Les Falaises

vient de l'auberge des 3 zoris


Tout en avançant, Fanaa entreprit de retracer les grandes lignes de son plan en les comptant sur ses doigts.

- Alors... on est le soir et vu le temps j'imagine que nul ne va sortir faire du tourisme. Au mieux ils trouveront un endroit où boire un... enfin quelques coups. Mais comme il y a le nécessaire à l'auberge et qu'en plus c'est offert...

Elle rit doucement et secoua la tête. Ah ces filous! Intenables !

- Donc bon. Au pire ils boivent où ils trainent et puis ils iront se coucher. La Dame Blanche semble une personne saine, elle leur montrera l'exemple. Et Earl - na pas penser à son nom - sait que Syld doit se reposer. Ils pensent que je suis moi-même couchée, aucun n'aurait l'idée d'aller me réveiller au milieu de la nuit.

*Non. Aucun... Hélas...*

La pluie se fit tiède et salée dans ses yeux et sur ses joues. Elle repensa aux mots de la Dame de Glace. Amoureux. Mais qu'est-ce que ça voulait dire amoureux au juste ? Syld comptait fleurette à toutes les jolis femmes. Il était l'amoureux de toutes les jolis femmes, là d'accord le mot avait du sens.
Mais son amoureux à elle ? Certainement pas. Et elle n'en voulait pas. Non. Poser les mots "mon amoureux" sur la tête de Syld ça n'allait pas du tout. Les mots étaient ternes, fades, gris. Non Non Non. Le chenapan ne lui inspirait rien de terne. Il était une source constante d'émerveillement et de joie. Et ça c'était beaucoup plus dur à mettre en mot. D'ailleurs il ne valait mieux pas. Les mots prononcés avaient tendance à rendre des choses réelles. Si Syld avait dit tout haut "non, pas du tout" si il l'avait dit alors... mais il n'avait rien dit. Il avait gardé le silence et par la même, le mystère, le secret.

Elle s'essuya les yeux. Geste inutile d'une main trempée sur un visage ruisselant.

*De toute façon, quand je n'aurai plus l'air d'une personne "qui a un grain" -je crois que Cerise le dit comme ça- alors il reviendra. Peut être. Oui, peut être. Je dois trouver un moyen d'arranger ma tête. Parce que je ne lâcherai pas prise. Jamais.*

- Demain matin quand ils se réveilleront je serai de retour et en attendant, la nuit est à moi !

Tiens, par là-bas la forêt de mâts s'éclaircissait. Bien, elle l'avait trouvée sa plage finalement ! Une fois sur place elle se rendit compte que ce n'était pas une plage. C'en était peut être une d'habitude mais par gros temps comme ce soir, l'eau avait englouti tout le sable. Entre la route et le niveau actuel de l'eau il y avait quelques mètres de grosses pierres, placées ici de façon à ce que l'océan dans ses mauvais jours ne s'amuse pas à grignoter ce qui soutenait ce qui soutenait la route et la ville. Les vagues giflaient la digue.

C'était un spectacle impressionnant. la jeune femme ne pouvait en détacher son regard. Elle s'agenouilla tout au bord et se pencha pour mieux admirer ce qui se passait en bas. Ce n'était pas un orage et elle le regretta. Le tonnerre et les éclairs sur un océan déchainé ce devait être fantastique !
Mais déjà ce qu'elle voyait lui plaisait. Elle s'assit sur le bord, les jambes pendantes et se demanda si elle allait tenter de descendre un peu plus.

Tandis que Syld se laissait guider vers la table, le regard toujours fixé sur la porte, Earl longeait les quais d'un pas vif mais égal.

Le vent était tombé et la pluie tombait dru. Elle pianotait avec vigueur sur les pavés rendus glissants par les caisses de poisson qui y étaient déchargées chaque jour, sur le pont des navires à l'ancre, descendait les longs des mats et des cordages en ruisseaux sinueux.
Habitants, marchands et marins de passage s'étaient mis à l'abri. Des rumeurs joyeuses s'élevaient dans toutes les tavernes et gargotes massées les unes contre les autres dans ce quartier. Les tenanciers devaient rendre grâce à ce temps exécrable tout en s'affairant dans leurs établissements bondés.

