... il doit bien avoir aussi de la place pour vous, n'est-ce pas cher Monsieur?
- Bah...
- Je n'en attendais pas moins de vous! s'exclama-t-elle tout en grimpant. Nos "domestiques" monteront derrière!

La mage s'installa et tendit une main vers Earl. Finalement, son coté fédorien n'était pas si probant... où alors il n'en avait pris que les bons cotés... Et puis le vent et le feu... Attendant une réaction de son compatriote, on pouvait voir dans ses yeux bleus les idées et les analyses prêtes à être inscrite sur l'un de ses précieux carnets

Earl prit une inspiration et, après une infime hésitation, saisit la main qui lui était tendue. En dépit de la petite fille qu'il portait, il se hissa avec légèreté sur le coin de banc resté libre avant de se retourner vers les deux retardataires.

- Mais qu'est-ce que vous fichiez, vous deux ? Dépêchez-vous de monter !

La voix mordante du Lévitis arracha Syld à sa rêverie. Les gouttes qui s'écrasaient sur son visage achevèrent de le réveiller.
Il grimpa d'un bond à l'arrière de la carriole mais ne put s'empêcher de tiquer face au fumet qui agressait son odorat sensible :

- Hé, il y a quoi dans ces barils ?

Le conducteur se retourna sur son siège pour lui répondre, débonnaire :
- Du poisson... fiston.

Les sourcils broussailleux de l'homme s'étaient froncés en voyant l'allure des arrivants. Earl avait beau avoir assuré qu'il ne s'agissait que de serviteurs, celui-là avait l'allure d'un brigand de profession. Mais sa méfiance s'envola lorsqu'il put examiner le Shalos d'un peu plus près. L'odeur peu ragoûtante qui émanait des barils avait au moins eu le mérite de balayer toute trace de mélancolie et le marchand ne put qu'apprécier le visage ouvert du garçon. Ce devait être un beau vaurien mais il avait paradoxalement l'air honnête.

Syld eut une grimace exactement similaire à celle qu'avait eue Earl en recevant la même réponse.

- Ah.

Il se retourna pour attraper Fanaa par la taille et la faire monter. Voyant les gouttes de pluie qui ruisselaient sur les épaules nues de la jeune fille, il repoussa un tonneau pour qu'elle s'asseye sur le plancher et, avec autorité, lui couvrit la tête d'un pan de son manteau tandis que lui-même se perchait sur une des ridelles de la charrette.
Un de ses pieds battant la claire-voie à l'extérieur du véhicule, le Shalos balaya du regard la surface à présent gris ardoise de la mer.

- Je crois qu'on va être trempés quand même.

- Oh !

Ce fut le seul son que Fanaa parvint à sortir, surprise des gestes du filou. Touchée aussi. Son coeur avait fait un sacré bond lorsqu'il n'avait fait ni une ni deux avant de la soulever du sol. Une fois à l'abri, elle replia ses genoux contre elle, croisa ses bras et posa sa tête dessus, se faisant toute petite.

Elle pouvait voir un bout de Syld et n'en détachait pas ses yeux. Ses yeux de nouveau bleus.

*A vrai dire, trempés, on l'est déjà. Le ciel pleure sur nous pour nous rincer de nos chagrins, ses larmes emportent nos doutes... quand ils ne les ravivent pas.*

Les cahotements de la charrette plongèrent Fanaa dans une somnolence. Ses yeux se fermaient par intermittence. Mais quand elle se sentait piquer du nez, toujours elle redressait la tête en sursaut pour apercevoir un bout du filou.

Il était capable de disparaitre en si peu de temps !

- Merci...

Syld tourna la tête pour suivre les ondulations un peu spectrales des cheveux d'Earl dont la blancheur tranchait avec violence sur le couvercle sombre des nuages. Il plissa les paupières puis étouffa un petit rire incrédule.

- Mazette, il ne manque pas grand chose pour qu'il les ait aussi longs que ceux de Soghann !

Inconscient de la distraction qu'il offrait au forban derrière lui, le Lévitis se pencha pour s'adresser au charretier :
- Il y a toujours une auberge, juste sur les quais ?
- Aah, tu veux parler de l'auberge des Trois Zoris, p'tit gars ? Pour sûr qu'elle existe encore ! Vous voulez que je vous y dépose avec vos larbins ?

Avant que Earl ait pu répondre, une protestation jaillit depuis l'arrière de la charrette :
- Comment ça, "larbins" ?
- Syld, la ferme ! coupa le clerc sans même se retourner. Et le gérant, est-ce le même depuis...
- Mon garçon, ça fait bien quarante ans que je fais du commerce du côté de Faelanir, et le patron a jamais changé. Pourquoi ça t'intéresse ?

Le Lévitis se rencogna contre le dossier du banc avec une expression satisfaite.

- Oh, pour rien.
- Je suis sûr qu'il va être ra-vi de nous accueillir, le gérant, ricana le Shalos qui ne perdait pas un mot de la discussion.
- Syld, la ferme. Nous descendrons donc à l'auberge des Trois Zoris.
- A tes ordres, p'tit gars ! On ne va pas tarder à arriver, d'ailleurs.

Suivant les évolutions capricieuses de la route, la carriole s'était écartée du bord de la falaise pour effectuer un large crochet vers l'intérieur des terres. Dans le même temps, la pente du chemin s'était accentuée et les passagers du véhicules s'étaient généreusement fait secouer par les cahots des ornières.
Enfin, le terrain se fit plus à nouveau plat et, après un dernier virage le long d'une clôture, la charrette rejoignit une route pavée presque aussi cahoteuse que la précédente.
Les voyageurs eurent alors une vue directe sur la mer et la ville qui siégeait tout au bord. Sur la gauche, la falaise qu'ils avaient descendue se prolongeait en un long éperon qui s'avançait, fendant les vagues comme une jetée naturelle et ménageant une vaste baie abritée de la houle. Une forêt de mâts se balançait au-delà des bâtiments de la cité.

Sentant par avance le foin de l'étable qui les attendait dans quelque coin de Faelanir, les moos de l'attelage levèrent leurs mufles baveux avec un meuglement et le claquement de leurs lourds sabots sur les pavés s'accéléra.

- Mais au fait, les jeunes, qu'est-ce qui amène votre petite famille par ici ?
- Euh je...

Earl eut un frisson d'épouvante en voyant le marchand promener ses yeux de lui-même à Hakuren, en passant par la gamine abandonnée à leurs soins par le Médiovien. Nul besoin d'être devin pour saisir de quelle façon l'homme avait pu interpréter la composition de leur petit groupe.

- Ce n'est...
- Oui, vous avez bien une idée de ce que nous allons faire ici, n'est-ce pas, patron ? fit Syld en s'accoudant avec familiarité au dossier du banc.
- Syld, la ferme ! Bien sûr, que je le sais. Nous venons ici pour affaires.

Et Earl envoya un coup de coude dans les côtes du Shalos qui ricanait dans sa barbe face à cette réponse éminemment vague.
Non, il n'avait pas la moindre idée de ce que pourrait être leur occupation dans cette ville. Ils avaient dû partir de la Taverne de Veis, et il avait bien fallu choisir un point de chute, point. Ce n'était pas à lui d'organiser leur petite excursion touristique, si ?

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