Confins du désert - sanctuaire du Pas du Dragon

- Ah oui vraiment ?

Les premières gouttes tièdes s'écrasaient lourdement au sol, creusant des cratères miniature dans la poussière.
Cela pouvait se produire n'importe quand.
Ce n'était ni l'électricité statique qui commençait à lui faire bourdonner les oreilles, ni la puissante odeur d'ozone qui l'inquiétaient. C'était plutôt l'eau qui ruisselait déjà en torrents le long des parois.
De petits fragments de rocher commençaient à se détacher ici et là avec des craquements sourds.

Earl prit Fanaa par le bras et la releva sans douceur excessive.

- Je suppose que tu n'as aucune idée de ce qui peut se produire s'il peut beaucoup dans un endroit comme celui-ci ?

Comme il n'attendait nulle réponse, il se tourna vers sa monture. Mais, au moment où il allait se saisir des rênes, la bête sauta brusquement sur ses pattes, l'air effaré, recula, puis fit volte face pour s'enfuir de toute sa vitesse.
Earl resta la main tendue dans le vide, les pieds dans la boue de sable et d'eau qui cascadait entre les pierres du fond.

- Par Ael...

Il leva la tête pour examiner les parois ruisselantes autour d'eux. Le ciel s'était complètement assombri, et on aurait presque cru pouvoir toucher du doigt l'épais couvercle de nuages d'un noir d'encre.
Les falaises étaient presque complètement lisses, comme polies jusqu'à mi-hauteur.

Vite, réfléchir.

En amont, là où il était passé, les murailles de pierre avaient un aspect similaire sur plusieurs centaines de mètres. Il aurait fallu remonter les gorges beaucoup plus loin pour trouver des prises pour les mains et les pieds, des saillies, des surplombs.
Alors en aval ?
Mais les falaises pouvaient présenter cette surface désespérément lisse pendant des kilomètres !
Le Lévitis ne connaissait pas assez bien la zone pour trancher, et chaque seconde comptait.

Il attrapa Fanaa par les épaules pour la forcer à se secouer.

- Fanaa, est-ce qu'il faut suivre longtemps ce défilé vers le village pour atteindre un endroit où on peut escalader facilement la falaise ? Essaye de te souvenir !

Aucune excuse. Il n'en voyait probablement ni le besoin ni l'utilité. Fanaa savait qu'elle avait des problèmes relationnels avec les gens en général, mais elle découvrait que le Levitis aussi. Seulement son incompétence se situait à un autre niveau. Il s'estimait bien au-dessus de la masse représentant probablement le reste des adreniens.

Pourquoi chercher un endroit où se mettre à l'abri alors que l'on pouvait tranquillement attendre que l'eau nous engloutisse ? Se retrouver à l'abri dans une immensité liquide, telle une la plus grande matrice du monde ...
Visiblement le Levitis n'était pas de cet avis. Mais qu'importait au fond ? Il n'avait qu'à avancer tout seul.
Oui mais il risquait de se perdre.
Voire même d'être malade avec toute cette humidité.
Il restait probablement fragile, entre son trop plein d'elixia et sa mue pas si vieille que ça.
Alors le laisser tout seul tandis que Nuada n'est même pas là ? Fanaa culpabiliserait trop, plus tard. Ce serait comme lui faire du mal, mais indirectement. En se contentant de ne rien faire pour lui. Sa conscience ne la laisserait pas en paix après cela.
Maudite conscience.

Elle ne répondit pas mais attrapa la manche d'Earl et retourna sur ses pas. A l'endroit d'où elle avait entendu son appel, on pouvait encore grimper; elle, du moins. Quel niveau d'escalade pouvait bien avoir Earl ? Oh il était soldat, il devait savoir faire. Mais comme elle avait couru vers lui dans un état de semi-transe, elle ne se souvenait plus exactement où se situait l'endroit. Où est-ce que c'était déjà ? Mine de rien, toute la gorge se ressemblait. Fanaa s'était mise à courir, la main toujours accroché au vêtement du Levitis qu'il n'était pas question qu'elle égare. L'eau leur arrivait maintenant plus haut que les chevilles.

*Vite vite vite !*

Mais même avec des prises, les parois étaient rendues très glissantes avec toute cette eau qui les recouvraient. Et si il glissait ? Non. Ne pas envisager de tels scenarii.

Il n'était de toute façon plus question de trouver "l'endroit le plus aisément praticable", mais plutpot le premier ne serait-ce que vaguement escaladable qui se présenterait.

Les parois se faisaient déjà moins lisses. Cela progressait. L'eau faisait un bruit sourd et constant à tomber ainsi en masse du ciel. Ils auraient dû rentrer au Temple. Elle aurait dû insister pour qu'ils tentent tout de même le coup. Mais c'était un peu tard maintenant.

Elle indiqua le mur de pierre. L'eau ruisselante ne permettait pas réellement d'estimer si la grimpette était faisable ici. Mais elle l'était. Du moins en temps normal. Par contre le côté "facile" il valait mieux oublier. La Danseuse leva les yeux, ce n'était même pas facile d'en distinguer le sommet. Et dans ces conditions, l'escalade allait sembler bien longue.

