Confins du désert rouge - village des falaises

Mellyna resta interdite devant la petite scène de thé champêtre, sauf qu'il n'y avait pas de verdure, et qu'ils étaient au milieu de nul part.
Lorsque son regard croisa celui de la femme, elle ne put se détacher des yeux dorés. De drôles de picotements parcoururent sa colonne vertébrale. Cette sensation, elle ne l'avait pas ressentie depuis des années et qu'en présence de personnes qui possédaient les mêmes facultés qu'elle. Pourtant la femme de feu semblait différente, elle n'aurait su dire en quoi : la dédrane n'avait pas beaucoup connu le monde en dehors de sa forêt.
Ce fut la traction sur son bras effectuée par Masha qui la tira de sa transe. Mellyna réfléchit un instant, elle avait une impression de déjà vu. Pourtant, elle se serait rappelé avoir croisé quelqu'un d'aussi "lumineux".

-Non. Mais nous avons quelque chose en commun... C'est bien cela ?

La question s'adressait autant à elle-même qu'à l'inconnue.

Thani avait sorti sa hache, juste au cas où. Le dernier thé que lui avait proposé un inconnu ne s'était pas révélé des plus plaisant et une jeune fille arpentant seule le désert ne devaient pas être sans défense. Sa tenue était celle d'une femme du désert, sauf sa coiffe étrange. Il ne la connaissait pas non plus. Que pouvait-elle bien faire ici ?

Voyant que ses comparses ne se soumettraient pas à l'invitation si elle n'y allait pas, la gardienne s'assit sur un des coussins, juste en face de la femme de feu. Elles seraient plus à l'aise pour discuter.

La femme sourit en réponse à Mellyna.

- J'en ai bien l'impression, oui.

Tandis que la Dedrane allait s'asseoir, leur hôtesse sourit et porta sa main à son coeur en inclinant doucement la tête.

- Melen heya. Kusmi ina Aryllë. Analeve tchaé ?

Masha en resta sans voix. L'inconnue parlait le dialecte du désert et avec un accent parfait, même sur certains mots à consonance spécifique. Comment ? Venait-elle d'un village éloigné ? L'adolescente lui posa la question et la femme répondit en riant que oui, en quelque sorte, mais très éloigné.
Encore méfiante, Masha alla s'installer sur un rocher assez près de Mellyna et Aryllë servit du thé à tout le monde, pour ensuite regarder Mellyna dans les yeux.

- Ainsi que je l'ai dit à vos compagnons, je me nomme Aryllë. Désirez-vous du miel ?

La dédrane inclina légèrement la tête :

-Mellyna Dahéni, enchantée. Juste une cuillère s'il vous plaît.

Elle tendit la main pour se saisir de la tasse tendue et inspira avec ravissement.[/i

-Votre thé sent vraiment bon.

[i]Thani et Masha eurent droit à leur tasse eux aussi. Quant tout le monde fut servi et eut goûter au brevage, un silence tranquille s'était installé. Le soleil continuait de se lever et il faudrait sans tarder reprendre la route s'ils ne voulaient pas arriver au village trempés de sueur.

Thani ne s'était pas présenté, il ne faisait pas confiance facilement aux gens. Les animaux lui manquait, il était beaucoup trop social à son goût ces derniers temps.
La gardienne sentit sa réticence et posa une main apaisante sur son bras musclé.


-Vous pouvez continuer votre route... Nous avons des choses à nous dire avec Aryllë.

L'homme lui lança un regard mi-boudeur mi-interrogatif.

-Ne t'inquiète pas, je vous rattraperai rapidement, le poussin trouvera facilement votre odeur et de toute façon je connais le chemin jusqu'au village, au pire je te rejoins chez toi.

Mellyna les poussaient gentiment mais fermement en dehors de la conversation. L'eyerash, qui commençait à la connaitre, se leva avec souplesse malgré sa carrure et dit à Masha :

-Bon demoiselle, on y va ? Tes parents t'attendent.

Masha jeta un regard de reproche à Mellyna. Encore une fois la Dedrane la délaissait pour lui préférer une inconnue ! Boudeuse, elle salua son amie avec raideur et suivit Thani en faisant la moue; mais au bout de quelques mètres elle accéléra le pas pour se porter à la hauteur de l'eyerash.

- Tu as déjà pensé à te marier Thani ?