Le jeune homme s'arrêta quelques instants à l'abri d'un porche pour apprécier ce calme. Même les oiseaux de mer étaient retournés se nicher sur la falaise en abandonnant les têtes de poissons qui flottaient entre les coques grinçantes. Les rues de la cité avaient été désertées.

Earl reprit sa marche et ses pas le menèrent instinctivement jusqu'à la digue. Une tache plus claire se détachait sur le voile grisâtre qui enveloppait le paysage. Fanaa.
Une Fanaa totalement plongée dans ses rêveries.
Le Lévitis se rapprocha en silence puis s'immobilisa. Ses yeux dorés étudiaient la frêle silhouette deux mètres plus bas sans réelle bienveillance. Un croassement lui fit interrompre son observation. Croassement ?
Il chercha l'origine de ce cri grincheux, mais le rideau de pluie fondait tout en une masse indistincte à plus de quelques mètres.

Earl secoua la tête puis reporta son attention sur Fanaa qui semblait être sortie de sa torpeur.

- Tu pensais sérieusement que personne ne s'en rendrait compte ? Et que personne ne s'en inquiéterait ?

- Kraa, je t'en prie tais toi tu la fais fuir...

Mais le Krobeau croassa de plus belle et se mit même a siffler. Fanaa fronça les sourcils mais la concentration était partie. Et Kraa se mit à proférer des sons humains.

- Kraa ? Mais tu ne parles pas toi, pourtant ? s'exclama-t-elle surprise en levant la tête.

Une silhouette aux longs cheveux blanc, dégoulinant et battu par le vent. Bon par un temps pareil c'était plus dur de garder une certaine classe. Levitis. Toujours. Fanaa était toute engourdie. Et glacée. Elle ne sentait plus ses membres mais ce n'était pas a fortiori désagréable.
Elle songea un instant à lui proposer de la rejoindre, mais refoula aussitôt cette idée. Quelque chose dans son attitude suggérait qu'il n'était pas franchement de bonne humeur. Et sûrement peu disposé à attendre. Comme Fanaa était d'un naturel accommodant, elle se mit vite debout pour le rejoindre mais ses membres gourds ne réagirent pas tout à fait comme elle l'entendait. Son pied glissa et entrainée par son poids elle lâcha prise.
Disparaissant aux yeux de l'oiseau et du Levitis.
Quelques secondes. Car heureusement elle avait de bons réflexes. Il n'y avait pas que dans les guildes que l'on avait des entraînements difficiles et intenses. Fealisèn avait veillé à ce que sa fille acquière un corps souple, musclé, agile, léger, vif. Et afin d'y parvenir il avait fallu des exercices constants, quotidiens, dès les premiers pas.

Fanaa atteignit donc la route et Earl. Ainsi que Kraa qui se percha sur son bras, serra les serres et la regarda en silence. Fanaa baissa les yeux. Alors le rapace partit et la laissa seule avec Earl. Elle ne savait pas pourquoi mais elle devinait que, comme le krobeau, ce-dernier ne changerait pas de visage quand bien même elle lui adresserait le plus gentil des sourires.

La jeune femme releva la tête pour croiser le regard doré face à elle.

- Je ne me suis pas sauvée, j'allais revenir je te le promets !

- Sans doute. Mais cela n'aurait pas coûté plus cher de prévenir quelqu'un avant de sortir.

D'un geste péremptoire, Earl drapa le manteau qu'il avait gardé plié sur son bras sur les épaules de la jeune fille. Le vêtement était un peu humide mais c'était mieux que rien.

La pluie refusait de s'arrêter ou même de faiblir, et pourtant le Lévitis ne se tourna pas tout de suite vers l'auberge. Bien au contraire, il laissa peser un long, un interminable regard sur Fanaa, totalement indifférent à l'eau glacée qui lui dégouttait dans le cou et aux cheveux qui lui collaient dans le dos en longues mèches désordonnées.
Il avait l'air... bah, il avait l'air d'un Lévitis trempé jusqu'aux os. Mais son attitude restait d'une rigidité de fer.

- Si tu avais demandé à rester seule un moment, il aurait compris.