Fanaa passa ses mains sur la pierre, c'était la meilleure façon de repérer les prises, car on ne pouvait pas trop compter sur ses yeux. En prenant le temps, ses doigts et ses orteils trouvaient des prises relativement acceptable. Elle s'éleva ainsi de presque 3 mètres puis se laissa retomber à côté d'Earl.

- Essaie ici mais fais attention. Et tes gants et tes bottes vont t'empêcher de bien repérer les aspérités. Tu devrais les enlever.

Et même si ils atteignaient le sommet sans encombre, que feraient-ils une fois en haut ? Allez un seul problème à la fois.

Ce n'était pas ce qu'elle avait imaginé, pas du tout ! Ce n'était pas de l'eau qui allait fleurir le désert cela ! C'était une violence presque plus liquide que solide qui s'abattait sur le pays ! l'eau, qui devait être la vie, prenait l'allure d'un adversaire mortel ! C'était la première fois que Fanaa voyait l'eau, cette eau adorée, en tan qu'ennemie, cela lui faisait un sacré choc.

Elle avait voulu rester au sol et attendre d'être certaine qu'Earl soit monté assez haut pour entreprendre l'escalade mais la boue montante et la visibilité réduite l'avait obligée à grimper à la suite du Levitis plus tôt que prévu. Fanaa avait la chance d'être dotée d'une vision nocturne, mais les éléments déchaînés créaient tant et tant d'écrans, de gêne, qu'elle ne pouvait guère apprécier cet avantage. Elle tentait de garder un oeil sur son compagnon, mais comme il fallait aussi réussir à respirer - la pluie tombait si drue que l'on buvait la tasse en respirant par le nez - et surtout, à ne pas décrocher de la paroi. Fanaa était électrique, effrayée, stressée, secouée par cette situation inconnue et dangereuse. Elle sentait son coeur lui remonter dans la gorge, ton son corps était tendu de nervosité.

Lorsqu'il la tira pour la mettre à l'abri et qu'elle se figea, désespérément accrochée à la paroi à côté de lui, la bouche ouverte à la recherche d'oxygène, elle vit la vague et se dit qu'ils n'y survivraient pas. Ils allaient mourir là, tués par l'eau qu'elle avait tant souhaité, incrustés dans la paroi. Et Earl disparaîtrait à cause d'elle, elle serait coupable, responsable de sa perte. Quelle serait sa punition dans l'autre monde ?

Il la fit passer devant et elle ne put qu'avancer, crevant de trouille à l'idée de le perdre de vue, à l'idée qu'il lâche prise, qu'il tombe, qu'il y ait une catastrophe. Pourtant elle ne pouvait se permettre le lustre de se disputer avec lui afin qu'il la devance. Il fallait monter, monter et atteindre le sommet. C'était la priorité. Non, la seule chose qui comptait.

Ce n'était vraiment pas ce qu'elle avait imaginé.

La dernière ligne droite lui sembla interminable et elle s'affolait que le petit rempart de pierre qui les protégeait tant bien que mal ne cède. Elle craignit cette éventualité jusqu'à ce que sa main ne rencontre plus de surface verticale. Ils étaient arrivés, il ne fallait surtout pas lâcher ou glisser maintenant.

Arrivée en haut elle s'allongea sur le ventre et passa sa tête et ses bras au-dessus du rebord de la corniche pour attraper Earl et s'assurer de le hisser au sommet. Une fois sur le plateau, elle regarda autour d'elle. L'obscurité, les murs d'eau, le risque de tomber en faisant un faux pas, les énorme gouttes qui faisaient l'effet de toutes petites billes de plomb en s'écrasant sur leurs peaux.
Fanaa tira Earl par le bras, il fallait s'éloigner du bord à tout prix. Ensuite elle chercha autour d'elle ce qui pourrait servir d'abri mais quels étaient les critères d'une protection contre ça ? Et Earl qui allait être malade ! Et elle qui en était responsable ! Que guetter ? Que faire ? Etait-il possible de rejoindre le Temple en suivant le plateau ? Non bien sûr que non. Il fallait chercher une corniche, un creux une bouche dans la pierre, non ? Sauf que ce genre de chose n'était pas en haut des plateau mais creusé dans la paroi. Le vent lui renvoyait ses cheveux trempés dans la figure. Earl allait attraper froid bon sang ! Combien de temps durait ce genre de tempête ?

Peut-être pourrait elle créer une barrière d'elixia pour les protéger ? Elle tiendrait à l'écart la pluie et le vent mais ne réchaufferait pas Earl. Enfin peut-être que si, elle n'avait pas essayé. Ses protections d'elixia n'avaient servi qu'aux comateux et eux morts, elles ressemblaient plutôt à des cercueils. Mais en les adaptant un peu peut-être ? Mais qu'en dirait le Levitis ?

- Qu'est-ce qu'on doit chercher ? cria-t-elle à travers le bruit.

Un abri naturel serait plus sûr qu'une elixia instable, parce que plus sûr que la possibilité de rien du tout. En attendant la réponse, la Danseuse testait sa capacité à rassembler l'elixia malgré une furieuse nervosité et une peur qui nouait l'estomac. L'état d'esprit, les émotions avaient beaucoup d'impact sur les sorts.

