Ferme de Rendell

Le souffle encore haletant, Syld posa la joue dans la paille. Il tendit la main pour mêler ses doigts aux longues mèches noires qui ruisselaient sur les tiges dorées.
Une ombre de sourire languide se profilait sur ses lèvres et la flamme vénéneuse de son regard semblait s'être provisoirement éteinte.

Le jeune homme s'étira puis roula sur le dos.
Un des rayons de soleil qui filtraient à l'intérieur par les interstices des murs de bois l'éblouit au moment où il tournait la tête, le forçant à fermer l'oeil un instant, juste un instant.
Le soupir de contentement amorcé se suspendit. Syld se mordit brusquement la lèvre.

- Ah...

Il se redressa comme un ressort et se détourna sur le côté avec un haut-le-coeur.
Le front couvert d'une pellicule de sueur qui n'avait plus rien à voir avec l'exercice du plaisir, il s'appuya des deux mains au sol de terre battue devant la porte, secoué par un nouvel accès de nausée.

- Ca ne va pas... Pourquoi...

Le jeune homme resserra ses bras autour de lui, la respiration saccadée, avec un tremblement convulsif. Ses ongles s'enfoncèrent dans sa peau presque l'en déchirer.

- ... est-ce que ça fait mal ? Pourquoi ?

Soghann s'agenouilla auprès de Syld prit de convulsion. Posant une main sur son dos, il fit de son mieux pour ne pas paraître inquiet, tout en évitant de se réjouir de ce que cela pouvait impliquer.

- Une réaction semblable à tout à l'heure... Accroche toi, ça va passer. Ce ne peux pas être physique...

Syld se décala vivement pour rompre le contact.

- Je t'ai déjà dit de ne pas me toucher ! Je ne suis pas un objet qu'on peut palper et utiliser comme un...

Il sursauta comme si un bruit avait rompu le relatif silence de l'écurie.
Des craquements.
Ses ongles s'enfoncèrent un peu plus dans la chair de ses bras.

- Je ne suis pas un objet.

Encore un tressaillement.
Puis il se figea, le regard dans le vague. Une expression étrange passa sur ses traits crispés. Il eut presque l'air rêveur.
Et enfin un rire bref et silencieux le secoua.
La petite flamme verte était revenue.

- "Ne me touche pas" ? Après ce qu'on vient de faire ? Ah, c'est vraiment stupide.

Il tourna à demi la tête vers Soghann.

- Tu as raison, ça va passer. Il faudra bien que ça passe, d'une façon ou d'une autre.

Sans se départir de son étrange sourire rêveur, Syld se détourna davantage puis tendit le bras, glissant une main derrière la nuque de Soghann et l'attirant à lui. Il se pencha en avant et l'embrassa d'un baiser exigeant, possessif, presque agressif.

- Oui, il faudra bien que ça passe...

Syld finit de se retourner et renversa Soghann dans la paille crissante. Il joua un petit moment avec ses lèvres, avant de se redresser sur les coudes avec un clappement de langue moqueur.

- Tu es toujours méfiant.

Il étouffa un petit ricanement tout en laissant courir une main folâtre sur le corps de l'assassin.

- Ca... je suppose que tu as raison.

Le regard du jeune homme glissa de côté, se fixant vers un point indéfini, comme s'il songeait à tout autre chose tandis que ses doigts poursuivaient leur sensuelle exploration.

- Mais pour l'instant...

Il fixa à nouveau Soghann avec un sourire toujours aussi ambigu.

- ... pour l'instant ça va. Amusant, quand même, cette façon de chercher le plaisir tout en sachant qu'il y a un risque... C'est à se demander qui a besoin de qui, ici.

Sa main rompit abruptement le contact avec la peau si blanche et il se releva tranquillement pour aller reprendre les quelques vêtements qui traînaient au sol. Il émit un reniflement dédaigneux.

- Il me faudra de nouveaux vêtements... ainsi qu'un bain. Et un vrai repas, aussi.

Le sourire de Syld s'élargit tandis qu'il continuait à fixer les habits qu'il avait tendus à bout de bras pour mieux les examiner.

- Ah, et des armes, bien entendu...

Soghann se redressa sur les coudes avec un demi-sourire.

- Bien entendu.

La partie semblait gagnée. Des souvenirs avaient ressurgis, même si la personnalité et les liens affectifs restaient occultés.