Aryllë se sentit soulagée lorsque les deux habitants du désert les quittèrent. Masha était trop jeune pour l'avoir connue et Thani, de par son rôle d'eyerash, était très souvent absent et connaissait mieux les bêtes que les gens. Mais tout de même.

La femme poussa un soupir et remua les épaules pour se délasser les muscles.

- Oui, nous avons des choses à nous dire. Vous avez des choses à me dire Mellyna Dahéni.

Elle se leva pour aller farfouiller dans un grand sac et en sorti un sabre. Un sabre court à la lame incurvée gravée et aux pompons accrochés à la garde. Elle le déposa entre elles deux, puis se rassit et avala une gorgée de thé.

- Est-ce que cette arme vous dit quelque chose ?

Thani faillit s'étouffer avec sa propre salive, il regarda Masha un instant pesant le pour et le contre de se confier à ce genre de gamine.

*Bah, après tout pourquoi pas ? Avoir un avis féminin sur la question ne peut pas être mauvais.*

-Pas trop... J'aimais bien trop mon métier et ma liberté. Pourquoi s'encombrer d'une femme quand on peut faire ce que l'on aime et ce que l'on veut toute la journée ?

L'eyerash était songeur. Cette dédrane... Elle brisait toutes ses réticences. C'est dans un murmure et presque à contrecœur qu'il lâcha :

-Jusqu'à connaitre Mellyna je n'en avais jamais eu envie.


******

Mellyna la regarda avec un grand sourire. Elle comprenait meiux pourquoi Fanaa voulait repartir dans le temle souterrain. La dédrane avait aperçut la lame jumelle dans la grotte. Leur origine commune ne faisait aucun doute.

-Ah ! C'était donc ça que Fanaa voulait récupérer dans la grotte !

- Fanaa ? Fanaa est là, dans le désert ? Et elle se promène armée ?

La main autour du verre de thé trembla un peu.

- C'est ... c'est difficile à croire. Quelle inconscience ... Et est-ce qu'elle a l'air normal, est-ce qu'elle ... ? Oh je m'écarte du sujet, excusez-moi. Mellyna, j'ai été à la grotte. Que s'est-il passé là-bas ? Qu'est-il arrivé sous mon désert ?

Elle avait reposé le verre sans bruit et ses yeux d'or fixaient la Dedrane avec intensité. Ce sujet lui tenait à cœur, visiblement.

La gardienne fut refroidie par l'attitude d'Aryllë envers Fanaa. Certes, elle ne la connaissait pas depuis longtemps mais elle était son amie. Elle ne parla donc plus de ce point. Il faudrait qu'elle s'arrange pour récupérer le sabre avant de partir.
La femme disait "son" désert comme Mellyna aurait parlé de "sa" forêt, la dédrane pensa qu'elle pouvait répondre sans risque à ses interrogations.
Elle lui relata l'aventure du temple, sans parler des protagonistes ni de leur rôle dans la résolution de l'affaire. Cela ne la concernait pas et Mellyna ne voulait pas gaffer une deuxième fois.
De longues minutes s'écoulèrent, même en voulant faire court, il y avait des choses à dire sur ce qui se passait là-bas et sur Léviathan.
Quand, elle eut fini son histoire, elle se tortilla sur place, mal à l'aise. Avait-elle bien fait de lui en parler ? Son instinct lui disait que oui, il se trompait rarement.
Elle laissa quelques secondes à Aryllë pour digérer ses informations, et, avant qu'elle ait pu poser d'autres questions, lui posa celle qui la tarodait depuis leur rencontre.

-Quel âge avez-vous ?

- J'ai 27 ans. Mais il ne faut pas se fier à mon âge, j'ai appris beaucoup de choses. Puis-je vous retourner la question si ce n'est pas trop indiscret ?

Des sorciers ... des sorciers sous le désert ... des femmes ayant subi des mutations atroces ... un temple sacré dévasté, pourri par ces pratique dégoûtantes ... Est-ce que ces ignares ne pensaient à rien ? Le plus aberrant était que les créateurs de base de ce groupes étaient eux-même issus du désert. Et qu'ils ne respectaient rien.