- Du calme.

Earl toussa pour finir de recracher l'eau qu'il avait avalée bien malgré lui. Il resta étendu sur le dos, cherchant son souffle.

- Evite juste de te mettre complètement debout. Sur cette surface plate, rien de tel pour attirer la foudre.

Juste comme il parlait, la pluie parut se calmer un peu. Ce fut comme un signal, et des éclairs tracèrent une grande toile aveuglante sur le couvercle des nuages noirs. Le tonnerre claqua presque aussitôt, avec tant de force qu'il assourdissait plus qu'à demi, faisant vibrer l'air et la pierre. C'était un orage terrible, d'une violence qui ne se rencontre que chez les orages des régions brûlantes.

Cillant pour chasser l'eau qui lui troublait la vue, Earl observait avec fascination la succession presque ininterrompue des éclairs. La lumière violente éclairait la surface des plateaux aussi bien qu'en plein jour : chaque fissure, chaque pierre se découpait avec précision sous cet éclat blême.

En bon habitant de Lévitas, Earl n'était nullement gêné par la pluie. D'ailleurs, comparée aux intempéries qui s'abattaient parfois sur la cité aérienne, celle-ci ressemblait d'avantage à une douche presque chaude.
Un rire lui échappa.

- Aah, ça me rappelle ce fichu orage qui m'est tombé dessus en mer sur la route de Médiévir. Un éclair est tombé pile sur le mât et...

Il fit un effort pour réprimer cette hilarité nerveuse, puis se mit sur son séant.
Les gorges formaient une large courbe et, d'où il se trouvait, il pouvait voir que le niveau de la crue baissait lentement. La première vague était passée.
L'éclat cru des éclairs qui balayaient le ciel projetait la moindre ombre avec une netteté extraordinaire. La surface des plateaux était plate, mais loin d'être complètement lisse.

Le Lévitis indiqua ce qui avait l'air d'une dépression en forme de cuvette, à quelques cent mètres de la. Un des bords de ce creux s'ourlait en un surplomb assez profond pour y trouver refuge. A présent que la pluie avait diminué d'intensité, l'eau se contentait de filer le long de la pente légère, vers les innombrables fissures connectées aux galeries souterraines. Les lacs invisibles allaient de nouveau se remplir, les quelques sources à flanc de falaise qui avaient fini par se tarir au fil du temps couleraient à nouveau...

*Me calmer? Alors que c'est dangereux et qu'il est là ? Mais comment veut-il que je me calme ?*

La vague lui avait fichu une peur bleue et maintenant, tiraillée qu'elle était entre son inquiétude grandissante pour le jeune homme et l'attirance de l'eau qui reprenait, elle ne faisait que se tendre plus. Ils avaient réussi à grimper jusque là et maintenant il riait, à l'aise. Réussissait-il à être calme ? Le corps de la Danseuse réagissait au contact de la pluie et n'avait qu'une envie se lâcher, courir, voler, sauter, tournoyer et plonger ! Nager enfin ... devenir une partie de l'eau, voir des images dedans, ne faire qu'un, s'oublier soi-même. Si tout s'était passé comme elle l'avait pensé, elle serait sortie sur le toit du Temple et aurait dansé, dansé, dansé encore. Danser et se fatiguer, il n'y avait que ça pour se vider la tête. L'eau l'appelait, la pluie l'appelait, Laënka et Ren'Faïe, divinités de l'eau et du ciel, l'appelaient, voulaient qu'elle danse. Non. Non ce n'était même pas ses souvenirs. L'eau mélangeait tout ! Ici ce n'était pas la surface lisse d'un miroir, elle ne pouvait décider de ce qu'elle voyait. Les images ... Cette femme aux cheveux blancs, la princesse ...

- Je ne trouverai jamais le repos, j'ai promis ...

Non non ! Elle n'était pas seule. Elle devait se concentrer sur la réalité. Earl s'était avancé vers la cuvette, il ne semblait plus gêné, lui. Et Fanaa se sentait brûler à l'intérieur. Elle luttait contre les images, contre les souvenirs, ce n'était pas le moment, elle n'en voulait pas. Elle repoussait ce qui l'assaillait mais son don de prescience, incontrôlé, ne l'entendait pas de cette oreille. Des étincelles rouges crépitèrent au bout des doigts de la Danseuse qui serra les poings. C'était sa punition pour avoir fait un souhait pour elle-même. Et maintenant elle paniquait à l'idée qu'il arrive quelque chose de grave et qu'elle ne puisse réagir. Elle ne voyait que le passé, mais qu'en avait-elle à faire ? Le présent était bien suffisant, encore plus dans une telle situation.

Penser à autre chose, autre chose. Faire le vide ne serait que leur laisser la place, à ces souvenirs qui n'étaient pas les siens. Au contraire elle devait se remplir la tête d'autre chose pour ne pas laisser de place aux images. Ce n'était pas le moment. Elle s'agenouilla au sol, là où Earl s'était allongé pour rire quelques instants plus tôt et cacha son visage dans ses mains. De quoi avait-il parlé ? Ah oui un orage.