Boum.
Le simple fait qu'Earl l'évoque ... sans même prononcer son nom... qu'il les lie tous deux dans la même phrase c'était... cela donnait envie à Fanaa se se cacher. C'était comme si Earl savait, ou devinait. Certes il était très intelligent, mais là il touchait à quelque chose dont Fanaa elle-même ne saisissait pas toute la portée.
Figée, elle sembla attendre quelque chose, mais il n'ajouta rien.

- Mais je n'aime pas rester seule !

Elle lut dans son regard que le fait qu'elle se soit isolée démentait cette accusation. Pourtant c'était vrai. Elle détestait être seule. Enfin... l'exacte vérité était que si Syld n'était pas dans les parages, quelle que fusse la compagnie qu'elle avait à ce moment, la elle sentait ce triste sentiment de solitude. Elle le comprenait maintenant.

- Et puis pour ce que je voulais faire, m'isoler n'aurait pas suffi. Tu comprends, j'ai besoin de tout ça - elle désigna l'infinité d'un gris dans lequel on ne distinguait même plus le haut du bas, le liquide de l'aérien - sinon je n'y arrive pas.
Et aussi j'ai pensé que tu m'empêcherais de sortir. Et puis je ne voulais déranger personne. C'est la vérité.

Elle l'avait maintenant son tête à tête. Celui qu'elle avait souhaité à la Taverne de Veis, mais dont elle n'avait pu en profiter, mal en point comme elle l'était. Son cœur battit plus fort, elle avait le trac. Non c'était plus que le simple trac. Elle avait peur. Mais elle refusait de rester sans rien faire.

- Tu t'appelles vraiment Earl Adennon ? Comme le seigneur Adennon ? Tu as un lien avec lui ? Mais tu n'es pas un ennemi de Syld n'est-ce pas ?

Fanaa s'était rapprochée d'un pas et s'était cramponnée aux manches de chemise du Levitis. Pour s'empêcher de trembler. Pour éviter de reculer aussi, maintenant qu'elle avait dit cela, le pire pouvait arriver et la fuite était une option. Pour le retenir surtout, lui aussi pourrait fuir, sinon. Et elle devait tenter d'élucider certains points, puisque Soghann n'était pas là pour s'en occuper. Il lui avait passé la main à la Taverne après tout. Et même sans cela, elle airait de même à ce moment.

Sa toute dernière question fut posée sur un ton presque suppliant. Earl avait été gentil avec elle, et donc elle l'aimait bien. Il faisait maintenant partie de son monde. Il était le quatrième, ce qui faisait assez peu. Mais si jamais... si jamais il était contre Syld, il repasserait de l'autre côté. Mais il commençait déjà à compter pour elle alors elle espérait, elle espérait vraiment qu'il répondrait par la négative. Mais ce qui importait c'était la vérité. Quelle qu'elle soit.

- Moi, t'empêcher de sortir ?

Le fin visage du clerc se fit méprisant.

- Comme si j'en avais quelque chose à faire ! Et c'est précisément en agissant de cette façon que tu as réussi à déranger tout le monde. Contrairement à ce que tu sembles penser, tu n'es pas totalement transparente. Hélas.

Ah. Il avait empêché Syld de partir à la recherche de Fanaa, de peur qu'il ne soit pas capable de mesurer ses mots lorsqu'il la retrouverait. Mais là c'était à lui de se montrer aussi dur et inflexible que les statues du palais d'Ael. Pire, il se faisait blessant.
Réfléchir aux dernières interrogations de la jeune femme l'aida à dominer cette subite flambée d'agressivité.

- Earl Adennon est bien mon nom officiel.

Il marqua une pause, étudiant le reste des demandes et ce qu'elles pouvaient impliquer. Entre les mèches à présent plus grises que blanches qui lui tombaient devant les yeux, son regard se fit plus aigu, et il ajouta avec sècheresse :
- Pourquoi ces questions ?

Le ton d'Earl était direct. Sec. Voulait il marquer sa supériorité? C'était inutile, elle la reconnaissait sans y être forcée. Mais qu'il évite de répondre, fit froncer les sourcils à Fanaa.

- Tu ne réponds pas à mes questions. Ca veut dire quoi ton nom officiel, c'est ton véritable nom, oui ou non ? Et si je pose des questions c'est parce que j'ai envie d'en connaître les réponses, évidemment !

Non. Ne pas hausser le ton. Ne pas se fâcher. Toujours rester polie, après tout il n'est pas sensé être mauvais. Elle inspira en fermant les yeux pour détendre les traits de son visage.