- Ils ont laissé leur marque là-bas. Le palais souterrain qu'ils occupaient, la pierre a comme fondu, dégueulé. Et elle a perdu sa teinte rouge elle est brunâtre, comme si elle avait perdu ce qui la rendait vivante. Ils ont réussi à détruire son coeur. La moitié de l'édifice ressemble à de la lave durcie. C'est laid, très laid.

Aryllë frissonna de froid autant que d'horreur et repassant l'image du palais dévasté dans sa tête.

- Mais je vous remercie. Je vous remercie d'avoir été là pour mettre fin à tout cela. Merci Mellyna Dahéni.

Elle retira sa coiffe étrange et secoua a tête pour étaler ses boucles flamboyantes sur ses épaules. La Dedrane n'était pas une ennemie.

Les épaules de Mellyna s'affaissèrent un instant avant qu'elle ne reprenne la maîtrise d'elle même. Au fond qu'avait elle espérée ? Que cette jeune fille ait la même malédiction qu'elle ? Non, il ne fallait pas le souhaiter à quelqu'un, c'était un espoir égoïste, voila tout. La dédrane devait maintenant répondre à Aryllë, devait-elle lui dire la vérité ? Oui, si ce n'était pas exactement la même chose, leur point commun d'écoulait peut-être de leur "mission". C'est d'une petite voix qu'elle répondit :

-Environ 250... J'ai perdu le décompte stricte, dans la forêt on mesure moins le temps qui passe. Mes parents n'avaient pas de calendrier, je ne connais pas mon année de naissance. Ce n'était pas pour critiquer vos connaissances. J'avais juste espéré que nous nous ressemblions plus que cela...

Elle coupa court au remerciement de la femme de feu.

-Je n'ai pas fait grand chose, Fanaa en a fait plus que moi... Avez-vous le pouvoir de restaurer le coeur de ce lieu ?

- 250 ans ...

Le regard d'or l'observa longuement, la jaugeant peut-être ?

- Vous êtes une Gardienne de la forêt alors. Je n'en ai jamais rencontré. Je suis honorée de vous avoir face à moi, Mellyna Dahéni. Et si ce n'est l'âge, nous avons en effet des points en commun. Comme vous je suis une Gardienne, je ne protège pas la même chose que vous, c'est tout. Mon domaine c'est plutôt les artefacts anciens, qui datent d'avant l'apparition de l'elixia sur Adreis.

Aryllë se rapprocha et posa sa main sur l'épaule voûtée de la Dedrane.

- Ne soyez pas si déçue. Et vous avez fait beaucoup pour le Désert, vous avez arrêté ces gens avant qu'ils n'empoisonnent tout. Et pour vous répondre le Désert n'a pas besoin des hommes, la grotte est un lieu de puissance sacrée qui a déjà commencé à se purifier. Le palais ne reprendra pas sa forme originelle, la pierre morte ne reprendra pas sa couleur mais tout l'elixia empoisonné sera purgé. De drôles de plantes avaient déjà commencé le travail. C'est généreux à vous de vous en soucier, merci encore.

La femme ne pouvait que sentir la méfiance de la gardienne mais n'en saisissait pas la raison, si ce n'était qu'elles étaient deux inconnues.

- Est-ce que tout va bien ? Vous aurais-je offensée ?

- Ne vous inquiétez pas, en aucune façon. C'est juste que ces évènements ne me regardent pas en quelque sorte. Je m'en remets à mon instinct qui me dit que je peux vous parler de ces choses. Mais... C'est un peu comme révéler un secret qui ne vous appartient pas...
Pour ce qui est de ma déception, vous n'y pouvez rien.

Mellyna leva son regard turquoise, son visage était fatigué, le poids des ans se devinait dans son regard. Cela ne dura pas, elle devait se contrôler. Elle devenait comme les autres, le moindre espoir déçu la déprimait plus que de raison. Il fallait avancer !
La dédrane changea vite de sujet.

-Vous protégez donc des objets sacrés. Juste ceux du désert ou sur tout Adreis ? C'est pour cela que vous êtes ici ? Ce temple était vieux à ce point ?

- Ah les secrets ... vous et moi en connaissons un rayon j'imagine ...

Aryllë se rassit et se laissa aller en arrière, entourant ses genoux d'un bras.

- Je suis venue car je sentais qu'il se passait quelque chose ici. C'est mon désert, mon origine, je l'aime et j'ai craint pour lui. Je dois avouer que je ne m'y trouve pas en mission officielle mais je voulais venir voir par moi-même.