- Malheureusement je doute qu'on puisse remettre la main sur tes griffes. Elles doivent trôner dans une vitrine de collectionneur, autant que je sache. Et tenter de retrouver leur piste nous fera forcément passer par une ville ou tout le monde te crois mort. Mais on peut toujours demander à Earl de mener son enquête.

C'était un mensonge, bien évidemment. C'est Fanaa qui les avait, à coup sûr. Enfin, c'était elle qui les avait la dernière fois qu'il les avait vues. Si cette sotte ne s'était pas faite tuer, elle devait toujours les avoir.

Pourquoi tout revenait toujours à elle ?

L'assassin acheva de se lever et se mit en devoir de récupérer ses vêtements, vérifiant au passage que rien ne manquait. Il prit l'une de ses dagues et la tendit, manche en avant, vers Syld.

- En attendant.

- Des griffes ? Hum...

Syld passa rapidement ses vêtements puis tendit une main devant lui. Il fit jouer ses doigts avant d'acquiescer avec un sourire.

- Oui, je crois que c'est ça.

La mention d'Earl lui tira une petite grimace coléreuse.

- Sa Seigneurie n'a sûrement plus aucune envie d'avoir affaire de près ou de loin avec ma personne, m'est avis. Les arrogants dans son genre n'ont pas la défaite facile.

Avec un haussement d'épaule et un petit ricanement, il finit de replier l'extrémité des manches effrangées et raidies de sang de sa chemise, réussissant à leur donner un aspect presque acceptable.
Le jeune homme leva un sourcil en voyant la dague que lui tendait Soghann puis l'accepta sans hésiter d'avantage. Il la fit tourner entre deux doigts et passa un pouce caressant sur le fil de la lame brillante.

- Ca devrait aller, concéda-t-il avant de porter la coupure à ses lèvres qu'étirait un sourire.

Il glissa la dague à sa ceinture puis rabattit dessus les pans de sa chemise décidément trop grande. Elle semblait avoir été coupée pour quelqu'un de plus forte carrure. Sans doute à l'origine appartenait-elle à Rendell.

- Ne manquent plus que le bain et le repas. Et peut-être aussi un lit plus confortable qu'un simple tas de paille...

Soghann haussa les épaules devant la réaction de Syld à la mention de son bienfaiteur.

- Cela ne coûte rien de demander. Je pense que le soulagement de voir du progrès dans ton état (**pour ne pas dire être débarrassé de toi**) le mettra dans de meilleures dispositions.

Tout en finissant de reboutonner son attirail qui avait lui aussi besoin d'un bon décrassage, il s'amusa de voir Syld éprouver le tranchant de sa lame.

- La mention "maniaque de l'aiguisage" ne figure pas dans tes récents retours de souvenirs ?

Sans en ajouter davantage sur ce sujet sensible, il acheva d'ajuster ses bottes et se dirigea vers la porte.

- Le bain et le repas ne devraient pas être difficiles à trouver. Le bon lit... est une denrée plutôt rare dans cette contrée.

Cette phrase, prononcée sur un ton indéfinissable, ne disait pas clairement s'il s'agissait d'une plaisanterie ou d'une constatation.

- Peuh !

Ayant ainsi résumé son opinion au sujet des humeurs d'Earl, Syld emboîta le pas à Soghann.

- Concernant l'aiguisage, je vérifiais simplement la justesse de mes informations.

D'une main négligeante, il se mit en devoir d'ôter tous les brins de paille qui s'étaient accrochés dans sa crinière plus échevelée que jamais. En fait certaines mèches semblaient avoir allongé de vingt bon centimètres. Sans doute un autre effet secondaire de l'afflux massif d'elixia qu'il avait dû supporter lors des soins prodigués par Earl.

- Si tu sais où trouver au moins un de ces trois éléments, ça suffira à me contenter pour aujourd'hui.

Le jeune homme se mit à fixer les murs de la maison au toit de chaume comme s'il avait pu voir au travers puis ajouta avec un petit soupir rêveur comme s'il se parlait à lui-même :
- A dire vrai l'autre chose qui m'aurait fait plaisir aurait été de faire essayer le fil de cette jolie dague à sa Seigneurie. Aaah, le pauvre, ça ne serait vraiment pas difficile... je l'ai vu plus d'une fois en train de ranger précipitamment les mouchoirs dans lesquels il lui arrive de tousser. Quand un clerc commence à cracher du sang, c'est mauvais signe.