- Et après ? Que s'est-il passé quand l'éclair a frappé ? Et après Earl ?

La mer. Fanaa avait vu la mer trois fois déjà.

- Le mât a été touché. Et après ? Qu'est-ce qui était drôle ?

Elle avait gravé un Syld grandeur nature sur le mât du bateau d'Earl. Syld.

Bon sang l'eau était sensée la calmer, pas l'affoler ainsi ! D'habitude c'est ce qui se passait ! C'est pour cela qu'elle recherchait la proximité des rivières ou des lacs. Parce que c'était apaisant. Là c'était tout le contraire ! C'était la panique ! Et aucune chance de réussir à créer une protection dans ses conditions, elle risquerait plus de se brûler les doigts que de réussir à mettre le Levitis à l'abri. Toutes ces émotions violentes !

*Calme ! Calme ! Calme !*

Plus elle s'exhortait au calme et plus elle paniquait, c'était insupportable !

- Oh, pas grand chose. La navire a commencé à partir en morceaux, mais notre mage de vent à réussi à le pousser suffisamment pour qu'on ait juste le temps d'atteindre la côte.

Avec prudence, il se dirigea vers le surplomb, guettant le bourdonnement qui précédait parfois l'instant fatal où un éclair s'abattait au sol.

- Ce qui me fait rire, c'est qu'il y aurait eu mille occasions de finir noyé cette nuit-là mais que tout l'équipage s'en est sorti, sans exception.

Dans un flash éblouissant, un trait de feu s'abattit de l'autre côté du ravin. Tout un pan de la falaise s'effondra dans la rivière furieuse.

Earl leva une main et joignit le pouce et l'index.

- Tout s'est joué à ça, c'est-à-dire à rien. Quand on y pense, s'est ridicule...

Il haussa les épaules puis reprit son chemin d'un pas plus vif.

- Allez viens au lieu de restée exposée inutilement.

Fanaa tressaillit lors de l'éboulement alors qu'Earl ne cilla même pas. Mais comment pouvait-il être si cool ? Est-ce que tout ça ne lui faisait aucun effet ? Est-ce que rien ne l'impressionnait ? Pourtant il y avait de quoi ! Comment restait-il si stoïque, si imperméable à ce qui l'entourait ? Cette capacité était une force, comme elle pouvait s'avérer une faiblesse dans certains cas. Mais des cas qui ne l'intéressaient nullement come par exemple, les rapports humains.

Fanaa sautilla à sa suite pour aller se mettre dans le creux de pierre. Elle pencha la tête en arrière et ouvrit la bouche afin de goûter l'eau du ciel. Ensuite elle s'assit en tailleur, les mains sur les chevilles et regarda de tous ses yeux. Si il pouvait rester indifférent au spectacle, pas elle. Ce genre d'orage n'avait jamais lieu au Ringem. Il y pleuvait parfois violemment, mais ce n'était pas comparable avec ce qui se passait ici. Notamment dans le fait que dans la vallée des brumes, il n'y avait jamais, jamais, jamais d'éclaircie après l'orage. Cela faisait partie de la malédiction du lieu.

La jeune femme passa ses doigts sur son bustier qu'elle n'avait rien perdu de ce qu'elle avait mis à l'abri à l'intérieur. Heureusement, tout était encore là. Il fallait dire que pour qu'elle les perde, il aurait fallu que la vague ou autre chose lui arrache le tissu ce qui, heureusement ne s'était pas produit.

Elle se demanda si Earl avait été un pirate, avec ses histoires de bateau et de mage du vent.

- C'est comme une nuit, mais sans étoile.

Si il pouvait rester zen, elle devait pouvoir y réussir aussi. Bon sang elle avait combattu des monstres, elle n'allait tout de même pas s'affoler pour un orage, si violent soit-il ? C'était naturel après tout.

Elle sentit le sol trembler. Le dernier éclair n'était pas tombé loin. Par réflexe elle se boucha les oreilles, regrettant de suite son geste qui la faisait sûrement passer pour une fleur impressionnable.

Earl tendit une main hors de l'abri du surplomb pour recueillir l'eau qui ruisselait en rideau depuis le rebord de pierre. D'un geste presque machinal, il nettoya le sang qui coulait d'une méchante coupure juste sous son sourcil droit. Pendant l'escalade de la falaise, un débris lancé comme un trait d'arbalète par la force du courant avait bien failli l'éborgner. Quelques centimètres plus bas et cela aurait été son tour de porter des foulards.

Il jeta un coup d'oeil vers les jambes nues de Fanaa.

- Tu as pas mal d'égratignures. Je pourrai...

Il interrompit brusquement le geste qu'il avait esquissé et ses doigts se crispèrent brièvement dans le vide, en un poing serré.
Le Lévitis soupira avant de reprendre :
- ... au moins les nettoyer correctement. Au retour tu pourras demander à demoiselle Fynarine ou à un autre soigneur de finir le travail, sinon les plus profondes risqueraient de laisser des cicatrices. Ce serait dommage.