Son regard pétilla et elle sourit à Mellyna.

- Mais je suis arrivée trop tard, Fanaa, vous et votre équipe aviez déjà fait votre ménage. Ah si j'avais pu arriver plus tôt ... Enfin, les regrets sont inutiles.

La femme considéra la Dedrane quelques instants, l'air inquiet.

- C'est mon âge qui vous a fait de la peine. Vous savez, il y en a de bien plus vieux que moi, seulement il est très difficile de les rencontrer. Je suis désolée. Comment me faire pardonner ? Oh je sais, tendez la main.

Aryllë tira sur une chaîne qu'elle avait autour du cou et dévoila le pendentif qui s'était caché sous le tissu de sa robe. Délicatement, elle détacha la pierre de la monture et la posa avec déférence au creux de la paume de la Dedrane. La pierre était dorée, avec des reflets chatoyants de toutes les couleurs. Mellyna ressentit tout de suite une chaleur se diffuser et la rasséréner. Cette chaleur avait un effet agréable sur le corps et sur l'esprit.

- C'est une pierre de soleil. C'est ce genre d'objet que nous avons pour mission de retrouver et protéger afin d'éviter qu'ils ne tombent entre de mauvaises mains. Il y a tellement de gens sans scrupule ...
C'est lors d'une de mes missions que j'ai rencontré Fanaa mais elle n'était pas ... bon je dois avouer qu'elle m'a fait très peur. Mais d'après ce que vous dites elle est normale maintenant ?

- Ah, cette conversation prend un tour vraiment intéressant.

Il n'y avait eu ni flou, ni fumée, ni effet de lumière. L'instant d'avant, à côté d'Aryllë, on ne voyait personne. Mais au moment précis où les mots faisaient vibrer l'air, il devenait évident qu'ils étaient prononcés par le jeune homme qui se tenait là, assis en tailleur, une gourde à la main et l'air très absorbé par le dialogue entre les deux femmes.

- Je veux dire, maintenant je sais pourquoi Aryllë a subitement disparu en embarquant une quantité non-négligeable d'objets utiles, dont certains étaient réservés pour des missions, ce qui a nécessité une sacrée logistique pour effectuer des remplacements. À propos de remplacement, je vais également pouvoir expliquer à Vor pour quelles raisons exactement il se cogne un tour de garde qui n'est pas censé être le sien, ce qui n'a pas franchement amélioré son humeur, déjà devenue exécrable lorsqu'on a cherché, inquiets, à retrouver notre camarade disparue.
Je ne sais pas vraiment si cela sera suffisant pour excuser le fait que je sois en train de me griller les miches dans un désert, après avoir parcouru la moitié d'Adreis pour retrouver quelqu'un qui n'a même pas trouvé bon de laisser un petit mot à ses co-équipiers, histoire d'éviter qu'ils se rongent les sangs.
Parce que bon, ce n'est pas comme si nous étions en danger en permanence hein ? Après tout, nous ne faisons que veiller sur les artefacts les plus précieux de la planète, je suis sûr que personne ne serait prêt à nous tuer pour s'en emparer. Du coup, notre vie étant si tranquille, je n'avais bien sûr aucune raison d'être complètement mort d'inquiétude avant de retrouver enfin ma camarade tranquillement assise à discuter autour d'un thé.

Le ton était badin, le personnage souriant, mais il n'aurait pas été bon de s'y fier. Prêt à exploser, il essayait juste d'évacuer la tension à sa façon. Il porta la gourde à ses lèvres et but une longue rasade. À l'odeur, il était évident que ce qu'elle contenait n'avait comme seul point commun avec l'eau que le fait d'être liquide. En approcher une flamme aurait été une très mauvaise idée.

- Mais bref, loin de moi l'envie de vous interrompre, continuez, faites comme si je n'étais pas là. Vous parliez de Fanaa et j'aime beaucoup l'aspect de ce sabre, j'espère qu'elle s'est bien entraînée avec et qu'elle a progressé depuis la dernière fois que je lui en ai mis un dans les mains. Et j'espère bien sûr qu'elle va bien.

Aryllë tourna la tête et le dévisagea.

- Talisham ! Mais où étais-tu passé pendant tout ce temps ? Ca fait des mois que tu as disparu !