- J'ai quand même de quoi m'interroger. A la Taverne tu m'as avoué que tu étais là-bas la dernière fois que Syld s'y est retrouvé. La dernière fois qu'il a disparu il est revenu dans un état... dans un état... on lui avait fait du mal Earl !

Y repenser était douloureux. Syld avait le regard fou, il marmonnait tout seul, il saignait, était sérieusement amoché... et son regard dégoûté, il l'avait détestée ce jour-là. Et tout ce sang, elle avait frotté le manteau si longtemps... Un profond chagrin s'empara d'elle.

- Si tu étais là-bas alors pourquoi n'as-tu rien fait pour empêcher ça? et pourquoi portes tu le même nom que celui qui semble être le responsable de tout ça ?

Earl prit à nouveau le temps de décortiquer avec soin les tenants et les aboutissants de ce que Fanaa lui disait. Il fronça les sourcils, ferma les yeux et lâcha une longue expiration.

- Aelred...

Il secoua la tête puis attrapa Fanaa par le bras pour la tirer sans brutalité vers les bâtiments les plus proches. Il la fit assoir sur un bout de muret protégé par un appentis avant de s'installer à son tour.

- Alors si je comprends bien Syld a eu des ennuis à cause du vieux, dernièrement ?

Le clerc se massa les paupières avec un rien de lassitude.

- Je crois que je comprends mieux la question que tu m'avais posée à la Taverne de Veis.

Il se redressa.

- Lorsque j'ai dit être présent la dernière fois que cette tête de bois a mis les pieds à Levitas, je faisais allusion à un épisode qui remonte à plus de dix ans. A ma connaissance il n'est jamais revenu depuis. D'ailleurs, s'il avait réellement été emmené de force jusque dans la cité-même, il n'en serait probablement jamais ressorti. Pas vivant, du moins.

Earl laissa son regard se perdre dans l'horizon flou qui joignait la mer et les nuages.

- Et Adennon est le nom de mon tuteur... Non, de mon père adoptif. Aelred Altheraan Adennon. Pendergast était le... disons le "nom de scène" de ma mère. C'était une courtisane à Fédoran.

*Donc Syld n'est pas allé à Levitas la dernière fois. Et c'est heureux. Par contre il ne doit jamais, jamais y aller. D'accord. Et ce Elrad, non Aelred Atha... Bon. Cet Aelred Adennon, c'est pas la première fois. Il est dangereux. Il est méchant.*

Sa dernière révélation lui fit un choc.

*C'est pas vrai... fedorienne d'accord mais y a pourtant pas que des courtisanes dans cette ville. Sa mère vient de Fedoran où elle a suivi une voie semblable à la mienne. Mon père ... non mon père n'était pas un homme important de Levitas lui. Il n'en avait pas l'allure. Et puis surtout, il était bien loin de la Cité. Mais c'est comme s'il y avait des liens. Je croyais que c'était Levitas et Medievir mais finalement c'est peut être Levitas et Fedoran ?*

Sans le réaliser, elle cherchait des signes, comme les oracles. Comme ses ascendantes. Mais elle abandonna vite, ça lui faisait mal à la tête. Elle était loin d'avoir la maturité suffisante pour déchiffrer les indices.

- Tu as sûrement raison, il n'a pas dû aller jusque là-bas vu qu'il est encore parmi nous. Mais c'est bien cet homme qui... qui a tenté quelque chose contre lui. Et qui y a presque réussi.

Ce fut tout bas qu'elle demanda :

- Elle "était" ? Tu as perdu ta maman ? Et ton vrai père... pourquoi as tu été adopté ?

Earl laissa fuser un rire presque cruel.

- Ma mère est morte il y a une dizaine d'années. Elle était aux trois quart folle, d'ailleurs. J'ai quitté Fédoran après qu'elle ait essayé de me tuer en me brisant le crâne sur le rebord d'un bassin de marbre. Quant à mon véritable père...

Le rictus du jeune homme s'élargit.

- Tout ce qu'elle a pu me dire, c'est qu'il faisait partie d'une délégation lévitis. Mais elle aurait bien été incapable de préciser lequel était mon géniteur. Je te laisse imaginer pourquoi.

