La Plage

Une journée, Fanaa avait quasiment passé une journée avec Syld ! Ils était passés en ville pour manger de nouveau – Fanaa mourait littéralement de faim – et lui trouver des vêtements. La jeune femme avait fait bien attention à ne pas dépenser toutes les réserves du chenapan.
Et puis ils étaient retournés sur la plage, car Fanaa adorait cet endroit. La mer l’attirait, elle avait finalement pataugé dedans en riant et avait arrisé le filou, profitant de sa gêne vis-à-vis de l’eau salée.
Elle avait accordé son pas au sien, pour ne pas aller trop vite à son rythme, ils étaient aussi restés assis, un peu, car ne rien faire, même en silence, du moment qu’on n’est pas seul, c’est agréable.
Il était allongé sur le dos et elle était à ses côtés, sur un coude, lui glissant des baies entre les lèvres (décidément, qu’est-ce qu’ils avaient grignoté !) et en dévorant quelques une au vol.

Le vent courant sur le sable, le son du ressac, l’horizon si loin… Il y avait un rythme, presque une mélodie, les sons naturels s’harmonisaient entre eux. C’était joli si on y prêtait l’oreille.

- Tu danserais ? Avec moi ?

Il en était capable, elle le savait. Elle savait sa souplesse naturelle, ses mouvements, sa façon de bouger. Mais pour un assassin… enfin il risquait de penser que ce n’était pas quelque chose pour lui. Et elle ne l’avait jamais vu faire officiellement. Seulement il lui semblait que le cadre s’y prêtait. Ou pas peut être mais … mais…
Elle n’osa plus le regarder. Sa demande, si naturelle la première fois lui faisait maintenant l’effet d’un caprice. Pourtant elle ne changeait pas d’avis. Cette envie devenait un besoin. C’était idiot mais, mais… partager une danse, une danse douce… ce serait partager un moment fort et tendre. Ce serait un nouveau présent des plus précieux. Cette journée avait été riche en cadeaux de ce genre. Les morceaux de lui qu’il lui avait donnés, elle avait conscience qu’ils étaient précieux, elle les chérissait. Il l’avait autorisée à s’approcher. Et cela avait bien plus de valeur que sa nouvelle robe. Son cœur battait à tout rompre. Fanaa n’arrivait pas à se détendre, restant sur ses gardes au cas où la magie de l’instant se briserait. Il allait refuser. Elle ne l’avait jamais vu danser. Il allait se moquer et dire combien cette idée était saugrenue. Et lui glisser entre les doigts. Encore.

Fanaa enroula une mèche de cheveux fous et drus sur son doigts. Un filou avec une chevelure de filou. Tout aussi indisciplinée que lui. Elle sourit.

- C'est pas grave, oublie...

Sur la plage, Syld garda l'oeil clos. La dernière baie éclata entre ses dents et il en avala le jus sucré avec un frémissement de moustaches satisfait.... enfin, il aurait sans doute frémi des moustaches s'il avait été un chat.

- Fanaa, quand tu demandes quelque chose, mets-y de la conviction jusqu'au bout. Comment veux-tu que quelqu'un te fasse plaisir si tu oses à peine exprimer ce que tu veux ?

Ses lèvres s'étirèrent un un grand sourire et il se redressa.

- Voyons cela.

Il s'étira et, attrapant au passage Fanaa par la taille, se remit debout. Il secoua sa crinière rebelle mêlée de quelques grains de sable puis plongea son regard malicieux dans celui de la jeune fille.

- Eh bien ? Tu veux danser, ou rester à me fixer avec des yeux ronds ?

Une fois passé sa surprise.