Elle le fusilla du regard.

- Depuis ton prétendu mariage d'ailleurs !

Sa main trembla légèrement.

- Et concernant Fanaa, j'essaie de savoir comment elle va figure toi. Car ce sabre-là, son sabre, tu sais où je l'ai trouvé ? Tu te souviens cette nuit terrible à Illymir ? La nuit de la secte ? Nous avons tous été dans la maison d'un bonhomme, un clerc dont j'ai oublié le nom. Il y avait beaucoup de choses bizarres dans cette maison. Enfin bref. J'ai retrouvé le sabre de Fanaa planté tout près du cadavre de ce clerc ! Ce type qui lui avait sauvé la vie cette fameuse nuit. Alors crois moi que moi aussi j'aimerais comprendre ce qu'il en est !

Dire qu'il y avait de la nervosité dans l'air n'eut été qu'un doux euphémisme... des mèches de la Dédrane se soulevèrent, mus par une sorte d'électricité statique.

- Oui, et bien moi, j'ai disparu avec des ordres de mission, dont celui, je cite le chef, "de filer toutes affaires cessantes et de fermer pour une fois ta grande bouche sur ce que tu vas faire".

Il imita la vois du chef du village sur ce passage.

- D'où la mention "en mission" à côté de mon nom dans le registre. À côté du tien, quelqu'un a barré "de surveillance" pour inscrire "portée disparue", ce qui fait une légère différence...
Pour ce qui est de Fanaa, j'aimerais moi aussi savoir comment elle va, d'autant plus que c'est moi qui lui ai collé un sabre dans les mains pour lui apprendre à s'en servir. J'ai contracté quelques obligations de mon cru à ce sujet. Du coup, ce serait bien si tu laissais cette demoiselle répondre, non ? Je garde pour un peu plus tard le message que Vor m'a demandé de transmettre au cas où j'arriverais à te retrouver vivante et en bonne santé...

- Tout de suite ! "Portée disparue" ! Enfin je n'ai pas pris tant de retard que ça ?! Les hommes ! Tout te suite vous vous faites des montagnes pour pas grand chose. J'ai toujours ce-que-tu-sais, tu sais bien que je ne crains rien. Bon.

Elle tourna vers la Dedrane un regard des plus intenses et Talisham fit de même.

- Mellyna, c'est à vous de parler je crois. S'il vous plait, ne nous faites pas plus languir ...

La dédrane dévisagea le jeune homme, elle ne l'avait pas senti approcher ! Ces personnes semblaient plutôt bienveillantes envers Fanaa en fin de compte. Des nouvelles n'incluant pas l'endroit où elle se trouvait ni ce qu'elle faisait ne devrait pas lui poser de problèmes.

-Ben, euh... La dernière fois que je l'ai vue, elle allait bien. Elle n'était pas effrayante du tout. C'est une jeune femme tout à fait mignonne et agréable.
Un silence.
C'est de la même Fanaa dont nous parlons ? Une petite danseuse aux yeux changeants et aux cheveux noirs ?
Elle ne ferait même pas de mal à un kirika !

- Ma foi, c'est que l'on peut appeler des nouvelles express, sans fioritures. Pour ma part je n'aurais rien contre un poil de détail.

Il fit le geste de coller pouce et index d'une main puis de les écarter, histoire d'illustrer.

- Parce que bon, il y a "aller bien" et puis "aller bien mais en fait ça pourrait être beaucoup mieux".
Sinon oui, je pense que nous parlons bien de la même Fanaa, et moi non plus je ne lui ai rien trouvé d'effrayant, plutôt le contraire. Pas vraiment taillée pour les combats, la pauvrette, ni même pour les conflits. Le destin est un salopard patenté.

La dédrane sourit tristement :

-Je suis bien d'accord avec vous.

Elle secoua la tête et prit un air sérieux presque solennel.

-En revanche, je suis désolée mais je ne vous en dirai pas plus.
Je ne connais pas les raisons qui l'ont menées à se trouver dans ce désert.
Je ne sais même pas si vous êtes des amis de Fanaa. Vous comprendrez aisément que je ne peux pas vous en dire plus sans lui en avoir parlé avant.