Fanaa baissa les yeux sur ses jambes et ne put que remarquer ce qu'elle n'avait pas remarqué jusque là, elle avait des coupures et écorchures multiples. Rien de sérieux, rien qui pourrait l'empêcher de danser, mais qui gâcherait l'esthétique, ça certainement. Etait-ce important pour autant ? Là tout de suite, comme ça, non. Mais elle risquait de le regretter plus tard, sûrement.

Ah mais ! - elle percutait enfin - il proposait de s'occuper d'elle ? Mais c'était gentil ?! Elle coula vers lui un regard méfiant. Il se baladait seul en plein orage du désert et maintenant il se proposait de l'aider ? Après avoir usé d'un sort pour la contraindre à obéir. Peut-être maintenant cherchait-il à se rattraper ? Avait-il pour habitude de chercher à se rattraper ? Fanaa aurait juré que non, mais force était de constater qu'elle n'était pas neutre.
Vu qu'il semblait dans de bonnes dispositions, autant l'encourager, non ?
Rah toutes ces questions allaient encore la rendre dingue. Qu'est-ce qu'elle avait envie de faire ? Mais la paix bien sûr ! Alors quoi ? Alors rien. De toute façon elle aurait fini par céder tôt ou tard. Elle cédait toujours à la fin. Car la rancoeur et la colère, non contentes d'être difficile à tenir, ne donnaient jamais rien de bon, ne provoquant que de la culpabilité. Du moins chez Fanaa.

La Danseuse se tourna de côté et tendit une jambe bronzée, galbée et rouge par endroits à quelques centimètres du nez d'Earl.

- Essaie, toi. De me soigner. Tu as retrouvé ton elixia, il faut sûrement que tu te ré entraines un petit peu, non ?

- J'ai bien peur que cela ne me soit rigoureusement impossible, répondit Earl d'une voix neutre, tout en saisissant la jambe ainsi présentée par la cheville.

A l'aide d'un mouchoir propre qu'il avait réussi à dénicher dans la doublure de sa ceinture, il entreprit de nettoyer le sang qui perlait par endroit et de retirer les minuscules corps étrangers logés dans certaines coupures.

- Je n'ai pu devenir soigneur qu'en forçant, en bridant mon elixia d'une façon définitive. Certains parleraient plutôt de mutilation volontaire ou d'acte contre nature, mais c'était le seul moyen de la contrôler de manière absolue, et d'éviter... Eh bien, des incidents similaires à ce à quoi tu as pu assister ce matin. Malheureusement...

Il se pencha pour s'occuper de la seconde jambe. Ses gestes avaient retrouvé leur précision coutumière et sa voix restait d'un calme parfait. Il avait suffisamment exprimé sa colère et sa frustration lors de son "exercice" à l'aube.
Les mains -un peu écorchées par la pierre, elles aussi- du Lévitis faisaient preuve d'une douceur et d'une fermeté qui aurait rendu l'instant éminemment agréable, n'eussent été les picotements et les élancements qui accompagnaient la sortie des grains de sable et des fragments d'épines hors de la peau.

- ... il semblerait que cette limitation n'existe plus. Et les derniers... changements...

Il retira une longue épine d'un coup sec et appuya le pouce sur la plaie pour empêcher le sang de couler.

- ... ont de toute évidence rendu ce genre de manoeuvre impossible.

Faute d'autre pièce de tissu qui ne soit pas souillée de boue rougeâtre, Earl noua le mouchoir sur la plaie la plus sérieuse, à mi-cuisse. Il haussa les épaules en reposant la jambe sur le sol.

- En somme ma carrière de clerc est terminée. Cela devait arriver de toute manière -un bridage pareil finit par avoir un contrecoup-, mais je ne pensais pas que cela se produirait si vite, voilà tout.

Par la quatrième lune ! Il parlait normalement ! Fanaa n'était pas sure de saisir toutes les subtilités techniques de l'utilisation de l'elixia mais il parlait ! Donc elle avait réussi à dire quelque chose qui ne l'avait pas fait exploser. Miracle ? Coup de chance ? Ou progrès ? Bon. Marcher sur des oeufs pour les prochaines questions. Prier pour ne pas poser la mauvaise.

Elle pouvait poser des questions sur l'elixia, il en connaissait un rayon. Mais ce n'était pas la technique ou la science qui attisait l'intérêt de Fanaa mais plutôt la personne.

Elle restait immobile et sur ses gardes, avec l'envie de se fondre dans la pierre, de se rendre invisible pour lui laisser plus de place.

- Et quel est ton sentiment par rapport à ça ? Est-ce que tu es triste ? Etait-ce ton choix que d'être clerc ?

- C'était autant un choix qu'une nécessité.

Visiblement peu désireux de s'étendre d'avantage sur ce sujet sensible, Earl se carra à peu près confortablement contre la paroi de pierre.
Ses vêtements détrempés lui collaient à la peau mais il n'y avait pas grand chose à faire de ce côté là. En fait ils n'avaient d'autre option que d'attendre que le gros de l'orage passe.