L'air très amusé par ce constat, il laissa la brise emporter les derniers brins de paille au loin.

- Alors, on y va ?

Soghann ne fit pas plus de commentaires. Il tentait de réfléchir à où, justement, ils allaient bien pouvoir aller.

- On va y aller, oui. Mais avant, je vais au moins prévenir Earl, au moins qu'il sache.

Le clerc devait être dans la bâtisse principale, certainement en train de discuter avec les propriétaires... Ou de se reposer. L'assassin alla donc jusqu'à la porte, mais arrivé sur le seuil, la main sur la poignée, il se retourna :

- Tu m'attends dehors ?

Peut-être valait-il mieux que les deux zigotos ne se retrouvent pas face à face, sans quoi Syld pourrait avoir envie d'éprouver son nouveau "jouet". Mais ce n'était pas non plus un ordre : il vallait mieux repartir sur de bonnes bases et éviter de contrecarrer dès le début cette nouvelle liberté.

- Quelle délicate attention, sussura Syld.

Il jeta un dernier coup d'oeil vers la maison avant de hausser les épaules.

- Vas-y si ça te chante.

Le jeune homme s'adossa à un cerisier qui poussait à quelques mètres de l'entrée puis croisa les bras.

- Autant que je ne rentre pas à l'intérieur, sa Seigneurie risquerait d'être tentée de fermer la porte à clef derrière mon dos.

Syld fit mine de s'examiner les ongles.

- Il avait l'air de penser que je serais mieux dans une cage bouclée à double tour... et ça m'étonnerait qu'il ait changé d'opinion. C'est déjà extraordinaire qu'il ait lâché l'affaire aussi soudainement, alors autant ne pas lui donner l'occasion de revenir sur sa décision.

Sans répondre, le Shalos entra dans la maison. Il se retrouva dans ce qui semblait être la cuisine. Les murs épais laissait dans la pièce un fraicheur bienvenue, tant que rien n'était sur le feu. L'ameublement était typique, sans fioriture. A la table, Earl sirotait seul un breuvage quelconque. L'assassin prit la chaise d'en face, un verre, et se servi de la carafe devant lui. De l'eau fraiche, bienvenue elle aussi.

- Des souvenirs sont remontés. Il se souvient de beaucoup de choses, mais n'a pas retrouvé sa personnalité. Inutile de le garder ici plus longtemps, donc je l'emmène. Probablement à Shalanos, à moins que tu n'ai une idée précise d'où est actuellement Fanaa.

Earl s'accouda à la table puis se passa une main sur le front. Il était blême et visiblement fiévreux. Lui si soigné d'habitude était en manches de chemise, avec le col largement ouvert. Tout indiquait qu'il ne se sentait pas bien, quoi qu'il fasse pour tenter de le cacher.

- Tu devrais te méfier, c'est un comédien hors pair. Il est parfaitement capable de faire croire qu'il se souvient de ceci ou cela, alors qu'il n'en est rien. Il peut tout à fait être en train de te manipuler s'il pense pouvoir en tirer profit d'une façon ou d'une autre.

Trop épuisé pour s'inquiéter de ce que le Shalos pourrait penser, le jeune homme ouvrit une petite boîte posée sur la table et y préleva une bonne dose d'herbes sombres au parfum caractéristique. C'était là une drogue extrêmement puissante qui servait à inhiber la douleur et à oublier la fatigue. A hautes doses, un véritable poison.
Il repoussa la boîte presque vide, laissa tomber les plantules dans son verre, et le vida d'un trait.

- Une idée précise...

Le Lévitis se laissa mollement aller contre le dossier de sa chaise et renversa la tête en arrière pour fixer les poutres du plafond bas. Il ne broncha même pas lorsque Rendell traversa la pièce et lui décocha un coup d'oeil inquiet et réprobateur tout en marmonnant dans sa barbe : "pas dû se lever... stupide fierté... prendre soin des autres et oublier de prendre soin de soi... ça va mal finir".
Le clerc reprit d'un ton monocorde, comme s'il n'avait même plus la volonté de taire ce qu'il aurait préféré garder celé :
- Je me suis arrangé pour la faire surveiller d'assez près. Une poupée, une jolie poupée... Dans le genre perte de mémoire elle fait un bon score aussi.