Un certain secret semblait entourer la venue du seigneur Earl dans le désert, c'était surement aussi le cas de Fanaa. En disant qu'elle était ici, elle avait peut-être mis la jeune fille en danger. Elle s'en voulait déjà d'avoir été si bavarde.
C'est le moment que choisit le petit dragon pour escalader son dos, passer sans s’emmêler à travers les mèches blanches, se glisser le long de son bras et venir se désaltérer dans sa tasse de thé.


*-Tu pourrais demander avant de faire ce genre de choses.
-Pourquoi ? Tu as presque fini et j'ai soif.
-C'est pas grave, laisse tomber. Je suppose que la notion de propriété ne fait pas partie de ton éducation.
-Je suis un dragon, tout est à moi !
-Ben, voyons.*

Le visage de la dédrane était passé successivement de la consternation, à l'agacement, pour finir sur un demi sourire amusé.

- Oh, rassurez-vous, je comprends. Me sentant concerné par sa sécurité, je vous aurais moi-même passé un savon si vous aviez dévoilé ce genre d'information à des inconnus. De toute façon, je devrais être en mesure de la retrouver dès qu'elle se promènera dans un endroit assez peuplé, j'ai des informateurs un peu partout, ça fait partie de mon travail. Excusez-moi deux minutes...

Tandis qu'il fouinait dans sa sacoche, un dragonnet s'était invité.

- Tiens, il en existe encore finalement ? Intéressant. Il mange des gâteaux ?

L'elven posa devant lui un sachet qu'il venait d'ouvrir, contenant quelques pâtisseries au miel.

- Il faut toujours avoir de quoi manger sur soi. Bon, je trimballe des rations plutôt conventionnelles, mais j'ai aussi quelques extras. La gourmandise est... un de mes nombreux défauts.
Sinon, voilà aussi pour vous.

Il tendait à Mellyna un parchemin.

- Ceci contient une liste d'adresses, une ou deux par grande ville. Si vous recroisez Fanaa, vous seriez bien aimable de la lui transmettre. Il suffit de laisser un message à mon attention à n'importe quel de ses endroits pour qu'il me parvienne.
Ces lieux ne sont lié à aucune organisation, ils font partie de mon réseau personnel. Comme ça si elle veut me revoir et bien, elle pourra le dire elle-même.
Au fait, je ne me suis pas présenté ! Je m'appelle Talisham, et je fais partie du même peuple qu'Aryllë, comme vous avez dû le comprendre. Mais je suis moins recommandable.

- Attendez là, ça va un peu vite. Mellyna, vous n'avez pas à vous méfier de nous, même si, Talisham a raison, c'est un bon réflexe. Je vous confirme qu'il est comme moi et par là-même un peu comme vous.

A Talisham :

- Mellyna est une Gardienne de la forêt du Ternaël. Elle a 250 ans, donc des choses, elle en connaît.

A Mellyna :

- Veuillez m'excuser si je suis trop vive mais j'aimerais comprendre certaines choses.

A Talisham :

- Par la Dame, que veux tu dire par "c'est moi qui lui ai mis le sabre dans les mains et lui ai appris à s'en servir" ? Et cette liste d'adresses au cas où elle voudrait te revoir ? Tu l'as revue après Ilymir, mais quand ? Et pourquoi n'avoir rien dit ? Est-ce que tu es sûr qu'elle était prête pour ça au moins ?

Non. Elle ne devait pas se mettre en colère. Talisham n'était pas un imbécile. Si il avait fait cela c'était qu'il estimait avoir une bonne raison mais armer quelqu'un dont la nature n'est ni faite, ni prête pour cela, c'était criminel. Et puis c'était dangereux, bon sang !

Elle s'exhorta au calme puis reprit.

- Lorsque je dis qu'elle est effrayante, ce n'est pas pour signifier qu'elle est un monstre, mais j'ai vu son esprit et à l'intérieur elle est en miettes. Du moins elle l'était la dernière fois.

Aryllë fusilla Talisham du regard.

- Elle a voulu se jeter par la fenêtre. Donc si je m'affole à l'idée qu'elle soit armée, ce n'est pas sans raison. Elle n'est pas dangereuse pour les autres. Mais elle est tellement cassée que oui, je m'inquiète. Tu t'imagines croiser qui-tu-sais et te dire à chaque fois qu'on a retrouvé Fanaa uniquement pour l'aider à se tuer un peu plus tard ? Et vivre avec ça sur la conscience ? C'est à cela que je pense. Elle n'est pas une mission de notre clan mais elle est une mission à nous Talisham, nous qui sommes dans le secret.