Dès que la pluie aurait cessé et que les dernières retenues d'eau créées dans les ravines en amont par les éboulements se seraient stabilisées, ils pourraient reprendre le chemin du sanctuaire ou du village le plus proche.
Les vents d'altitude chasseraient les nuages aussi vite qu'ils les avaient amenés. Evaluer l'heure n'était pas facile, mais il ferait probablement nuit lorsque le ciel se dégagerait.

Le Lévitis croisa les bras et s'absorba dans le paysage rendu presque indistinct par la pénombre et les trombes d'eau. Les éclairs n'illuminaient plus les plateaux que par intermittence, filant en grands arcs de nuage en nuage. Le tonnerre s'assourdissait lui aussi, roulant par vagues paresseuses de plus en plus lointaines.

Et voilà. Mauvaise question. La boîte s'était refermée. La tension revenait. Pourquoi fallait-il que ça se termine invariablement comme ça ? Fanaa sentit naître un début de découragement et eut une moue chagrine, mais plutôt que de s'appesantir sur ce qui lui faisait de la peine, elle préféra chercher un petit détail de leur abri de fortune, un petit détail sur lequel elle pourrait agir pour rendre l'attente moins pénible.

- Tu devrais enlever ta chemise, c'est mauvais de rester dans des vêtements mouillés. Tiens.

Elle lui tendit une chemise et un pantalon propres et secs. Blancs. Elle avait bien pensé à lui demander de choisir la couleur mais avait renoncé. Il aurait pu clamer que ça n'avait pas d'importance et qu'elle s'arrêtait sur des détails insignifiants.

- Vu le temps ils ne resteront pas secs longtemps mais ce sera toujours mieux que ceux que tu as là. S'il te plait, passe les. Je me retournerai.

Sous le coup de la surprise, Earl eut un sursaut mal maîtrisé et son crâne heurta avec vigueur la voûte très basse de leur refuge. Grimaçant, les larmes aux yeux, il considéra les vêtements que présentait Fanaa.

- Ouch ! Mais d'où est-ce que tu sors ça, toi ?

Les narines aristocratiques se dilatèrent. Il n'avait jamais été particulièrment friand des surprises ou des imprévus, et il n'y avait rien de tel pour raviser sa mauvaise humeur latente depuis l'avant-veille.

- Oh, et se "retourner" ? Pour quoi faire ? Il me semble que tu as pu observer à plusieurs reprises tout ce qu'il y avait à voir. J'ai peut-être reçu une éducation lévitis, mais il ne faudrait pas non plus me confondre avec une vierge effarouchée, nom d'une tempête !

Earl se frotta le chef avec une moue. L'atmosphère électrique lui mettait les nerfs à vif. En pareille circonstance, il lui aurait fallu se dépenser physiquement ou intellectuellement, pas rester inactif. Enfin, comme s'il avait le choix !

- Mets-les. Tu en as sûrement autant sinon plus besoin que moi. Ce n'est pas un peu d'humidité qui va m'affecter.

Les mains de Fanaa se crispèrent sur son offrande. L'impression de boule dans la gorge revint.

- Je les ai créés à l'instant. C'est un sort assez simple. Et si tu as envie de te disputer, ce sera sans moi. La colère, les cris, tout ça ... je ne m'en sens pas la force.

La Danseuse lui posa les vêtements sur les genoux.

- Merci pour mes jambes.

La gorge nouée, les muscles raides, elle se retourna et s'extirpa de l'abri, reprenant pied sur le plateau. Elle se frotta les bras. Ce n'était pas le froid qui lui donnait la chair de poule. S'éloignant à petites foulées, elle rejoignit le bord du plateau et leva les deux bras en l'air, pencha la tête en arrière et ferma les yeux. La pluie s'était un peu calmée mais tombait encore.

Fanaa aimait la pluie -la pluie-pluie par l'ouragan qu'il avait fallu éviter plus tôt-, car alors c'était autant de larmes que le ciel versait à sa place.

Puis elle s'assit, les jambes pendant dans le vide.

*Parler ne mène à rien, crier ne mène à rien. Je devrais lui en vouloir mais tout ce que j'arrive à faire c'est sentir un poids dans ma poitrine.*

Comment faisaient-ils tous ? Monsieur Ridel, Nuada, ... Syld ? Avaient-ils tous autour du coeur une force d'esprit telle que ça leur créait une armure ? Ou bien était-ce Fanaa qui était malformée à l'intérieure qui avait une facilité trop forte à être touchée, blessée ? Est-ce qu'on pouvait apprendre à cuirasser son coeur ? Mais si on le pouvait, est-ce qu'elle avait envie de devenir insensible ?

"Un sort "assez simple" ? Est-ce qu'elle se paye ma tête ?!"

Earl repoussa les habits dans un coin.

- Et allez... Oh, et puis qu'elle se fasse griller sur place par un des derniers éclairs de l'orage, tiens. Ou bien que le bord de la falaise raviné par la pluie s'effondre sous son poids pour lui apprendre à réfléchir ne serait-ce qu'une seconde à ce qu'elle fait.

Il se reprocha presque aussitôt ces pensées.
Après tout il était venu la sauver, non ? D'ailleurs il se demandait bien pourquoi il s'était donné autant de mal, vu qu'elle semblait s'échiner à rechercher le péril avec ses mines innocentes.