Il eut un sourire sans joie puis lâcha dans un souffle, comme pour se débarrasser d'un poids :
- Médiévir.

Les doigts de l'assassin se mirent à tambouriner sur la table, tandis qu'il visualisait mentalement les distances que cela représentait depuis leur emplacement actuel.

- Medievir, hein... Facilement deux ou trois jours de marche même en se pressant, sur une route bondée de marchands. En passant à quelques heures de Shalanos...

Réfléchissant à leurs options, Soghann se servit un nouveau verre et le vida derechef, puis se leva.

- Merci pour ton aide. Au fait, je sais qu'il peut faire croire ce qu'il veut à qui il veut. Mais il n'y a pas d'amitié sans confiance. Si je ne lui donne pas sa chance, personne ne le fera, et il croupira dans une autre prison d'ici peu.

Il se dirigea vers la porte, et lacha en sortant :

- Soigne toi bien.

L'assassin franchi le pas de la porte et retrouva instantanément la chaleur du soleil qui en devenait presque étouffante. Il tenta de retrouver un repère temporel. Earl avait du venir le chercher dans les brumes de l'aube, et ils avaient marché une bonne partie de la matinée. On devait se trouver vers midi, et le soleil montrait toute sa vigueur. Peu agréable pour marcher.

- Nous allons longer la côte vers le Nord. C'est une route très fréquentée, on ne devrait avoir aucun mal à trouver un véhicule et les auberges ne manquent pas.

Se passant une main dans les cheveux d'un air embarrassé, il expliqua :

- On va essayer de retrouver Fanaa... Elle se trouve à Medievir, selon Earl. Tu te souviens d'elle ? Je l'aurais volontiers laissée dans la nature, mais je crains que Sentence nous arrache les yeux si on retourne à Shalanos sans elle.

**... et la voir changera peut-être ton état... En espérant que ça ne provoque pas de catastrophe...**

Syld rouvrit l'oeil en entendant la porte gémir sur ses gonds vénérables, et tourna la tête vers Soghann sans faire mine de bouger. Il ne fit aucun commentaire sur la destination choisie, apparemment assez indifférent à ce sujet du moment qu'il y avait une chance d'y trouver un bain, un repas, un lit, ou des vêtements propres.

- C'est toi qui vois.

Il se décida enfin à s'écarter du tronc du cerisier et s'étira langoureusement.

- Fanaa ? Connais pas.

Son ton traînant trahissait un manque d'intérêt total pour ce nom. Ce fut presque par simple politesse qu'il demanda :

- C'est quoi, la favorite de Sentence ?

Il lâcha un petit rire moqueur avant d'avoir pu recevoir la moindre réponse à sa question.

- Si tant est qu'il soit en mesure d'honorer quelqu'un dans un lit, bien sûr !

Sans cesser de rire, le jeune homme prit son temps pour étudier l'emplacement de la petite ferme avant de se tourner vers la route creusée d'ornières desséchées qui serpentait entre arbres et taillis vers la côte au nord de Faelanir.

- Je crève de faim et j'ai l'impression d'être essentiellement vêtu de crasse, donc si on pouvait partir vite et trouver une de ces fameuses auberges d'autant plus vite, ça m'arrangerait.

Soghann se mit donc en marche, suivant l'unique route qui partait de la ferme pour rejoindre le grand axe le plus proche. Ils étaient resté discret en venant, mais cela n'avait plus d'importance. Tout le monde croyait Syld mort, et personne ne se souviendrait d'un homme inconnu executé trois semaines auparavant. Tout du moins, personne ne ferait le lien une fois l'homme lavé et vêtu de frais.

Restait effectivement à trouver rapidement une auberge afin que l'un comme l'autre puisse retrouver une apparence plus humaine.

Un main sourire fendit son visage tandis qu'il répondait à propos du Roi :

- Je doute aussi de ses capacités reproductives, mais ce n'est pas un terrain sur lequel je m'aventurerais à portée de ses oreilles. Et les Ombres savent qu'elles portent. Non, Fanaa... a quelque chose de particulier, un pouvoir en elle qu'elle ne maîtrise pas totalement. Un pouvoir dangereux par sa puissance et surtout son manque de contrôle... C'est ce qui intéresse Sentence, j'ignore pourquoi. Peut-être que tout ce qu'il veut est la maintenir à l'écart du Grand Méchant.