La femme s'adossa de nouveau à la pierre.

- Et voilà que je joue ma grande moralisatrice. Ca doit être le désert qui me fait cet effet.

Elle secoua la tête, s'en voulant d'être aussi à cran et regarda Mellyna.

- Je suis désolée. Revenons à vous. Ce petit bonhomme semble vous avoir adoptée. Est-ce que cela signifie que vous allez quitter votre forêt et choisir le désert à la place ?

Mellyna ne prit pas la peine de se présenter : Talisham avait visiblement écouté le début de leur conversation. Elle se contenta de s'incliner poliment et de prendre le parchemin en faisant un signe de tête montrant qu'elle avait compris.


-Fanaa ne m'a pas parue encline au suicide, si c'est ce qui vous inquiète.

*Enfin pas plus que moi... Elle ne fait pas attention à ses limites mais ça à l'air d'être plus une façon de vivre qu'autre chose.*
La dédrane voulait arrêter le début de dispute et rassurer ses deux interlocuteurs, aussi garda-t-elle cette pensée pour elle.

-Nous sommes semblables mais ce n'est pas pour cela que nous avons les mêmes objectifs.

Elle tempéra ce rejet par un sourire d'excuse. Puis enchaîna sur la dernière question d'Arillë :

-Non, ce n'est pas ici qu'est ma vraie place.

Le voila son choix, elle n'avait pas réussi à se décider des jours durant, mais devant eux, des inconnus, sans réfléchir, la réponse était venue d'elle même, comme une évidence. Elle ne pouvait pas rester. Pas pour Thani, elle l'appréciait beaucoup mais cela ne suffisait pas. La gardienne le sentait, le désert ne l'acceptait que grâce à son lien avec Eleïr'l, elle n'aurait su dire comment, ni pourquoi mais elle le sentait. Ce vide, ce manque d'eau, de vie, les gens qui survivaient plutôt que de vivre... Elle n'était pas faite pour cela. Le désert était trop différent, elle ressentait sa particularité mais était trop liée à sa forêt pour apprécier réellement son charme.
Comment allait-elle le dire à Thani ? Il lui en voudrait, il était comme elle. Il ne laissait pas approcher beaucoup de personnes mais quand il le faisait, il donnait son coeur sans retenu. Elle allait lui briser, comme Lor avait brisé le sien, un demi-sciècle plus tôt. Elle n'avait pas réussi à le tenir à distance. Elle avait essayé mais elle se sentait si seule. La gardienne le regrettait à présent.

A cette réponse, le dragonnet avait levé sa tête du sac à gâteaux. Il la regarda dans les yeux, elle y lut un assentiment muet.

*-Tu m'amèneras avec toi ?
-Si tu as la force de me suivre.
-Je l'aurai, c'est toi qui me la donne.
-Nous irons ensemble alors.*

Une seconde s'était écoulée mais tout était dit. Ils avaient lié leur destin et il les mènerait au delà du désert.

Talisham était ravi que Mellyna ait choisi de répondre la première, cela lui laissait un peu de temps pour réfléchir à ce qu'il allait dire et ce qu'il allait passer sous silence pour l'instant. C'était du moins ce qu'il avait espéré, mais la Dédrane avait manifestement le goût des réponses concises.

- Hum, d'accord, à mon tour donc. "c'est moi qui lui ai mis le sabre dans les mains et lui ai appris à s'en servir" me semble être une phrase auto-explicative, non ? Ce que je veux dire par là, ben, c'est exactement ça. C'est d'ailleurs pour ça que je l'ai dit. Si j'avais voulu dire autre chose, j'aurais employé d'autres mots. Par conséquent oui, je l'ai revue après Ilymir.
Pour le "quand", et bien, tu te souviens de cette histoire de mariage ? Je suis rentré au village avec une femme, j'ai annoncé que j'allais me marier avec elle, Vor et toi êtes rentrés de mission dans la nuit, tu es venue me chercher, comme j'avais des choses à raconter, nous sommes allés réveiller Vor pour squatter chez lui histoire de ne pas réveiller la demoiselle dans mon lit et de ne pas rester non plus sous la pluie. Là, tu as voulu commencer par parler de votre mission, j'ai écouté, et quand allait venir mon tour, on a frappé à la porte, on m'a dit que j'étais immédiatement convoqué chez le chef, et tu ne m'as pas revu depuis.
Et bien l'entrainement de Fanaa s'est passé juste avant tout ça, et c'est ce que j'allais vous raconter lorsque j'ai été convoqué.