Allons bon, s'il commençait à ne plus se comprendre lui-même, cela devenait inquiétant.

Avec un soupir excédé, il ramassa les vêtements apparus du néant -des vêtements ! Des bandages auraient été plus utiles quelques minutes avant !- et les roula en boule pour s'en faire un oreiller. Et, avec l'aisance de quelqu'un qui a déjà pu dormir dans un hamac à demi pourri par l'humidité en pleine tempête, il s'assoupit aussitôt, indifférent aux grondements encore menaçants du ciel.

La déflagration tira brusquement le Lévitis du sommeil.
Il se redressa, non sans un coup d'oeil méfiant afin d'évaluer la distance du plafond.

Qu'est-ce qui s'était passé ?

Il passa une main sur ses oreilles qui sifflaient désagréablement. Le bruit avait été vraiment fort. Un éclair était tombé tout proche, sans doute.

Le dos un peu raidi par son matelas de pierre, Earl sortit de sous le surplomb.
Il pleuvait toujours dru, mais c'était comme une belle pluie d'hiver sur les murailles de Lévitas. Des lueurs blêmes s'allumaient et s'éteignaient au coeur-même des nuages, mais on ne voyait plus d'éclair et le tonnerre s'était mué en une rumeur pesante mais beaucoup moins menaçante. L'obscurité retombait, terriblement épaisse en l'absence de lunes visibles.

Repoussant ses mèches humides en arrière, Earl plissa les yeux, à la recherche d'une silhouette solitaire.
Rien.
Avait-elle décidé de partir devant, toute seule, comme une grande, dans un bel accès de bouderie ? Vu ses réactions immatures, cela ne semblait nullement improbable.

- Eh bien qu'elle se débrouille !

Furieux autant contre Fanaa que contre lui-même qui se sentait obligé de se justifier face à la nuit pluvieuse. On aurait presque dit qu'il était coupable de quelque chose...

L'oeil attentif pour assurer ses pas, il prit la direction du Sanctuaire. S'il coupaient correctement par les plateaux, la distance à parcourir dans les gorges-même n'en serait que réduite. Les risques de débâcle inattendue d'un quelconque barrage naturel formé par les effondrement restaient non négligeables.

Si l'obscurité n'aidait pas à voir où on mettait les pieds, les flash saccadés au coeur de la masse nuageuse rendaient si possible la tâche encore plus compliquée. Dans de telles conditions, l'oeil n'avait le temps de s'adapter ni au noir, ni à la lumière.

Earl se retourna pour s'assurer qu'il avançait toujours dans la bonne direction. Oui, le renflement du surplomb était toujours bien aligné avec le grand promontoire rocheux au loin. Il n'avait pas dévié.

- Eh mais...

Le Lévitis s'arrêta tout à fait.
Les ombres intermittentes lui jouaient-elles des tours ? Il aurait juré que les gorges présentaient une morphologie différente. N'y avait-il pas une sorte de promontoire, là où s'était assise Fanaa ?

Oh, soit, l'impact qui l'avait réveillé avait frappé un pan de falaise, le précipitant en contrebas.

Earl fit mine de reprendre sa route, avant de refaire volte-face.

- Non, impossible... Impossible.

Impossible.

Alors pourquoi rester planté là, bêtement, les deux pieds nus dans une flaque ?

- Sacré bordel de nom de...

Se décidant brusquement, le Lévitis revint sur ses pas à grandes enjambées.

C'était bien ça, la paroi s'était affaissée.

Étudiant prudemment les fissures du sol, Earl s'approcha du bord pour scruter le fond du ravin.
Las ! Il faisait noir comme dans un four éteint.

Peut-être était-elle vraiment partie avant que l'éclair ne s'abatte ? Peut-être...
Ou Peut-être pas.
C'était un aimant à problème, alors pourquoi pas un aimant à foudre ?

- Fanaa ?

Le bruit fut si faible qu'il aurait pu passer inaperçu si Earl n'avait eu les oreilles plus affûtées que les yeux.
Elle était juste là.

Etouffant un juron qui n'avait de lévitis que l'accent, Earl s'étendit sur le sol couturé de craquelures qui ne disaient rien de bon quant à la stabilité de la paroi. Il tendit la main.

- Fanaa !

Peine perdue.
Tétanisée par la peur, elle était comme sourde et aveugle.

Alors Earl fit ce que la logique lui défendait expressément de faire : il se laissa à son tour glisser dans le vide. La première prise s'effrita sous sa main, et son pied n'eut qu'à effleurer un bloc fissuré pour le précipiter dans l'abîme. Les arrêtes vives entaillaient la peau aussi bien que les meilleures lames.

Ce qui était fait était fait.
Ne lui restait plus qu'à endurer la peine s'il ne voulait pas aller s'écraser comme un pantin désarticulé au milieu du chaos de roches et de troncs fossilisés échoués tout en bas.

Earl se rapprocha en crabe de Fanaa. Des craquements et des grincements de mauvaise augure ne cessaient de monter de la roche. La paroi était vraiment plus qu'instable.