*Par les lunes il est levé, il est d'accord, qu'est-ce que je fais maintenant? Qu'est-ce que je fais ?* paniqua Fanaa.
Elle le fixait éperdue, sans y croire.
*Me faire plaisir? A moi? Mais je n'ai pas osé... jamais je n'aurais exigé... Je n'aurais pas dû, olala et maintenant ?* Ce fut le filou lui-même qui la rappela à l'ordre. Et oui, demander à danser n'était pas tout, il fallait se mouvoir maintenant.
*Il est devant moi, il est tout près, il est tout tout près. Il est juste là. Je sens son souffle. Son contact aussi.*
Fanaa perdait pied, se perdait dans ses sensations. Syld était si proche. Ce n'était pas la première fois, mais ce pouvait être la dernière, elle le savait. Fanaa le savait et elle ne s'habituait pas au fait qu'il la chamboule toujours autant à chaque fois. Il était des choses auxquelles on ne s'habituait jamais. Des choses qui créaient chaque fois un fol émerveillement. Des étoiles. Fanaa avait des étoiles dans les yeux et dans la tête. Faire un tel effet devrait être interdit. Quoi que non en fait, c'était si agréable... Tout son être fourmillait, tandis que ses iris myosotis plongeait dans le pétillement bleu-vert qui lui faisait face.
Elle avait les jambes en coton et serait sûrement tombée si il ne la retenait pas un peu. Et elle aurait alors perdu toute sa crédibilité de danseuse. Déjà avec la chute idiote plus tôt dans la journée... Ah non. Elle n'allait pas se ridiculiser une deuxième fois quand même !
La Danseuse reprit ses esprits et adressa un sourire à son compagnon.

- On va commencer doucement d'accord ? On reste sur 3 temps. Si ça ne va pas on s'arrête d'accord ? Tu vas voir, ça va aller. 1 - 2 - 3, 1- 2 - 3. C'est comme Syld - Fa - na, Syld - Fa - na. Je vais mener, laisse toi aller et suis le mouvement. Syld - Fa - na, Syld, Fa - na...

Dès les premiers pas, la jeune femme se sentit mieux - non que l'on puisse dire qu'elle se fut sentie mal l'instant d'avant, mais elle reprenait ses esprits - les pieds dans le sable, son corps exécutant des mouvements qu'elle connaissait, elle avait retrouvé ses repères. Et quand on danse, on ne se laisse pas distraire. C'était Fealisèn qui disait cela. Mais c'était valable uniquement pour les échauffements, les entrainements et les démonstrations. Ce que Fanaa faisait avec Syld c'était avant tout de l'amusement. Un nouveau jeu pour leur côté gamin.

Au début, Syld se laissa guider convenablement, puis discrètement, il reprit son rôle d'homme, de cavalier, et d'un seul coup la jeune Danseuse se retrouva à obéir à chaque regard, pression des doigts, déplacement des mains. Ils avaient commencé en douceur mais Syld prenait de l'assurance. Fanaa se demanda si, au fond, Syld n'avait pas eu cette assurance depuis le début et s'il n'avait pas suivi ses gentils conseils, juste pour mieux la taquiner. Mais au fond, cela ne comptait pas. Non. Seule importait maintenant l'harmonie. Ils tournaient, ils viraient, ils glissaient, elle était légère comme une demi-plume, il était souple comme un chat, elle avait la grâce de sa mère, il avait son assurance fauve. Leurs regards se croisaient, leurs sourires, leurs rires aussi. Sous les peaux, les muscles se tendaient, s'étiraient, roulaient, du visage jusqu'au bout des pieds. La jeune femme avait conscience que cela ne pouvait que faire du bien au filou car, ainsi, elle lui faisait travailler en douceur sa musculature et ses articulation. En douceur... du moins au début. Car la cadence s'accéléra sans qu'elle ne fusse sure de qui d'entre eux avait commencé à donner l'impulsion de vitesse.

Fanaa savait se mouvoir, il lui semblait qu'elle l'avait toujours su, elle n'avait même plus besoin de réfléchir maintenant, lorsqu'elle débutait une chorégraphie. Mais là c'était un peu différent, ils étaient deux. Pourtant le jeune homme réagissait idéalement, leurs corps se comprenaient, se suivaient, leurs mouvement se complétaient. Ils étaient parfois si proches, à d'autres moments ils 'éloignaient, mais alors ils se retrouvaient. Ils ne se lâchaient jamais totalement, même si parfois ils ne restaient liés que du bout des doigts. C'était alors que d'un mouvement de poignet il la faisait volter jusque dans ses bras, d'où il la repoussait, mais leurs mains s'étaient mêlées et il la rappelait auprès de lui.

C'était si facile... Le soleil descendit sur l'horizon, teintant le ciel de feu, de rouge, d'orangé et de quelques trainées violettes. Pendant ce temps, deux silhouettes se confondaient, s'éloignaient, se mêlaient étroitement, se fondaient l'une en l'autre puis s'épanouissaient tel les pétales d'une fleur vive. Un ballet d'ombre et de lumière.