Il était évident que lui n'avait pas du tout le goût des réponses concises.

- Lui apprendre à se défendre était l'une des clauses d'un contrat. Passé avec une personne qui savait ce qu'elle faisait, sans doute mieux que quiconque sur Adreis. Je n'ai pas terminé l'exécution de ce contrat, c'est pour cela que je dois retrouver Fanaa. Je serai d'ailleurs entièrement libre de m'y employer dès que je serai arrivé avec toi à notre point de contact dans la capitale la plus proche et que j'aurai fait mon rapport.
Mais d'un point de vue plus personnel, même sans cet engagement, je lui aurais enseigné la même chose à la première occasion. Réfléchis un peu, si elle voulait se tuer, elle n'aurait pas besoin d'un sabre, ni d'un entrainement. Par contre, pour rester en vie sans dépendre des autres, c'est une nécessité. Tu crois que c'est bon pour le moral d'avoir l'impression d'être un fardeau ?

Ce point particulier faisait jouer chez lui une corde sensible. Il préféra couper court avant de hausser le ton.

- Enfin bref.

Il se tourna vers Mellyna.

- Alors vers où pensez-vous vous diriger pour l'instant, si ce n'est pas indiscret ? Si nous allions dans la même direction, nous pourrions nous tenir compagnie.

Aryllë leva ses mains en signe de reddition et sourit à Talisham. Elle voulait faire la paix.

- D'accord, d'accord. Je me suis emportée, je suis désolée. C'est très bien ce que tu as fait Talisham et tu as eu raison de le faire. Il vaut mieux qu'elle sache se défendre c'est sûr. Et si c'est toi qui lui a appris alors je suppose qu'elle sait sa débrouiller seule. C'est bien.
Mellyna, s'il vous plait n'oubliez pas de lui donner le papier. Si elle a confiance en Tal c'est très bien. Ainsi l'un de nous pourra-t-il garder un oeil dessus.

La femme croisa les mains et les leva pour s'étirer.

- Hmmmm ... Ainsi vous abandonnez le Désert ? C'est dommage. Mais je vous comprends, la forêt est si pleine de charmes ! Et c'est vrai qu'il faut être né dans le désert pour pouvoir l'aimer comme il le mérite.

Elle se rembrunit.

- Même si il y a des fruits gâtés partout. Quand je repense à ce Leviathan ... Leviathan. Rien que ça. Se choisir un nom pompeux n'a jamais rendu plus puissant. Les hommes sont stupides.

Elle tendit la main avec un sourire.

- Puis-je ravoir ma pierre s'il vous plait ? Oh ! Et par hasard, est-ce que vous auriez reçu une blessure qui ait du mal à guérir ? Si c'est le cas je me ferai un plaisir et un devoir de vous aider.

-Je n'oublierai pas.
Je vais dans un des villages des falaises, celui des Murs Rouges. J'y accompagnais Masha et Thani quand nous nous sommes croisé. D'ailleurs, il va falloir que je me dépêche de les rejoindre sinon Thani va m'engueuler.
Vous allez vers le Sud ?

Elle déposa la pierre dans la main offerte et serra la main blanche dans ses paumes bronzées.

-Merci, cela fait vraiment du bien.
Oui, ils le sont, ils ne savent plus écouter leur terre pour savoir ce qui est bon pour elle. Ils confondent son bien-être avec leurs ambitions.

La dédrane souffla tristement.

-Enfin bref, ce qui est fait, est fait.
Pour ce qui est de blessure, elle est guérie depuis un moment je crois. Il ne reste que les cauchemars et les cheveux blancs.

Inconsciemment, elle enroula une de ses mèches sur un doigt.

-Mais ce n'est pas important.

Son tic prit fin sur ses mots, la mèche en question avait pris la forme d'une anglaise parfaite.

-Vous joindrez-vous à moi ?

Sentant l'imminence du départ, le dragonnet avait repris son poste d'observation préféré : sur la tête de la gardienne.