- Hey. Il me semblait pourtant que tu te débrouillais mieux en matière d'escalade que moi, non ?

Sa voix ? Si près ? Il n'avait quand même pas fait la folie de venir ici ?!

- Remonte ... couina-t-elle.

Elle n'avait pas fait un mouvement, son front contre la paroi, les paupières toujours aussi serrées. Elle n'avait même pas osé ouvrir les yeux pour vérifier qu'elle ne délirait pas. Ses doigts ne s'accrochaient n'avaient qu'une fissure de la profondeur d'une phalange pour s'accrocher. C'était peu.

Elle aurait souri au compliment d'Earl si elle n'avait pas été dans une situation si inconfortable. Oui elle assurait mieux en escalade que lui. Aucun doute. Avec mille précautions, elle tâta la paroi du bout des orteils à la recherche de la moindre prise mais n'en sentit aucune.

- Remonte s'il te plait. C'est dangereux. Je vais avoir peur pour toi si tu restes là. Une hésitation. C'est tricher.

Chercher une autre prise pour les mains ? Non. Si elle en décrochait une, ce serait fichu. En faisant extrêmement attention elle tourna la tête et ouvrit les yeux. Des yeux qui luisaient dans l'obscurité.

- Tu es vraiment là ! Tu es fou ... chuchota-t-elle.

Elle regarda vers le bas. Un renflement. Pas large. A peine la place s'y tenir debout sur les pointes de pied. Mais ça pouvait suffire. Elle pouvait se lâcher, atterrir là-dessus et s'en servir pour sauter vers le haut, trouver d'autres prises et retrouver la sécurité du sommet. En théorie. Elle s'était déjà sentie plus sure d'elle-même.

Un fourmillement indiquait que son sang quittait ses doigts. Bientôt elle ne sentirait plus ses mains et lâcherait sans le vouloir. Earl risquait de vivre la même chose ! Non non non !

Lorsqu'elle reprit la parole, son timbre avait changé et la langue qu'elle parlait, Earl ne la connaissait pas. Pourtant, il la comprenait.

- Tu vas te re-percher là-haut tout de suite et lui ordonner de te rejoindre. ORDONNER. Et pas la peine de penser à ne pas remonter. Tu ne ferais que compliquer les choses.

- Tricher ? Tricher ! Mais par tous les démons des enfers...

Earl ravala les rugissements furieux qui lui montaient à la gorge. Elle pensait que c'était un jeu ou quoi ?

La suite manqua bien lui faire perdre tout contrôle sur ses cordes vocales.
Eh quoi ? "On" lui dictait sa conduite ? "On" considérait qu'il risquait de "compliquer les choses" ? Mais c'était cette fille qui était déjà trop "compliquée", pour ne pas dire carrément improbable, à la base !
Ah, il haïssait cordialement les surprises...

Serrant les dents, il entreprit de se décaler à nouveau pour trouver une voie sûre vers le sommet. Un de ses pieds douloureux dérapa sur une arrête coupante, et le sursaut involontaire qui suivit lui fit perdre son appui. La traction brutale sur ses bras lui tira un grognement étouffé, mais il finit par retrouver une saillie du bout des orteils et acheva de se hisser en lieu sûr. Enfin... "sûr"... A quelques mètres de là, un nouveau bloc se détacha du bord.

Earl retourna se pencher au dessus de Fanaa.

- Fanaa... Je sais pertinemment que tu n'aimes pas quand je te donne des ordres, mais là tu vas me faire le plaisir de retrouver tes moyens et de remonter sur le champ. Tu m'entends ? SUR LE CHAMP, 'CRENOM DE COUILLE DE MOO !

Fanaa avait du mal à se vider l'esprit, elle avait trop peur - mais moins depuis qu'elle avait vu Earl à côté d'elle - mais si elle n'avait pas la tête à escalader, son corps lui, avait toujours les réflexe qu'il fallait.

Earl n'était pas encore au sommet que les doigts de Fanaa glissèrent. Elle tomba, tomba, sentit le rebord sou ses orteils, se transforma en ressort et rebondit. Elle trouva les prises, se coupa les mains, les pieds mais ne glissa pas. Elle mit moins d'une minute à rejoindre le rebord et y prendre pied.

La jeune femme s'agenouilla, se tourna vers Earl et se jeta à son cou, entremêla ses mains et ses poignets en un paquet indémêlable derrière la nuque du Levitis. Elle enfouit son visage dans son cou.

- Il est tombé juste à côté ... tout à côté de moi ...

Inutile de préciser qu'elle avait eu peur, ses tremblements en attestaient assez.

- Excuse moi ... excuse moi ... excuse moi ...

Pris de court par la remontée rapide de Fanaa et par son assaut, Earl se retrouva une nouvelle fois assis au milieu d'une mare.

Il se trémoussa vainement pour échapper à son étreinte. Apparemment, à part la paralyser sur les falaises, la peur avait aussi pour effet de lui donner de la force...

- Glrg...

Ah mais, elle cherchait à se venger ou quoi ?

- Je veux bien t'excuser... si tu arrêtes de m'étrangler d'abord...