Elle se laissait modeler entre ses doigts, soulevée si haut parfois qu'il lui semblait s'envoler tandis qu'il restait toujours stable et sûr avec ses manières félines, le Monsieur-patte-de-velours.

Ils semblaient deux faces d'une même pièce, deux entités qui se complètent, s'harmonisent, deux moitiés d'un tout pour le moins très étrange. C'est cela qu'ils semblaient être pour des tierces personnes. Les efforts empêchaient de penser et secrétaient l'endorphine qui les faisait se sentir si bien. C'était facile, c'était doux, c'était fou, c'était agréable. Communiquer sans mot.

Et ils tournèrent, encore et encore... Fanaa avait laissé toute notion du temps s'envoler...



Invisible pour eux, une silhouette aux longs cheveux de lumière et aux yeux d'un violet profond les observait du haut du mur de pierres.

- Vous n'êtes pas seuls. Et pourtant vous l'êtes tellement ...

Sans rompre la cadence, Syld tourna la tête vers le ciel qui flamboyait dans les lueurs du couchant.
Il s'amusait bien mais il n'avait nullement perdu la notion du temps, lui.

- Il va bientôt faire nuit, grenouille.

Il s'en voulait un peu de rompre le charme, cependant il y avait certains devoirs dont on ne pouvait éternellement faire abstraction... en particulier le devoir que lui rappelaient les grognements de son estomac. Le repas pris sur le pouce à midi l'avait un peu laissé sur sa faim.

Il suivait les mouvements de Fanaa presque sans y penser. Personne ne lui avait vraiment donné de leçons de danse par le passé, mais après tout ce n'était pas si différent de ce qu'il avait l'habitude de faire. Danser avec l'acier et la mort, ça il connaissait. Et le faire en duo, il connaissait aussi. S'adapter à un nouveau partenaire n'était pas si difficile que ça...

- Je sens que je vais me faire engueuler... mieux vaudrait qu'on rentre avant que le souper ne soit servi, sinon je connais un Lévitis qui va nous faire une colère bien fédorienne. Et puis les serveuses vont être furieuses si on les oblige à veiller plus tard.

Le Shalos étouffa un petit rire à cette idée. Il avait déjà repéré une ou deux demoiselles à l'auberge qu'il valait sans doute mieux ménager si on ne voulait pas retrouver son lit fait à l'envers.
Il y en avait aussi une ou deux plutôt mignonnes.
Syld se fendit d'un sourire pétillant et fit basculer Fanaa en arrière jusqu'à ce que ses boucles brunes balayent le sable.

- Cette nuit sera une nuit sans lunes, impossible de continuer sans risquer de se tordre une chevilles, gente demoiselle !

Fanaa se redressa, pas le moins du monde essoufflée, mais les yeux brillants et le cœur battant.

- Tu es incroyable... souffla-t-elle.

Et puis elle rit. Elle rit en enroulant ses bras autour de lui.

- C'était génial! Merci, merci !

Elle n'avait pas envie de rentrer, pas du tout. Avec ou sans lune, rester près de la mer lui était préférable à n'importe quels murs. Mais il avait accédé à son désir, alors elle obéirait. Sans rechigner. Elle ferma les yeux quelques secondes pour entendre les battements du cœur de son chenapan puis s'arracha à son contact. La journée arrivait à son terme, tout était terminé.

Fanaa saisit la main de Syld et sautilla en le tirant.

- Viens, dépêchons nous alors, je ne veux pas que tu te fasses gronder ! Même si parfois, désobéir ça a du bon.

Elle lui tira un bout de langue.

- Mais il ne faut pas fâcher Earl, il est gentil.

Elle n'était pas fatiguée du tout, au contraire elle se sentait si bien... qu'elle aurait pu gambader jusqu'à l'auberge mais elle devait ralentir ou le filou allait de nouveau faire une remarque. Oh toute cette énergie, c'était dingue ! La danse ... Il y avait bien longtemps que la jeune femme n'avait été si épanouie. Elle n'avait pas changé, et pourtant elle était légèrement différente, plus colorée, plus lumineuse, plus détendue aussi.

C'est ainsi qu'ils rejoignirent l'auberge des 3 zoris.

Où se trouvait Kyara, mais Fanaa n'y ft pas attention. De toute manière, elle ne s'en rappelait pas.