Il faillit ajouter quelque chose mais se ravisa. Qu'est-ce que Syld avait pu révéler exactement à cette fille ? Mieux valait éviter d'en dire trop long à ce sujet.

Il aurait pu expliquer que c'était grâce à Syld qu'Aelred l'avait sorti de la fange dans laquelle il menaçait de se noyer. Parce qu'il était le seul et unique sujet que le futur assassin avait bien voulu aborder face à Adennon. Et Adennon avait espéré que revoir Earl pourrait briser les défenses de Syld, le sortir de son mutisme.
Trop tard. Le vieux seigneur s'y était pris trop tard. Juste de quelques heures.
Syld avait agi le premier, commis l'irréparable.
Et les deux garçons ne s'étaient jamais revus entre les murs de Levitas après ça.
Mais comment aurait-il pu expliquer vraiment tout ceci sans en dire trop ?

Earl préféra éluder la dernière question et se leva.

- Il serait temps de rentrer.

- Elle a été méchante avec toi, pourtant tu portes quand même son nom.

Fanaa ne se leva pas. Elle tendit le bras pour saisir tout doucement la main d'Earl qu'elle caressa du bout des doigts. Fixant cette main comme si c'était la chose la plus incroyable qu'elle ait jamais observée, elle osa :

- Merci Earl. Ca me soulage que tu sois son ami. Moi aussi je souhaite le protéger tu sais... Tu ne voudrais pas me dire ce que le seigneur Adennon a contre Syld ? Que je sache à quoi m'attendre s'il te plait ?

La plus simple façon d'apprendre quelque chose était de demander. Alors autant commencer par là avant de songer à espionner ou passer par des moyens moins... enfin moins... disons plus détournés.

Pendant ce temps-là, à l'extérieur, Earl se figeait dans son mouvement pour reprendre le chemin de l'auberge. Il regarda sans les voir les cercles concentriques que chaque goutte faisait naître dans les flaques au pied de l'appentis.

- Cela, c'est à Syld que tu devrais le demander. Si tu es honnête avec lui, il le sera avec toi.

Le Lévitis hésita. Son souffle formait un petit nuage dans l'air froid. Puis il se décida :
- Syld a étranglé la fille unique d'Adennon, voilà la raison.

Il ôta sa main de celle de Fanaa.

- Syld ne l'a jamais su, mais Aesheera était malade... elle n'aurait sans doute pas dépassé les vingt ans. Enfin, ce n'est pas ce genre de détail qui puisse changer quoi que ce soit à ce qu'il a fait. Il les a détruits tous les deux, elle et Aelred.

N'attendant visiblement pas de réaction ou préférant ne pas voir comment Fanaa prenait la chose, il commença à s'éloigner.
Pourvu qu'il n'ait pas commis une erreur en révélant cela... Il n'arrivait pas à y voir très clair dans la relation entre cette fille et Syld, mais ce dernier n'aurait sans doute pas apprécié de l'entendre lâcher ces informations aussi facilement. L'assassin aurait sans doute préféré le faire lui-même.

"Fichu crétin, toi et ta manie des secrets !"

Earl secoua la tête avec humeur et accéléra le pas.

Earl était parti précipitamment. Il y avait des chances qu'il regrette sa révélation. Elle était lourde cette vérité, pesante, épaisse, sombre. En quelques mots il y avait tant! Cela changeait tout. Le Seigneur Adennon n'était plus juste un "méchant". Il était un homme à qui l'on avait arraché le cœur. Il restait un "ennemi", mais un ennemi qui avait des raisons d'agir ainsi. Fanaa ressentit de la pitié pour lui.

La jeune Danseuse savait maintenant.

Aesheera, c'était un si joli nom... si méodieux... Fanaa découvrait Syld sous un nouveau jour. Jusque là, jamais elle n'aurait pu l'imaginer faire du mal à qui que ce soit. Certes il était assassin, mais ça ne comptait pas c'était son métier. Et cela ne faisait pas le même effet de le voir arracher la tête de celui qui avait été son maître et de l'imaginer étranglant une enfant de sang froid. Cette image ne lui correspondait pas. Pourtant, pas une seconde elle ne songea qu'Earl eut pu lui mentir. De même que pas un instant elle n'évoqua la possibilité qu'Aesheera ait pu être mauvaise. Syld portait ce secret, il n'était donc pas étonnant que parfois son sourire n'atteigne pas ses yeux, ou qu'il arrive qu'il ait les épaules voûtées. Et elle comprenait qu'il se soit retrouvé dans un tel état de délabrement psychique après l'enlèvement mystère d'Adennon. L'immense peine de l'homme, sa rancœur, le chagrin de Syld, sa culpabilité, leurs regrets à tous deux... tout cela ne pouvait que faire du mal.