Bref, quoiqu'il en soit, il nous a chargé de la chaperonner après certains troubles auxquels on a été plus ou moins directement mêlé à Shalanos, avec l'invitation cordiale de prendre des "vacances" le temps qu'il fasse le ménage.

- Oh ? Et le grand Sentence n'était pas capable de faire le ménage tout en gardant cette fille sous la main, alors qu'elle semble si importante ?

Syld secoua la tête avec une moue ironique.

- Si tu dis vrai, soit il est stupide, soit il a autre chose derrière la tête, soit il surestimait grandement tes... nos capacités.

L'oeil vert absinthe glissa du côté de Soghann pour surveiller ses réactions.

- D'ailleurs si j'ai bien compris, la fille devait être surveillée de près, peu importe que l'un ou l'autre de ses "anges-gardiens" disparaisse en cours de route. Alors qu'est-ce qu'elle fiche à Médiévir ? Et en plus il faut que ce soit sa Seigneurie qui indique où elle crèche ? Sa Grandeur semble faire un garde du corps infiniment plus consciencieux...

Soghann haussa les épaules.

- Pour être honnête, j'ignore quoi penser de toute cette histoire. Il est clair que le Roi n'est pas quelqu'un à donner des ordres à la légère, mais je serais bien en peine de savoir laquelle de tes hypothèses est la bonne. Peut-être même qu'il espérait précisément le blocage de son pouvoir qui a eu lieu lorsqu'elle t'as cru mort.

Il écarta les mains d'un geste d'impuissance.

- Quant à pourquoi elle se trouve à Médievir et pourquoi je n'y suis pas avec elle... Tout simplement parce que ta mort m'avais suffisamment bouleversé pour me détourner de l'objectif et me donner envie de la tuer la prochaine fois que je la croisais. Reste à savoir comment elle va réagir quand on va la retrouver. Mais je n'aurais aucun scrupule à la forcer à revenir à Shalanos s'il le faut.

Les explications de Soghann firent éclore un petit sourire sur les lèvres de Syld.

Il leva une main en visière pour protéger son oeil de l'éclat éblouissant du soleil.
La route ressemblait à une rivière de métal chauffé à blanc. L'horizon vacillait, ondulait tel un voilage multicolore bleu vert et or. Pas un souffle d'air ne venait faire frémir les feuilles des arbres sur les talus.

- Pour une route fréquentée, en ce moment c'est plutôt désert.

Il haussa les épaules.

- La tuer ? Et pourquoi donc ? Elle a eu quelque chose à voir avec mon... heu... décès ?

- Nous ne sommes pas encore sur la voie principale. On devrait la rejoindre d'ici quelques minutes.

Au loin, on voyait effectivement un nuage de poussières, et au hasard des rayons du soleil, on pouvait surprendre des reflets sur le métal des attelages. L'assassin poussa un soupir résigné.

- Pas directement, non. Mais elle fait partie des causes principales qui nous ont amené au mauvais endroit au mauvais moment.

Il adopta un ton plus jovial.

- Bah ! On verra bien quand on lui remettra la main dessus. D'ici là... Je suis d'avis qu'on s'arrête à la première auberge venue ! Qui ne doit pas être loin, si je me repère bien...

Et en effet, une masse sombre commençait à être discernable, qui semblait faire l'angle entre la route qu'ils suivaient et l'axe principal.

Syld parut sur le point de poser une autre question mais se ravisa finalement avec une petite moue. Il sembla étudier la physionomie de Soghann pendant encore un instant avant de détourner son regard à l'expression indéfinissable vers le carrefour des routes.

- On dirait bien.

Il passa une main sur sa chemise et grimaça en sentant sous ses doigts le tissu rêche et de facture plutôt grossière.

- Si seulement il y avait quelque chose qui ressemble à une boutique ou à un marchand de vêtements... j'en ai ma claque de ressembler à un paysan !

Cependant,en dépit de sa défroque quelque peu "rustique", personne n'aurait pu le prendre pour un paisible fermier.
Il avait la démarche trop légère, et surtout une allure oblique qui n'inspirait rien de bon. Habituellement Syld donnait parfaitement le change en adoptant une mine désinvolte, les mains dans les poches et le nez au vent. Mais là chacun de ses mouvements hurlait littéralement à quelle école il avait grandi. Pas besoin d'un grand effort d'imagination pour sentir l'odeur douceâtre et métallique du sang flotter autour de lui telle une aura.


HRP : vers là