Fanaa jeta un coup d'œil vers le ciel mais il restait obscurci par ces nuages pas du tout décidés à passer. Elle regarda vers la mer mais se concentrer était plus dur.

*J'aurais pourtant aimé voir son visage.*

Mais elle se contenterait du nom. Et des sensations qui l'accompagnaient. Fanaa frissonna. Trouver les mots, y en avait il seulement ? Non. Il faudrait s'en passer cette fois.

Alors elle se mit à fredonner, une mélodie douce, une berceuse sans paroles. Sa voix se cassait par endroits, mais le timbre était pur, les notes tout à fait justes, et elle y mettait du cœur, cela se sentait. Un hommage tendre à celle qui dans toute cette histoire n'avait été que la victime, ainsi que l'origine des vallées de larmes dans lesquelles peinaient deux hommes.

Earl fit encore quelques mètres avant de s'arrêter. La berceuse lui parvint aux oreilles, lui tirant un frisson involontaire.
Aesheera aussi, chantait. A un niveau complètement différent, bien sûr, mais elle chantait.
Et le vieux père solitaire fredonnait parfois, voûté au milieu d'un couloir, son visage creusé levé vers le portrait de son enfant disparue.
Syld devait détester entendre les gens chanter...

Le Lévitis se détourna.

- Bon, tu viens, ou pas ? Parce que j'en connais un qui était déjà tout prêt à se coller au plafond lorsque je suis sorti de l'auberge... et je me demande si le laisser avec dame Hakuren était une si bonne idée que cela, acheva-t-il pour lui-même.

Maintenant qu'il y réfléchissait, la demoiselle et ses questions horripilantes ne constituaient peut-être pas la meilleure façon de calmer un Syld passablement énervé.

- J'espère qu'il n'aura pas redémoli cette malheureuse auberge.

Loin de là, sur une certaine falaise inondée de sang, Valnor fût victime d'un mal être étrange... rien de vraiment marquant mais cela l'inquiétait...
Une petite voix, douce et sensuelle s'éleva derrière lui.


- Tout va bien maître ?

Une prêtresse noire se tenait à ses côtés, ses deux genoux à terre.

- Je vais bien, mais si je t'ai convoqué c'est que j'ai une mission particulière à te confier, toi qui connait mes desseins.
- Je vous écoute maître Valnor !
- Avant la bataille, il y avait une femme dans l'auberge, avec une aura très inhabituelle. Je veux que tu veilles sur elle et que tu lui apporte mon aide quelque soit le prix.
- Très bien, des informations supplémentaires ?

Valnor se remémora ce qu'il avait ressenti et lui décrivit clairement toutes les informations nécessaires au bon déroulement de la mission.

- Comme à votre habitude maître vous êtes d'une précision redoutable !
- Tu vas prendre contact avec Luneline ! Avec ton pouvoir d'empathie, ta vitesse de course exceptionnelle et ses sens de traqueuse, vous n'aurez aucun mal à la retrouver.
En revanche, tu seras seule sur cette mission, je ne veux pas d'interventions extérieures.
- Oui maître, je ferai mon maximum.
- Comme d'habitude...

La prêtresse s'en alla et revint auprès de son groupe. Expliquant la situation, Luneline lui rétorqua :

- Ici, aux environs de Faelanir.
- Merci, je me met en route sur le champ ! J'y serai dans très peu de temps. Sœur Lunedemiel, vous veillerez sur nous en mon absence. Gloire à Valnor !
- Gloire à Valnor ! Gloire à notre prêtresse Lunelia !

Elle disparu instantanément dans une ombre bleutée, pour apparaitre quelques kilomètres plus loin. Valnor soupira :

- Décidément, sa vitesse m'impressionnera toujours... Lunelia, ta mission est primordiale, bonne chance...